Première livraison
Le Tour du mondeVolume 16 (p. 49-64).
Première livraison

Laitière et flotteurs à outre (voy. p. 50). — Dessin de A. de Neuville d’après M. G. Lejean.


VOYAGE DANS LA BABYLONIE,


PAR M. GUILLAUME LEJEAN.


1866. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


I


Départ de Mossoul. — Un kelek. — Les naïades de Tekrit. — Antiquités : le mur de Médie : Opis : Samara. — Un souvenir de l’empereur Julien. — Arrivée à Bagdad.

Après avoir consacré à l’Assyrie, représentée par le moderne Kurdistan, les trois semaines dont je pouvais disposer et qui m’avaient été fructueuses, puisqu’elles m’avaient permis de voir Amediah, les romantiques vallées des Nestoriens, les ruines si imposantes éparses autour de Zachou, enfin le champ de bataille d’Arbelles, qui ne parle pas moins aux yeux qu’à l’imagination, — je me décidai à descendre sur Bagdad et la Babylonie, ma route naturelle pour me rendre dans le golfe Persique. J’avais à choisir entre la route de terre, par Kerkouk et le désert infesté par les Kurdes et les Arabes, et le Tigre, que je pouvais descendre commodément en radeau. J’optai d’autant plus volontiers pour ce dernier parti, que les rares curiosités qu’on peut voir par la route de terre avaient reçu depuis un siècle la visite de plus d’un voyageur.

Je me préparai, en conséquence, à profiter d’un kelek en partance pour prendre place à son bord. Le kelek n’est pas exactement défini par le mot de radeau : c’est un mode particulier de transport connu sur le long du Tigre depuis quelque trois mille ans, et dont on peut trouver dans Hérodote une description qui s’appliquerait au temps présent. L’immobile Orient offre à chaque pas de ces ressemblances, et l’antiquité y est aisée à commenter sur place.

Voici donc ce qu’est un kelek.

Un marchand qui va de Diarbekir à Mossoul ou de Mossoul à Bagdad se fabrique un radeau soutenu par une couche d’outres gonflées, en nombre proportionné au poids que le radeau doit supporter. Sur le plancher du radeau, il entasse ses marchandises, et dresse parmi les ballots une cabine en planches ou une simple tente pour lui-même ou pour quelque passager de qualité : puis il part en suivant le fil de l’eau, et s’arrêtant ordinairement la nuit (surtout si le pays est sûr) à l’endroit où le coucher du soleil le surprend. Il n’y a guère que les gens pressés qui voyagent la nuit au clair de lune. Arrivé à destination, le kelek est dépecé, les outres dégonflées sont reprises par le marchand qui retourne chez lui à dos de chameau, et le bois se vend avantageusement, car s’il est à bon marché dans le haut du fleuve, il est cher à Mossoul et plus encore à Bagdad.

Je trouvai facilement ce qu’il me fallait ; je me fis fabriquer à mes frais une cabine en bois blanc, en sus du prix que je payai au propriétaire du kelek, et, ayant pris congé de mes aimables hôtes de Mossoul, M. le consul Lanusse et son neveu, je rejoignis, un beau matin du mois de mars 1866, mon kelek amarré en face de Yarimdja, et nous descendîmes assez rapidement le Tigre, dont la crue avait commencé depuis quelques jours. Nous passâmes sans nous arrêter devant les ruines imposantes de Nimroud, trop connues pour que j’en doive parler ici, et le soir, nous nous amarrâmes le long d’une île plate, couverte de cultures de maïs appartenant à un village arabe qu’on voyait à une bonne portée de fusil.

Je n’étais pas tellement pressé que ces haltes ne me fussent très-agréables. Outre la nécessité de se dédommager un peu de l’immobilité forcée à bord du radeau, mes compagnons de navigation y trouvaient l’avantage de faire leur cuisine, chose difficile et dangereuse à bord, vu l’encombrement des marchandises inflammables sur le kelek. Je me promenais près d’une demi-heure le long de la berge et parmi les saules, préparation hygiénique à un sommeil tranquille, et je me faisais dresser mon lit sur le sable ou sur l’herbe. Le lendemain, au point du jour, le kelek continuait sa route.

Cela dura cinq jours sans aucun incident notable. Le pays, plat, monotone, sans monuments, sans villages, n’avait rien qui attirât mon attention. C’est, du reste, un sol d’alluvion admirablement fertile, mais cette fécondité était rendue inutile par le voisinage des Arabes maraudeurs et l’incurie d’une administration pitoyable. Le quatrième jour, je dépassais les monts Hawrin, chaîne basse, très-fouillée, qui coupe le Tigre et Le Diyala dans une direction nord-ouest sud-est (direction qui est à peu près celle de toutes les chaînes de montagnes de la Perse occidentale, dont nous étions rapprochés). Le lendemain soir, nous nous arrêtions devant Tekrit.

Cette bicoque, située sur la rive occidentale du Tigre, est flanquée d’une ruine antique assez intéressante : c’est une forteresse rectangulaire, en briques crues, devenue, comme toutes les forteresses babyloniennes, une masse de terres informes, et ne conservant guère que des vestiges des fondations des constructions qu’elle renfermait, surtout vers la partie sud, et l’arc d’une porte qui peut dater des Sassanides. Les fossés, coupés dans le plateau bas dont cette ruine est la pointe avancée, sont larges et profonds.

Je salue avec quelque respect cette ruine grisâtre, car c’est le lieu de naissance d’un grand homme, du sultan Saladin, le rival heureux de Richard Cœur-de-Lion.

La ville elle-même n’est qu’une grosse et laide bourgade arabe qui, selon la tradition, aurait jadis été chrétienne : un bout de ruine qu’on y voit du côté opposé au château s’appelle el kenisè (l’église). Un voyageur anglais passant à Tekrit et demandant aux gens du lieu quelles en étaient les curiosités, reçut cette réponse : « Un kafir juif et un dattier stérile. » Ce dattier, qui est en effet le seul du canton, est celui qui figure dans mon esquisse de Tekrit.

Après avoir un peu herborisé le long du Tigre, je repars, et je passe devant un village arabe de la rive orientale. Là, le kelek reçoit une visite originale : des laitières arabes viennent à la nage nous offrir leur denrée. Ces néréides d’eau douce portent deux petites jattes de lait, l’une sur la tête, l’autre à plat sur la paume de la main gauche relevée de manière à former un plan horizontal : véritable tour de force que je n’ai pu réussir à imiter même en me désarticulant presque le poignet. Elles sont aussi brunes que les femmes arabes du Nil Blanc, bien faites, et leur attitude a quelque chose de celles du Sphinx, le buste dressé droit et émergeant entièrement de l’eau ou se berce indolemment, maintenu en équilibre par le léger mouvement du bras droit, le corps svelte de la nageuse. Une mince draperie, jetée négligemment autour d’elles, et, toute mouillée, se serre aux membres dont elle dessine les contours souples et vigoureux, suffit aux prescriptions de la décence et ne dérobe rien d’une beauté dont ces naïades sauvages semblent peu se préoccuper. Je dis semblent, et sans doute je me trompe. Sous quel soleil peut-on trouver des femmes insoucieuses d’être belles ?

