Voyage par le Cap de Bonne-Espérance à Batavia, à Bantam et au Bengale, en 1768, 69, 70 et 71.djvu/III/V

CHAPITRE V.

Factoreries européennes au Bengale.



Quatre nations européennes se sont établies au Bengale dans des vues commerciales ; savoir, les Anglois, les Hollandois, les François et les Danois. Lorsque la Compagnie d’Ostende existoit, elle avoit également ici une factorerie, à environ deux lieues plus bas que celle de la Compagnie hollandoise et sur la rive orientale du Gange, dans un endroit appelé Bankibazar ; lequel, après avoir été long-tems assiégé par les Mores, fut pris par eux en 1738 ou 1739 ; et c’est à cette époque que la Compagnie d’Ostende se vit obligée de quitter le Gange.

Ce sont les Anglois qui, des quatre nations européennes que je viens de nommer, jouissent des plus grands avantages au Bengale, parce qu’ils sont, en quelque sorte, maîtres de ce pays depuis qu’ils ont vaincu les armées du nabab et du grand Mogol ; aussi peut-on dire qu’ils y règlent à leur volonté le commerce des autres nations. Quoiqu’ils eussent formé de bonne heure des établissemens dans ces contrées, ils n’y avoient cependant qu’une existence bien précaire, en comparaison de celle des Hollandois, sur-tout vers les années 1755 et 1756, époque où ils sembloient ne pouvoir plus s’y maintenir, et qui fut celle où ils parvinrent à cette grande prospérité dont ils jouissent maintenant.

Le nabab de Cassimbazar, ou vice-roi du Bengale, désirant de se procurer quelques marchandises d’Europe, envoya en 1755, un de ses officiers au chef-lieu des Anglois à Calcutta pour en faire la demande. Le gouverneur, homme colérique et brutal, fit saisir cet officier, et, sous prétexte de quelque mécontentement, ordonna de le fouetter, et le renvoya ensuite au nabab, sans daigner donner les marchandises que celui-ci avoit fait demander.

Le nabab, irrité de cette conduite des Anglois, marcha sur-le-champ avec ses troupes vers Calcutta, qu’il prit et saccagea, en faisant tuer tous les Anglois qui n’avoient pu gagner leurs vaisseaux. Ces premières hostilités conduisirent naturellement à une guerre dans laquelle les Anglois eurent le bonheur de vaincre les troupes du nabab, de prendre Dhéli, capitale de l’empire, et de se saisir de l’empereur même. Ils mirent alors à contribution une grande partie de ce puissant état, particulièrement les royaumes de Bengale et de Bahar, dont ils sont absolument les maîtres depuis ce tems.

La plus grande victoire qu’ils remportèrent fut celle de Plassi, qui décida du sort de ces contrées : là, avec cinq cents Européens et un petit nombre de sipahis, ils furent obligés de faire tête à une armée de cinquante mille hommes, commandée par Soudja Dawlat, grand visir de l’empire de l’Indostan. Ils ne durent certainement leur victoire qu’au désespoir ; car il falloit ou vaincre ou mourir.

Le général Clive, qui avoit le commandement des troupes à cette bataille, en remit le soin au colonel Coots, et se tint à l’écart caché dans son palanquin ; il ne se montra même que lorsqu’il fut bien certain de la déroute entière des ennemis. Voilà ce qui m’a été raconté par plusieurs officiers anglois qui s’étoient trouvés à cette bataille.

Des contributions qu’ils tirent tous les ans de ces contrées ils allouent vingt-cinq lacs de roupies au Mogol et au nabab : ce qu’ils conservent pour eux-mêmes monte au moins au double. Cette somme est employée à l’entretien de leur milice qui est fort considérable ici, et dont on faisoit monter, en 1770, le nombre à quatre mille soldats européens et trente-cinq à quarante mille sipahis.

Quoique les Anglois se gouvernent en maîtres au Bengale, et qu’ils en tirent tous les revenus, ils ont néanmoins assez de politique pour laisser au grand Mogol toutes les apparences extérieures de la souveraineté. Celui-ci en confie le gouvernement au nabab ; mais ce dernier est nommé par les Anglois, et n’ose absolument rien entreprendre sans leur en avoir donné préalablement connoissance. Pour cet effet ils ont soin d’avoir près de lui une personne qui tient le second rang dans le conseil de Calcutta, et qui préside au conseil du nabab. C’est par ce moyen que tout s’y passe conformément aux volontés du conseil de Calcutta. Celui qui occupe ce poste éminent porte le nom de chef du dherbar ; et sa puissance est si illimitée que le titre de vice-roi lui appartiendroit beaucoup mieux qu’au nabab même, qui doit tous les matins se rendre chez ce chef anglois pour lui faire rapport de ce qui s’est passé le jour précédent. Ce dernier le reçoit assis, et s’il est occupé de quelque affaire il faut que le nabab attende jusqu’à ce qu’il lui plaise de l’admettre à son audience.

