Waverley/Chapitre XXIV

Waverley ou Il y a soixante ans
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 5p. 210-219).


CHAPITRE XXIV.

UNE CHASSE AU CERF ET SES SUITES.


Ce chapitre sera-t-il long ou court ? C’est une question dans laquelle, ami lecteur, vous n’avez pas voix délibérative, quoique vous puissiez être intéressé au résultat ; tout comme vous pouvez (ainsi que moi-même) n’avoir probablement rien à démêler avec un nouvel impôt, sauf la légère circonstance d’être obligé de le payer. Plus heureux certes, dans le cas actuel, puisque, quoiqu’il soit en mon pouvoir arbitraire de donner à mes matériaux l’étendue que je juge convenable, je ne puis vous faire venir devant la cour de l’échiquier si vous ne jugez pas à propos de lire mon récit. Il faut donc que j’y réfléchisse. Il est vrai que les annales et les documents que j’ai entre les mains parlent peu de cette chasse des montagnes ; mais aussi je puis trouver ailleurs d’amples matériaux pour des descriptions. J’ai là à mon côté le vieux Lindsay de Pitscottie, avec sa chasse d’Athole, et son palais élevé et à solives de bois vert, et toutes les sortes de boissons qu’on peut se procurer dans les bourgs et dans les terres, comme, par exemple, de l’ale ou de la bière forte, du vin, du muscat, du malvoisie, de l’hippocras et de l’eau-de-vie ; aussi du pain de froment, du pain d’épice, du bœuf, du mouton, de l’agneau, de la venaison, des oies, des marcassins, des chapons, des lapereaux, des grues, des cygnes, des perdrix, des pluviers, des canards, des cannes, des oiseaux de marais ; sans oublier le coucher dispendieux, la vaisselle, les nappes, et encore moins les excellents maîtres d’hôtel, les parfaits cuisiniers avec leurs confitures et leurs plats pour le dessert. Outre les détails qu’on peut recueillir de ce repas dans les montagnes (dont la splendeur fut telle qu’elle engagea le délégué du pape à changer l’opinion qu’il avait eue jusqu’alors, que l’Écosse était le… le… le dernier bout du monde) ; outre ceux-ci, n’aurais-je pas pu enluminer mon ouvrage à l’aide de Taylor, le poète de la chasse aquatique dans les bas-fonds du comté de Mar, où,


Au travers de la bruyère,
Et de la mousse et des marais,

Au milieu d’une grenouillère,
Et des étangs et des forêts,
Les lièvres, les daims et les biches,
Et les chevreuils par les limiers
Sont poursuivis jusqu’aux halliers,
En gibier tous les ans si riches ;
Là du chasseur le coup certain
Vous a suffi pour mettre à terre
Quatre-vingts daims, qui vont vous faire
L’indigne et copieux festin.
Vos plaisirs, terre des campagnes,
Sont tout aussi bas que vos champs.
Les jeux et l’esprit des montagnes
Sont plus élevés et plus grands.


Mais, sans tyranniser davantage mes lecteurs, et sans déployer l’étendue de mes propres connaissances, je me contenterai d’emprunter un seul incident de la chasse mémorable de Lude, consignée dans l’Essai de l’ingénieux M. Gunn sur la harpe calédonienne, puis je continuerai mon récit avec toute la brièveté que me permettra mon style naturel, joint à ce que les écoliers appellent la périphrase et les ambages, et le vulgaire, des circonlocutions.

Diverses causes retardèrent la chasse solennelle pendant trois semaines. Waverley passa ce temps dans une satisfaction parfaite à Glennaquoich ; car l’impression que Flora avait faite sur son âme à leur première entrevue augmentait chaque jour. Elle avait précisément le caractère propre à charmer un jeune homme d’une imagination romanesque. Ses manières, son langage, ses talents dans la poésie et dans la musique, ajoutaient une influence variée à ses charmes personnels. Même dans ses heures de gaieté, elle paraissait, à son imagination exaltée, au-dessus des filles ordinaires d’Ève, et ne semblait s’abaisser que pour un instant à ces sujets d’amusement et de galanterie pour lesquels seuls les autres semblent vivre. Dans la société de cette enchanteresse, tandis que la chasse employait les matinées, la musique et la danse remplissaient les heures de la soirée, Waverley était de plus en plus charmé de son hôte hospitalier, et plus épris de sa séduisante sœur.

