Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 5/Jules Romain

Traduction par Léopold Leclanché.
Vies des peintres, sculpteurs et architectesJust TessierTome 5 et 6 (p. ill.-71).

Jules Romain.

JULES ROMAIN,

PEINTRE.

Des nombreux et habiles élèves de Raphaël, aucun n’imita avec autant de bonheur que Jules Romain la manière, la composition, le dessin et le coloris du grand peintre d’Urbin. Jules se montra aussi supérieur à tous ses rivaux par son savoir, par son exécution ferme et assurée, que par sa vaste et brillante imagination (1).

Cet artiste était doué d’un caractère si affable et d’une humeur si gaie et si agréable, que Raphaël lui porta toujours une affection vraiment paternelle, et l’employa dans ses plus importantes entreprises. Ainsi, lorsqu’il peignit pour Léon X les loges du Vatican, il le chargea d’exécuter plusieurs peintures dont il avait lui-même fait les dessins ; nous citerons, entre autres, la Création d’Adam et Ève, la Construction de l’arche de Noé, le Sacrifice, et Moïse sauvé des eaux par la fille de Pharaon. Dans la salle de Torre Borgia, où se trouve l’Incendie de Borgo, Jules aida Raphaël à peindre le soubassement, la comtesse Mathilde, le roi Pepin, Charlemagne, Godefroi de Bouillon, roi de Jérusalem, et d’autres bienfaiteurs de l’Église : une partie de ce sujet a été gravée, il y a peu de temps, d’après un dessin de Jules Romain. Il termina encore la plupart des fresques de la galerie d’Agostino Ghigi, et travailla à un magnifique tableau à l’huile de Raphaël, représentant sainte Elisabeth (2). Ce chef-d’œuvre fut envoyé au roi de France avec une sainte Marguerite (3) et le portrait de la vice-reine de Naples (4), dont la tête a été peinte par Raphaël, et le reste par Jules Romain, qui exécuta aussi presque entièrement la sainte Marguerite sur le dessin de son maître. Ces ouvrages plurent beaucoup au roi, et sont à Fontainebleau dans sa chapelle.

Après avoir appris les choses les plus difficiles dans l’art de peindre, que Raphaël lui enseignait avec amour, Jules parvint bientôt à savoir mettre en perspective les édifices, à les mesurer et à en faire les plans. Parfois aussi, Raphaël, après lui avoir simplement donné l’esquisse de ses inventions, les lui faisait rédiger en grand pour s’en servir dans ses compositions d’architecture. Ainsi, peu à peu, prenant goût à ce travail, Jules Romain ne tarda pas à devenir très habile.

Jules Romain et Giovan Francesco, dit le Fattore, restèrent, comme on le sait, les héritiers de Raphaël, à la charge d’achever les ouvrages qu’il avait commencés, et ils s’acquittèrent de leur tâche avec honneur.

Le cardinal Jules de Médicis, qui plus tard devint pape sous le nom de Clément VII, ayant choisi, sur le penchant de Monte-Mario, un site d’où l’on découvrait une vue magnifique, et dont le terrain boisé, et orné d’eaux vives, s’étendait le long du Tibre, depuis Ponte-Molle jusqu’à la porte de San-Pietro, résolut d’y créer un palais et des jardins où il voulait rassembler tout ce qu’on peut désirer de plus beau. Il confia la direction de ces travaux à Jules Romain, qui conduisit à bonne fin ce palais, connu alors sous le nom de Vigna de’Medici, et aujourd’hui sous celui de Vigna di Madama. L’artiste, se conformant au site et à la volonté du cardinal, dessina une façade demi-circulaire, en forme de théâtre, divisée par des niches et des fenêtres avec une ordonnance ionique, d’un goût si parfait, que plusieurs personnes pensent que Raphaël en fit la première esquisse. Jules Romain exécuta dans ce palais un grand nombre de peintures, surtout dans la belle galerie ornée de deux grandes niches et d’autres plus petites qui toutes sont occupées par des statues antiques, parmi lesquelles il y avait un Jupiter d’une beauté rare, qui fut ensuite envoyé, avec d’autres statues, au roi François Ier, par la famille Farnèse. Jean d’Udines décora de grotesques cette galerie, dont les murailles et les voûtes sont couvertes de peintures admirables. C’est là que Jules peignit à fresque un Polyphème entouré d’enfants et de petits satyres, qui lui valut beaucoup d’éloges. Mais sur ces entrefaites Léon X étant venu à mourir, Adrien lui succéda ; le cardinal de Médicis retourna à Florence, et cet ouvrage, ainsi que tous les travaux publics commencés par Léon, furent discontinués.

Pendant ce temps-là, Jules et Gio. Francesco achevèrent beaucoup de choses que Raphaël en mourant avait laissées imparfaites ; ils se disposaient même à peindre d’après ses cartons destinés à la grande salle du Vatican, où déjà il avait commencé quatre sujets tirés de l’histoire de l’empereur Constantin, et où il avait préparé un enduit pour peindre à l’huile, lorsqu’ils s’aperçurent qu’Adrien n’aimait ni la peinture, ni la sculpture, et ne se souciait point que cet ouvrage fût terminé.

