PLANCHE IX.

Monumens de Xochicalco.



Le monument remarquable dont cette Planche offre un fragment chargé de sculptures, est regardé dans le pays comme un monument militaire. Au sud-est de la ville de Cuernavaca (l’ancien Quauhnahuac), sur la pente occidentale de la Cordillère d’Anahuac, dans cette région heureuse que les habitans désignent sous le nom de tierra templada (région tempérée), parce qu’il y règne un printemps perpétuel, s’élève une colline isolée, qui, d’après les mesures barométriques de M. Alzate, a cent dix-sept mètres au-dessus de sa base. Cette colline se trouve à l’ouest du chemin qui conduit de Cuernavaca au village de Miacatlan. Les Indiens l’appellent, en langne mexicaine ou aztèque, Xochicalco, ou la Maison des fleurs. Nous verrons, dans la suite de cette notice, que l’étymologie de ce nom est aussi incertaine que l’époque de la construction du monument, que l’on attribue aux Toltèques. Cette nation est, pour les antiquaires mexicains, ce que les colons Pélasges ont été long-temps pour les antiquaires de l’Italie. Tout ce qui se perd dans la nuit des temps est regardé comme l’ouvrage d’un peuple chez lequel on croit trouver les premiers termes de la civilisation.

La colline de Xochicalco est une masse de rocs, à laquelle la main de l’homme a donné une forme conique assez régulière, et qui est divisée en cinq assises ou terrasses, dont chacune est revêtue de maçonnerie. Les assises ont à peu près vingt mètres d’élévation perpendiculaire. Elles se rétrécissent vers la cime, comme dans les téocallis ou les pyramides aztèques, dont le sommet étoit orné d’un autel. Toutes les terrasses sont inclinées vers le sud-ouest, peut-être pour faciliter l’écoulement de l’eau des pluies, très-abondantes dans cette région. La colline est entourée d’un fossé assez profond et très-large, de sorte que tout le retranchement a près de quatre mille mètres de circonférence. La grandeur de ces dimensions ne doit pas nous étonner : sur le dos des Cordillères du Pérou, et à des élévations qui égalent presque celle du pic de Ténériffe, nous avons vu, M. Bonpland et moi, des monumens plus considérables encore.

Les plaines du Canada offrent des lignes de défense, et des retranchemens d’une longueur extraordinaire. Tous ces ouvrages américains ressemblent à ceux que l’on découvre journellement dans la partie orientale de l’Asie, où des peuples de race mongole, surtout ceux qui sont le plus avancés en civilisation, ont construit des murailles qui séparent des provinces entières.

Le sommet de la colline de Xochicalco présente une plate-forme oblongue, qui, du nord au sud, a soixante-douze mètres, et, de l’est à l’ouest, quatre-vingt-six mètres de longueur. Cette plate-forme est entourée d’un mur de pierre de taille, dont la hauteur excède deux mètres et qui servoit à la défense des combattans. C’est au centre de cette place d’armes spacieuse que l’on trouve les restes d’un monument pyramidal qui avoit cinq assises, et dont la forme ressemble à celle des téocallis que nous venons de décrire plus haut. La première assise seule en a été conservée ; c’est celle dont le dessin se trouve sur la neuvième Planche. Les propriétaires d’une sucrerie voisine ont été assez barbares pour détruire la pyramide, en arrachant des pierres qu’ils ont employées dans la construction de leurs fours. Les Indiens de Tetlama assurent que les cinq assises existoient encore en 1750 ; et, d’après les dimensions du premier gradin, on peut supposer que tout l’édifice avoit vingt mètres d’élévation. Ses faces sont exactement orientées d’après les quatre points cardinaux. La base de l’édifice a 20,7 m de long, sur 17,4 m de large. On ne découvre, et cette circonstance est très-frappante, aucun vestige d’escalier qui conduise vers la cime de la pyramide, où l’on assure avoir trouvé jadis un siège de pierre (ximotlalli), orné d’hiéroglyphes.