Enfin arriva l’époque fixée pour la grande chasse, et Waverley et le chef se dirigèrent vers le lieu du rendez-vous, qui était à une journée de distance au nord de Glennaquoich. En cette occasion, Fergus était accompagné d’environ trois cents hommes de son clan, bien armés et complètement équipés. Waverley se conforma aux coutumes du pays jusqu’à adopter leurs trews (il ne pouvait s’habituer au kilt), les brogues et le bonnet, comme le vêtement le plus convenable à l’exercice auquel il devait se livrer, et qui l’exposait le moins aux regards comme étranger en arrivant au rendez-vous. Ils trouvèrent au lieu assigné plusieurs chefs puissants auxquels Waverley fut présenté suivant le cérémonial, et accueilli cordialement par tous. Leurs vassaux et leurs hommes de clan, dont une partie du devoir féodal était de suivre leurs chieftains ou capitaines dans ces parties, étaient en si grand nombre qu’ils formaient une petite armée. Ces aides actifs se répandaient dans le pays et formaient un cercle qu’on appelait techniquement le tinchel, qui, se resserrant graduellement, chassait les daims en troupeaux vers les taillis où les chefs et les principaux chasseurs les attendaient. Pendant ce temps, ces personnages distingués bivouaquaient sur la bruyère fleurie, enveloppés dans leurs manteaux, mode de passer une nuit d’été que Waverley ne trouva pas du tout désagréable.

Pendant plusieurs heures après le lever du soleil, les côtes des montagnes et les passages conservaient leur apparence ordinaire de silence et de solitude, et les chefs avec leurs serviteurs s’amusaient à différents passe-temps, dans lesquels les plaisirs de la coupe, ainsi que le dit Ossian, n’étaient pas oubliés ; d’autres se retiraient à part sur une colline, probablement aussi occupés de discussions politiques et de nouvelles que l’esprit de Milton l’était de recherches métaphysiques. Enfin, on distingua et l’on entendit des signaux de l’approche du gibier : des sons éloignés retentissaient de vallon en vallon, à mesure que différents partis de montagnards, gravissant les rochers, traversant des bouquets de bois, des ruisseaux et des taillis, se rapprochaient les uns des autres, et forçaient le daim étonné et tous les autres animaux sauvages qui fuyaient devant eux, à se resserrer dans un circuit plus étroit. De temps à autre on entendait le bruit des mousquets répété par mille échos ; l’aboiement des chiens venait s’ajouter au tumulte qui croissait de plus en plus ; enfin les partis avancés des daims commencèrent à se montrer, et à mesure que les traîneurs descendaient deux ou trois ensemble dans le passage en bondissant, les chefs montraient leur adresse en choisissant les plus gras, et signalaient leur dextérité en les abattant avec leur fusil. Fergus se fit aussi remarquer, et Édouard eut le bonheur d’attirer l’attention et les applaudissements des chasseurs.