Toute cette population, du reste, a quelque chose de l’amphibie. Je vois passer sur le fleuve plusieurs hommes qui nagent en embrassant une grosse outre gonflée, qui leur tient lieu des deux vessies indispensables de nos apprentis nageurs. Leurs vêtements, roulés en un paquet, couvrent leur tête comme un gros turban : ils ne se couvrent que d’un court caleçon de cotonnade bleue, le reste du corps est nu. Arrivé à terre, le nageur remet son abaïa, charge son outre ou ses deux outres sur son épaule et va son chemin. La femme, elle, n’a pas besoin de cet auxiliaire : si vous en demandez la raison à un de ces flâneurs qui regardent passer le kelek, il est capable de vous répondre que ce sexe est naturellement apte à flotter et à nager entre deux eaux.

Ce n’est qu’à deux jours avant Bagdad que je commençai à voir une série de choses plus intéressantes sur les deux rives. C’est d’abord, au premier grand coude que fait le Tigre vers l’ouest, une ligne de monticules tirant sud-sud-ouest dans la direction de l’Euphrate, et que les indigènes appellent sidd Nimrud, la digue de Nemrod. C’est, d’après les commentateurs, l’antique mur de Médie franchi par les Dix-Mille après la bataille de Cunaxa, et sur laquelle on n’a que des notions fort vagues. Était-ce un rempart analogue à la muraille de la Chine, érigé pour arrêter les invasions des barbares de Mésopotamie ? C’est bien possible. Était-ce le talus d’un canal générateur destiné à apporter les eaux du Tigre dans l’intérieur de la Péninsule ? Cette hypothèse me sourit moins que l’autre.

Quelques milles plus bas, j’arrive à Tell Mandjour, masse de ruines considérables où le commandant Janes (celui qui a le mieux étudié cette contrée) place Opis, la cité la plus considérable de la haute Babylonie jusqu’au temps des Séleucides. Ceux-ci lui donnèrent une rivale dans une ville d’Antioche, dont on sait peu de chose et dont la position est douteuse.



Plus loin, mon attention est attirée par un édifice bizarre, une sorte de tour en briques, en hélice, près d’une ville dont le nom ancien (Sumera, Samara) n’a pas changé : cette tour était un observatoire du temps des Khalifes, et il n’est pas improbable qu’elle ne l’ait été plus anciennement. Il ne faut pas oublier que nous entrons dans la terre classique de l’astronomie.

Ces souvenirs de science ne sont pas les seuls qui nous suivent ici : la plaine monotone et nue que je laisse à ma gauche a été le théâtre d’une des plus nobles scènes que l’antiquité nous ait conservée. C’est là que périt, à l’âge de trente et un ans, un Romain qui appartient à notre histoire française, ce César Julien tant diffamé par des pamphlétaires honnêtes et injustes, pour avoir tenté sans violence la restauration de vieilleries auxquelles il ne croyait peut-être pas. Les mêmes gens, qui ont pardonné à Constantin le Grand une série de crimes énormes ont été implacables pour des travers et des ridicules d’un César-idéologue : mais ceux qui repoussent avec un dédain mérité l’histoire faite avec des commérages ne peuvent pas oublier que ce philosophe à contre-siècle fut un honnête homme et un héros. Ce n’est pas sans émotion que j’ai parcouru en Babylonie, le théâtre de cette brillante campagne de l’an 363, qui se place dans l’histoire de ces contrées à côté de celles d’Alexandre le Grand et d’Héraclius, et eut probablement mis fin à l’empire des Perses, sans le coup de javeline qui, près de Maranga, frappa mortellement le jeune vainqueur. J’emprunte à Ammien Marcellin les dernières paroles de Julien. Elles sont bien supérieures à l’ironie amère des derniers mots prononcés presque au même lieu sept siècles auparavant, par Alexandre :


Flotteur sur le Tigre (voy. p. 50.) — Dessin de A. de Neuville d’après M. G. Lejean.

« Je suis sans remords ; je ne me reproche aucun méfait commis, soit pendant mon exil, soit depuis que j’ai pris les rênes de l’empire : je l’ai reçu des immortels comme un dépôt, je me flatte de l’avoir conservé pur, en gouvernant avec modération et en ne faisant ou ne soutenant jamais la guerre qu’après un mûr examen. Si l’avantage ou l’utilité que j’en espérais n’a pas toujours répondu à mon attente, c’est parce que les dieux disposent des événements. Convaincu qu’un gouvernement juste n’a d’autre but que l’intérêt et le bonheur du peuple, j’ai toujours eu, vous le savez, plus de penchant pour la paix, et j’ai banni de ma conduite la licence, destructive des mœurs et des choses. Partout où la république, que j’ai constamment regardée comme une mère souveraine, m’a exposé au danger, je m’y suis porté avec joie, et me suis accoutumé à mépriser les disgrâces du sort… On a raison de regarder comme lâche tout homme qui désire la mort lorsqu’il ne le faut pas, et qui la craint lorsqu’il est temps de la recevoir. Mes forces ne me permettent pas de vous en dire davantage. C’est à dessein que je ne vous nomme point mon successeur. Je pourrais ne pas indiquer le plus digne, ou, en nommant celui que je croirais le plus capable, l’exposer au plus grand danger par cette préférence. Tel qu’un tendre fils, je souhaite que la république trouve après ma mort un chef qui soit digne d’elle. »

Je passe successivement devant les ruines de Sitace, d’Apamia, et devant Kadasieh, « la Sainte, » ville relativement moderne, puisqu’elle date des Khalifes. Selon Aboulfeda, elle était renommée pour la piété de ses habitants, et (ce qui m’intéresse bien davantage) pour ses verreries.

Nous commençons à voir les rives couvertes de palmiers, bordées de jardins, et bientôt la masse imposante de Bagdad se dessine devant nous. Le kelek mouille à l’entrée : je prends un kafat, barque ronde, sorte de panier en osier enduit de bitume, et je roule vers le pont de bateaux, où je débarque. Je me rends droit au consulat de France, où je trouve un vieil ami ; mon


Environs de Bagdad. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie.

jeune et actif collègue de la mer Rouge, M. Pellissier,

nouvellement installé, et qui m’offre une hospitalité que je m’empresse d’accepter.


II


Départ pour Babylone. — Notre goum. — Le khan Asâd. — Ce que c’est qu’un khan. — Un drôle d’antique. — Le nahar Malcha. — Grands souvenirs.

Une circonstance indifférente à mes lecteurs m’avait fait manquer le vapeur de Bagdad et Bassora : et comme je n’avais pas le désir de consacrer mon temps et mon attention aux splendeurs contestables de la ville des khalifes, j’acceptai avec joie la proposition qui me fut faite par MM. Pellissier, notre consul à Bagdad, et M. Peretié, son chancelier, de faire à trois une excursion aux ruines de Babylone, qu’ils ne connaissaient pas encore, quoiqu’elles ne fussent qu’à 18 lieues de Bagdad. Nos préparatifs furent vite faits, si bien que le 12 avril au matin, notre caravane, composée de vingt-cinq hommes environ, traversait au pas le long pont de bateaux qui relie les deux rives du Tigre, sous les regards indolents et un peu étonnés des badauds à belles barbes noires qui encombraient les deux grands cafés à la tête du pont.


Vieux Chaldéen. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie.

