Monnoyer (p. 46-48).

Population.

Rien ne doit tant varier dans les colonies que l’état de la population, tant à cause des ravages qu’y exercent les maladies occasionnées par l’inclémence du ciel, qu’à cause du nombre de ces malheureux esclaves que le commerce y introduit tous les jours ; d’après les renseignements que je pris à cet égard, au bureau du domaine, en 1818, il paraît que les dénombrements présentaient alors les résultats suivants :

Blancs.
À la Guadeloupe proprement dite 4,719
À la Grande-Terre 6,374
Gens de couleur libres.
À la Guadeloupe proprement dite 3,284
À la Grande-Terre 4,569
Esclaves.
À la Guadeloupe proprement dite 28,750
À la Grande-Terre 40,417
Total de la population 88,113

Ce tableau pouvait être fidèle quant aux blancs et aux gens de couleur libres ; quant aux esclaves, je pense que le gouvernement n’en connaît jamais exactement le nombre ; la raison en est simple : c’est sur le nombre des esclaves qu’on assied les impositions ; chaque propriétaire se procure au bureau du domaine, et remplit lui-même, une feuille de dénombrement dont voici la tête.

Esclaves.
Noms et surnoms. Couleur. Age. Têtes de 14 à 60 ans. Têtes au-dessous de 14 ans. Infirmes et sexagènes. Observations.

Or, quiconque connaît un peu les hommes sent qu’en pareil cas il est bien difficile que ces déclarations soient sincères ; et j’ai plus d’une raison pour croire qu’en effet elles ne le sont jamais ; d’ailleurs, cette foule de nègres nouveaux qu’on y introduit journellement, comment les déclarer sans provoquer les rigueurs d’un gouvernement sage, qui défend formellement la traite, comme un outrage fait à la nature et comme une violation des saintes lois de l’humanité.

Tout le monde ne sait ce qu’on entend par gens de couleur : il est bon de le faire connaître. Ce ne sont pas seulement les noirs qu’on nommé ainsi, mais encore toute personne née soit immédiatement soit médiatement du commerce impur d’un blanc et d’une femme noire. Dans cette race, on remarque une infinité de nuances différentes, et, par un assez petit nombre de générations, la couleur noire disparait tout à fait ; j’ai vu des quarteronnes qui rivalisaient de blancheur avec les plus belles créoles ; et combien, à la Guadeloupe même, la fortune et le temps en ont-ils fait passer de cette classe dans celle des blancs !

Les gens de couleur, dans cette dernière acception, font peut-être les trois cinquièmes de la population, triste effet d’un libertinage effréné.