Voyage autour du monde (Charles-Avila Wilson)/13

La Compagnie d’imprimerie moderne (p. 197-215).

Chapitre I

SINGAPOUR — PÉGU


Singapour — Détroit de Malacca — Pénang — Le Temple des Serpents — Rangoon — L’Irrawaddy — La Shwe-Dagon — Le roi Theebaw — M. Lin-Tchin-Song — Pégu — La mer de Bengale.


14 février — Arrivée à Singapour. À notre grand désappointement, le vapeur Ekma de la ligne British-Indies n’est pas en rade ; il ne partira pour Rangoon que vendredi, le 18 ; patience et longueur de temps…

15 février — Faute de nouveau, nous revoyons nos vieux amis : les palmiers et la jungle des environs.

16-17 février — Visite du musée Raffles que nous n’avions pas eu le temps de voir, lors de notre premier séjour.

Singapour est la grande porte de l’Orient. Tous les navires passent ici. La situation de son immense port est telle qu’aucun bateau n’est obligé de virer. Il entre par un côté du port et sort par l’autre. A l’heure où j’écris, plus de deux cent cinquante navires à l’ancre, la plupart veufs de leurs équipages, attendent du chargement depuis des semaines. Le soir, on dirait une ville flottante illuminée, une véritable Venise. Malgré sa situation sous l’équateur, Singapour jouit d’un climat supportable. Le thermomètre ne dépasse pas 90° et ne descend pas plus bas que 70° Fahrenheit, dit-on, mais j’ai des doutes sérieux sur l’exactitude de ces chiffres.

Depuis notre départ du Canada, nous n’avons nullement été incommodés par la chaleur. Pas encore une seule journée chaude comme nous en avons quelquefois au pays, en juillet et août. La température varie peu dans les tropiques ; les saisons, au nombre de deux, la pluvieuse et la sèche, sont à époque fixe. Sur l’heure du midi, notre ombre dessine les contours de notre chapeau. C’est bien difficile de faire de la photographie ; jusqu’à présent, je n’ai pas aussi bien réussi, dans cette région, qu’en Chine et au Japon. Il me faut apprivoiser les rayons verticaux de ce soleil à pic, farouche, impitoyable.

Le créateur du Singapour actuel est sir Stamford Raffles. Fils d’un capitaine au long cours, il naquit en 1781 sur un navire, près de la côte de la Jamaïque. À quatorze ans, il entrait au service de la Compagnie des Indes qui le dirigea sur ses bureaux de Pénang. Il se familiarisa bientôt avec la langue du pays, sa vie, ses coutumes, sa géographie et son histoire. Ses talents et son activité le firent remarquer par lord Minto qui le chargea d’une expédition contre les Français, à Java. Il le prit ensuite pour secrétaire, puis le fit nommer lieutenant-gouverneur, poste qu’il occupa cinq ans. Après la chute de Napoléon (1815), Raffles retourna en Angleterre d’où il repartit, en 1817, pour remplir le poste de gouverneur de Bencoolen, côte sud-ouest de Sumatra. En dépit de beaucoup d’opposition, de jalousie et de tracas, il réussit à réaliser son rêve : faire de Singapour le grand poste commercial de l’Orient. Sa population est de deux cent mille âmes, aujourd’hui, chinoise pour les deux tiers. Raffles mourut en 1826. Une magnifique statue, dans le parc public, perpétue son souvenir. Son épouse mourut à Buitenzorg, Java. Dans le jardin botanique, un monument a été élevé à sa mémoire.

Constantinople, le Caire et Singapour sont les trois villes du monde où la population est la plus hétérogène. En une heure, vous voyez défiler devant vous toutes les nations de la terre dans leurs accoutrements particuliers et originaux.


Grimpeur de Cocotiers à Singapour.


Plantation de Palmiers-Cocotiers à Singapour.

Le gouverneur des Straits Settlements est sir Lawrence Guillemard ; son palais est dans la banlieue de Singapour. Les Chinois sont les magnats de la presqu’île de Malacca. Il faut voir leurs résidences princières et les parcs qui les entourent, les terrasses, les fleurs, les avenues artistement dessinées, les arbres taillés avec élégance. Leurs femmes, décorées comme des chapelles, se baladent en autos, en landaus de luxe. Qu’ils sont loin de leurs compatriotes des chinatowns d’Amérique !

18 février — Nous partons pour la Birmanie par le détroit de Malacca. À 4 heures p.m., le joli vapeur Ekma, commandant Amos, fait entendre sa sirène aux échos des palmeraies de Singapour et lève ses amarres. Au passage, le Melchior Treub nous salue d’un cri strident et prolongé. Il retourne dans l’île heureuse, après avoir fait escale à Delawan-Deli, dans l’île de Sumatra.