Nous nous débarrassâmes le plus vite possible de l’ennuyeux faubourg de la rive droite, et vers les neuf heures nous entrions dans une vaste plaine, nommée el Magaouda, dont la plate et vulgaire nudité ne pouvait que nous donner un triste avant-goût de la Babylonie.

J’ai dit que nous étions vingt-cinq têtes : ceci demande explication. Le triste gouvernement qui régit ces belles provinces n’a pas encore réussi à leur donner la sécurité qui est leur premier besoin. Les Arabes, paresseux, vagabonds, pillards, sont les vrais maîtres de la Babylonie ; quand il leur plaît, ils viennent faire la récolte de la banlieue de Bagdad : il y a quelques années, ils ont mis dans la position la plus critique le héros surfait de la campagne du Danube, le muchir Omer Pacha. On sait, qu’en cette périlleuse circonstance, l’honneur du drapeau turc fut sauvé par un aventurier algérien, notre ex-captif Bou-Maza, sans que d’ailleurs la situation générale se soit sérieusement améliorée : et la preuve, c’est que le muchir actuel, le trop fameux Namik-Pacha, ne jugeait pouvoir répondre absolument de notre sécurité qu’en nous donnant une escorte de dix-sept hommes. Ce goum pittoresque, d’un débraillé qui eût ravi d’aise Fromentin ou Chasseriau, défilait sur la route en faisant luire au soleil le fer de ses longues lances arabes : avec un peu plus de ferraille, il aurait assez bien figuré l’escorte d’un baron du temps jadis s’en allant rejoindre l’ost du roi de France. Le reste de notre troupe était formé de gens de service, sans compter un amateur-factotum que nous amenions : c’était un certain signor Michel, procureur de la mission catholique, marchand d’antiquités, et fort instruit dans cette spécialité, assez lucrative à Bagdad. C’était d’ailleurs un excellent homme, d’une obligeance à toute épreuve, et l’adjonction la plus utile que nous pussions faire en cette occurrence.

Après avoir laissé à notre gauche le mamelon isolé d’Abou Rous (le père des têtes), nom qui rappelle un sanglant épisode des combats livrés dans cette banlieue, nous passons en bac un large bras mort du Tigre, appelé el Khor. Ici le Tigre nous réapparaît, grâce à une de ces énormes courbes qui commencent à Bagdad pour ne finir qu’à Kout et Amara. Le fleuve, toujours majestueux, n’offre pas ici l’aspect désolé qu’il a plus bas, à Seleucie : une verte, dense et belle forêt couvre la rive gauche et fait mieux ressortir, par un contraste vigoureux, la nudité de celle que nous suivons pendant quelques instants. Ce n’est pas que ce sol soit infécond par lui-même : malgré la teinte blanchâtre qu’il affecte presque partout, ce terrain alluvial possède une vigueur productive qui doit égaler, ou peu s’en faut, celle des terres moyennes de la Flandre. Partout où le paysan riverain se donne la peine d’établir une noria d’arrosage, le sol, peu amendé, se couvre de superbes moissons, et mes yeux, fatigués par la réverbération, se reposent avec bonheur sur de larges cultures de blés, qui cessent au pied d’une ligne sinueuse de petits talus grisâtres, à peu près parallèles au fleuve. On me nomme ces talus Chât el Atîka, « l’ancienne rive ; » je note avec soin ce vestige curieux des variations subies par le cours du Tigre depuis les temps historiques, tout en m’étonnant que le sol, des deux côtés du talus, soit exactement au même niveau. Au point où je coupe le Chât el Atîka, vient aboutir un ancien canal desséché qui se dirige vers Akerkouf : c’est le premier spécimen de ces centaines de canaux qui couvraient la Babylonie, et que j’aurai à décrire plus tard.

Je passerai rapidement sur les détails de cette route ennuyeuse, déjà décrite par Niebuhr, Rich et Fraser. Après deux heures et demie de marche rapide, nous nous arrêtons pour déjeuner, au Khan Asad, où nous sommes heureux de trouver au premier étage, une unique petite chambre — et pas trop de puces.

Les khans sont étagés, sur cette route, de deux en deux heures environ. Les uns ont été bâtis par de pieux musulmans du rite chïa (que nous appelons chiites), désireux de favoriser les pèlerinages de leurs coreligionnaires aux villes saintes de Kerbela et Meched Ali ; quelques autres doivent leur origine à une spéculation qui n’est pas trop mauvaise, car la route que nous suivons est extrêmement fréquentée, et les khandjis ne chôment pas de clients.


Chaldéenne, fille du peuple. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie.

Tous ces khans se ressemblent à peu de chose près : une sorte de grande caserne carrée, contenant de belles et très-confortables écuries qui m’ont semblé pouvoir contenir 160 à 200 chevaux. Quelquefois (mais ce n’est pas de rigueur) un petit pavillon, surmontant la terrasse qui forme le toit des écuries et pouvant servir de vigie à l’occasion, peut recevoir de douze à quinze voyageurs : en général, toutefois, ceux-ci préfèrent se rouler dans leurs couvertures, et dormir à la belle étoile, dans la cour ou sur la terrasse.

Mes lecteurs s’étonneront peut-être de voir que dans ces établissements si utiles, ce soit à l’animal que l’on ait songé avant de songer à l’homme. C’est plutôt le contraire qui scandaliserait un Arabe, et, en général, un homme d’Orient. Il pense qu’à la fin d’une longue course, achevée sous un soleil ardent et qu’il faudra recommencer le lendemain, le confort de l’utile serviteur doit passer avant celui du maître, qui, lui, n’a ou ne doit pas avoir beaucoup de besoins. Je connais même plus d’un Français qui, en cela est du même avis que le fils d’Ismaël.

Nous déjeûnons gaîment, et pas trop mal. Les gens du lieu viennent nous offrir quelques antiquités. J’achète un objet fort curieux, un strigilum en albâtre, que je ne m’attendais pas à trouver en Babylonie : il ressemble absolument au strigilum en terre cuite, que j’ai acheté il y a cinq ans, à Assouan, près du tropique, à un fellah égyptien dont la famille a depuis des siècles, me dit-on, le monopole de La fabrication de ces articles. Le strigilum est un produit assez original du sybaritisme oriental : c’est en français vulgaire, une râpe de bain, destinée à produire sur la peau du baigneur un effet hygiénique assez analogue à celui de l’étrille sur l’épiderme du cheval. Seulement le strigilum babylonien est plein, celui d’Assouan est creux et renferme un caillou qui fait dans l’instrument le même bruit que les pois dans une calebasse : de sorte que le fils de Pharaon peut s’étriller en mesure, et se jouer dans son bain, quelque air de fantaisie comme Ya dellâl hamza fadda ou Aho ! aho en Nusserani !

Pendant que mon vendeur empoche son patard, un autre vient triomphalement proposer à M. Peretié un antique dont la vue nous fait éclater d’un fou rire. C’est un petit berger en porcelaine, de ceux qui servent chez nous d’encriers ou de porte-allumettes. L’Arabe s’en va stupéfait, ne comprenant rien à la stupidité de ces Franghis qui donnent des piastres de bon argent pour une sale terre cuite, couleur de brique, et n’offrent rien de ce joli petit homme qui a une si belle veste bleue, une peau si rosée et des souliers si mignons.

