Voyage par le Cap de Bonne-Espérance à Batavia, à Bantam et au Bengale, en 1768, 69, 70 et 71.djvu/III/IV

CHAPITRE IV.

Gouvernement du Bengale.



Le gouvernement du Bengale est entre les mains d’un nabab ou nawab, que l’empereur de l’Indostan, ou le grand Mogol, nommoit, et dont la dignité étoit héréditaire de père en fils, et passoit même, au défaut d’enfans mâles, à quelque proche parent ; de sorte qu’ils pouvoient se regarder comme les véritables souverains du Bengale. Ils étoient seulement tenus de fournir des hommes et des armes à l’empereur quand celui-ci vouioit entreprendre quelque guerre ; ils lui payoient aussi par an une contribution fort légère en comparaison des grandes richesses que leur procuroit ce pays. Aujourd’hui c’est des Anglois que dépend le nabab, ainsi que l’emploi des revenus, dont ils n’accordent à celui-ci et à l’empereur que ce qu’ils jugent convenable à leurs intérêts ; aussi peut-on assurer que le nabab n’a plus qu’une vaine représentation dans ces contrées, sans posséder, pour ainsi dire, le moindre pouvoir.

Chaque district a son gouverneur particulier, sous le nom de fausdar, lequel rend compte de sa gestion au nabab. Ce fausdar installe dans chaque village un semidar, dont l’office est de juger des différends qui surviennent entre les habitans du lieu et des environs.

Il n’y a pas d’autre monnoie au Bengale, et même dans tout l’empire de l’Indostan que les roupies d’or et d’argent. Tout l’or et tout l’argent qui vient de l’étranger est aussitôt marqué d’un poinçon, ou bien on l’envoie à la monnoie pour en battre des roupies, dont le type consiste en quelques lettres persanes. Ces roupies perdent tous les ans de leur valeur, et cela pendant neuf ans ; alors les roupies sic sont comptées pour des roupies arcat.

Lorsque les roupies sortent de la monnoie on les appelle roupies sic, pendant la première année. C’est-là l’argent que la Compagnie emploie pour ses transactions commerciales, quand c’est à la monnoie de Moxudarat que ces roupies ont été frappées ; et c’est d’après elles qu’est fixée la valeur de toutes les autres roupies qui ont cours. Cette roupie est divisée en seize anas : sa valeur intrinsèque est de onze deniers et dix huit à vingt grains, pesant, l’une portant l’autre, sept estelins et dix-huit grains et demi ; sa véritable valeur, en argent de Hollande, est d’un florin quatre sols huit deniers ; mais sur les livres de la Compagnie elle est portée pour vingt-cinq sols de Hollande ; et en monnoie des Indes pour trente-un sols et demi, qui est le taux auquel on la reçoit à Hougly. Elle est la monnoie d’après laquelle les autres roupies sont fixées, avec un rabais de six à douze pour cent, cours que les agens de change font varier journellement, et qu’on appelle ici batta. Les roupies arcat, que les Anglois frappent à Arcat et les François à Pondichéri, sont reçues sur le pied de trente sols : le titre de ces dernières est regardé comme d’un à trois pour cent meilleur que celui des premières.

La roupie d’or, qu’on appelle moor, a la valeur de quinze roupies sic d’argent.

Il y a aussi des demi-roupies, des quarts, des huitièmes et des seizièmes. Cette dernière espèce de monnoie est connue sous le nom d’anas.

On ne voit point de monnoie de billon au Bengale ; ce sont les cauris, espèce de coquilles de mer, qui servent de petite monnoie : quatre-vingt de ces cauris valent un poni ; et soixante ou soixante-cinq ponis, suivant qu’il y en a une plus ou moins grande quantité dans le pays, font une roupie. Les cauris viennent des îles Maldives. Les agens de change se tiennent sur les marchés avec ces coquilles, pour les échanger au peuple contre d’autres monnoies. Cent mille roupies font un lak ; et dix millions un carool.

On se sert au Bengale d’un poids appelé maon : il y en a de trois espèces, toutes trois divisées en quarante ceer, ou huit paan ceer. À Hougly et à Chinsura, le maon katsa, ou maon de la Compagnie, est de soixante-huit livres poids d’Amsterdarn ; le maon bazar de soixante-seize livres, et le maon pakka de soixante-dix-sept.