Mais en ce moment le corps principal des daims parut à l’entrée du taillis, resserré dans un espace très-étroit et présentant une phalange si imposante, que leurs andouillers paraissaient au loin, sur le bord du passage escarpé, comme une forêt dépouillée de feuilles. Leur nombre était très-grand, et dans une pause désespérée qu’ils firent tandis que les plus grands cerfs étaient rangés en avant, dans une sorte d’ordre de bataille, contemplant le groupe qui leur barrait le passage du taillis, les chasseurs les plus expérimentés commencèrent à en augurer du danger. Cependant l’œuvre de la destruction commençait de tous côtés ; les chiens et les chasseurs étaient à l’ouvrage, et les mousquets et les fusils résonnaient de toutes parts ; les daims, poussés au désespoir, firent enfin une charge effroyable sur l’endroit où s’étaient placés les chasseurs les plus distingués : on leur cria en gaëlique de se jeter visage contre terre ; mais Waverley, dont les oreilles anglaises n’avaient pu connaître le signal, faillit devenir victime de son ignorance de l’ancienne langue dans laquelle il avait été donné. Fergus, apercevant son danger, s’élança précipitamment et le tira avec violence par terre, précisément à l’instant où tout le troupeau fondait sur eux. On ne pouvait résister à ce torrent, et les blessures de la corne du cerf étant fort dangereuses[1], on peut dire que dans ce cas l’activité du chef sauva la vie à son hôte : il le retint fortement contre la terre jusqu’à ce que tout le troupeau eût entièrement passé par-dessus leurs corps. Waverley essaya alors de se lever, mais il s’aperçut qu’il avait reçu plusieurs fortes contusions, et un examen plus approfondi découvrit qu’il s’était foulé très-fortement la cheville.

Cet accident réprima la joie générale, quoique les montagnards, habitués et préparés à de pareils incidents, n’eussent éprouvé aucun mal. En un instant on eut construit une cabane, dans laquelle on déposa Édouard sur un lit de fougère ; le chirurgien, ou celui qui prenait ce titre, paraissait réunir les qualités de médecin et de sorcier : c’était un vieux montagnard enfumé, portant une vénérable barbe grise, et ayant pour tout vêtement une robe de tartan, dont les pans descendaient jusqu’aux genoux, et qui, n’étant pas ouverte par devant, servait tout à la fois de pourpoint et de haut de chausses[2]. Il observa beaucoup de cérémonies en s’approchant d’Édouard, et quoique notre héros fût torturé par la douleur, il ne voulut commencer aucune opération qui aurait pu le soulager, avant d’avoir fait trois fois le tour de son lit, marchant de l’est à l’ouest, selon la direction du soleil. Cette cérémonie, qu’on appelait faire le deasil[3], paraissait être regardée par le médecin et par les spectateurs comme une opération de la plus haute importance pour la guérison ; et Waverley, que la douleur rendait incapable de faire des remontrances, et qui dans le fait ne voyait pas de chance d’être écouté, s’y soumit en silence.

Dès que cette cérémonie fut convenablement accomplie, le vieil esculape saigna son malade avec un verre à ventouse, en faisant preuve de la plus grande dextérité, et continua, tout en marmottant sans cesse en gaëlique, à faire bouillir certaines herbes dont il composa un liniment ; ensuite il fomenta les parties blessées, ne manquant jamais de murmurer des prières ou des charmes : c’est ce que Waverley ne put distinguer, son oreille n’ayant pu saisir que les mots Gasper, Melchior, Balthazar, Max, Prax, Fax, et autre galimatias semblable. La fomentation eut un prompt effet, calma la douleur, et fit diminuer le gonflement ; ce que notre héros attribua à la vertu des herbes ou à l’effet de la chaleur, tandis que tous les assistants l’attribuèrent au charme qui avait accompagné l’opération. On apprit alors à Édouard que pas une des herbes n’avait été cueillie hors le temps de la pleine lune, et que le médecin avait, tout en les cueillant, récité uniformément un charme, qui se traduirait ainsi :


Je te salue, herbage heureux
Et qui croissait en terre sainte ;
Au mont Olivet si fameux
Tu fus jadis ravi sans crainte.
Tu peux guérir bien plus d’un mal
Et bien plus d’une meurtrissure ;
Tu guéris plus d’une blessure :
Oui ton pouvoir n’a pas d’égal
Au nom sacré de Notre Dame,

Je te dérobe au sol natal,
Et tu vas servir de dictame[4].