Notre bateau, un cinq mille tonneaux, est anglais, ce qui veut dire propre, bien tenu, et à bord duquel tout se passe in good order. Les Anglais sont les meilleurs navigateurs du monde ; c’est grâce à cette qualité qu’ils ont conquis des domaines et contrôlent des ports dans toutes les parties du globe. Insulaires, ils affectionnent particulièrement les îles qu’un loustic a définies : des étendues de terre entourées d’Anglais. Hong-Kong, Singapour, Pénang, Diding, Bornéo, sont des îles. Malacca est une presqu’île, aussi les Anglais l’ont presque ; cela viendra avec le temps.

La péninsule de Malacca se divise en trois groupes : la colonie des Straits Settlements qui comprend Penang, la province de Wellesberg, les Didings, Malacca et Singapour ; les états malais confédérés, savoir : Pérak, Selangor, Négri Sembilan, Pahang ; et les autres états non confédérés, Kélantan, Treinggame, Johore, Perlis. Le premier groupe est la propriété incontestée de l’Angleterre ; les deux autres sont protégés, administrés et avisés par elle : ce qui, pour l’Anglais, équivaut à peu près à propriété ou possession pour le moins. Quand les Anglais sont entrés chez vous, ils peuvent chanter :


« Bonhomme,
« Tu n’es pas maître dans ta maison,
« Quand nous y sommes. »
« ............
« Honni soit qui mal y pense.


L’histoire de ce pays de l’éléphant, du rhinocéros, du tigre, du crocodile, du singe et du serpent remonte à la création, à l’homme préhistorique dont les traces se trouvent dans les caves aux flancs des montagnes. Rien de précis jusqu’en 1360, alors que les Négritos reçurent la visite des Malais qui firent invasion dans l’île de Sumatra. Dix-sept ans plus tard, les Javanais apparaissaient dans la péninsule et chassaient les Malais de Singapour vers l’intérieur où ces derniers fondèrent le royaume de Malacca. La Chine reconnut ce royaume en 1405, et reçut ses émissaires. En 1509, les Portugais tentèrent de s’y établir, sous la direction de l’amiral Diego Lopez de Sequeira, et, en 1511, Alfonso de Albuquerque, le grand vice-roi des Indes, s’empara de la péninsule. Les Portugais, à leur tour, furent, en 1606 et 1641, subjugués par les Hollandais qui, en 1826, durent céder aux Anglais. L’Angleterre se servit de la compagnie des Indes Orientales pour consolider son œuvre. Voilà, bien en raccourci, l’histoire de ce pays.

L’Allemagne faisait jadis aux compagnies de navigation anglaises, françaises et hollandaises, une concurrence qui menaçait leur existence nationale, mais qui cessa avec la grande guerre. « À quelque chose malheur est bon. » « It’s an ill wind that blows nobody good. »

19 février — À midi, nous avons parcouru près de deux cents milles dans le détroit de Malacca. Notre direction est franc-nord. Mer absolument calme et brise douce ; nuit délicieuse ; la lune teinte de reflets d’opale les flots ridés par un vent léger. Nous longeons Sumatra à


Le Carabao, la « Bonne Bête » de l’Asie.


Palmiers à Penang, Birmanie.

bâbord ; la terre est visible chaque côté. Nous croisons plusieurs navires ; les phares éclairent le passage, donnent la direction, indiquent la route, signalent les récifs et les fonds bas.

20 février — Arrivés à Penang, à 7 heures a.m. Le bateau, ayant trop fort tirage, a jeté l’ancre, à minuit, en face de la ville. De bonne heure, nous sautons dans les sampans qui nous conduisent au débarcadère. C’est notre première expérience à bord de ces petites embarcations mises en mouvement par un indigène qui manœuvre debout, sens devant derrière, deux longues rames dont les manches se croisent. Au lieu de tirer, comme chez nous, il pousse, la figure tournée vers l’avant de son embarcation décorée de couleurs vives et de deux gros yeux blancs peints chaque côté de la proue. On dirait un énorme dauphin dont l’homme serait la queue relevée en trompette. Penang est très jolie ; c’est un peu Singapour.

Nous prenons un auto et faisons le tour de l’île, en une randonnée de trois heures, sous bois, à travers les plantations de cocotiers, bananiers, caoutchoucs, dans les montagnes et les plaines. À un moment donné, le chauffeur stoppe en face d’un joli petit temple chinois et nous fait comprendre, par sa mimique drôle, qu’il y a là des serpents comme au temple de Singapour. Nous nous faisons un peu prier ; il insiste, et nous descendons pour lui faire plaisir. Nous entrons ; à notre grande stupeur, ce temple est rempli de ces reptiles : plus de cinquante, de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Ils s’enroulent aux brûleurs d’encens, aux chandeliers, aux colonnes, aux bras, au cou, à la tête des idoles, sur les tables, aux murs, sur les tablettes, sur le plancher, partout. Un prêtre officie ; des fidèles, la plupart chinois richement vêtus, prient et déposent des offrandes. L’encens brûle à profusion. Je jette vingt sous dans l’escarcelle aux aumônes, pour me rendre ces affreuses bêtes propices, et nous fuyons avec un petit frisson dans le dos, et en regardant par derrière pour nous assurer que ces sales bêtes ne nous poursuivent pas. Brrr !