Nous repartons après une heure de halte. Cinq quarts d’heure nous mènent à un large canal desséché, dont le lit plus élevé que le niveau de la plaine, court de l’Euphrate au Tigre entre deux talus écrêtés par le temps. Un autre canal, plus petit et plus bas, court parallèlement au premier, et le tout est complété par un canal moderne, dont l’eau rapide charrie un limon rougeâtre, et qui est d’ailleurs le plus insignifiant des trois.

Je salue presque avec respect cet antique témoin des plus anciens âges. Ce n’est en effet rien moins que le fameux Nahar-malcha (fleuve royal) des rois de Babylone. Selon Pline, un satrape de Babylone le fit creuser pour faire dériver vers le lit du Tigre, le trop plein des eaux de l’Euphrate lors des débordements périodiques de ce grand fleuve. Alexandre songea à le faire réparer : Trajan et Sévère le creusèrent et le rendirent navigable. Julien, dans sa brillante campagne de Babylonie, le trouva, dit Ammien Marcellin, « tari et en partie comblé avec de grosses pierres, » ce que je me refuse à croire, sachant par mes propres yeux, à quel point le plus simple caillou est introuvable en Babylonie. Il fit curer ce fleuve fossile, comme l’appelle l’historien romain, et y embarqua ses troupes pour descendre dans le Tigre. Cette tranchée, qui n’a par elle-même rien pour fixer l’attention du voyageur, avait donc occupé la pensée de quatre des plus grands souverains de l’antiquité, sans compter ceux que l’histoire ne nomme point. Sur cette motte de terre, quels noms et quels souvenirs !


Vue générale des ruines de Babylone (voy. p. 62). — Dessin de A. de Bar d’après un croquis de M. G. Lejean.


III


Digression. — L’ancienne plaine de Babylone. — Sa culture et sa fertilité ; ses villes et ses canaux. — État actuel comparé à celui d’autrefois. — Les satrapes et les pachas. — Anecdotes.

Le steppe parfaitement désert, affreusement désolé, que je parcourais depuis Chât el Atîka, était précisément cette Babylonie qui, au temps des Perses, produisait à elle seule un tiers du revenu agricole de l’empire. Cette splendide plaine d’alluvion était quelque chose comme ce que sont aujourd’hui l’Ukraine, la Lombardie ou la Belgique. Hérodote la cite comme la plus fertile de son temps en fait de céréales : le froment, selon lui, rapportait en moyenne deux cents pour un, trois cents dans les meilleures années ; la feuille du froment et celle de l’orge atteignaient une largeur de quatre doigts. Le grand historien ajoute naïvement : « quand à la grosseur de tige du millet et du sésame, je ne la dirai point, quoique je la connaisse parfaitement : je passerais pour un menteur. » Il a bien tort à craindre : bien que chez nous le rendement moyen du blé ne soit que de quinze pour un, tout le monde sait que les expériences faites sur le blé égyptien, appelé (plus ou moins proprement) blé de momie a donné deux cent vingt.

Les arbres fruitiers n’y réussissaient pas, à l’exception du dattier, qui poussait dans toute la plaine, et qui fournissait aux Babyloniens toutes sortes de boissons et d’aliments : du vin, du vinaigre, du moût où du sirop, des dattes en gâteaux et en farines. La vigne ne vint que plus tard : ce fut un des nombreux bienfaits de la conquête d’Alexandre.


Kelek, sur le Tigre (voy. p. 49) — Dessin de A. de Neuville d’après un croquis de M. G. Lejean.

L’élève du bétail paraît y avoir été aussi négligée qu’aujourd’hui : en revanche, on peut juger de l’état d’une autre industrie par ce fait : les seuls haras du roi renfermaient 800 étalons et 16 000 cavales, sans compter les dépôts de remonte. Les meutes royales, composés de ces grands dogues indiens qui attaquent le lion, étaient nourries aux frais de quatre grands villages de la plaine, qui, pour cette raison, n’avaient pas d’autre impôt à payer.

Mais comment suppléer à l’aridité naturelle d’un pays où il pleut fort rarement, et qui, à part ses grands fleuves, est absolument privé de sources et d’eaux courantes ?

L’industrie chaldéenne avait de bonne heure résolu ce problème. De l’Euphrate, du Tigre et de la Diyala partaient en tous sens de larges canaux, dont les uns faisaient communiquer les fleuves entre eux, et dont les autres (les plus nombreux) allaient finir dans la plaine. Les grands canaux étaient eux-mêmes les artères, d’où partaient d’autres saignées qui se ramifiaient à leur tour, de manière que l’ensemble formait quelque chose d’analogue aux nervures d’une feuille d’arbre. Les principaux canaux de communication étaient navigables, et étaient couverts de barques chargées de blé. Xénophon en mentionne quatre : le Saklaouidja, le plus important de ceux qui sont restés en activité, a quarante pieds de large et un courant de quatre mille à l’heure.

La Diyala, que j’ai nommée tout à l’heure, est l’antique Gyndès : ce nom me fournit l’occasion de dire ma pensée sur une anecdote tirée de l’histoire ancienne, et bien connue de tout collégien qui a fait ses humanités et n’a pas « bifurqué. » Cyrus, marchant contre Babylone, faillit périr en passant les eaux furieuses du Gyndès, où son cheval perdait pied. Furieux de cette insolence du fleuve, il jura de le réduire à si peu qu’il n’effrayerait même pas un enfant : et en conséquence il employa toute son immense armée à creuser des tranchées de dérivation qui affaiblirent le Gyndès au point d’en faire un torrent insignifiant. L’été tout entier se passa ainsi, et la campagne contre Babylone fut manquée. Le candide professeur de sixième qui vous explique ces belles choses ne manque pas de faire observer combien il est dangereux de s’abandonner à des colères futiles surtout contre les éléments.

IL est fâcheux que les hommes honorables, chargés de nous enseigner l’antiquité soient généralement plus forts sur le que retranché, que sur l’irrigation et le drainage. Beaucoup de choses sont invraisemblables dans le récit grec. D’abord, le héros de l’anecdote joue un rôle trop sérieux dans l’histoire pour qu’il ait dû sacrifier le succès d’une brillante campagne à un accès de fureur niaise contre un torrent ; puis, eût-il commandé cette folie, l’armée n’eût pas obéi. On peut tout faire faire à une armée d’Orientaux, excepté lui faire remuer la terre : il y a contre ce genre de travaux un préjugé si invincible, que même dans la guerre de l’indépendance grecque, les insurgés de Morée se mutinèrent contre des officiers français qui voulaient les faire travailler aux fortifications de Modon.

Pour tout dire, les anciens ont joué de malheur : leur histoire nous a été racontée par un peuple léger, spirituel, persifleur, et qui, ayant pour tous les autres peuples un mépris très-ingénu, leur a prêté avec aplomb les absurdités les plus énormes. Un voyageur grec passe dans la plaine du Gyndès, et voit tous ces innombrables canaux d’irrigation qui coupent la route : il ne comprend pas que ce sont là les générateurs de la fertilité de cette splendide contrée ; il ne sait pas que si ses compatriotes, au lieu d’avoir tant d’esprit, avaient drainé de bonne heure la plaine du Copaïs et la Thessalie, il y aurait eu moins de fièvre, de disettes, et peut-être… de Béotiens ; il ne voit là qu’une occasion d’anecdote à effet, il invente sur un grand souverain barbare une niaiserie qu’accepte vingt siècles plus tard l’honnête et crédule Rollin, sans compter les aides de camp de Rollin, dont la race a encore bien du temps à régenter le monde[1].

