XIII

LE VALENTINOIS


Petites craus dauphinoises. — Valence et ses industries. — La plaine de Valence. — Le canal de la Bourse. — Truffes et mûriers. — Chabeuil. — Dans la plaine. — Romane — Le Jacquemart. — Au pays des galoches. — Bourg-de-Péage et ses chapeaux. — L’huile de noix.


Romans, juin.


La vallée du Rhône est faite d’incessants contrastes ; après les hardis promontoires tapissés de vignes et d’arbres fruitiers, couronnés de bourgs de fière mine ou de vieux châteaux aux murs croulants, s’ouvrent les vastes plaines caillouteuses, évidents témoins de cataclysmes formidables : lacs dont les barrages ont cédé, déluges glaciaires qui ont formé ces plans d’ail avions semés de galets. Ce sont autant de crans sur lesquelles ont cru des forêts qui ont donné une couche d’humus suffisante pour quelques cultures ; les habitants ont aménagé les eaux, ils ont transformé ainsi eu prairies une partie de ces mornes espaces. Cependant le sol est trop peu fertile pour les céréales, trop sec aussi, mais les cultures arbustives ont permis de tirer parti de ces terres pauvres ; la vigne, avant le phylloxéra, couvrait de vastes espèces partout où l’exposition le permettait ; le noyer, qui fournit l’huile, ombrage de vastes étendues, le mûrier est plus répandu encore. Le phylloxéra, il est vrai, a détruit la plus grande partie du vignoble, la maladie des vers à soie arrêta un moment la culture du mûrier et causa l’arrachage d’arbres nombreux. On a pourtant réagi et l’on a recommencé à couvrir de vignes les côtes qui produisaient jadis des vins fort estimés.

Quelques-unes de ces craus du Dauphiné ont cependant conservé un triste aspect : ainsi, bien morose est la plaine aux abords de l’Isère. Il faudrait là des eaux abondantes pour permettre de tirer parti de ces masses profondes de cailloux enrobés dans des alluvions maigres. Après les sites merveilleux traversés dans le Graisivaudan, l’Isère finit au sein d’un paysage qui serait lugubre sans la clarté du soleil, la limpidité des horizons et le beau cercle des collines et des montagnes.

L’homme a beaucoup fait pour transformer le sol et l’aspect des choses. Les abords des villes et des bourgs sont verts, remplis de jardins et d’arbres ; on a précieusement recueilli les ruisselets et amené au jour l’eau du sous-sol. Ainsi Valence, grâce aux sources qui naissent au nord de ses murs, a pu se donner une banlieue assez verte, elle deviendra plus belle encore lorsque les eaux du canal de la Bourne seront régulièrement employées.


Singulière ville, Valence : elle est assise sur un grand fleuve, en vue de belles montagnes riches de vignes et de vergers, et elle tourne le dos à ce paysage d’où pour elle vient la vie. Le Rhône appelle en vain les constructions au bord de ses flots bleus, dont un ruban est souillé par les ondes grises de l’Isère, les rives demeurent désertes ; toute l’existence de la ville, jadis concentrée autour de là cathédrale, se perte maintenant non loin de la gare, sur les boulevards qui ont remplacé les fortifications. Le Rhône n’en est pas moins l’ornement de la ville ; la promenade principale, le Champ de Mars, supporté par de hautes murailles, fait face au fleuve et au mont pittoresque de Crussol, recouvert par les ruines d’une cité féodale.

Valence a beaucoup perdu à ne pas être en façade sur le grand fleuve ; on ne saurait le reprocher aux Valentinois actuels, le site a été choisi à cause de l’isolement du mamelon dressé entre de petite vallons pleine de sources et le Rhône. Le coteau n’était pas baigné par le fleuve, il restait entre eux une bande de terrain dominée par les remparts construits au bord du plateau. Les constructions qui vinrent s’établir au bord du Rhône constituèrent donc un faubourg de bateliers  et de magasins pour la navigation ; lorsque le chemin de fer se créa à l’est, il enleva au rivage presque toute son activité ; de ce côté la ville s’étendit, projetant ses quartiers neufs jusqu’au vallon circulaire limitant le plateau. Les murailles qui faisaient de Valence une ville forte sont tombées, remplacées par des boulevards dignes d’une grande cité, bordés de maisons monumentales en pierre blanche, fournie par les hauteurs de Saint-Péray. Le chemin de fer, en créant à Valence une des grandes gares du réseau français, une de celles où s’arrêtent les trains rapides, a fort développé la petite ville où Bonaparte vint servir dans l’artillerie à sa sortie de l’école ; elle avait 8,000 habitants à peine il y a soixante ans, aujourd’hui elle en compte 25,000, et 30,000 avec Bourg-lès-Valence, faubourg industriel que de vastes casernes séparent seules de la cité. L’accroissement se poursuit d’une façon régulière, il sera plus grand encore lorsque la plaine sera complètement arrosée et permettra des cultures nouvelles.