À Cassimbazar, il y a deux autres espèces particulières de maons ; savoir, la maon fsitthur pour le commerce des soies : il pèse soixante-douze livres ; et le muts maon, dont le poids équivaut à celui de trois mille deux cents roupies sic.

Le ceer katsa fait une livre et sept dixièmes ; le ceer pakka une livre et trente-sept quarantièmes.

Pour peser par ceers, on se sert de poids de pierre ; et c’est ce poids qu’on emploie pour vendre presque toutes les espèces de denrées, même les légumes et le lait.

Les mesures de longueur sont le cobido et le ges. À Chinsura, le cobido est d’un pied cinq pouces rhynlandiques ; on compte, en général, sa longueur du coude d’un homme fait jusqu’au bout du doigt du milieu ; ce qui formoit la coudée des anciens.

Le ges ou gos de Chinsura a deux pieds dix pouces rhynlandiques.

Les distances des lieux se supputent par cos ; cinq cos forment deux lieues de marche. Le cobido est la mesure généralement reçue dans toute la partie occidentale de l’Inde.

Le jour naturel se divise en quatre parties, chacune de six heures ; et les heures se partagent en quinze parties, chacune de vingt-quatre minutes. Ils se servent pour mesurer le tems d’une coupe de cuivre, dans le bas de laquelle il y a un petit trou ; ils posent cette coupe sur un grand vase qui, par ce moyen, se remplit d’eau dans un certain tems donné. Leur premier quart commence à six heures du matin. Ils annoncent les quarts et les autres moindres divisions du tems en frappant avec un maillet sur un disque de fer ou d’acier de dix pouces de diamètre, qu’ils appellent gernial, lequel donne un son assez fort pour être entendu de très-loin. On commence par annoncer les quarts, après quoi on fait connoître combien de fois la coupe s’est remplie d’eau dans ce quart. Ce n’est qu’au chef d’un lieu qu’il est permis d’avoir chez lui un gernial ; et ce chef même n’a pas l’autorité d’annoncer la première division du premier quart après six heures ; c’est un privilège qui n’appartient qu’au nabab seul. Pour veiller à cette division du tems il faut être de la caste des bramines.

Les embarcations dont on se sert dans l’intérieur des terres sur le Gange, sont extrêmement légères et faites d’ais fort minces, sans quille et sans membrures. Ils se contentent de joindre ces planches bord contre bord avec des crampons, et de boucher les joints avec un peu de mousse ou de suif. Le bau de ces bâtimens est aux deux tiers vers l’arrière, où, en formant une échancrure, ils sont, pour ainsi dire, à fleur d’eau. Ils se rétrécissent beaucoup vers l’avant, et ont fort peu d’œuvres mortes. Quoiqu’il y en ait de différentes grandeurs, ils sont néanmoins tous de la même coupe. Quelques-unes de ces embarcations portent cinquante mille livres de poids et même plus. On donne le nom de badjerah à ceux dont se servent pour voyager les Européens et les gens riches du pays. Leur forme extérieure est la même que celle des autres bâtimens ; mais l’intérieur en est disposé plus commodément pour les voyageurs. Du centre à la poupe il y a deux chambres avec de petites fenêtres sur les côtés ; au milieu elles ont six à sept pieds de hauteur, de sorte qu’on peut s’y retourner à son aise. La pièce de derrière sert de chambre à coucher. Ces barques sont de différentes longueurs, depuis vingt-cinq jusqu’à soixante pieds et davantage même. On les fait marcher par le moyen de six jusqu’à vingt rameurs. Les rames sont de longs bâtons, au bout desquels est cloué une petite planche, avec laquelle ils frappent l’eau obliquement en arrière. Un peu plus vers la proue est placé un mat, qui sert à une voile carrée quand on a vent arrière ; mais en serrant le vent, elles dérivent obliquement, parce qu’elles n’ont point de quille et ne tirent qu’un pied ou un pied et demi d’eau.

Ils ont une autre sorte de barques, appelée boulia : ces barques sont fort longues, fort étroites et fort basses ; aussi ne sont-elles destinées qu’à porter des marchandises. On ne se sert point de rames, mais de pagaies, sur ces bâtimens, qui, par ce moyen, se rendent avec une grande célérité d’un endroit à l’autre.