À 1 heure p.m., nous reprenons le sampan qui nous dépose au pied de l’escalier de commandement du bateau. Nous mettons le cap sur Rangoon que nous atteindrons mercredi matin. Nous entrerons ce soir dans les eaux profondes de la baie de Bengale — plus de vingt-cinq mille pieds à certains endroits. Sur notre gauche, le groupe des îles Nicobar et Andaman se dessine à l’horizon.

J’oubliais de vous dire que nous sommes entrés dans la cathédrale de Mgr Barillon. Grâce à un calendrier suspendu à une colonne, nous découvrons que le carême est commencé depuis le 9 février et qu’il nous faudra faire nos Pâques le ou avant le 27 mars, à moins de prendre avantage de l’extension jusqu’à la Quasimodo. Notre carême se trouve raccourci d’autant. Nous ferons le Carême impromptu du bon curé de Gresset ; voilà ce que l’on gagne à voyager !

Le jardin botanique de Pénang est un charmant petit coin dans le flanc de la montagne ; une chute très élevée verse le cristal de ses eaux dans un beau lac parsemé de fleurs.

21 février — Nous naviguons toujours. Il fait très bon ; une délicieuse brise du nord rafraîchit agréablement. Il peut arriver que la Birmanie et les Indes nous réservent des surprises sous le rapport de la température.

22 lévrier — Les renseignements qui nous sont fournis au sujet de Mandalay et du voyage sur la rivière Irrawaddy, nous engagent à modifier notre itinéraire. Nous décidons de ne pas faire cette excursion de plus de cent heures de chemin de fer, pour ne voir, après tout, que des clochetons de pagodes, des champs de riz et des crocodiles, quand ces sauriens veulent bien se montrer. Nous lirons Rudyard Kipling : l’illusion vaut mieux que la réalité !

Nous adressons un marconigramme à l’hôtel de Rangoon, pour retenir des chambres ; nous avançons ainsi de huit jours notre arrivée projetée, à Calcutta. Il y a tant de choses intéressantes à voir aux Indes !

Le télégraphiste nous fait gracieusement visiter son poste de Marconi. Il en explique le fonctionnement ; et, l’appareil sur les deux oreilles, nous entendons des messages expédiés de quatre cents milles, messages qu’il déchiffre pour nous.

La distance de Singapour à Pénang, par mer, est d’environ quatre cents milles ; de Pénang à Rangoon, sept cent cinquante milles, et de Rangoon à Calcutta, huit cents milles.

Je ne sais si je vous ai raconté cette bonne blague à propos de la grande chaleur qu’il fait à Rangoon. Quand quelqu’un meurt, à Rangoon, dit-on, on met son paletot dans son cercueil, au cas de besoin en enfer où il fait moins chaud qu’en ce doux pays, au dire des connaisseurs !!!

23 février — À deux heures du matin, nous sommes éveillés par un bruit sourd de chaînes qui grincent sur l’acier. Nous jetons l’ancre à l’entrée de la rivière Rangoon, l’une des nombreuses bouches par lesquelles l’Irrawaddy se déverse dans la mer qu’elle salit de sa boue infecte, jusqu’à cinquante milles au large. À cinq heures, même bruit sourd ; nous levons l’ancre et remontons le courant, à petite vapeur, sous la direction d’un pilote lamaneur. Cette rivière est capricieuse : fond de sable mouvant et courants variables.

Il faut voir ce nouveau pays ! Les talons bien enfoncés dans le matelas spartiate de la cabine, je passe, en boulet de canon, la tête à travers le hublot. Je regarde à droite, à gauche ; autant de hublots, autant de têtes qui apparaissent, plus ou moins échevelées, selon le sexe et les accidents de la calvitie. Il y a quelques crânes, billes de billard, qui ont des reflets de conques marines, sous les rayons indiscrets du soleil matinal et tropical. La cabèche de droite est une mousmé de Tokio, une Vénus de poche, pocket Venus comme l’appelle l’Anglais. Elle n’est pas belle, la voisine, ce matin ! avec ça qu’elle n’est guère mieux le midi et le soir ! C’est drôle de voir toutes ces têtes qui sortent, rentrent, jouent à cache-cache. En face : la côte basse, des pagodes, des pagodes, encore des pagodes rondes et pointues ; enfin apparaît la ville de Rangoon, dominée par une forêt de pagodes que domine la pagode des pagodes, la grande pagode de Shwe-Dagon !

À 7 heures a.m., nous abordons. Assaut du navire par l’escouade des autorités municipales, policières, hygiéniques, sanitaires, douanières, consulaires, politiques, passeportiques et autres. Mais elles ne sont pas aussi diables que leurs noms les représentent.