Édouard remarqua avec surprise que Fergus lui-même, malgré ses connaissances et son éducation, semblait partager les idées superstitieuses de ses compatriotes, soit qu’il jugeât impolitique d’affecter le scepticisme dans un point d’une croyance générale, ou plus vraisemblablement que, comme beaucoup d’hommes qui ne réfléchissent pas mûrement et exactement à un sujet, il conservât un fonds de superstition qui balançait la liberté de ses expressions et de ses manières en toute autre occasion. Aussi Waverley ne fit-il aucun commentaire sur le mode de traitement ; mais il récompensa le professeur médical avec une libéralité qui surpassait ses plus hautes espérances. Celui-ci lui donna tant de bénédictions incohérentes en gaëlique, en anglais, que Mac-Ivor, un peu scandalisé de l’excès de sa reconnaissance, l’arrêta tout court, en s’écriant : Cend mile mhalloich ort ! … c’est-à-dire : Cent mille malédictions sur vous ! et poussa le sauveur des malades hors de la cabane.

Quand Waverley fut seul, l’épuisement causé par la douleur et la fatigue (car l’exercice de toute la journée avait été violent) le plongea dans un sommeil profond, mais agité par la fièvre, qu’il devait principalement à une dose opiacée que lui avait préparée le vieux montagnard avec une décoction d’herbes de sa pharmacopée.

De bonne heure le lendemain matin, ayant rempli l’objet de leur entrevue, et les jeux étant dérangés par l’accident fâcheux arrivé à Waverley, pour lequel Fergus et ses amis montrèrent beaucoup de sympathie, on commença à songer à ce qu’on devait faire du chasseur malade ; ce point fut bientôt décidé par Mac-Ivor : il fit préparer une litière de bouleaux et de coudriers, qui fut portée par ses gens avec tant de précaution et de dextérité, qu’il ne serait pas improbable qu’ils aient été les ancêtres de quelques-uns de ces vigoureux Gaëls qui ont le bonheur de porter nos belles d’Édimbourg, dans leurs chaises à porteurs, à dix routs dans la même soirée. Quand Édouard fut élevé sur leurs épaules, il ne put s’empêcher d’admirer l’effet romantique produit par la levée de ce camp champêtre.

Les diverses tribus furent assemblées chacune au pibroch de leur clan natif, et sous la conduite de leur chef patriarcal. Quelques-unes, qui avaient déjà commencé à se retirer, montaient le long de la colline ou descendaient les passages qui conduisaient au lieu de la chasse, tandis que le son de leurs cornemuses mourait dans le lointain ; d’autres offraient encore un tableau plein de vie dans la plaine étroite, formant des groupes variés, leurs plumes et leurs manteaux déployés s’agitant au zéphyr du matin, tandis que leurs armes étincelaient au soleil levant. La plupart des chefs vinrent faire leurs adieux à Waverley et lui exprimer leur vif espoir de se revoir bientôt ; mais les soins de Fergus abrégèrent la cérémonie des adieux. Enfin, tous les hommes de son clan étant assemblés, Mac Ivor commença sa marche, mais non vers le quartier d’où il était venu ; il donna à entendre à Édouard que la plus grande partie de ses serviteurs, qui se trouvaient maintenant sur pied, étaient engagés pour une expédition lointaine, et que lorsqu’il l’aurait déposé dans la maison d’un gentilhomme, qui lui donnerait tous les soins possibles, il serait obligé lui-même de les accompagner la plus grande partie du chemin, mais qu’il ne perdrait pas de temps à rejoindre son ami.

