Imprimerie du Devoir (p. 33-34).


LES BOHÉMIENS


Ils viennent d’entrer au village,
Et se sont campés dans un champ.
Ils ont très vulgaire étalage
Mais n’ont pas visage méchant.

C’est très drôle de voir la vie
Qu’ils font : manger, danser, fumer,
N’avoir pas de haine et d’envie,
Et sans se connaître s’aimer.

Quand les ténèbres sont venues
Ils font un feu de bois dormants,
Et les fillettes ingénues
Y causent avec leurs amants.


Les femmes n’ont pas de toilette,
Toutes le même accoutrement :
Un petit châle en flanellette,
Sur l’épaule, négligemment…

Plusieurs d’entre elles sont jolies,
Avec dans les yeux des éclairs,
Le sourire aux mélancolies,
La bouche large, et les cils clairs.

Ils prennent peu de nourriture,
Et dorment sous le firmament.
Ils ont l’amour de l’aventure,
Du hasard et du mouvement.

Quand on les voit on dit : « Chimère
De courir ainsi le chemin !… »
Mais la pensée est moins amère
Sans le souci du lendemain…

C’est peut-être très beau de vivre
En ce continuel départ,
Et, n’ayant nul rêve à poursuivre,
De ne s’attacher nulle part !