Je demande au préposé à l’examen des passeports comment il se fait que nous sommes reçus par un Anglais dans le royaume du roi Theebaw. Voici : ce bon souverain a été appelé à comparaître devant le Roi des rois, il y a quelques années. L’Angleterre, notre charmante belle-mère, ayant appris la chose, s’est empressée de faire voile vers ces bords en deuil, pour consoler cette famille éplorée dont elle prend tellement soin que la veuve n’est plus reine, mais simplement douairière, et le prince, prince… de rien du tout. Allons voir, tout de même ; qu’elles aient été jadis birmanes, qu’elles soient aujourd’hui britanniques, peu importe, les pagodes sont toujours là.

Jolie, la ville de Rangoon : vastes places, larges avenues ombragées, parcs à l’anglaise, trottoirs asphaltés, bazars, banques, comptoirs, et le reste à l’avenant. Nous nous inscrivons au Strand Hotel, propriété des frères S…, qui possèdent aussi le Raffles, à Singapour. Ils nous ont accompagnés depuis Singapour. Nous parcourons rapidement la ville, afin d’en avoir un aperçu général, une idée d’ensemble. Nous la détaillerons demain, vendredi et samedi, jusqu’à notre départ pour Calcutta, les Indes, enfin !

Du rêve à la réalisation, la route aura été longue ! Notre bateau ne fait qu’escale ; nous poursuivons notre course à son bord. Il est bien, l’Ekma, très propre et service parfait. Les boys, pour la plupart portugais de Goa sur la côte de Malabar, à l’ouest de l’Hindoustan, nous servent à table, pieds nus, en habit noir et turban. Chez nous, tête nue ; ici, pieds nus : le monde renversé ! East is East and West is West. Avec cette formule, tout s’explique, tout problème a sa solution. Les garçons des hôtels se drapent dans des tuniques blanches qui tombent jusque sur leurs pieds nus ; ils portent ceinturon noir et rouge, turban de même décor. Si vous avez chaud, jetez un regard sur leurs grands pieds qui s’étalent délicieusement sur le marbre des dalles ; cela vous rafraîchit du coup. Ô beaux jours de mon enfance ! alors que je parcourais, pieds nus, les grèves de mon beau lac des Deux-Montagnes, combien je vous regrette !

Nous visitons les parcs, le lac Victoria, étang de plaisance, au centre de la ville, le champ de courses, les avenues ombragées d’eucalyptus et de tamariniers. Edouard VII nous reçoit, drapé dans sa majesté de bronze, au centre d’un superbe péristyle de marbre blanc.

Nous voici dans un immense parc peuplé d’éléphants, de rhinocéros, de chevreuils, de gazelles, de phénix, d’oiseaux exotiques, d’êtres humains, tous verts. Ce sont des mannequins en fil de fer que des plantes grimpantes recouvrent, reconstituant ainsi les formes de la bête ou de l’homme. C’est original et pittoresque de voir ces animaux et ces hommes en verdure, répandus dans le parc. Au centre, la résidence du seigneur et maître, Lin-Tchin-Song, ploutocrate chinois. Au coût de plus de deux millions de roupies, il a construit un château : un affreux mélange de tous les styles de l’Orient et de l’Occident. C’est vaste, très riche, mais d’un goût sur lequel il est difficile de se prononcer. Dans le salon, à côté de reproductions en plâtre de la Vénus de Médicis et des chefs-d’œuvre de Phidias, on aperçoit, assis sur une console, un kewpie en celluloïde, une statue du Sacré-Cœur et des bouquets de fleurs avec du sucre dessus, conservés très précieusement sous des globes en verre ! Il eût été plus esthétique, de meilleur goût d’employer ces millions à l’érection d’un monument de style quelconque, grec, français, italien ou autre, mais de gustibus non est disputandum. Ce monstre vient d’être terminé ; il est ouvert au public depuis deux mois. Lin-Tchin-Song le laisse « orgueilleusement » visiter pour épater les gens. Il faut voir l’ameublement, les tapis, les argenteries, la vaisselle ! It is the best that art can devise and money can buy ! Qu’importe, çà vaut toujours mieux que les sales taudis dans lesquels vivent ou plutôt existent un si grand nombre de ses compatriotes.

De là, nous nous transportons à la pagode de Shwe-Dagon, la plus grande, la plus haute, la plus extravagante pagode de l’univers. Sise dans la banlieue, sur une élévation que nous escaladons en enjambant rampes et paliers ; elle s’élève à trois cent soixante-seize pieds dans les airs. Sa forme est celle d’un entonnoir renversé ; autour, des Bouddhas en marbre, en ivoire, en or, en bronze, en argent, en ciment, décorés de pierres précieuses et de verroteries étincelantes, trônent, jambes croisées, dans les niches des pagodes. Il y en a cinq mille, disent les cicérones. Je ne les ai pas comptés, mais ce chiffre ne me semble pas exagéré.