Waverley fut assez surpris que Fergus n’eût pas parlé de cette destination ultérieure lors de leur départ pour la chasse ; mais sa situation ne permettait pas de faire beaucoup de questions. La plus grande partie des hommes du clan partirent sous la conduite du vieux Ballenkeiroch et d’Evan Dhu Maccombich, qui paraissait au comble de la joie. Quelques-uns restèrent pour escorter le chef, qui se mit en marche à côté de la litière d’Édouard et lui montra les attentions les plus soutenues. Vers midi, après un voyage que le mode de transport, la douleur des meurtrissures et la rudesse du chemin rendaient excessivement pénible, Waverley fut reçu avec hospitalité dans la maison d’un gentilhomme parent de Fergus, qui avait fait pour lui tous les préparatifs que permettaient les simples habitudes généralement répandues alors dans les Highlands. Dans ce personnage, vieillard de soixante-dix ans, Édouard admirait les restes de la simplicité primitive : il ne portait pas d’autres vêtements que ceux que fournissait sa propriété ; le drap était la laine de son troupeau, tissu en tartan par ses serviteurs, et teint des couleurs que produisaient les herbes et les lichens des collines environnantes ; son linge était filé de son lin par ses filles et ses servantes, et sa table, quoique abondamment servie, et approvisionnée même en gibier et en poisson, n’offrait pas non plus un article qui ne fût un produit de ses domaines.

Ne réclamant lui-même aucun droit sur les clans ou les vassaux, il se trouvait heureux de l’alliance et de la protection que Vich-Jan-Vohr et quelques autres chefs hardis et entreprenants lui accordaient dans la vie tranquille et sans ambition qu’il menait. Il est vrai que les jeunes gens nés sur ses terres se décidaient parfois à le quitter pour prendre du service chez ses amis plus actifs ; mais quelques vieux serviteurs et quelques tenanciers secouaient leur tête grise, quand ils entendaient blâmer leur maître de son manque de vigueur ; ils observaient que, quand le vent est calme, la pluie est douce. Ce bon vieillard, dont le caractère et l’hospitalité étaient sans bornes, aurait reçu Waverley avec bonté, quand il eût été le moindre paysan saxon, puisque son état exigeait des secours ; mais son attention pour un ami et un hôte de Vich-Jan-Vohr était affectueuse et sans relâche. On appliqua d’autres liniments sur le membre malade, et l’on employa de nouveaux charmes ; enfin, après plus de sollicitude que ne paraissait exiger peut-être l’état d’Édouard, Fergus lui dit adieu pour quelques jours ; alors, dit-il, il tâcherait de revenir à Tomanrait, et espérait qu’à cette époque Waverley serait en état de monter sur un des chevaux montagnards de son hôte, et de revenir ainsi à Glennaquoich.

Le lendemain, quand son bon vieil hôte parut, Édouard apprit que son ami était parti dès l’aurore, ne laissant de ses serviteurs que le vieux Callum Beg, espèce de valet de pied qui avait l’habitude de servir sa personne, et qui devait maintenant servir Waverley. Ayant demandé à son hôte s’il savait où était allé le chef, le vieillard le regarda fixement, et ne lui fit pour toute réponse qu’un sourire qui avait quelque chose de triste et de mystérieux. Waverley répéta sa question, et son hôte y répondit par un proverbe :


Sur les bords infernaux on les faisait descendre
Pour demander ce qu’ils pouvaient apprendre[5]. »


Il allait continuer, mais Callum Beg reprit d’une manière assez impertinente, à ce qu’il parut à Édouard, que Ta Tighearnach (le chef) ne voulait pas que le Sassenagh Duinhe Wassel (le gentilhomme saxon) fût tourmenté par beaucoup de paroles, vu qu’il ne se portait pas encore bien. D’après ceci, Waverley en conclut qu’il désobligerait son ami en s’informant auprès d’un étranger du but de son voyage, quand il ne lui avait pas communiqué lui-même. Il est inutile de suivre les progrès de la guérison de notre héros. La sixième matinée commençait, et il était en état de se promener avec une canne, quand Fergus revint avec environ une vingtaine de ses hommes. Il semblait parfaitement satisfait ; il félicita Waverley sur son rétablissement, et en apprenant qu’il était en état de se tenir à cheval, il lui proposa de retourner immédiatement à Glennaquoich. Waverley y consentit avec joie, car l’image de la belle habitante du manoir l’avait poursuivi dans ses rêves tout le temps qu’avait duré sa maladie :


Il parcourt à cheval les monts, les fondrières,
Et les marais et les bruyères.