Les voyageurs qui ont examiné de près cet ouvrage des peuples indigènes de l’Amérique, ne peuvent assez admirer le poli et la coupe des pierres qui ont toutes la forme de parallélépipèdes ; le soin avec lequel elles ont été unies les unes aux autres, sans que les joints aient été remplis de ciment, et l’exécution des reliefs dont les assises sont ornées : chaque figure occupe plusieurs pierres à la fois ; et les contours n’étant pas interrompus par les joints des pierres, on peut supposer que les reliefs ont été sculptés après que la construction de l’édifice étoit achevée. On distingue, parmi les ornemens hiéroglyphiques de la pyramide de Xochicalco, des tètes de crocodiles qui jettent de l’eau, et des figures d’hommes qui sont assis les jambes croisées, à la manière des peuples de l’Asie. En considérant que l’édifice se trouve sur un plateau élevé de plus de treize cents mètres au-dessus du niveau de l’Océan, et que les crocodiles n’habitent que les rivières voisines des côtes, on est étonné de voir que l’architecte, au lieu d’imiter des plantes et des animaux connus aux peuples montagnards, ait employé, dans ces reliefs, avec une recherche particulière, les productions gigantesques de la zone torride.

Le fossé dont la colline est entourée, le revêtement des assises, le grand nombre d’appartements souterrains creusés dans le roc du côté du nord, le mur qui défend l’approche de la plate-forme, tout concourt à donner au monument de Xochicalco le caractère d’un monument militaire. Les naturels désignent même encore aujourd’hui les ruines de la pyramide qui s’élevoit au milieu de la plate-forme, par un nom qui équivaut à celui de château fort ou de citadelle. La grande analogie de forme que l’on remarque entre cette prétendue citadelle et les maisons des dieux aztèques (téocallis), me fait soupçonner que la colline de Xochicalco n’étoit autre chose qu’un temple fortifié. La pyramide de Mexitli, ou le grand temple de Ténochlitlan, renfermoit aussi un arsenal dans son enceinte, et servoit, pendant le siège, de place forte, tantôt aux Mexicains, tantôt aux Espagnols. Les livres saints des Hébreux nous apprennent que, dans la plus haute antiquité, les temples de l’Asie, par exemple celui de Baal Berith à Sichem en Canaan, étoient à la fois des édifices consacrés au culte, et des retranchemens dans lesquels les habitans d’une ville se mettoient à couvert contre les attaques de l’ennemi. En effet, rien de plus naturel aux hommes que de fortifier les lieux dans lesquels ils conservent les dieux tutélaires de la patrie ; rien de plus rassurant, lorsque la chose publique est en danger, que de se réfugier au pied de leurs autels, et de combattre sous leur protection immédiate ! Chez les peuples dont les temples avoient conservé une des formes les plus antiques, celle de la pyramide de Bélus, la construction de l’édifice pouvoit répondre au double usage du culte et de la défense. Dans les temples grecs, le mur seul qui formoit le περίβολος offroit un asile aux assiégées.

Les naturels du village voisin de Tetlama possèdent une carte géographique construite avant l’arrivée des Espagnols, et à laquelle on a ajouté quelques noms depuis la conquête : sur cette carte, à l’endroit où est situé le monument de Xochicalco, on trouve la figure de deux guerriers qui combattent avec des massues, et dont l’un est nommé Xochicatli, et l’autre Xicatelli. Nous ne suivrons pas ici les antiquaires mexicains dans leurs discussions étymologiques, pour apprendre si l’un de ces guerriers a donné le nom à la colline de Xochicalco, ou si l’image des deux combattans désigne simplement une bataille entre deux nations voisines, ou enfin si la dénomination de Maison des fleurs a été donnée au monument pyramidal, parce que les Toltèques, comme les Péruviens, n’offroient à la divinité que des fruits, des fleurs et de l’encens. C’est aussi près de Xochicalco qu’on a trouvé, il y a trente ans, une pierre isolée sur laquelle étoit représenté en relief un aigle déchirant un captif, image qui faisoit allusion sans doute à une victoire remportée par les Aztèques sur quelque nation limitrophe.

Le dessin du relief de la première assise est copié d’après la gravure qui en a été publiée à Mexico, en 1791. Je n’ai pas eu occasion de visiter moi-même ce monument remarquable. Lorsqu’en arrivant à la Nouvelle-Espagne par la mer du Sud, je passai, au mois d’avril 1803, d’Acapulco à Cuernavacca, j’ignorais l’existence de la colline de Xochicalco, et je regrette de n’avoir pas pu vérifier par mes yeux la description[1] qui en a été faite par M. Alzate, membre correspondant de l’Académie des sciences de Paris. Comme on a omis d’ajouter une échelle à la Planche ix, je dois faire observer que la hauteur des figures qui sont assises les jambes croisées, est de 1,03 m.

  1. Description de las antiquidades de Xochicalco, por Don Joseph Antonio Alzate y Ramirez ; Mexico, 1791. Due antichi Momimenti di architectura messicana illustrati da Pietro Marquez ; Roma, 1804.