La suprême ambition de tout Birman à l’aise est d’élever une pagode autour de la Shwe-Dagon ; le rêve du plus grand, comme du plus humble, est de venir y prier. C’est un défilé sans interruption, de jour et de nuit. On y vient de très loin ; on y loge ; on y couche ; on y mange ; on s’y repose des fatigues du lointain pèlerinage. Des échoppes, des boutiques de tous genres sont installées sur le parvis, dans les absides, les ailes, les portiques. J’y ai remarqué jusqu’à des machines à coudre Singer que manient des couturiers. Des pigeons, des corbeaux, des poules, des coqs qui s’engendrent querelle ; des chats efflanqués, des chiens faméliques et galeux, des femmes accroupies ; des enfants se roulent nus sur les dalles, jouent à la balle, au volant, crient, braillent à qui mieux mieux. Les oiseaux, les chats et les chiens, sans gêne aucune, envahissent les autels et dévorent les offrandes de riz, de pain, de biscuits et autres victuailles offertes à la divinité ; personne ne les moleste. Dès l’instant où les bêtes entrent dans l’enceinte du temple, elles deviennent sacrées : le droit d’asile divin ! Les autels sont chargés


À la Pagode de Shwe-Dagon, Rangoon.


Intérieur d’un Temple en Birmanie.

de fleurs, d’encens, de cierges. Beaucoup prient à haute

voix et égrènent des chapelets dont les grains sont uniformes, non séparés en dizaines, comme le chapelet catholique. Les prêtres, tête rasée, portent parasols, sandales et robe kaki drapée. Ils sont célibataires et habitent des monastères. De jeunes lévites de dix, douze ans, vivent avec eux et les accompagnent partout. La pratique extérieure de la religion bouddhique en Birmanie, du moins, ressemble, sous plus d’un rapport, à la pratique de la religion catholique, dit-on ; de ce fait nos missionnaires n’éprouvent pas trop de difficultés à opérer des conversions. La classe aisée et instruite, surtout, embrasse le catholicisme sans trop de peine et d’effort. Il y a plusieurs églises catholiques, une cathédrale, plusieurs écoles et institutions de charité.

Mais revenons à la Shwe-Dagon. La pagode elle-même, d’un périmètre de treize cents pieds, mesure près de quatre cents pieds de la base au sommet. Elle repose sur une plate-forme carrée de mille pieds de côté ; deux cents marches d’escalier y conduisent. C’est une énorme masse d’or ! Le parasol en or solide, le Hti, comme on l’appelle, qui couronne et abrite la pointe de la flèche, a treize pieds et six pouces de hauteur ; son poids est d’une tonne et quart ; quinze mille clochettes tintinabulent autour ; quatre mille rubis, cinq cents émeraudes, quatre cents diamants complètent l’ornementation de cet olympique riflard, évalué à plus d’un quart de million de dollars, munificence du roi Mindoon-Min, qui devait s’y connaître en parasol, car celui-ci est d’une merveilleuse beauté.

L’espace, entre la partie centrale et la plate-forme, occupé par la grande pagode et les côtés, est rempli par des pagodes de moindre importance, des colonnes, des grottes, des chapelles qui rivalisent de luxe, de richesse et d’extravagance. On estime que les cinq mille Bouddhas qui s’y trouvent valent des millions. Vous pouvez vous former un concept de la taille de Bouddha, par la dimension de son pied dont on voit une empreinte ici. Cette empreinte a trois pieds de longueur et deux et demi de largeur ! Ce devait être un fier marcheur, ce Çakya-Mouni ! Et il a marché, s’il faut en juger par le chemin qu’a parcouru sa doctrine et son expansion dans le monde.

24 février — Comparées à la Shwe-Dagon, les autres pagodes de la ville, des environs, de toute la Birmanie, en fait, de l’univers, font piètre figure ; quelques-unes, cependant, méritent une visite. Celle de Vincanna abrite un joli Bouddha de cinquante-trois pieds de hauteur qui étincelle royalement ; en effet, il porte des vêtements et des ornements semblables à ceux de la Cour de Birmanie.

Au centre de la ville, resplendit la pagode de Sulé, petite, mais élégante. Je voudrais bien connaître son histoire.

Dans un grand bazar, près de la pagode de Sulé, trois orchestres indigènes et trois ballets de danseuses rivalisent à qui mieux mieux, pour abasourdir la clientèle.

Ah ! les éléphants ! il faut les voir ! On ne vient pas à Rangoon sans voir ces braves bêtes. Voici : il existe ici de grandes cours à bois de teck, bois que l’on expédie dans toutes les parties du monde. Ce bois très dur et très lourd est de transbordement difficile. Pour exécuter ce travail, des éléphants ont été dressés à pousser, traîner, enlever, empiler, avec la trompe, la tête, les pieds, les défenses, des troncs d’arbres géants que plusieurs hommes pourraient à peine rouler. Il faut les voir haler deux, trois billots avec des chaînes, en pousser un autre en même temps, avec la trompe, et les charger à bord des navires.