Les voyages par terre se font en palanquin qui est une espèce de litière ; et pour le chariage des marchandises et denrées on se sert de voitures traînées par des buffles ou des bœufs ; cependant c’est assez généralement par eau que se font ces transports, vu la grande commodité qu’offrent pour cela les branches de la rivière et les canaux qui traversent le pays en tous sens.

Parmi les quadrupèdes qu’on trouve au Bengale, c’est l’éléphant qui doit tenir la première place, à cause de sa grandeur. J’en ai vu à Hougly qui avoient plus de douze pieds de haut : ils étoient conduits par leurs cornacs, à qui ils obéissent avec une étrange docilité.

Les forêts sont remplies de tigres, qui se rendent même souvent sur les habitations. Il y en avoit dans des cages de bois, chez les Anglois de Calcutta, qui avoient la taille d’un grand veau. Les gens riches du pays s’amusent à les faire combattre contre des éléphans, contre des buffles et contre d’autres animaux. On rencontre dans les forêts une énorme quantité de ces buffles, qui sont beaucoup plus grands et plus féroces que nos taureaux. Leurs cornes ont au moins cinq pieds de long. Ils sont fort dangereux quand on n’a pas d’arme à feu pour se défendre, et l’on est perdu s’ils ne sont pas tués sur le coup, à moins qu’on ne puisse se sauver sur un arbre. Les gens de mon équipage en tuèrent plusieurs, dont nous trouvâmes la chair fort bonne à manger. La femelle, quand elle est apprivoisée, se laisse traire ; mais le lait n’en est pas fort recherché, parce qu’on prétend qu’il est d’une qualité échauffante.

Le jakhal est une espèce de chien sauvage, un peu plus grand que nos chiens couchans ; ils ont la tête grosse et le museau pointu ; leur poil brun est fort long, avec une grosse queue velue qu’ils portent traînante : ils ne sont pas fort agiles à la course, à moins qu’on ne leur donne la chasse. On en trouve de grandes troupes dans les forêts. Vers le soir ils se rendent sur les bords du Gange, pour y dévorer les charognes et les corps qu’on n’a point brûlés ou enterrés ; ce qui est fort heureux, car sans cela l’air seroit certainement corrompu par les émanations de ces cadavres pourris. Leur hurlement ressemble assez aux cris plaintifs d’un homme. Leur véritable nom est chakal, dont les Hollandois ont fait celui de jakhal.

Les serpens et couleuvres de toutes les espèces ne manquent pas dans les champs et dans les vieux bâtimens ; aussi est-il fort dangereux de marcher par des tems humides dans l’herbe, où ces reptiles sont alors cachés de manière à ne pouvoir être apperçus, Si par malheur on vient à marcher sur leur corps on est certain d’en être mordu ; mais on en est quitte pour un peu de douleur si l’on peut sur-le-champ trouver un de ces conjureurs de serpens dont j’ai parlé ; sans leurs soins on court souvent le danger de mourir de la piquure. Il y a aussi des scorpions, des scolopendres et plusieurs autres insectes, dont les plus incommodes sont les mouches, les cousins et les punaises, qui ne cessent de tourmenter jour et nuit les habitans de cette contrée.

Les oiseaux de proie et d’autres genres abondent au Bengale. On y remarque sur-tout une espèce d’aigle à cause de sa grande taille : cet oiseau ne vit que de charognes. Il y a une autre sorte d’oiseau de proie de la force du milan, qui pousse l’audace jusqu’à venir enlever la viande ou le pain qu’on tient à la main, comme j’en ai vu des exemples aux enfans de la maison que j’habitois : ils sont, comme les jakhals, d’une grande utilité par la pâture qu’ils font des cadavres abandonnés sur les bords du Gange.

Il n’y a pas une grande variété de poissons, mais on y trouve des caimans ou crocodiles, qui ne sont pas, en général, de la grande espèce.

Les Bengalois ont, ainsi que les Mores, leur langue et leur écriture particulières. L’écriture de ces derniers a beaucoup de rapport avec celle des Persans ; et leur langue est celle qu’on parle à la cour.

Les principales denrées que le Bengale fournit pour le commerce, sont les soies, les toiles, l’opium, le salpêtre et la gomme-lacque ; les autres productions, telles que le froment, le riz, le beurre, etc., ne sont exportées qu’accidentellement.

