Monnoyer (p. 41-46).

Quartiers, habitations, manière de construire.

La Guadeloupe est divisée en vingt et un quartiers ; chaque quartier a un commandant civil et militaire ; ce commandant remplit en même temps les fonctions d’un capitaine et celles d’un maire ; il commande la milice et la met en mouvement, quand il le juge à propos, pour la police de son quartier ; il est seulement obligé d’en instruire le gouverneur ; il indique aux habitants la partie des chemins qu’ils doivent réparer ; il met en réquisition leurs nègres et leurs mulets pour faire les corvées publiques ; tout ce qui regarde enfin le civil et le militaire roule sur lui ; c’est ordinairement un des notables du quartier qu’on choisit pour remplir cette charge, mais ce n’est pas toujours sur le plus vertueux et le plus habile que tombe le choix, c’est ordinairement sur celui qui sait le mieux, par ses flatteries ou ses présents, s’insinuer dans l’esprit du gouverneur.

Chaque quartier, ou à peu près, a son église, mais il ne faut pas croire qu’il offre, comme nos bourgs, une réunion de maisons. Les habitants demeurent et ont leurs établissements sur leurs terres, et on ne voit près de l’église que quelques petites maisons isolées, dont une est toujours habitée par un maréchal, et les autres par divers petits marchands qui, pour la plupart, achètent des esclaves les objets qu’ils dérobent à leurs maîtres, comme rhum, sucre, café, etc ; dans beaucoup de quartiers, on trouve un billard, et ce n’est pas le lieu le moins fréquenté par messieurs les créoles.

J’ai dit que les habitations sont situées sur les terres de chaque habitant, donc elles sont éparses et, autant que les localités le permettent, bâties au centre de chaque propriété, presque toujours sur des éminences. La maison de maître occupe le point le plus élevé, elle est précédée par une savane ; les cases à nègres et les usines sont sous le vent, c’est-à-dire à l’ouest de la maison de maître, afin que, si un incendie venait à s’y manifester, la maison n’en fût atteinte ; les cases à nègres sont rangées sur une ou plusieurs lignes, ce qui figure une ou plusieurs rues ; et sur les grandes habitations, elles offrent l’aspect d’un village couronné par le château du seigneur. Là, le créole est souverain, on n’y connaît pour lois que sa volonté ; d’un seul regard il fait trembler tout son peuple, et, chose étonnante, la justice, qui partout ailleurs exerce son empire sans exception, et qui va même jusque sur le trône interroger les rois, la justice ne saurait atteindre l’habitant créole ; son indépendance est absolue ; chez lui, il se rit du pouvoir comme il brave les foudres de la justice ; il n’a à redouter ni visites domiciliaires ni saisie réelle ; aussi ces messieurs ne satisfont-ils leurs créanciers que quand ils le veulent ; je pourrais citer une foule d’anecdotes à l’appui de ce que je dis ici, mais mon indulgente humeur me fait une loi de passer outre sur ces faiblesses humaines.

En général, dans les Antilles, les maisons sont construites en bois ou en moellon ; elles sont basses à cause des tremblements d terre plus ou moins forts qui se font sentir fréquemment, et des ouragans terribles qui bouleversent parfois ces fertiles contrées. Sur les habitations, c’est-à-dire à la campagne, elles n’ont ordinairement que le rez-de-chaussée ; dans les villes elles ont un étage ; on en voit pourtant, parmi celles qui sont construites en pierre, qui ont deux étages ; mais, parmi celles qui sont en bois, il n’en est peut-être pas qui ait deux étages ; elles sont toutes couvertes ou en tuile ou en essentes ; les portes et les fenêtres n’ont point de vitrage, elles n’ont que des jalousies et des volets. À la Guadeloupe proprement dite, on construit avec des roches arrondies, fort dures, grisâtres, qu’on trouve en grande quantité, ou sur certains endroits du rivage, ou dans le lit des rivières, et qui ne sont autres que des fragments de lave antique roulés et usés par les eaux ; ces roches, liées par un mortier fait avec des sables volcaniques et de la chaux, offrent une grande solidité ; mais ces constructions ne résistent guère à une forte secousse de tremblement de terre ; les maisons de bois offrent donc un asile beaucoup plus sûr contre les tremblements de terre et les ouragans ; les maisons dans la campagne n’ont que le rez-de-chaussée, parce qu’étant plus isolées et plus élevées, elles sont beaucoup plus exposées à l’action destructive des deux causes dont je viens de parler.

Sur chaque habitation il y a ordinairement une case à ouragan ; elle est située à peu de distance de la maison de maître ; elle est petite, très-basse, abritée autant qu’il se peut du vent d’est, ou présentant un angle à ce point ; elle est construite en pierre ou en bois ; dans le premier cas, les murailles ont une épaisseur double ou triple de celles des maisons ; dans le second, les jambes de force, les poteaux sont multipliés à l’infini ; elle est couverte en tuiles jointes par du mortier, ou en essente ; sur cette première couverture en repose une autre de feuilles de canne à sucre, sèches et solidement fixées avec de fortes perches ; cette case n’a qu’une ouverture, et cette ouverture est à l’ouest, parce que c’est ordinairement à ce point que les ouragans expirent ; c’est dans cette case que les blancs et quelques noirs privilégiés se retirent durant la fougue du vent, et là un bon jambon d’Europe, une pièce de bœuf salé, la moitié d’un mouton bien tendre, quelques bouteilles de Médoc, de rhum et de Madère, consolent du mauvais temps.

Les cases à nègres ne sont que des chaumières qui ressemblent moins à des demeures humaines qu’à des étables ; elles sont petites, sans plancher, sans solidité, et couvertes en feuille de canne.

Coupe verticale d’une case à nègre.