Pour notre amusement et pour nous permettre de prendre des photographies, ces bonnes bêtes enlèvent, à hauteur d’homme, les lourdes pièces, nous laissent monter sur leur dos, enfourcher leur trompe et nous promènent en leur chantier. Nous en avons compté dix, dont trois ont été capturés dans la jungle, il y a deux mois. Des cornacs étaient à les dresser, à la maison d’école, qui consiste en un abri de bambou, un peu de litière, un fort pieu enfoncé dans le sol, et une chaîne


Les Éléphants à Rangoon.


Chantier de Bois de Teck à Rangoon, Birmanie.

pour retenir les captifs par la patte et les empêcher de

retourner vers la jungle dont ils pleurent le délicieux séjour. Dans six mois leur éducation sera parachevée ; ils rejoindront leurs aînés et rouleront les billots de teck.

Au jardin zoologique, un orang-outan de forte taille attire particulièrement l’attention. La collection de tigres et autres félins est des plus complète.

Il fait chaud à Rangoon, mais pas autant que je l’aurais cru. De midi à trois heures, le pavé brûle. Les nuits sont fraîches. Il n’a pas plu depuis août dernier, et l’écluse céleste ne s’ouvrira qu’en avril prochain ; c’est mystère que la verdure puisse se maintenir vivace. Les cannas, les marguerites, les passe-roses, les verbinas, les cyclamens et autres fleurs, sont de toute beauté.

Nous passons près de la prison ; les détenus, en jupes rayées, travaillent dans un grand jardin. Une boutique est en face de l’établissement ; on y exhibe et vend les produits des divers corps de métiers de l’institution, particulièrement des meubles en osier.

À cinquante milles de Rangoon, à Tamul, sur la route de Pégu, il existe un Bouddha couché, de deux cents pieds de longueur. Dans la campagne, trois Bouddhas assis, dos à dos, atteignent la hauteur de quatre-vingt-dix pieds ; ils sont en briques cimentées.

Les funérailles sont aussi élaborées et tapageuses qu’en Chine. Nous avons croisé un cortège funèbre ; la défunte, vêtue en couleur, était exposée sans voile, sous un dais. On la portait, en grande pompe, au lieu de son dernier repos où elle sera enterrée sans cercueil.

Cet après-midi, nous avons visité la pagode de Sulé et le parc Victoria où la fanfare des Rangoon Volunteers donnait un concert. Sur une avenue de l’est, rangées en bataille sur leurs vérandas, des marchandes de plaisir exhibaient leurs charmes. « Come in, please » .

Nous parcourons la banlieue et la campagne ; population bronzée, très bronzée, tirant sur le noir ; taille cambrée et traits de figure européens. La femme en mantelet et en jupe qui tombe jusqu’à terre : elle est décemment vêtue. Hommes et femmes portent des anneaux d’or et d’argent aux doigts, aux oreilles, au nez, aux bras, aux chevilles, aux doigts de pieds. Les hommes ont le torse nu. Ils portent la chevelure longue, à l’instar des femmes. Tous vont pieds nus ; les petits enfants sont nus aussi, pour la plupart. Chez quelques-uns, une chaînette tient en place une pièce de métal, en guise de feuille de vigne. Les femmes fument d’énormes cigares de tabac, ou de feuilles vertes d’une certaine plante qui, dit-on, a des propriétés médicinales, bienfaisantes pour la gorge et les poumons.

Les cheveux sont portés, par les deux sexes, en longues tresses qui tombent jusqu’au bas de la taille, ou rasés à la peau, ou relevés en toque. Ces forêts capillaires sont souvent très peuplées de vermine. Des chasseurs de parasites se livrent à leur sport favori au coin des rues, sur les places publiques, au grand soulagement du crâne de leurs compatriotes. Chez l’homme, comme chez le singe, il y aura toujours des chercheurs de la petite bête !

J’ai déjà écrit que la femme est la maîtresse incontestée, l’homme d’affaires de la maison ; le mari travaille aux champs, à la boutique. De bonnes mœurs généralement, elle se marie à quinze ans. Son indépendance est protégée par le divorce facile à obtenir ; le consentement mutuel suffit. La plainte de la femme prime celle du mari. Au cas de séparation, les parties reprennent leur apport dans la communauté et partagent, à parts égales, ce qu’ils ont gagné ensemble durant la vie commune.

En Birmanie, les deux sexes portent le jupon ; la question du port de la culotte dans le ménage est ainsi résolue. L’homme travaille ; la femme mène la besogne et les affaires. Et nos suffragettes qui ont la prétention d’innover !!!

