Ls.-A. Proulx (p. 271-274).

LE KENT HOUSE AU SAULT MONTMORENCY, PRÈS QUÉBEC



W HAT’S in a name, dit le proverbe anglais. Kent House ! Voici un nom qui dit beaucoup, et, pourtant, le duc de Kent n’a fait que passer dans cette maison. D’ailleurs, l’hôtellerie du sault Montmorency porte le nom de Kent House depuis 1890 seulement, soit moins de quarante ans.

Étudions l’histoire du Kent House, d’après les pièces écrites réunies par feu M. P.-B. Casgrain. C’est encore le meilleur moyen de démêler le vrai du faux dans la réclame considérable faite autour de cette maison dans un but purement commercial.

Le général Frederick Haldimand, nommé gouverneur en juillet 1778, trouva si beau et si pittoresque le site qui environnait la chute Montmorency qu’il décida de bâtir une villa en cet endroit pour y passer la belle saison. Le 9 mai 1770, l’honorable François Baby achetait pour lui des frères Raphaël et Pierre Vachon une terre d’environ trente arpents en superficie située du côté sud-ouest de la chute, à partir du fleuve jusqu’au sault, et bornée du côté nord-est à la ligne sud-ouest de la terre de Ange Garnier. Le 29 mars et le 10 avril 1781, le gouverneur Haldimand faisait l’acquisition de trois autres pièces de terre avoisinantes afin d’agrandir son domaine. Ces différents achats lui coûtèrent une somme totale de 15,750 livres.

Le gouverneur Haldimand se construisit, la même année, une maison de belle apparence près de la chute. Il y ajouta, l’année suivante, un belvédère ou une espèce de balcon, appuyé sur huit énormes poutres, qui se prolongeait presque au-dessus de la chute. Madame de Riedesel, dans ses Mémoires, nous laisse presque entendre que ce fut à sa suggestion que le gouverneur Haldimand fit construire cet original belvédère. Haldimand était célibataire, riche, très aimable pour le beau sexe. Il n’est pas impossible qu’il ait construit ce belvédère pour faire plaisir à madame de Riedesel qui était une charmante personne.

Le Kent House au sault Montmorency, près Québec

En novembre 1784, le gouverneur Haldimand laissait le Canada pour n’y plus revenir. Sa villa de la chute Montmorency semble avoir été inoccupée ensuite pendant six ou sept ans.

C’est peu après son arrivée à Québec, en 1791, que le duc de Kent loua la villa de Haldimand. Le père de la reine Victoria était l’ami intime de l’honorable M. de Salaberry, père du héros de Châteauguay. La famille de Salaberry habitait alors Beauport, à deux milles à peine de la chute Montmorency. Le duc de Kent dut louer la villa de Haldimand pour se rapprocher de la famille de Salaberry qu’il visitait presque chaque jour.

Le 25 juillet 1797, Ralph-Ross Lewin, capitaine au 24ème régiment de ligne puis major de Québec, achetait la maison Haldimand, devenue la propriété d’un neveu de l’ancien gouverneur, Anthony-Francis Haldimand, pour la somme de 600 louis. Sir Frederick Haldimand était décédé à Londres en juin 1791 et avait laissé tous ses biens à son neveu.

Lewin ne garda pas son acquisition longtemps. Moins de quatre ans plus tard, le 3 mars 1801, il vendait sa propriété à MM. Mathew Lymburner et Crawford, négociants, de Québec.

Ceux-ci, à cause de difficultés financières temporaires, n’ayant pas pu payer leur achat en entier, la propriété Haldimand fut vendue par le shérif le 29 octobre 1804 et adjugée à Patrick Langan par titre du 22 mars 1805.

L’honorable Antoine Juchereau Duchesnay, seigneur de Beauport, fit alors valoir le droit de retrait que lui accordait la loi seigneuriale, et Patrick Langan dut lui remettre son acquisition.

Le 20 septembre 1805, le seigneur Duchesnay faisait une nouvelle concession de toute l’ancienne propriété Haldimand à sir John Johnson, baronnet, de Montréal.

Après sir John Johnson, M. Peter Paterson devint propriétaire de la maison Haldimand et de ses dépendances. On sait que M. Paterson établit avec le pouvoir de la chute Montmorency un moulin à scie considérable qui employait bon nombre d’artisans. Il construisit des quais et des estacades qui existent encore mais s’en vont en ruine.

Après la mort de M. Paterson, ses entreprises furent continuées par son gendre, M. George Benson Hall. L’industrie du bois, toutefois, est entièrement disparue des environs de la chute Montmorency.

C’est vers 1890 qu’une compagnie de chemin de fer a fait l’acquisition de l’ancienne maison Haldimand et de ses dépendances pour exploiter le tout comme un parc d’amusements. C’est elle qui a donné à la maison le nom de Kent House. Celle-ci avait plutôt porté le nom de Kent Lodge pendant la courte occupation du duc de Kent.

Il ne faudrait pas croire, non plus, que le Kent House actuel date de 1781. La maison a été considérablement agrandie, améliorée, embellie[1].

  1. À consulter sur l’histoire du Kent House au sault Montmorency, une étude de M. P.-B. Casgrain dans le Bulletin des Recherches Historiques, vol. XIX, p. 3.