Je me substitue en imagination à quelque voyageur parcourant, au temps de Sémiramis, la Babylonie en plein épanouissement de sa richesse. J’ai sous les yeux, des deux côtés de la large chaussée, sillonnée par les lourds chariots, une plaine un peu monotone d’aspect, découverte, mais où ondule une mer d’épis : quelque chose comme la Beauce transportée sous le climat de l’Andalousie. De distance en distance, des lignes de palmiers ombragent des villages populeux, composés de maisons rondes, à charpente en bois de palmier, à toits coniques, à hautes portes enduites d’asphalte : ce sont là les habitations du paysan et de l’ouvrier. Celles des chefs, ainsi que les temples, se reconnaissent aisément à leur forme quadrangulaire, à leur construction en briques, tantôt crues, tantôt cuites au feu et enduites d’un épais et luisant vernis d’un vert foncé. Quelques villes, comme Sispara et Accad, se reconnaissent de loin aux hautes tours en briques crues, qui les dominent. Le vert vif des cultures et des pâturages est coupé d’innombrables lignes blanchâtres, ce sont les berges des canaux, où circulent des barques rondes, en cuir et en osier maintenus par une épaisse couche d’asphalte ; elles sont chargées de grains, et comme elles ne peuvent remonter le courant, une fois leur destination atteinte et leur chargement mis à terre, elles seront dépecées, l’armature en bois sera vendue, et la peau chargée à dos d’âne et rapportée chez l’expéditeur. Les hommes qui montent ces barques ont une longue tunique de toile, et par-dessus une abaïa en laine comme les arabes, sans compter un mantelet blanc : une sorte de mitre persane couvre leurs longs cheveux tressés, et ils portent à la main un bâton orné de ces sculptures ingénieuses où excellent les Orientaux. Partout une exubérance d’activité et de vie, nulle part le désert : bien au contraire, une population si dense que le long de quelques-uns de ces canaux, notamment le Nil et le Chât-Ibrahim, les lieux habités se succèdent sans interruption sur une longueur de trois à cinq heures de chemin.

Voilà le passé : quant au présent, il parle assez de lui-même. Un immense désert jauni, couvert de monticules de ruines, sillonné en tous sens de canaux desséchés : quelques pauvres villages de fellahs, semés le long des fleuves, de loin en loin quelques groupes de tentes noires appartenant aux Arabes Montefik, Chamar, Beni-Lam, Djerboua, Zobeid, tous plus squalides et plus maraudeurs les uns que les autres : voilà ce qu’est aujourd’hui l’héritage de Sémiramis. Du temps des khalifes, l’antique prospérité du pays n’avait pas cessé : mais les Turcs sont venus, et le proverbe d’Orient dit : où le Turc a passé, l’herbe ne pousse plus. Les canaux obstrués ont cessé de couler, les paysans se sont enfuis devant les Arabes qu’un gouvernement fort ne contenait plus : l’Euphrate, laissé à lui-même, a répandu l’excédant de ses crues annuelles sur les plaines de l’ouest qui se sont couvertes de lagunes empestées.

La Porte s’est émue d’apprendre que les Arabes étaient les vrais propriétaires de sa province de l’Irak, et a donné l’ordre aux officiers supérieurs de la frontière sud-est de lui envoyer, enchaînés, les cheiks des rebelles. Les pachas, m’a-t-on dit, se sont consciencieusement mis en campagne avec leur lourde infanterie nizam, et se sont fait bravement berner, promener et battre par les goums rapides des Montefik, des Chamar et de leurs amis ; après quoi ils ont écrit à Constantinople : « Que ne nous ordonnez-vous de vous amener captifs les oiseaux du ciel ? »


Ruines de Tekrit (p. 50). — Dessin de A. de Bar d’après un croquis de M. G. Lejean.

J’adore le style de cette chancellerie turque : elle est pleine de métaphores splendides. La Porte n’a pas été aussi admirative que moi, s’il est vrai, comme on l’ajoute, qu’elle ait réduit à cette occasion le traitement de ses pachas.

Namik-Pacha, gouverneur actuel de Bagdad et de tout l’Arabistan (c’est ainsi qu’on nomme communément les anciens pachaliks de Bagdad et Mossoul, habités par les Arabes), Namik-Pacha, dis-je, le héros trop connu des affaires de Djedda, est, du reste, un administrateur d’un certain mérite. Amis et ennemis s’accordent unanimement sur un point important : il ne vole pas. C’est d’autant plus méritoire qu’il n’y a pas quatre pachas qui ne soient point d’insignes voleurs : mais il dépare cette qualité réelle par une haine intense contre les Européens et par un esprit de fiscalité enragée. Voulant, non pas améliorer le sort du paysan, mais augmenter le produit du sol et par conséquent de l’impôt, il songea à rouvrir les canaux babyloniens, et fit venir pour cela trois ingénieurs égyptiens qu’une certaine pratique dans le delta du Nil avait familiarisés avec la science difficile des irrigations. Les effendis vinrent, examinèrent, dressèrent des plans et devis. Malheureusement, ces devis devaient passer sous les yeux du grand medjlis, c’est-à-dire du conseil général de la province. Mais, au rebours de nos conseils généraux, composés des principales capacités de chaque département, un medijlis turc n’est trop souvent qu’une réunion d’ignorants présomptueux à qui leur fortune a servi de principal titre pour arriver là : négociants chrétiens véreux, propriétaires turcs ivrognes et indolents. Tous n’ont qu’une seule préoccupation, c’est de suppléer à la gratuité de leurs fonctions en se partageant une foule de bonnes affaires fiscales, les adjudications, les pots-de-vin et le reste. Or, nos braves effendis n’avaient aucun bakchih à offrir à ces messieurs, et leurs plans furent déclarés impraticables : mal payés et abreuvés de tracasseries, ils sont retournés au Caire.

Depuis, Namik est entré en pourparlers avec un ingénieur hollandais d’un très-grand mérite ; mais cet ingénieur demande, pour un déplacement fatigant et dispendieux, un traitement de 20 000 fr. par an, et le pacha le trouve trop cher. Notez qu’il s’agit d’un projet qui peut en vingt ans, donner à la province 50 000 habitants et dix millions de revenus territorial en sus de ce qu’elle a aujourd’hui. Évidemment, le pacha ne comprend pas parfaitement ceci ; — c’est que quand un gouvernement a envoyé ses sujets se former à grands frais dans les écoles spéciales de France et d’Allemagne, et que ces messieurs, de retour chez eux, ne sont bons qu’à fumer le tchibouq, à meubler leur harem de Circassiennes au rabais, et à faire dans la caisse du fisc des trous où la lune elle-même passerait, — ce gouvernement-là ne doit pas trouver trop chers les ingénieurs étrangers qui se résignent à vivre dans un pareil monde.


IV


Suite du voyage. — Le khan Iskhandérié. — Voisinage funèbre. — Mehaouil. — Arrivée à Babylone.