On s’imagine facilement combien une pareille conduite doit révolter l’orgueil oriental, qui autrefois ne permettoit à aucun Européen de s’approcher d’un nabab que dans l’attitude la plus respectueuse et la plus humiliante même. Cette place de chef du dherbar est non-seulement fort honorable, mais en même tems très-lucrative : celui qui en est revêtu peut en trois ou quatre ans amasser une fortune immense. L’Anglois qui, après une gestion de trois ans, quitta ce poste en 1767, emporta avec lui en Europe plus de neuf millions de florins de Hollande ; et lorsque le lord Clive retourna la dernière fois en Angleterre, il prit avec lui, dit-on, un carool de roupies, ce qui fait quinze millions de florins de Hollande.

Il est vrai que les Mores ne supportent qu’avec beaucoup d’impatience le joug que les Anglois leur ont imposé ; et ils chercheroient sans doute bientôt à le secouer, si les forces supérieures que leurs oppresseurs ont dans ce pays leur permettoient de les en chasser. Le seul espoir qui leur reste donc, c’est que les Anglois seront forcés un jour d’abandonner ces contrées après les avoir totalement épuisées. Les malheureux Bengalois sont bien plus à plaindre, car après avoir été opprimés par les Mores, ils le sont encore davantage par les Anglois ; cependant c’est ce peuple industrieux seul qui a fait réfluer ici les richesses qui remplissoient les trésors du Mogol et du nabab, fruits de leurs manufactures dont les productions sont recherchées dans toutes les parties du monde. Ils ne tirent qu’un chétif salaire de leur main-d’œuvre, et vivent d’une manière fort sobre : un peu de riz et de légumes voilà toute leur nourriture. Tout l’argent, du moins à une très-petite partie près, que leurs travaux attirent dans ce pays, y reste, parce que toutes les matières premières qui entrent dans leurs étoffes s’y cultivent, excepté le capok ou coton qui leur vient de Surate. Ces bonnes gens, qui contribuent si puissamment à la prospérité de ces contrées, au lieu de recevoir des Anglois l’encouragement que mérite à si juste titre leur industrie, sont, au contraire, exposés journellement à l’insatiable cupidité de ces maîtres injustes et cruels, qui les vexent tant à force ouverte que par les monopoles qu’ils mettent sur toutes les espèces de denrées, et cela jusque sur la bouse de vache, dont ce pauvre peuple se sert pour combustible quand elle est bien sèche. Cependant il faut moins attribuer ces indignes vexations à la Compagnie angloise qu’à leurs rapaces employés, qui n’épargnent aucun moyen, quelqu’injuste qu’il puisse être, pour satisfaire leur avarice. En ne s’opposant pas à ces monopoles qui, en 1770, ont causé l’affreuse disette dont j’ai parlé dans mon voyage, le gouverneur anglois de Calcutta donna naturellement à penser qu’il les autorisoit et qu’il y participoit plus ou moins lui-même.

Il s’en faut de beaucoup que le gouverneur anglois ait sur ses subdélégués la puissance que les gouverneurs et directeurs hollandois exercent sur ceux qui se trouvent sous leurs ordres. Il n’y a presque point de subordination parmi eux, et leurs employés jouissent de l’avantage de parvenir, après un certain nombre d’années de service, aux places supérieures qui viennent à vaquer. Cet avancement ne dépend point des chefs, comme chez notre Compagnie des Indes, où l’on ne craint point de faire des passe-droits aux personnes qui ont servi long-tems avec zèle et activité, et cela faute de quelque ami puissant qui les protège.