Plus que Grenoble, cette capitale du Bas-Dauphiné avait une vie intense. Son université n’était pas moins célèbre que celle de Tournon. Jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes, elle eut même une population supérieure à celle de nos jours, elle était fort active, enrichie par la navigation et le commerce. De ce passé, il est resté quelques beaux hôtels et de jolies maisons de la Renaissance ; malgré l’étroitesse des rues, l’ensemble et gai et animé. En somme, la ville mérite une visite, ses édifices religieux, la maison des Têtes, le pendentif, tombeau de la famille parlementaire des Mistral, le musée méritent une visite de quelques heures. Valence a surtout le beau décor du Rhône et des montagnes riveraines.

La progression de Valence est d’autant plus remarquable que la grande industrie ne s’y est pas implantée, même elle a subi le contre-coup des ruines accumulées dans la vallée par la catastrophe financière de Bessèges, qui a ruiné les hauts-fourneaux de la Voûte. Mais pour les centres industriels voisins : Tain, Romans, Bourg-de-Péage, Chabeuil, Soyons, pour une partie de l’Ardèche, Valence est restée la voûte maîtresse, celle où l’on se rend volontiers. Les conditions topographiques qui firent naître une cité gauloise près de l’embouchure de l’Isère et amenèrent les Romains à en faire un de leurs centres n’ont rien perdu de leur importance. C’est encore un marché considérable entre des régions bien diverses par leurs productions, leur climat, leur industrie. Le chemin de fer de la rive droite du Rhône, possédant une gare à Saint-Péray, reliée à Valence par un service incessant d’omnibus, a augmenté les facilités de rapports entre Valence et le Vivarais.

D’ailleurs, la ville et son faubourg de Bourg ne sont pas sans usines, l’impression sur étoffes y est florissante, on imprime surtout le mouchoir de lin et de coton ; plusieurs manufactures importantes fabriquent des pâles alimentaires ; ici commence la production du suc de réglisse, industrie si méridionale, enfin c’est un des centres pour la filature de la soie[1].


Valence vit par sa plaine. Le vaste territoire compris entre le Rhône et le pied des monts du Vercors n’a que de rares vi liages et une seule ville, Chabeuil, dont la population avait fort décru depuis le commencement du siècle ; les beaux vignobles, qui tapissaient les pentes de la vallée de la Vécure, ont été fort éprouvés. Mais les eaux du canal de la Bourne et la reconstitution de la vigne ramèneront la prospérité. Il y a même un léger accroissement du nombre d’habitants. L’infériorité moderne de Chabeuil tenait aussi à son éloignement des voies ferrées, un tramway à vapeur la relie maintenant à la gare de Valence dont elle est, en quelque sorte, le faubourg. On a une idée suffisante de la plaine de Valence en suivant ce petit chemin de fer routier. Après la zone assez nue qui entoure les verdoyants vallons des fontaines, on traverse un plateau sec, aux maigres cultures, puis une large zone de vignes couvrant des pentes presque insensibles au pied desquelles coule le ruisseau de Grimaud. On voit grandir au loin de hautes collines surplombées par les murailles calcaires du Vercors, fièrement découpées.

Pas de village dans la plaine, sauf Malissard, mais des fermes nombreuses, éparses dans les vignes et les champs de mûriers. Chaque maison, ici, a sa magnanerie où l’activité est grande au printemps. De petits bois taillis, en essence de chênes, forment çà et là des taches plus sombres ; ils sont nombreux surtout an flanc d’un coteau très étendu dominant la plaine d’une quarantaine de mètres et portant les fermes isolées qui forment la commune de Fiancey. Ces bois sont une richesse pour la plaine, non par leurs branches, mais par les truffes recueillies entre les racines. Deux bourgs situés au sud de la plaine, Beaumont et Montéléger, sont le centre de cette récolte.