Le khan de Birounous ne nous arrête que dix minutes, le temps de prendre le café, et nous atteignons, au coucher du soleil, le khan d’Iskandérié, où nous avons été précédés par mon cuisinier Dimitri, que nous trouvons en plein feu d’improvisation culinaire. L’embarras est de trouver à loger. Il fait trop frais pour que nous songions à la terrasse. Heureusement que des niches larges, voûtées, de deux mètres et demi au moins de profondeur, s’ouvrent dans l’épaisseur du mur, ou, plus exactement, occupent la place de trois ou quatre des stalles de l’écurie : c’est là que nous nous installons. L’endroit doit être gris de puces ; fort heureusement, M. Peretié a eu la bonne précaution de se munir de trois lits en fer, malgré M. Pellissier et moi, qui avons rugi d’indignation à notre départ de Bagdad, à l’aspect de ce sybaritisme, indigne du vrai voyageur ; M. Peretié a son tour à Iskanderié, et reçoit nos félicitations repentantes. Après le dîner, qui est parfait, nous nous roulons dans nos couvertures, et je m’endors pour tout de bon, non sans avoir saisi des bruits étouffés qui prouvent que dans le compartiment d’à côté on a fort à compter avec la population microscopique du lieu. Heureusement que je n’ai pas l’égoïsme élégant du poëte latin :

Suave…
           …magnum alterius spectare laborem.


Vieux Juif de Babylone. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie.

Le lendemain, en me levant, deux heures avant le jour pour arriver au khan avant la grande chaleur, j’appris qu’un compartiment peu éloigné de nous avait été occupé cette nuit par un mort, — un musulman chiia que ses proches menaient enterrer à Kerbela, terre sacrée pour les adeptes de ce rite. La vie la plus pure ne donne pas aussi sûrement l’accès du paradis que ne le font six pieds de terre à Kerbela, dans ce lieu sanctifié par le sang des deux grands apôtres de l’islam, Ali et Hussein. Aussi, des parties les plus reculées de Perse (on sait que tous les Persans appartiennent au rite chiite), les gens riches tiennent-ils à se faire enterrer dans le territoire de Kerbela, et rien de plus commun que de voir sur la route de Bagdad à l’Euphrate des chameaux ou des chevaux chargés d’une sorte de kafas, cage en claire-voie renfermant un cadavre couché sur un lit d’herbes ou de feuillage. On comprend que parfois le mort, assez rudement cahoté, fasse éprouver au passant le contact pénible que la grande Mademoiselle affronta bravement la nuit qui suivit le massacre de l’hôtel-de-ville, et dont elle nous parle si gaillardement — trop gaillardement — dans ses Mémoires. On étonnerait fort le pèlerin oriental en essayant de lui prouver que cette façon d’agir a quelque chose d’irrespectueux pour le défunt dont il exécute la dernière volonté. En somme c’est peut-être lui qui a raison, en ce sens que chacun honore la mort de la manière qu’il l’entend ; l’essentiel, c’est qu’on y apporte une pensée sincère, respectueuse, et une pieuse simplicité.

Il était huit heures quand je vis apparaître à l’horizon les palmiers du khan Mehaouil. Je m’en réjouis pour deux raisons : la première, c’est que là commençaient ces fameuses ruines de Babylone que j’étais venu visiter ; la seconde, la moins intellectuelle des deux, c’est que j’avais faim et que le déjeuner nous attendait au khan. La plus noble de ces préoccupations, cependant, l’emporta ; et pendant que nous approchions, je repassai dans ma mémoire le tableau merveilleux que les anciens nous ont laissé de Babylone.

La cité de Sémiramis formait un carré parfait, de quinze à seize lieues de tour. Le mur d’enceinte, précédé lui-même d’un fossé large, profond et rempli d’eau, avait une hauteur de quatre-vingts pieds sur une épaisseur égale, et il était surmonté de deux rangs de tourelles contiguës, au nombre de deux cent cinquante, tournées l’une vers l’autre, et laissant entre elles l’espace nécessaire au passage d’un char attelé de quatre chevaux. Le mur était construit de briques cuites cimentées d’asphalte, et chaque troisième rang de briques était séparé du suivant par une assise de roseaux empâtés dans l’asphalte chaud. Le mur était percé de cent portes d’airain, avec les jambages et les linteaux également d’airain ; comme il était bordé de marais et de lagunes en divers endroits, ces parties étaient regardées comme suffisamment protégées par la nature et n’étaient pas garnies des tourelles dont j’ai parlé.


Dame chaldéenne. — Dessin de Émile Bayard d’après une photographie.

Le plan quadrangulaire de l’enceinte avait été conservé dans l’intérieur de la ville, car les rues, droites et se coupant à angles droits, aboutissaient, soit aux cent portes citées plus haut, soit à d’autres portes percées dans le parapet des quais. Ceux-ci, qui suivaient les sinuosités de l’Euphrate et avaient un développement de sept lieues, construits également en briques bituminées, reposaient sur d’énormes voûtes destinées à amortir l’impétuosité de l’Euphrate à l’époque des crues du printemps. Du reste, l’énorme surface de seize lieues carrées enfermée dans l’enceinte était loin d’être remplie d’habitations : il n’y avait de surface bâtie que quatre-vingt-dix stades carrés (le stade avait cent soixante mètres de côté), ce qui représente encore une cité fort considérable ; encore les habitations, de trois à quatre étages, n’étaient pas toutes contiguës ; enfin, dans les endroits où la ville bâtie touchait presque au rempart, elle en était séparée par un espace libre de cent mètres, sans doute destiné à servir de chemin de ronde pour les troupes qui défendaient l’enceinte. Cette disproportion entre le périmètre réel de la cité et celui de ses fortifications est très-commune dans les villes d’Orient ; je l’ai observée à Mossoul, à Bagdad, à Basra, à Orfa ; elle avait pour motif, à Babylone, une mesure de prévoyance, la nécessité d’avoir dans l’intérieur des villes des terres cultivées permettant de soutenir de longs siéges. Je donne cette raison d’après Quinte-Curce, sans trop y croire : cette précaution est d’une ingénuité un peu primitive, et je n’y reconnais pas le génie de Sémiramis. Des greniers d’abondance valaient mieux, et ils n’eussent pas coûté grand effort d’imagination.

La ville proprement dite était entourée de trois enceintes, la première ayant douze kilomètres de tour, la seconde huit, la troisième quatre seulement. Cette dernière était couverte de figures d’animaux et de scènes de chasse, peintes en bas-relief. On y voyait Sémiramis à cheval, attaquant une panthère, et Ninus tuant un lion. Des scènes semblables décoraient le second rempart, bien qu’il ne fût qu’en briques crues, et elles étaient peintes « avec tant d’art, dit Hérodote, qu’elles semblaient vivantes. » La petite enceinte renfermait la citadelle, close d’une triple porte, derrière laquelle étaient des chambres de bronze, qu’une machine ouvrait et fermait. Cette citadelle, résidence favorite de Sémiramis, donnait sur le fleuve, et communiquait avec le palais occidental par un pont et un tunnel.