C’est à Calcutta, ou Coulicatta, comme le prononcent les Mores, qu’est le chef-lieu des Anglois au Bengale : quoique cette place ne soit pas entourrée de murailles, on peut cependant lui donner le nom de ville, à cause de son étendue et du grand nombre de maisons qu’elle contient. Elle est située sur la rive orientale du Gange, à environ treize lieues au-dessous de Chinsura, et à trente lieues de l’embouchure du fleuve près d’Insely. Le Gange y est au moins aussi large que devant la factorerie hollandoise ; mais il y a plus de profondeur, et peut recevoir en tout tems les plus gros bâtimens de mer. Tous leurs vaisseaux mouillent devant la ville, près du bord, qui est fort escarpé, parce que les courans qui tiennent le milieu du fleuve sont extrêmement rapides ici.

La ville s’étend à plus de trois quarts de lieue le long de la rivière ; elle a à peu près la moitié autant en largeur dans les terres. On y trouve de grands et beaux édifices, qui contribuent beaucoup à l’embellissement de cette place, laquelle seroit cependant plus belle encore si elle avoit été bâtie avec la même régularité que Batavia. Vers le milieu de la ville on a ménagé un grand espace, où est un tank ou vivier artificiel qui occupe plus de cinq cents toises de terrain. Le gouvernement anglois l’a fait creuser pour fournir aux habitans de l’eau potable ; car, pendant la saison sèche, celle du Gange est rendue saumâtre par le flux ; tandis que ce vivier en fournit qui est fort agréable et fort douce. La quantité de sources qu’il y a à Calcutta fait que l’eau y est presque toujours à la même hauteur. Ce vivier est entourré d’une clôture ; il n’est permis à personne de s’y baigner, mais tout le monde peut y puiser de l’eau à volonté.

Près de ce vivier est un monument en pierre, érigé à la mémoire de trente Anglois, tant hommes que femmes, que le nabab, lorsqu’il prit Calcutta, fit renfermer dans une maison, où ils moururent tous de faim, excepté une seule femme, à qui on rendit la liberté sur la prière qu’en firent ces infortunés. Le nabab fit murer les portes et les fenêtres de cette maison et les abandonna ainsi à leur désespoir. Un peu plus haut on trouve le court ou palais de justice, lequel renferme dans le haut deux belles salles destinées à donner des fêtes et des bals. Dans une de ces salles pendent les portraits en pied du roi de France régnant et de la défunte reine : ils y ont été apportés par les Anglois, lors de la prise de Chandernagor, pendant la dernière guerre. Près le palais de justice est la comédie, où des amateurs donnent, de tems en tems, quelques représentations. Plus avant on trouve une église arménienne qui est un joli édifice avec une fort belle tour. Il n’y avoit pas encore de mon tems d’église angloise ; mais on s’en occupoit alors, et les matériaux nécessaires étoient même déjà rassemblés.

De l’autre côté de la place où est le vivier, vers la rivière, on trouve l’ancien fort, dont il ne reste plus que quelques murs tombés en ruine. Le nouveau fort, ou le fort Guillaume (William), d’où sont datées toutes les résolutions et toutes les dépêches du gouvernement de Calcutta, est placé dans une grande plaine à un petit quart de lieue de la ville, sur le bord du Gange. On commença à le construire en 1757, lorsque les Anglois prirent un plus grand ascendant à Calcutta. C’est un pentagone régulier avec plusieurs ouvrages extérieurs, à moitié construits en pierre et le reste en argile couverte de gazons. Autour du rempart principal et des ouvrages extérieurs règne un fossé rempli d’eau, au milieu duquel est une étroite cunette de six à sept pieds de profondeur. On peut conduire dans ce fossé les eaux du Gange à la hauteur de huit pieds, par le moyen d’écluses, dont il y en a deux à chaque ouvrage extérieur, lesquelles sont disposées de manière que quand même l’ennemi viendroit à se rendre maître d’un de ces ouvrages il ne pourroit cependant empêcher que les fossés des autres ouvrages et ceux du rempart principal demeurassent remplis d’eau. Il faudroit six cents pièces d’artillerie pour garnir toutes ces fortifications.

Dans l’intérieur des fortifications on trouve des barraques à l’épreuve de la bombe, et assez spacieuses pour contenir dix mille hommes. Il est permis d’ailleurs à chaque habitant de faire bâtir des maisons dans l’intérieur du fort, lesquelles doivent être également à l’épreuve de la bombe ; mais en 1770 personne ne s’étoit encore présenté pour profiter de cet avantage.

Tous ces ouvrages sont minés et contre minés. Aucun vaisseau ne peut monter ou descendre le Gange sans se trouver sous le canon de ce fort. Du côté des terres on peut découvrir l’ennemi à la distance de trois à quatre lieues.

