Monnoyer (p. 178-182).

Observations générales sur les végétaux.

À la Guadeloupe, comme dans toute la zone torride, les végétaux sont couverts de feuilles toute l’année, et l’aspect des campagnes au mois de janvier est le même qu’au mois de juin, tandis que, dans nos climats, l’automne vient dépouiller les plantes de leur ornement et les champs de leur verdure, et que pendant cinq mois la nature, plongée pour ainsi dire dans une inertie absolue, semble abandonner son empire aux fiers enfants du nord. Mais si, comme le colon, l’Européen n’a pas toujours sous les yeux la scène magnifique d’une riche et pompeuse végétation ; si celui-ci n’a pas, comme celui-là, l’avantage de pouvoir, en toute saison, orner sa table de beaux fruits fraîchement cueillis, ou de respirer le doux parfum des fleurs nouvellement écloses, qu’il en est bien dédommagé par la vivacité du plaisir qu’il éprouve au retour du printemps, quand aux neiges, aux glaces, aux frimas d’un hiver rigoureux, il voit succéder les beaux jours ! Quel charme produit sur les sens le réveil de la nature ! tout s’anime, tout renaît, les ruisseaux reprennent leur cours, les bois se couvrent d’un nouveau feuillage, les prairies reverdissent, les parterres s’émaillent de mille fleurs, les campagnes s’embellissent ; l’habitant des zones tempérées goûte alors un bonheur inconnu au créole, parce que chez celui-ci l’habitude de jouir émousse le sentiment.

Les plantes, en général, sont plus garnies de feuilles qu’en Europe. Dans presque toutes les espèces, les feuilles ont leur surface supérieure lisse et luisante. Cette propriété se remarque surtout sur les feuilles du cafier, du pois doux, du savonnier, du pommier de liane, de la canne à sucre, du sapotiller, du manguier, du cocotier, du palmiste, du dattier et d’une foule d’autres. Les fleurs ont moins de parfum, beaucoup même n’en ont point du tout, mais leurs couleurs sont beaucoup plus vives. Rien n’est beau comme les fleurs de la baraguette, de l’immortelle, du frangipanier, du balisier, de la quadrille (herbacée commune dans les environs de la Basse-Terre).

En s’élevant du rivage jusqu’au sommet des montagnes, on remarque une différence frappante dans le caractère des plantes et des fleurs ; en sorte qu’on est tout étonné de ne plus trouver sur le sommet des montagnes que des espèces tout à fait inconnues dans les basses régions. On se croit transporté dans un climat nouveau, et pourtant la différence de température n’est pas extraordinaire, comme je le ferai remarquer ailleurs.

Le vent d’est, vent régnant, fait prendre aux branches de certains végétaux la direction de l’est à l’ouest. Cet accident se remarque principalement sur le calebassier, et c’est un moyen très-commode de s’orienter dans certains cas.

Le sommeil des plantes est très-sensible sous ce ciel brûlant. Il semble que la nature, fatiguée de plus grands efforts, y marqué mieux son repos que partout ailleurs. À peine le soleil a-t-il terminé sa carrière, qu’on voit les feuilles et même les plus faibles rameaux s’incliner doucement, les folioles se rapprocher jusqu’à ce qu’au retour du matin les premiers rayons de l’astre du jour viennent en ranimer les ressorts et leur rendre leur première énergie.

La végétation est si active, qu’on est souvent obligé d’en ralentir les progrès dans les espèces à fruits. Pour cet effet, on pratique des entailles sur l’écorce, et, chose qui m’a singulièrement étonné, j’ai vu un manguier auquel on avait enlevé un anneau d’écorce sans qu’il ait rien perdu de sa vigueur. Ce qui ferait croire, malgré les nombreuses expériences qu’on a faites à cet égard, que ce ne serait point à l’écorce toute seule que la plante devrait son développement, et que l’élaboration et la distribution de la séve se feraient aussi bien dans les couches ligneuses, au moins dans les plus jeunes et les plus tendres, que dans les couches corticoles.

Les arbres ne sont pas aussi sujets aux maladies que dans nos climats. On n’y voit point, ou que très-rarement, ces chancres, ces déviations de séve qui défigurent presque toujours les nôtres.

Il est bien peu d’arbres dans les bois qui ne soient plus ou moins chargés de plantes parasites de diverses espèces. Les nègres appellent grands mouchés (grands messieurs) ces parasites, qui vivent aux dépens des plantes sur lesquelles elles se développent.