Les principales manufactures de soie se trouvent à Cassimbazar. Voici la manière dont on récolte cette précieuse denrée : lorsque la saison qu’on juge la plus propre au travail du ver à soie est arrivée, on expose aux rayons du soleil les œufs de l’année précédente sur un morceau de toile de coton blanc. Au moment que les vers sont éclos, on les met de nouveau sur un morceau de toile de coton blanc, qu’on place sur une natte, et on serre le tout dans un endroit couvert. On leur donne alors chaque jour des feuilles fraîches d’une espèce de mûrier qu’on appelle ici tout, dont le fruit n’est pas bon à manger. Ils ne laissent croître cet arbre qu’à la hauteur de trois ou quatre pieds hors de terre ; ce qui empêche les feuilles de se durcir ; sans cela la soie est plus grossière et d’une moindre qualité.

Pendant ce tems on prépare une natte garnie d’un rebord de deux pouces de hauteur, lequel court en spirale vers le centre, en conservant la distance d’un pouce et demi.

Aussitôt qu’on s’apperçoit qu’un ver va commencer sa métamorphose, on le sépare des autres pour le placer entre les rebords de la natte, où il fait son cocon, qu’on met dans de l’eau tiède pour le dévider. Les chrysalides qui sortent de ces cocons dévidés ne servent point à pondre d’autres œufs ; on conserve pour cela des cocons qu’on laisse percer par les phalènes ; les cocons dévidés servent à faire le fleuret.

Le capok ou coton avec lequel on fabrique les toiles vient sur une espèce d’arbrisseau, ou à des arbres qu’on trouve en abondance au Bengale ; mais pas en assez grande quantité cependant pour toutes les toiles qu’on y fabrique annuellement ; on en tire pour cet effet beaucoup de Surate. Il y a aussi des toiles dont la main-d’œuvre demande deux sortes de coton.

Le coton est purifié de ses ordures par une corde tendue à une baguette en forme d’arc ; ensuite il est filé par les femmes, et les hommes en tissent de là toile. Ces manufactures de toiles portent le nom d’arrengs. Chaque canton fournit une différente espèce de toile.

On ne fabrique point ici les toiles peintes connues sous la dénomination de chitsen ou toiles de Perse ; celles-ci viennent de la côte de Coromandel, excepté quelques-unes qu’on fait à Patna, dans la province de Bahar, et qui portent le nom de chitsen ou toiles de Patna.

Les plus belles toiles et les mousselines se fabriquent aux environs de Daca, où l’on récolte aussi le coton de la plus fine qualité.

L’opium est un des principaux articles de commerce, par les exportations qu’on en fait tant dans l’intérieur des terres que par mer sur la côte de Coromandel et à Batavia. On ne le trouve pas au Bengale même, mais dans la province de Bahar, qui y avoisine ; toute la partie qui s’en transporte par mer descend le Gange par le Bengale. La Compagnie hollandoise en exporte pour son compte plus de cent mille livres par an, qu’on fait passer à Java, aux Moluques et dans d’autres îles à l’est. Les habitans de ces îles en sont fort friands, et le mêlent avec leur tabac à fumer, ou bien ils le mâchent pur.

C’est au mois d’octobre qu’on sème l’opium dans des terres qu’on a préparées avec beaucoup de soins et de peines. Quinze jours ou trois semaines après on arrache quelques semences hors de terre pour voir si elles ont germé et si elles commencent à pousser des racines. Quand cela a lieu, on se met à arroser les terres qui sont entrecoupées de rigoles destinées à conduire l’eau le long des champs.