Le plan du fort William est de l’ingénieur Boyer qui, ayant reçu quelque mécontentement, a quitté le service anglois pour entrer dans celui de la Compagnie hollandoise. Il venoit d’arriver à Calcutta un ingénieur envoyé par le roi d’Angleterre pour mettre la dernière main à ce fort.

Près du fort, les Anglois ont commencé à former une darse sèche, laquelle est la seule que les Européens aient jusqu’à présent dans les Indes.

Ils étoient de même occupés à former, à environ deux lieues au-dessous de Calcutta, deux batteries sur le Gange ; c’est-à-dire, une de chaque côté du fleuve. On m’a dit aussi qu’ils se préparoient à en établir une autre sur l’angle de terre que forme le confluent du Gange et de la branche d’Hougly ; afin de pouvoir disposer entièrement à leur gré de la navigation de ce fleuve.

Si jamais l’Angleterre vient à perdre le pouvoir dont elle jouit dans ces contrées, ce ne sera sans doute que par les dépenses énormes qu’elle est obligée de faire pour l’entretien de ses forces militaires, lesquelles sont cependant nécessaires pour contenir les habitans indigènes, et pour prévenir les révoltes. Mais cela les force aussi à épuiser totalement ce pays. Leur navigation du Bengale dans toutes les parties de l’Inde est fort considérable, ce qui exige un grand nombre de vaisseaux et d’hommes qui arrivent journellement à Calcutta, ou qui en partent ; de sorte que cette factorerie a tout le mouvement d’une grande ville de commerce.

Depuis la malheureuse expédition des Hollandois en 1759, qui a causé la perte de leur prépondérance au Bengale, il faut qu’ils y ménagent beaucoup les Anglois, afin d’obtenir les toiles nécessaires pour les envois qu’on en fait tous les ans à Batavia et dans les Provinces-Unies. Au commencement de la gestion du directeur V…, en 1765 ou 1766, et pendant que le lord Clive étoit encore au Bengale, tout paroissoit se disposer à un arrangement amical de part et d’autre. Ces deux chefs convinrent qu’il seroit fait une énumération de tous les arrengs ou manufactures de toile du royaume de Bengale, pour savoir, par ce moyen, combien chaque nation pourroit avoir de toile par an. À cet effet, les Angiois, les Hollandois et les François nommèrent deux commissaires de chaque factorerie pour aller faire de concert le relevé de ces manufactures.

Mais toutes ces bonnes dispositions furent détruites par le départ du lord Clive, qui fut remplacé par M. Verelst, avec lequel le directeur V… se brouilla peu de tems après, au grand détriment de la factorerie hollandoise.

Les Hollandois ont commencé de bonne heure, et même durant le dernier siècle, à faire le commerce du Bengale, où ils ont toujours conservé le premier rang, jusqu’à ce que, dans la dernière révolution, les Anglois se sont rendus maîtres de ce pays, et ont fait tourner à notre désavantage les projets, d’ailleurs bien conçus, du conseil des Indes sous la direction du gouverneur-général Mossel.

La factorerie d’Hougly est sous la direction du conseil des Indes de Batavia, de qui elle reçoit les instructions sur sa conduite dans ses transactions commerciales. C’est aussi ce conseil qui dispose des places qui viennent à vaquer, que le conseil d’Hougly ne peut remplir qu’ad intérim, et que le haut conseil de Batavia doit confirmer par sa sanction. Cette factorerie reçoit aussi des dépêches et des ordres directs des Provinces-Unies, et y fait de même parvenir directement ses réponses.

