Voyage au pays de la quatrième dimension/La lévitation universelle

Bibliothèque-Charpentier (p. 131-137).

XXI

LA LÉVITATION UNIVERSELLE

Ce ne fut guère qu’à la fin du vingtième siècle que l’homme commença à dominer la nature et à commander réellement à l’univers. Jusque-là, il n’avait guère fait de progrès, et c’était à peine si l’on pouvait établir de différence entre l’homme des cavernes et l’homme tel qu’il vivait, ignorant tout de lui-même et du Léviathan qui l’entourait, au début du vingtième siècle.

Il suffit de rappeler, par exemple, la stupidité et l’incompréhension générales que rencontra le retour périodique de la comète de Halley en 1910. Les hommes de ce temps-là attachaient moins d’importance peut-être à cet événement astronomique que ne l’eussent fait des pâtres chaldéens vivant quelques milliers d’années avant eux. Nulle conclusion scientifique ne fut tirée de cette rencontre importante ; personne, à plus forte raison, ne songea à utiliser pratiquement, dans un but industriel ou scientifique, le providentiel passage de l’astre errant.

Et cependant, les hommes d’alors n’avaient point l’excuse d’ignorer encore la radio-activité et cela seul eût dû les mettre sur la voie des découvertes merveilleuses qui devaient suivre quelques années plus tard.

Lorsque l’on compare cette indifférence extraordinaire à l’effarante activité qui régna en 1980, lorsque l’on entreprit la capture de la comète, on demeure véritablement confondu en songeant au pas gigantesque fait par l’humanité en ce court espace de temps. Ce pas gigantesque, il faut bien le reconnaître, fut entièrement dû à la découverte sensationnelle des lois générales de la lévitation universelle qui, complétant celles de la gravitation connues seules jusqu’alors, donnèrent la clé générale de tout l’univers.

Ce fut, en somme, la révélation définitive des origines des mondes, l’explication complète des forces matérielles ; ce fut, à n’en point douter, le point de départ de la véritable science universelle. Comment n’y avait-on pas songé plus tôt ? Il est véritablement permis de se le demander avec étonnement.

Kepler seul semblait s’être préoccupé des lois de l’énergie, mais c’était avec l’indifférence véritablement la plus surprenante que Laplace s’était empressé de laisser entièrement cette question de côté. La loi de Newton suffisait à tout expliquer. De même que les religions anciennes supposaient, à l’origine du monde, un deus ex machina, chargé de donner l’impulsion primitive à la création, de même les physiciens s’étaient empressés d’admettre comme un axiome indémontrable l’énergie de la matière, le mouvement primitif et rectiligne des nébuleuses.

Ce point de départ, une fois admis sans discussion, la gravitation universelle suffisait à rendre compte de tout le reste pour la formation des mondes. La nébuleuse primitive, agitée d’un mouvement de rotation, détachait successivement des anneaux sous l’influence de la force centrifuge, ces anneaux se rompaient comme des anneaux de fumée, et, sous l’influence de l’attraction, se condensaient en sphères formant des planètes. Lorsque le noyau central était de dimensions suffisamment restreintes, pour ne point détacher de nouvel anneau, il se condensait à son tour en soleil central.

Tout cela était fort exact, mais personne ne songeait à se demander un instant d’où venait cette force centrifuge qui formait ainsi chaque système solaire et qui, se composant ensuite avec l’attraction, permettait à chaque planète de décrire régulièrement son ellipse autour du soleil central.

Le plus étrange, ce fut que le mouvement des comètes n’éveillât point l’attention et que l’on continuât à le considérer comme relevant uniquement de la gravitation universelle. Les comètes décrivaient de traditionnelles ellipses ; elles étaient attirées et déviées par les planètes ; elles rentraient donc dans le système universel. On n’ignorait point cependant combien leur masse de faible densité devait être impressionnée par le voisinage des planètes, et l’on ne s’étonnait point cependant qu’elles ne fussent point happées au passage par l’attraction formidable des mondes.

Arago avait constaté cependant que la matière cométaire entrait fréquemment dans notre atmosphère, sans danger, et que nous pouvions, sans nous en apercevoir, traverser la queue d’une comète.

Laplace, lui aussi, avait expliqué que des comètes, très probablement, enveloppaient fréquemment la terre sans être aperçues. À cela, rien d’étonnant, puisque le vide relatif produit par la machine pneumatique la plus parfaite est encore beaucoup plus dense que la substance cométaire ; mais alors, comment expliquer que la terre n’ait point retenu toujours au passage, par sa formidable attraction, des comètes passagères ?

Sans doute, a-t-on expliqué, Laplace le premier, que notre monde devait être entouré d’innombrables comètes retenues au passage, et qu’au-dessus de notre atmosphère, se trouvait un véritable cimetière de comètes ; il n’en est pas moins vrai que beaucoup d’entre elles, que l’on perçoit à l’œil nu, ou par le télescope, s’échappent et ne subissent que très légèrement notre attraction.

Avec la découverte des lois de la lévitation universelle, tous ces problèmes devinrent d’une clarté évidente. Du jour où l’on connut exactement, grâce à l’étude plus approfondie de la radio-activité et de la lumière, les phénomènes de dissociation de la matière, on comprit quelle force rectiligne formidable possédaient les comètes, à l’exemple des nébuleuses primitives. On comprit également tout le parti que l’on pouvait tirer de cette force radiante pour l’alimentation des machines et de l’industrie et ce problème, à la fin du vingtième siècle, prit une importance de tout premier ordre.

Du jour, en effet, où l’on avait commencé à dissocier la matière terrestre dans de grandes proportions, pour en extraire l’énergie utile, on avait remarqué, avec stupéfaction, une légère augmentation des jours, puis de l’année, c’est-à-dire un léger ralentissement de la terre autour du soleil. Ce ralentissement, dû à la dissipation d’une partie de notre force centrifuge, n’avait pas été tout d’abord suffisamment remarqué. Par compensation, en effet, l’attraction s’était fait sentir et avait, proportionnellement, rapproché la terre du soleil, rétablissant ainsi, à peu de choses près, l’égalité des jours.

Ce fut seulement par des erreurs fréquentes dans les calculs astronomiques, que l’on s’aperçut bientôt de ce léger changement de position de la terre. Il n’en devenait pas moins urgent de réparer autant que possible ces pertes d’énergie centrifuge ; et l’on songea tout aussitôt à capter la force radiante des comètes. Ce fut le triomphe de la science nouvelle que de dériver, en 1986, une partie de l’énergie de la comète de Halley ; ce fut, à proprement parler, je le répète, le premier acte de royauté véritable que l’homme exerça sur l’univers.

Il y eut même, comme toujours, à ce moment-là, des excès vite réprimés. Dans le premier élan de triomphe, on alla jusqu’à utiliser toute cette force centrifuge, nouvellement emmagasinée, et on s’amusa, par pur orgueil, à augmenter dans des proportions considérables la vitesse de rotation de la terre : les journées ne furent plus que de quelques heures ; jusqu’au jour où la vitesse de rotation ayant été exactement de dix-sept fois la vitesse primitive, on télégraphia avec effroi, de l’Équateur, que les hommes et les choses n’adhéraient plus à la surface du sol. On en revint alors, progressivement, à la vitesse ancienne, et l’on se contenta d’emmagasiner, comme avant, les forces nouvelles pour les seuls besoins de l’industrie sans plus songer à la direction de la terre un moment entrevue.