Rangoon est le paradis des corbeaux qui y croassent du petit jour à la nuit. Ils sont par milliers, partout, jusque dans les maisons ; le matin, de bonne heure, ils viennent, dans votre chambre, vous chanter qu’il est grand jour. Les gens leur donnent la pâture ; dans les rues, du riz est déposé ici et là, sur des petites tables, pour leur délectation. Ne laissez rien qui brille à la portée de maître corbeau qui s’en emparera de suite, ou vous verrez votre dé d’argent, vos épingles ou vos cuillères au bec de cet audacieux voleur, perché sur la branche de l’arbre voisin.

Je me suis enquis de la raison pour laquelle la population souffrait de se laisser écorcher les oreilles par le croassement de tant de corbeaux. Il me fut répondu qu’en outre de leur caractère sacré, ces oiseaux désagréables remplissaient aussi l’office de vidangeurs en dévorant les immondices, les détritus de la ville. D’après ce que mes yeux ont vu, ils le remplissent bien mal. Chacun sa manière de payer la taxe. Ces gens préfèrent se faire déchirer le tympan et essuyer des cartes de visite partout que de payer un salaire aux ramasse-tout ; à ce compte, ils ont peut-être raison, ces bons Birmans ; car, il est écrit que les corporations municipales, en chaque pays, auront leurs corbeaux ; l’espèce seule varie.

25-26 février — Nous visitons les bazars où tissus, légumes, tabacs, vaisselles, meubles, quincaillerie sont amoncelés. Sur les piles, les marchands accroupis attendent et servent la clientèle en fumant leurs cigares, longs de douze pouces.

Sur les arbres, un peu partout, dans les villes, les villages, la campagne, de petites chapelles rudimentaires, coquettes maisonnettes pour les oiseaux, sont dédiées par les Birmans aux nats, esprits malins qu’il s’agit de rendre propices ou moins malfaisants. Ils sont imbus des superstitions les plus étranges. Ils sont fiers et professent un grand mépris pour les Européens ; à voir comment la plupart de ces derniers se comportent à leur égard, je ne puis blâmer les Birmans. Ils prennent bien l’argent qu’on leur donne après service rendu, mais si vous leur en offrez pour faire quelque chose, ils s’en formalisent et refusent avec indignation.

Les voitures sont des plus originales ; les camions sont montés sur des roues de six à sept pieds de hauteur. Les voitures de place, à quatre roues et persiennes closes, de couleur brun acajou, ont l’apparence de chariots de cirques. Les bœufs et quelques rares chevaux tirent dans les timons.

Le coup de poignard dans le dos met fin à bien des querelles, et le vol n’est pas inconnu en Birmanie. Notre navire conduit à Calcutta un indigène de Rangoon, les menottes aux mains et enchaîné à son bagage. Il a joué du couteau.

Six femmes, complètement voilées par le yakmak, long vêtement blanc, qui leur couvre tout le corps et ne laisse voir que les yeux, par deux trous grillagés, accompagnent leur unique époux. Ce sont les premières du genre que nous voyons en Orient. Elles ne peuvent marcher sans être conduites par la main, les pauvres ! Ce n’est pas facile ni prudent de flirter avec ces dames, si j’en crois ce que nous raconte la femme d’un officier qui fait le voyage avec nous.

Nous avons visité la Birmanie dans la meilleure saison, la saison sèche. Lorsque la pluie commence à tomber, ce pays devient une véritable étuve ; en quelques heures, une mousse verte croît sur votre linge et vos chaussures qu’il faut faire sécher au feu du fourneau ; l’air et le vent ne suffisent pas.

Nous revenons au bateau où nous sommes accueillis à bras ouverts par les officiers dont nous nous sommes faits des amis. L’un d’eux, M. D… R…, a reçu une partie de son éducation en France, à Elbeuf, près Rouen. Il parle bien le français, malgré que, depuis sept ans, il n’ait eu l’occasion de ne le parler que quatre fois, me dit-il. Il a lu beaucoup d’ouvrages français ; il nous en prête quelques-uns. C’est un causeur intéressant, très aimable et très gai… pour un Écossais. Nous passons d’agréables quarts d’heure ensemble.

Le soleil baisse à l’horizon ; les pointes aiguës des pagodes dorées lancent leurs derniers reflets et disparaissent dans la nuit.

Adieu, charmante Birmanie ; reste avec les Anglais, en attendant de meilleurs jours. Eux seuls, parmi les peuples actuels, te comprennent et sont en mesure de te protéger.

À cinquante milles, nous stoppons, pour permettre au pilote de regagner sa goélette. Il descend dans la nuit noire, au flanc sombre du bateau, par l’échelle de corde suspendue et dont l’extrémité trempe dans la boue plus noire encore de la rivière Rangoon. La chaloupe qui le reçoit est manœuvrée par huit rameurs indigènes dont les figures sinistres reluisent comme du bronze, aux reflets de la lanterne. Ils sont coiffés de bonnets rouges noués sur la nuque et portent des coutelas dont l’acier brille à la ceinture ; on dirait des pirates. Le pilote, vêtu de blanc et coiffé du helmet, semble comme une capture de ces bandits.