Le directeur de la factorerie jouit de forts appointemens attachés à sa place ; il a de plus mille autres moyens de faire valoir avantageusement pour lui les sommes énormes qu’il a toujours à sa disposition et dont il est impossible de suivre l’emploi. M. de V… m’a dit qu’il avoit tous les ans besoin pour les dépenses intérieures de sa maison de trente-cinq mille roupies au moins ; ce qui étoit même peu de chose en comparaison de ce que dépensoient quelques-uns de ses prédécesseurs, et sur-tout de ce qu’il falloit par an pour cet objet au gouverneur de Calcutta, dont la maison coûtoit annuellement plus de cent mille roupies, ainsi qu’il me l’a dit lui-même. Le directeur est la seule personne qui dans les possessions de la Compagnie, ait le droit de se faire porter dans son palanquin assis dans un fauteuil. Cela n’est même pas permis au directeur remplaçant avant que le directeur sortant ne lui ait remis ses pouvoirs. Quand il sort de la porte de la loge, la garde se met aussitôt sous les armes et le tambour bat aux champs. Il est précédé de six ou huit sjabdars ou d’un plus grand nombre s’il le juge convenable, ainsi que de quelques pions et autres serviteurs. Lorsqu’on le porte par le village ou qu’il va en voiture, les habitans de quelques endroits sont obligés de jouer de divers instrumens du pays. Les sjabdars sont des domestiques mores, dont on se sert pour faire des commissions et augmenter la suite du directeur. Ils sont armés de longs bâtons garnis d’argent par les deux bouts, avec lesquels ils marchent devant le palanquin du directeur et des deux premiers conseillers ; mais ces derniers ne peuvent en avoir que deux, dont les bâtons ne sont garnis d’argent que par un bout. La seconde personne de cet établissement est le chef de Cassimbazar ; c’est lui qui surveille la factorerie de cet endroit, ou plutôt de Calcapour, qui n’en est qu’à une petite distance. Il a également l’inspection sur les commissaires de la Compagnie à la monnoie de Moxudarad, où l’on frappe la monnoie d’argent au nom de l’empereur ; il y tient une escouade de vingt-quatre hommes. Après viennent l’administrateur en chef et les membres du conseil. Le premier de ces conseillers préside à l’examen et à l’assortiment des toiles, qui sont partagées en quatre espèces, de la première jusqu’à celle de la moindre qualité, sous les dénominations de duel, doom, ceer et firty, dont les prix sont fixés par le conseil assemblé et présidé par le directeur. On se sert aussi pour cette partie de l’administration de quelques Banians, qui sont parfaitement instruits dans cette branche de commerce, et sur lesquels on se repose presqu’entièrement pour l’achat des toiles, quoique le conseil s’en attribue tout le mérite.

Voici la manière dont on partage les récompenses accordées pour cette espèce de travail : de la valeur de chaque cent roupies de toiles que la Compagnie achète, ils ont entre eux une roupie ou trente sols. L’administrateur en chef en prend huit sols pour lui ; le premier conseiller onze sols ; son adjoint six sols ; le premier garde-magasin deux sols et demi ; le second un sol et demi, et le troisième un sol.

Le capitaine ou chef de la milice est assis au conseil ; mais il n’a que voix délibérative. Ses appointemens sont fort modiques, et ne suffisent même pas à son entretien.

Le fiscal, qui est en même tems baillif du village, doit veiller à la perception des droits de la Compagnie, et régler à l’amiable les petits différends qui peuvent survenir entre les habitans indigènes des peuplades qui appartiennent à la Compagnie. Il punit les fautes qu’ils peuvent commettre, soit en les faisant attacher à un poteau appelé chambokken, où on les fouette aussi quelquefois, soit en leur faisant payer des amandes pécuniaires, qui font le principal revenu de sa place. On m’a conté à Chinsura plusieurs exactions de cette espèce qui passent l’imagination. Ce fiscal fait payer aux riches Banians jusqu’à vingt et même vingt-cinq mille roupies pour la moindre bévue ; et quand on n’est pas assez prompt à fournir les sommes qu’il exige, il tient les soi-disant coupables attachés au poteau jusqu’à ce qu’elles lui soient comptées. Les Bengalois l’appellent jimidar, c’est-à-dire, baillif de village.

Les appointemens du fiscal consistent principalement en un droit de cinq pour cent qu’il perçoit sur toutes les marchandises importées par des particuliers, au-delà de celles que la Compagnie permet aux officiers de ses vaisseaux de prendre avec eux. Il reçoit également un droit de cinq pour cent de toutes les marchandises qu’on exporte, soit que le commerce en soit prohibé ou permis. En comptant l’un parmi l’autre, il tire de chaque vaisseau plus de quatre mille roupies ; de sorte que s’il arrive seulement six vaisseaux par an, ses appointemens, pour cette seule partie, vont à vingt quatre mille roupies. Quand il passe par le village, on le régale de la même musique que le directeur.

Outre le conseil civil ou politique, il y a un conseil de justice, dont l’administrateur en chef est le président. Ce conseil condamne à mort sur la sanction du gouvernement de Batavia ; mais il ne lui est permis de mettre ces jugemens à exécution que dans la loge de la Compagnie ou sur ses vaisseaux.

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