Fergus, pendant tout ce temps, accompagné de ses myrmidons, marchait à grands pas à son côté, ou s’éloignait pour faire feu sur un chevreuil ou un coq de bruyère. Le cœur de Waverley battit violemment quand ils approchèrent de la vieille tour de Jan-Nan-Chaistel, et qu’il put distinguer la belle taille de Flora qui s’avançait pour les recevoir.

Fergus commença aussitôt, avec sa gaîté ordinaire, à s’écrier : « Ouvrez vos portes, incomparable princesse, au Maure Abindarez, couvert de blessures, que Rodrigue de Narvez, connétable d’Antiquera, amène à votre castel[6] ; ou bien, ouvrez-les, si vous le préférez, au célèbre marquis de Mantoue, le triste compagnon de son ami blessé, Baldovinos de la montagne… Ah ! que ton âme repose en paix. Cervantes ! Si je n’invoquais ton bon génie, comment pourrais-je donner à mon langage la tournure qui convient à des oreilles romanesques ? »

Flora s’avança, et reçut Waverley avec beaucoup de bonté, lui exprimant le regret que lui causait son accident, dont elle avait déjà appris les détails, et sa surprise que son frère n’eût pas eu soin de mettre un étranger en garde contre les dangers d’une chasse à laquelle il l’engageait. Édouard excusa facilement le chef qui, au fait, lui avait, à ses risques et périls, probablement sauvé la vie.

Cette réception terminée, Fergus dit trois ou quatre paroles à sa sœur en gaëlique : des larmes brillèrent aussitôt dans ses yeux, mais elles paraissaient être des larmes de plaisir et de joie, car elle leva ses yeux vers le ciel, et joignit les mains comme dans une expression solennelle de prière ou de reconnaissance. Après une pause d’une minute, elle présenta à Édouard quelques lettres qui lui avaient été envoyées de Tully-Veolan pendant son absence, et en même temps elle en remit à son frère. Elle donna aussi à ce dernier trois ou quatre numéros du Mercure calédonien, le seul journal qu’on publiât alors au nord de la rivière de la Tweed.

Les deux gentilshommes se retirèrent pour examiner leurs dépêches, et Édouard vit bientôt que celles qu’il avait reçues contenaient des affaires du plus grand intérêt.


  1. Un coup de bois ou des cornes du cerf était considéré comme bien plus dangereux que celui de la défense du sanglier.
    « Si tu es blessé par la corne du cerf, elle t’amène au cercueil ; mais la main du barbier guérira le mal du sanglier : ainsi n’aie aucune crainte. »
    Note de l’auteur. a. m.
  2. Ce vêtement, qui ressemblait à celui qu’on met souvent aux enfants en Écosse, et qu’on appelle polonie (polonaise), est une modification très-ancienne de l’habillement montagnard. Ce n’était, dans le fait, que le haubert ou la cotte de mailles, fait de toile au lieu d’anneaux d’une armure. a. m.
  3. Les vieux montagnards font encore le deasil, dit l’auteur, autour de ceux à qui ils veulent du bien. Tourner autour d’une personne en sens opposé, ou wither shins (allemand, wider shins) est considéré comme malencontreux, et même une espèce d’enchantement. a. m.
  4. Ce charme rhythmique, ou quelque chose qui lui ressemble, se retrouve, dit Walter Scott, dans l’ouvrage de Regmald Scott sur le sortilège. a. m.
  5. Ce qui répond à ce proverbe écossais des basses terres : Mony ane speirs the door they ken fu’ weel, c’est-à-dire : Beaucoup de gens demandent la porte qu’ils connaissent bien. a. m.
  6. Voyez le roman de l’inimitable Cervantes, Don Quichotte. a. m.