Le pont, long de cinq stades, reposait sur des piles enfoncées très-profondément à douze pieds l’une de l’autre ; elles étaient bâties en pierres liées par des crampons de fer et soudées avec du plomb fondu, et les faces exposées au courant étaient taillées à angle aigu. Le tablier, de trente pieds de large, était un plancher de cèdres et de cyprès, reposant sur d’énormes madriers de palmier. Quant au tunnel, c’était un caprice auquel avait cédé Sémiramis, quand elle construisait le bassin dont je parlerai plus tard. L’Euphrate, momentanément détourné vers l’est, avait laissé à sec son lit naturel, et la reine y fit pratiquer une galerie souterraine de douze pieds de haut sur quinze de large ; les Babyloniens ajoutaient que l’ouvrage avait été terminé en sept jours. Les peuples enfants ont toujours besoin d’enjoliver même le merveilleux.

Voilà, dans ses trails essentiels, ce qu’était la reine de l’Orient au temps de sa splendeur, c’est-à-dire avant les Perses, qui dégradèrent ses plus beaux monuments, pillèrent ses temples et en firent une grande ville de province, et rien de plus. Ce qui frappe dans les descriptions que nous ont laissées les anciens, c’est une certaine combinaison d’utilitarisme et de grandiose que nous ne trouvons nulle part au même degré que chez les Chaldéens. Tous leurs immenses travaux, remparts, canaux, observatoires, quais, ponts, lacs artificiels, sont par-dessus tout des travaux d’utilité publique. Je n’en excepte que les fameux jardins suspendus, dont je parlerai plus loin, et qui d’ailleurs ne sont pas de Sémiramis, bien que le vulgaire les lui ait attribués ; on les doit à un caprice élégant d’un despote amoureux (rara avis ! ) dont le nom même ne nous est point parvenu.

Pendant que je ruminais mes classiques, nous franchissions le seuil hospitalier du khan. Je n’eus rien de plus pressé que de monter sur la terrasse et de jeter un coup d’œil sur l’immense panorama que je pouvais embrasser de cette hauteur.

À moins d’avoir passé par la même impression, il est impossible de comprendre ce que je ressentis à cette première vue. Nous avons aussi des ruines en Europe, et même des ruines éloquentes ; mais chez nous la vitalité est si intense et la vie sitôt prête à remplir les vides que fait la mort, que les ruines mêmes se trouvent bientôt à l’étroit parmi les nouvelles constructions que l’activité moderne entasse autour d’elles. La plus célèbre de nos villes mortes, Lacédémone, n’est pas tellement endormie à l’ombre de ses lauriers roses, qu’elle ne se réveille parfois au babil de Mistra, sa coquette voisine, et la nymphe de l’Eurotas doit être singulièrement effarouchée lorsqu’elle se trouve face à face avec son préfet en habit brodé. Ces contrastes ont aussi un certain piquant, mais je préfère pour ma part le grandiose, et rien en Europe ne soulève la pensée aux hauteurs où la porte la contemplation des nobles et sublimes solitudes de Palmyre, de Baalbek, de Memphis, de Ctésiphon ou de Babylone.

Je m’attendais, d’après certains voyageurs, à voir un amas confus d’ondulations formées par les ruines ; le paysage que je vis, au contraire, simple, à grandes lignes, était des plus faciles à saisir. Tout à fait à mes pieds, courant parallèlement à l’est-sud-est, six lignes de talus marquaient le tracé de trois canaux, le premier moderne, les deux autres anciens. Entre ces deux derniers régnait une sorte de large fossé qui me sembla au premier coup d’œil répondre au fossé nord de la cité ; entre le canal moderne et le premier des deux autres, un espace allongé, que j’évaluai approximativement à quatre cents ares, était couvert de débris de briques et de poteries. Si cet endroit n’a pas fait partie de l’ancienne ville, il a été du moins un groupe d’habitations important. Au delà des canaux s’étendait une vaste plaine blanchâtre, semée de rares broussailles, sillonnée de canaux antiques dont on voit de loin les talus courir à perte de vue en lignes un peu plus blanches que le reste de la plaine. De loin en loin quelques monticules de ruines, comme Abou Rouêsa, Hosseyn ; ils finissent dans l’éloignement par n’être que d’imperceptibles renflements du terrain. Parmi eux se détache nettement à l’horizon une masse d’un rouge violacé, aux flancs coupés presque à pic, au sommet uni, ressemblant tout à fait à ces collines d’argile rouge qu’on rencontre à chaque pas dans la haute Nubie. C’est Babel, ou du moins la citadelle antique à laquelle les Arabes ont donné ce nom de fantaisie. Les grandes ruines, qui commencent là, disparaissent aux yeux, masquées par la colline rouge ; l’Euphrate, qui coule à une demi-heure à l’ouest de Mehaouil, est également dérobé par Les ondulations du sol ; à peine aperçoit-on de loin la bordure de palmiers qui annonce son voisinage.

À gauche de Babel, deux bouquets isolés de palmiers, deux monticules rapprochés l’un de l’autre se dessinent vaguement au bout de l’horizon, à plusieurs heures de distance. Le plus grand de ces monticules est el Heimer, que quelques savants croient avoir été l’angle sud-est de Babylone ; le second s’appelle Kaber-el-Hâyad, le tombeau du tailleur, et est aussi, je crois, un monceau de ruines antiques.

Rien ne peut rendre la grandeur muette et désolée de ce désert où dormait une ville qui fut en son temps la capitale du monde civilisé. Ce n’était pas même quelque chose comme ces ruines presque riantes de Ninive, où une végétation triomphante a recouvert les remparts et les palais tombés en poussière, où une charmante petite rivière gazouille dans les joncs, plus librement qu’au temps de Nemrod ou de Salmanazar. Ici, le sol bas, vitreux, comme maudit, ne portait aucune trace de sillon ; les hôtes inoffensifs des steppes du Tigre, le lièvre, la gazelle, ne se montraient nulle part ; on ne voyait pas même pointer la tente noire de l’Arabe. Je me rappelai les éloquentes malédictions rugies par la passion lyrique d’un peuple à qui ses malheurs avaient donné le droit de maudire Babylone :

« Elle ne sera jamais habitée, nul n’y demeurera, de génération en génération ; jamais l’Arabe n’y dressera sa tente ; jamais les pasteurs n’y élèveront leurs huttes.

« Mais les bêtes fauves du désert y feront leurs repaires ; ses maisons seront pleines de créatures plaintives ; le hibou y habitera, et les satyres y feront leurs ébats.

« Babylone deviendra un amas de décombres, un repaire de dragons… Ses cités sont une désolation, une terre aride, un désert, une contrée où pas un homme ne demeure, où le fils de l’homme ne passe pas[2]. »

Ce serait ici le moment de placer quelques banalités bien senties sur la vanité des grandeurs humaines et la chute des empires. Eussé-je voulu en trouver, j’avoue que je n’en eusse pas la pensée. Outre que j’ai toujours eu le respect des grandes ruines, je suis convaincu que toute civilisation a eu sa raison d’être et tient sa place légitime dans l’histoire de l’humanité, et celle de Babylone autant qu’une autre. Je sais qu’on me contestera la civilisation d’un peuple qui n’a laissé après lui ni un livre[3] ni une œuvre d’art ; mais pour moi, ce n’est point là une raison. Nous avons une indulgence routinière et exagérée pour les peuples lettrés, parce qu’ils ne laissent rien à désirer à notre curiosité rétrospective ; nous devrions plutôt nous demander quelle somme de progrès représentent certaines civilisations paperassières, comme la Chine moderne, les Grecs du Bas-Empire, les Arabes après les croisades, — et nous-mêmes dans deux cents ans d’ici, si nous n’y prenons garde. Ne méprisons pas la civilisation muette, sérieuse et réelle des Chaldéens. Un peuple qui est arrivé du premier coup à une incomparable prospérité agricole, la plus solide d’un grand État ; qui a créé deux sciences du premier ordre, l’astronomie et la médecine, — ce peuple-là peut bien se consoler de ne pas avoir écrit les cent quatre-vingt volumes de l’Encyclopédie chinoise, ou de ne pas avoir élevé les inutiles pyramides.