Des projecteurs électriques éclairent la route. Nous mettons le cap sur Calcutta dans la direction nord-ouest. Au nombre des passagers se trouve le major S…, un veuf qui avait épousé une canadienne de Québec, et M. R…, un planteur de thé de Neilsonville, aux Indes ; ce dernier a un beau-frère à Québec. Nous causons de la vieille cité de Champlain, va sans dire. M. R… me fait voir une série de photographies prises à Québec, sous la neige ; c’est rafraîchissant. Il connaît bien sir Lomer Gouin, les honorables Taschereau, Carrel, Mitchell, sir William Price, et autres. Nous nous délions la langue.

Il existe en Birmanie, comme dans tout l’Orient, une classe bien malheureuse, celle des Eurasiens. L’adjectif eurasien est formé de la particule eur du mot Europe et du mot Asie : eur-asie. Ce sont les enfants issus des mariages entre Européens et Asiatiques. Au point de vue ethnique, le mot européen signifie de race blanche, et asiatique de race de couleur. Ces personnes sont rejetées de tout le monde. On m’a cité, à Rangoon, le cas d’un employé de banque qui a fait des avances à une beauté eurasienne. Les autorités de la banque lui ont intimé d’avoir à faire son choix entre sa flamme et son emploi. Le produit de ces deux races est en général très beau, mais on dit que ces personnes n’ont d’estimable que leur beauté et qu’elles portent en elles-mêmes les tares des deux sangs. Nous en avons une à bord, fort jolie, une fillette. Elle paraît être beaucoup mieux que certaines blanches qui sont loin d’être un sujet d’édification. Préjugés de races, le monde en est rempli !

Nous voguons sur les eaux bleues de la baie de Bengale, en route pour Calcutta.

27-28 février — La mer est relativement calme ; les vagues, éclairées par la pleine lune, ont des resplendissements d’argent. Le ciel de l’équateur, toujours nouveau pour nous, découvre des constellations cachées aux mortels des régions boréales. La vie à bord est des plus agréables. Les Anglais ont bien leurs défauts, mais, comme navigateurs, ils sont incomparables. Voilà pourquoi Britannia rules the waves. Nous rencontrons des steamers et quelques voiliers. D’énormes marsouins folâtrent tout autour, prennent leurs ébats et piquent une tête dans la grosse vague de la proue. Les petits poissons volants filent à tire-d’aile, comme des fuseaux d’argent.

Nous serons à l’embouchure de la rivière Hougly vers minuit. Nous jetterons l’ancre en attendant le jour, à cause de l’extrême difficulté de naviguer dans ces eaux chargées de sables ; le chenal est incertain. Le grand danger que nous courons est l’échouage, dans la boue, il est vrai, mais l’échouage tout de même ; ce ne serait pas gai. À moins de contretemps, nous serons à Calcutta demain, vers quatre heures de l’après-midi. Qu’il fait donc bon ! L’air est de velours. S’il n’y avait pas tant à voir, sur terre, quel rêve charmant ce serait de toujours être bercés sur une mer si douce !

À midi, nous avons parcouru deux cent quatre-vingt-dix milles. Notre position est 9°-27′ latitude nord et 90°-06′ longitude est. Le nord est complètement déplacé, maintenant. Nous le voyons du côté opposé de chez nous. Je cause marine, géométrie, trigonométrie et astronomie avec les officiers. Belles heures perdues de mes jours de collège, combien je vous regrette ! Si jeunesse savait ! Mais on ne peut tout retenir, tout conserver. L’oubli a quelquefois du bon ; il faut bien que cette pauvre tête se repose et que la mémoire ne soit pas toujours chargée.

Si je pouvais apporter avec moi une tranche du beau soleil des tropiques, comme je l’utiliserais avec avantage, durant les jours froids et sombres qu’il fait au pays, en ce mois de février, trop court ici, trop long là-bas ! Que nous réserve mars qui commence demain ?

1er mars — Au petit jour, le lourd grincement de la chaîne de l’ancre dans les écubiers nous fait sursauter dans nos couchettes. Nous repartons pour remonter l’Hougly, l’une des rivières les plus serpentines que j’aie encore explorées. Au-dessus de la forêt de palmiers qui couvre la plaine et ombrage les bords de la rivière, défilent en tous sens les mâtures des bateaux qui nous précèdent. À droite, à gauche, des mâts penchés et des cheminées inclinées comme des tours de Pise marquent des sinistres, les tombes humides où reposent les victimes du fleuve sacré. La végétation, les kampongs de paille et de feuilles, les sampans rappellent Java. À tribord, on signale le palais, les dépendances, le harem du feu roi de l’Oudh, restes d’une splendeur disparue baignant leurs fondations dans la boue de l’Hougly ! C’est maintenant une fabrique de jute. Sic transit gloria mundi.

À 7 heures p.m., nous mettons le pied sur la terre des Indes.