Cette rareté des villages, cette dispersion de la population en des fermes isolées qui commencent à recevoir l’eau du grand canal par des conduites spéciales, répondent à l’industrie agricole du pays ; pour l’élevage des vers à soie, le mûrier producteur de feuilles est à proximité de la magnanerie, le pressoir est à portée de la vigne, les noix, qui sont une des grandes récoltes, puisque la Drôme est le plus grand producteur de France, sont rapidement emmagasinées en attendant d’être décortiquées pour envoyer l’amande au moulin à huile.

Au delà du ruisseau de Grimaud, la plaine s’élève lentement ; la vigne alterne avec les mûriers et devient prépondérante aux abords de Chabeuil, au-dessus de la Véoure, joli torrent descendu des premières pentes du Vercors. La ville, jadis fortifiée, n’a conservé de ses défenses que le tracé d’un boulevard à-demi circulaire. C’est une bourgade aux rues étroites et tortueuses, trop dépourvue de monuments, mais assez active. Comme sa voisine Bourg-de-Péage, elle a plusieurs fabriques de chapellerie et des filatures où l’on dévide et mouline les cocons produits dans la plaine. Le commerce y est assez considérable, car les chemins du Vercors ont leur jonction naturelle en ce point.

Au delà de Chabeuil il n’y a plus de voie rapide de communication. Le petit chemin de fer doit cependant être prolongé par la base du Vercors jusqu’au cœur du Royannais, à Sainte-Eulalie-en-Royans ; il desservira une région très belle, très pittoresque, asses bien arrosée, où les escarpements calcaires ne manqueront pas d’attirer les touristes. C’est une des régions favorites du noyer, il faut attribuer à l’abondance de cette essence la curieuse industrie des bois de fusil qui existe à Charpey.

Avant les chemins de fer qui ont déplacé les courants de circulation, Chabeuil était en relations plus fréquentes avec le nord de la plaine, il fallait traverser Montélier et Alixan pour aller à Romans, centre industriel considérable. On fait plus commodément aujourd’hui le détour par Valence.

Cette partie nord de là plaine est une de celles où les irrigations sont le mieux comprises, tous les ruisseaux y sont captés et dirigés sur les champs ; le canal de la Bourne y alimente de nombreuses dérivations. Autour du curieux village d’Alixan, de forme circulaire, dont les rues ont pour centre un vieux château, et encore entouré de remparts, le réseau des eaux d’irrigation est particulièrement complet.

Le canal de la Bourne est appelé à augmenter encore ce mode de culture. Alixan est au bord même de cette grande artère dont je me propose d’aller voir l’origine à Pont-en-Royans[2]. Elle passe en syphon souffle torrent de Barberolle. Déjà ses eaux sont bien moins abondantes qu’à l’origine, plusieurs canaux secondaires se sont détachés pour arroser la plaine traversée par le chemin de fer de Valence à Romans. Cette partie était particulièrement aride, mais les mûriers la couvrent par milliers. Les clairières de cette vaste forêt seront un jour transformées en prairies naturelles ou artificielles, grâce aux eaux du grand torrent descendu du Vercors.

Il faudra du temps pour cela. Les habitants de la plaine ont cru que l’eau du canal leur permettrait de supprimer tout engrais. Ils ont conduit ces eaux très pures sur leur sol fissuré, faisant ainsi pénétrer dans les galets les sels fertilisants. En vain leur a-t-on dit que, sur ces espaces sans pente, il fallait enfermer les champs par de petites levées formant des planches dans lesquelles l’eau, séjournant un moment, devait dissoudre les fumiers de ferme et les engrais chimiques apportés, ils n’ont rien voulu entendre. Non seulement on ne demande pas l’eau, mais ceux qui avaient souscrit refusent d’utiliser l’arrosage. C’est un échec absolu. Pour réagir contre ces fâcheux préjugés, une petite société, constituée par l’État, s’est installée sur divers points, a établi des champs d’expérience rationnellement fumés et irrigués. Les résultats sont merveilleux, on a obtenu 8,300 kilogr. de fourrage à l’hectare. Peut-être cela finira-t-il par faire ouvrir les yeux. Quand on voit les merveilles obtenues dans les plaines de Montélimar, de Nyons et d’Avignon, on ne peut trop déplorer les préjugés des habitante du Valentinois.