Lorsque les têtes des pavots commencent à mûrir, ce qui n’a lieu que lorsque les feuilles des fleurs sont tombées, le cultivateur examine tous les jours quelques-unes des têtes les moins fournies, pour voir si elles sont bonnes à donner le suc. On se sert pour cette opération d’un petit couteau fort tranchant, avec lequel on fait, dans la matinée, une petite incision dans une tête de pavot : si le soir on trouve qu’il en a découlé un suc gommeux (qui est le véritable opium), c’est un signe que toutes les têtes sont mûres. Alors une quantité incroyable de personnes de tout âge et de tout sexe se rend dans les champs pour aller ouvrir les têtes des pavots. Pour cet effet ils prennent la tête du pavot dans le creux de la main, en tenant la queue entre les doigts, et font avec beaucoup de précaution une incision dans la tête, afin de ne pas blesser la pellicule intérieure, sans quoi le pavot meurt sur-le-champ. Après avoir fait ces incisions aux têtes des pavots, ils reviennent le lendemain matin aux champs, et raclent doucement avec une petite coquille le suc figé qui a coulé du pavot, qu’ils mettent dans de petits vases, dont ils se sont munis pour cet effet ; ils font ensuite une autre incision au pavot, dont ils viennent de nouveau rassembler le suc le même soir. Aux têtes d’une bonne qualité on peut faire successivement trois ou quatre de ces incisions. C’est aux mois de janvier et de février que se fait cette récolte.

Après que le suc des pavots a suffisamment fermenté et qu’il a acquis la consistance nécessaire, on en fait des gâteaux. On ramasse les feuilles des fleurs qui sont tombées à terre, en les mouille l’une après l’autre avec un peu d’eau, et, les faisant coler ensemble, on en forme des disques de la grandeur d’une assiette ordinaire. Un homme prend alors avec les mains le suc de pavot, qu’il met sur les feuilles ainsi disposées, de l’épaisseur de trois à quatre doigts ; après quoi il recouvre le tout de ces mêmes feuilles.

Quand toutes ces opérations sont finies on apporte les gâteaux chez le chef du lieu, où on les examine avec soin, pour en former des assortimens de différentes qualités ; après quoi on les met dans des caisses carrées, doublées de cuir, sur lesquelles on marque le poids brut de ces caisses, et on les fait partir de Patna pour Hougly et Chinsura. Ici on pèse de nouveau ces caisses ; et si le poids brut ne diffère que de deux ou trois livres du poids brut indiqué à Patna, on l’estime exact, parce que l’opium est sujet à se désécher et à diminuer de poids. Si le poids, au contraire, est plus fort, c’est un signe que l’opium a pris de l’humidité pendant la route : on le déballe alors pour le faire sécher et on l’assortit de nouveau avant de le faire partir pour Batavia. On compte qu’une pièce de terre de dix toises en carré produit cinq à six livres d’opium.

Une personne de Patna, de qui je tiens ces faits, m’a assuré que dans la province de Bahar, on rassemble tous les ans environ seize mille maons de ce suc ; ce qui fait plus d’un million de livres pesant, dont la plus grande partie est transportée par terre dans l’Indostan ; de là il est dispersé par toute l’Asie.

Le salpêtre est une autre production importante qu’on exporte tous les ans du Bengale, et qui vient également de la province de Bahar. C’est un sel mêlé de terre qui sort du sol de cette contrée. On met cette matière dans de grands baquets, où on le délaie dans de l’eau jusqu’à ce que les particules du salpêtre soient fondues ; alors on décante l’eau qui s’en trouve chargée, et on la fait bouillir dans de grandes chaudières pour la faire évaporer, tandis que le salpêtre se précipite au fond. Ensuite on l’entasse dans des sacs pour être mis dans le commerce.

En 1770, six vaisseaux de la Compagnie ont pris au Bengale plus de deux millions et demi de livres de salpêtre : trois de ces navires étoient destinés pour Batavia et les trois autres pour l’Europe.

La gomme-lacque est produite par de petits insectes qui ressemblent beaucoup aux fourmies volantes. C’est dans la partie orientale du Bengale et au royaume de Pégu qu’on en récolte le plus. Les habitans fixent en terre de petits bâtons, sur lesquels ces insectes viennent en grand nombre déposer un suc gluant. Lorsque le soleil a durci ce suc, il en résulte une espèce de gomme résineuse, laquelle donne dans l’eau une belle couleur rouge, qui sert à la teinture des toiles, particulièrement sur côte de Coromandel. On fait aussi purifier cette gomme sur le feu pour en former de petites tablettes minces et plates, qu’on juge d’une bonne qualité lorsqu’en brûlant elles coulent goutte à goutte.

Les marchandises qu’on importe avec avantage au Bengale sont les épiceries, le poivre, le cuivre du Japon, les bois de sandal et de sappan, l’étain, le plomb, le laiton blanc et d’autres articles d’Europe.

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