V


Entrée dans les ruines. — Fossé de Mehaouil. — Babel. Deux anges bien… jeunes.

Nos compagnons, que le souvenir de Sémiramis préoccupe moins et qui pensent judicieusement que chaque chose a son heure, même un déjeuner à Babylone, — nos compagnons, dis-je, ont rudement fait honneur à nos dernières provisions et je suis leur exemple. Le café bu, nous remontons à cheval et nous franchissons successivement les trois canaux : nous sommes en pleine Babylone.

Le grand fossé dont j’ai parlé plus haut est la première chose qui me frappe : j’ai dit que je l’ai pris tout d’abord pour le fossé nord de la ville ; à la réflexion il me vient une autre idée. Ce fossé se dirige vers le lac (aujourd’hui desséché et couvert de coquilles lacustres) que Semiramis selon les uns, — Nitocris selon d’autres — avait creusé pour recevoir le trop plein des eaux de l’Euphrate. Quand Cyrus assiégea Babylone, il fit endiguer l’Euphrate et dirigea les eaux du fleuve vers le lac en question, en même temps qu’un autre canal creusé par lui contournait extérieurement les fortifications de la ville. Le grand fossé Mehaouil ne serait-il pas une de ces deux tranchées ? Je propose, sans affirmer, bien entendu : ce n’est pas la dernière fois que j’aurai à le faire.

Nous entrons dans la plaine blanchâtre que j’ai indiquée : une chaleur plombée, énervante, nous envahit et semble monter par bouffées de ce sol saturé de nitre, où nous errons pendant près de deux heures. Nos jouissances d’antiquaires ne commencent réellement qu’à Babel, où nous admirons franchement les imposantes constructions qu’ont mises à jour les fouilles de MM. Rich, Fresnel et autres explorateurs. La continuation des fouilles permet à coup sûr de refaire le plan détaillé de la citadelle, car il est à peu près prouvé qu’elle existait en cet endroit. Le nom de la colline, dans presque toutes les relations de voyages, est Moudjelibê (retourné sens dessus dessous) : les paysans me l’ont nommé Babel, mais je n’ose affirmer que ce dernier ne leur a pas été suggéré par les explorateurs anglais de ces trente dernières années,

La masse entière de Babel forme un rectangle de cinq cent vingt mètres de circonférence, bien orienté dans le sens des quatre points cardinaux. Il n’est pas douteux qu’elle ne représente le plan général de l’antique forteresse (ou du palais si l’on veut), dont les constructions extérieures sont « tombées en pâte » sous la double action des éléments et des hommes. Après Cyrus et ses bataillons victorieux sont venus les pacifiques maçons de Hillé, qui ont fait de Babylone une immense carrière à briques. Ker Porter dit n’y avoir pas trouvé une inscription entière : j’ai été plus heureux, et j’ai pu me convaincre par mes yeux que les briques à inscriptions cunéiformes y foisonnent.

Une légende musulmane, originale, se rattache à Babel. Dieu avait envoyé là en mission deux de ses anges les plus purs, Harout et Marout : mais ces séraphins s’avisèrent de faire ce qu’il faut toujours faire en Orient, ils devinrent amoureux et — voyez la chance ! — d’une femme mariée et honnête. Celle-ci réussit à enlever à ses deux adorateurs, niais comme de purs gandins parisiens, le mot d’ordre du paradis où elle s’empressa de monter, laissant les deux mystifiés qui reconnurent un peu tard l’énormité de leur péché d’intention : ils allèrent le confesser à l’Éternel, qui, touché de leur repentir commua la damnation encourue en une légère pénitence : il les mit dans un puits invisible à Babel, où ils sont toujours, pendus par les sourcils, jusqu’au jour du jugement.

Nous descendons la colline, nous prenons par les rives de l’Euphrate, au grand soulagement de nos yeux fatigués de cette plaine poudreuse. L’Euphrate est charmant : il me rappelle le Nil entre Khartoum et Mandjera. Les deux rives, principalement la droite, un peu plus basse et plus arrosée que l’autre, ne sont qu’une longue file de jardins verdoyants, ombragés de dattiers, constellés des grandes fleurs du grenadier : de distance en distance, de rustiques norias d’arrosage, mises en mouvement par deux maigres chevaux, dressent leurs longs sacs de cuir et leur bizarre charpente, quelques fermes isolées, deux bourgades arabes aux murailles grises, pointent derrière les palmiers : c’est le paysage le plus doux et le plus vivant à deux pas de la solitude la plus désolée : jamais contraste ne fut plus nettement accusé.


Le Tigre près de Djebar. — Dessin de A. de Bar d’après un croquis de M. G. Lejean.

Cependant notre petite caravane a quitté les bords du fleuve et s’est engagée dans une sorte de large avenue, entre deux longs massifs de palmiers enclos de murs de pierre qui tombent partout en ruines. Au milieu de l’avenue débouche un cortége nombreux, digne du pinceau de Diaz : c’est le mudir de Hillé qui, averti de notre arrivée par le télégraphe, est venu au-devant de nous à cheval, suivi de ses zaptiés, tous bien montés, et d’une foule de curieux aux vêtements pittoresques, dont un éclatant soleil fait encore mieux ressortir les couleurs variées. Il n’y a que les Orientaux pour résoudre ce problème, de couleurs tranchantes et voyantes en même temps qu’assorties : jamais une fausse note dans leur gamme de tons : ces barbares ont certaines élégances innées.


Le Tigre près de Hamrin (voy. p. 50). — Dessin de A. de Bar d’après un croquis de M. G. Lejean.

Le salam échangé, nous nous remettons en route : nous traversons un magnifique rond-point où viennent aboutir cinq avenues vraiment monumentales (quoi de plus monumental que le palmier !) : nous franchissons successivement un petit faubourg, un pont de bateaux sur l’Euphrate, un bazar fort animé, et l’aimable mudir ne nous quitte que chez notre hôte, un négociant juif, correspondant de la maison Weber, de Bagdad, qui nous a adressés à lui : nous trouvons chez ces bonnes gens une hospitalité gracieuse et empressée. La maison est spacieuse, le selamlik ou salon d’honneur est une vaste galerie au premier étage, et noue en prenons possession.

Guillaume Lejean.

(La suite à la prochaine livraison.)


  1. Il est à peine utile de noter que nous laissons à l’auteur, en ce passage comme partout ailleurs, la responsabilité de ses appréciations. Nous professons personnellement un respect sincère pour la mémoire de Rollin et beaucoup d’estime pour un grand nombre de ses successeurs.
    Ed. Ch.
  2. Isaïe et Jérémie.
  3. Bérose, seul historien chaldéen, est contemporain d’Alexandre le Grand.