Ces longues rangées d’arbres, en ce moment dépouillés de leurs feuilles, car c’est l’époque de l’élevage des vers à soie, finissent par devenir fastidieuses. Pendant toute la journée, le sol de cailloux a accumulé la chaleur du soleil et la renvoie en chaudes effluves. Cependant, un vent frais vient de l’Isère et bientôt l’air s’attiédit. Le paysage perd de ses teintes brutales. Le crépuscule est exquis dans la plaine qui précède Bourg-de-Péage ; même les squelettes de mûriers, dont les branches conservent encore quelques feuilles isolées, abandonnent leur aspect sinistre.

La nuit est venue, voici une longue rue sur les côtés de laquelle clignotent quelques becs de gaz. Des maisons grises et basses la bordent ; par les fenêtres, on voit ouvriers et ouvrières piquer à la machine ou clouer des tiges de chaussures sur des semelles de bois. Des groupes bruyants viennent des usines en faisant claquer leurs galoches sur le pavé. La rue aboutit à une petite place bordée de cafés et de magasins bien éclairés, c’est le cœur de Bourg-de-Péage. Un pont jeté sur une large et rapide rivière, l’Isère, conduit à Romans.


Dès le point du jour j’ai parcouru la ville. Elle n’a pas l’élégance des quartiers neufs de Valence mais on devine une population plus active et industrieuse. Romans ne compte pas moins de 20,000 habitants avec sa voisine Bourg-de-Péage ; c’est surtout une ville d’affaires, dont les traditions d’activité remontent fort loin. Au moyen Âge, c’était le centre le plus considérable des vallées du Rhône et de l’Isère pour la fabrication des draps ; par sa population elle dépassait Vienne, Grenoble et Valence. C’était donc la ville la plus considérable de la province. De cette industrie, il ne reste plus que le souvenir, maie on devine, en parcourant les vieux quartiers, quelles richesses elle avait pu accumuler. Dans ces rues montantes et tortueuses, beaucoup de maisons ont encore grande apparence. Ces quartiers, jadis séjour des riches bourgeois, où les membres des États de la province logeaient pendant les sessions, car Romans fut, en quelque sorte, la ville fédérale du Dauphiné, ces quartiers sont devenus l’apanage des ouvriers. Là, en de petits ateliers, se prépare le cuir pour les galoches et se débite le bois pour les semelles. Sur le pas des portes, les vieilles femmes épluchent des noix pour le pressoir.

La plus pittoresque de ces rues, celle du Fuseau, offre encore une belle maison romane, aux arcades effritées, transformée en grenier. Les fenêtres sont séparées par de grêles colonnettes ornées de chapiteaux corinthiens. À chaque pas, des détails arrêtent par leur richesse ou leur originalité, mais le soleil pénètre malaisément dans ces ruelles étroites, l’humidité ronge les façades lépreuses, des mousses et des pariétaires croissent dans les fentes des murailles. Cependant on erre avec un mélancolique plaisir par ces rues montueuses et coupées d’escaliers.

À mesure que le calme se faisait dans la province, ces hauts quartiers se désertaient ; des rues nouvelles, plus larges, plus gaies, plus accessibles se bâtissaient au pied de la colline, c’est encore le centre des affaires, là sont les magasins, les cafés, les hôtels. À l’entrée du pont se dresse l’ancienne église abbatiale, berceau de la ville, un des plus remarquables édifices religieux du Dauphiné, un de ceux où l’art roman se révèle avec le plus de pureté.

La ville s’est développée si rapidement qu’elle a dû abattre de nos jours sa vieille enceinte flanquée de tours, dont une, penchée comme la tour de Pise, donnait lieu à bien des légendes par son nom de tour du Diable. De larges boulevards, plantés de plusieurs rangées d’arbres, ont remplacé les murailles, de belles constructions s’y élèvent déjà, mais les matériaux de construction employés, mollasse nue ou crépie, se noircissent rapidement et prennent un aspect triste. Sans cette teinte grisâtre, les quartiers neufs auraient plus grand caractère, elle contraste fort avec les toits plats, d’un caractère déjà méridional.

On a conservé d’infimes débris de ces fortifications, près du collège monumental qui, sur la grande avenue, fait face aux casernes. C’est la promenade de Romans ; on y a une vue superbe sur le cours rapide de l’Isère, la plaine de Valence et les fiers escarpements du Royannais.

Non loin de là, une plaque de marbre rappelle le passage de Gambetta, qui prononça à Romans une de ses plus ardentes harangues. Le grand tribun est ici resté populaire. Dans la plupart des maisons sa photographie est à la place d’honneur.

Quand j’aurai cité le Jacquemart, non moins aimé par les Romanais que Jacquemart de Dijon par les Dijonnais ou Martin et Martine par les Cambrésiens, j’aurai signalé tout ce que Romans offre d’intéressant. Ce Jacquemart des bords de l’Isère n’a rien de moyenâgeux, c’est revêtu d’un costume de grenadier de la République qu’il frappe de son marteau sur un timbre pour annoncer les heures.

Jacquemart appelle à la soupe de midi les 6,000 ouvriers et ouvrières de Romans qui travaillent à la confection des souliers et des galoches. Après Fougères[3] la ville dauphinoise est le centre le plus important de France pour la fabrication des chaussures. Mais cette industrie n’a pas le caractère usinier qu’elle tend à prendre en Bretagne. La plus grande partie des ouvriers travaillent chez eux, ils vont chez le patron chercher la matière première et font le montage à domicile ; les fabricants se contentent d’avoir un petit atelier, avec des ouvriers de choix, pour faire le travail pressé.

L’industrie de la chaussure à Romans remonte à plus de trente ans. On faisait d’abord la galoche, mais peu à peu on a fait le soulier, celui-ci est l’élément principal ; Saint-Symphorien-d’Ozon est plus important aujourd’hui pour la chaussure à semelle de bois.

Trente-six fabricants se répartissent les 6,900 ouvriers de Romans. La production atteint près de 8 millions, les tanneries ont un mouvement d’affaires de 3 millions, le commerce des cuirs atteint 1,500,000 fr., les sabots et galoches comptent pour 550,000 fr. C’est plus de 13 millions pour le commerce de la chaussure sur les 18 millions de produits fabriqués à Romans et dans le canton.

Bourg-de-Péage a quelques fabricants, mais une autre industrie fait vivre la plus grande partie de la population, celle de la chapellerie. De tous temps il y eut là des petits foulons, des coupeurs et des souffleurs de poils, il en est encore près de 20, mais ils sont loin, entre eux tous, de fournir autant qu’une seule usine mécanique rivalisant avec celles de Chazelles[4]. Bourg-de-Péage est donc une ville de chapeliers ; les femmes y coupent le poil à domicile pendant que les hommes travaillent dans les ateliers. Une autre industrie spéciale, celle de la corderie, emploie de nombreux ouvriers.

En dehors de ces florissantes industries, Romans et Bourg font un commerce considérable d’huiles de noix. La culture de la noix dans l’Isère, dont j’ai parlé dans un autre chapitre, continue jusqu’ici pour la noix de table, mais les noyeraies produisent surtout du fruit pour les huileries. La Drôme est le département français où les noix sont le plus abondantes : on en recueille plus de 1,600,000 hectolitres chaque année ; l’Isère atteint à peine la moitié de ce chiffre. La région drômoise où les noyers sont le plus abondants est la vallée de l’Isère, vers Romans, et les premières pentes du Royannais et du Vercors. L’huile de noix, dont le goût particulier ne plaît pas au palais des habitants du Nord, a conservé ici ses fidèles ; lorsqu’elle est fraîchement extraite elle est fort agréable au goût : on s’y fait rapidement.

Le commerce des cocons est également prospère : le seul canton de Bourg-de-Péage a donné 230,000 kilogr. en 1887, celui de Chabeuil près de 80,000. Dans le sud du département, d’autres cantons sont plus riches encore. La Drôme est, du reste, un des principaux producteurs de cocons, elle en fournit plus de 1,200,000 kilogr. par an.

  1. La chambre de commerce évalue à prêt de 90 millions le montant des affaires dans le canton, dont 6,800,000 fr. fournis par la minoterie et les pâtes alimentaires.
  2. Voir chapitre XIX.
  3. Voir 5e série du Voyage en France, pages 288 et suivantes.
  4. Voir 7e série du Voyage en France, page 161.