Tant que vécut Adrien, peu s’en fallut que Jules Romain, le Fattore, Perino del Vaga, Jean d’Udines, Sebastiano de Venise, et d’autres grands maîtres, ne mourussent de faim. La consternation régnait parmi les courtisans accoutumés aux libéralités et à la magnificence de Léon X, et les artistes songeaient tristement à l’avenir, en voyant toute espèce de talent plongé dans l’oubli, lorsque, par la volonté de Dieu, la mort vint frapper Adrien. Le cardinal Jules de Médicis lui succéda sous le nom de Clément VII, et en un moment tous les arts commencèrent à renaître.

Jules et le Fattore s’occupèrent aussitôt, par l’ordre du pape, d’achever la salle de Constantin. Ils débutèrent par faire jeter à bas l’enduit que Raphaël avait préparé pour peindre à l’huile ; mais ils conservèrent deux figures, dont l’une représente la Justice, et l’autre la Douceur, qu’ils avaient eux-mêmes peintes à l’huile quelque temps auparavant (5). Dans cette salle, Raphaël avait placé, au-dessus de toutes les portes, de grandes niches ornées d’enfants qui tenaient des lys, des diamants, des plumes, et autres emblèmes de la maison de Médicis ; dans l’intérieur de ces niches, Jules Romain peignit à fresque plusieurs saints pontifes, aux côtés de chacun desquels on voyait deux Vertus. Ainsi saint Pierre était accompagné de la Charité, et de la Piété. Parmi tous ces papes on distinguait : Damas Ier, Alexandre Ier, saint Léon III, saint Grégoire et saint Sylvestre. Ces ouvrages à fresque sont les meilleurs que l’on connaisse de Jules Romain ; il est vrai qu’il y mit un soin tout particulier, comme on peut en juger par un très beau dessin de sa main, représentant saint Sylvestre, où l’on trouve peut-être plus de charmes que dans la peinture même. Jules exprima toujours mieux ses idées dans ses dessins que dans ses peintures ; on y découvre plus d’animation, de caractère et de sentiment ; cela provient peut-être de ce que, tout enflammé de ses sujets, il les dessinait en une heure, tandis qu’il employait des mois et des années à les peindre ; alors, fatigué et perdant cette verve qui animait ses conceptions au moment où elles jaillissaient de sa tête, il se refroidissait nécessairement dans l’exécution.

Mais revenons aux sujets que renferme cette salle, Jules peignit d’abord Constantin adressant une allocution à ses soldats ; dans le haut du tableau on aperçoit ces paroles : IN HOC SIGNO VINCES, et une croix rayonnante portée par trois petits anges ; aux pieds de Constantin est un nain qui essaie de se mettre un casque sur la tête.

Jules Romain exécuta ensuite la bataille qui eut lieu près de Ponte-Molle, où Maxence fut mis en déroute par Constantin. On ne saurait trop admirer la conduite habile de ce grand nombre de figures et de groupes de fantassins et de cavaliers, représentés dans les poses les plus variées : au milieu du Tibre, Maxence est près de s’engloutir avec son cheval. Cette peinture serait parfaite, si Jules Romain n’y eût pas employé trop de noir, selon sa coutume ; néanmoins cette composition servira toujours de modèle à ceux qui voudront traiter de semblables sujets. Ajoutons que Jules Romain sut mettre à profit les bas-reliefs des colonnes Trajane et Antonine, pour les armures et les ajustements de ses soldats, les enseignes, les bastions, les béliers, et autres machines et instruments de guerre (6).

Le troisième sujet que Jules plaça dans cette salle fut le Baptême de Constantin. Saint Sylvestre, sous les traits de Clément VII, baptise Constantin, dans les mêmes fonts qui se trouvent aujourd’hui à Saint-Jean-de-Latran. Parmi les personnages qui entourent le pape, et dont plusieurs sont peints d’après nature, on remarque le favori de Sa Sainteté, Messer Niccolo Vespucci, chevalier de Rhodes, surnommé le Cavalierino (7). Au-dessous de cette composition, Jules peignit en clair-obscur Constantin construisant Saint-Pierre : il voulait ainsi faire allusion au pape Clément, car il y représenta Bramante et Giulian Lemi, tenant le plan de cette église.

Enfin, Jules Romain figura la Donation que Constantin fit de Rome au pape. Ce sujet, placé au-dessus de la cheminée, montre en perspective l’église de Saint-Pierre, où l’on voit les cardinaux, les prélats, les chantres et les musiciens ; Constantin, à genoux, offre au pape saint Sylvestre, peint sous les traits de Clément VII, la ville de Rome, telle que nous la représentent les médailles antiques ; des femmes agenouillées, d’une grande beauté, regardent cette cérémonie ; un pauvre demande l’aumône ; un enfant joue avec un chien, et les gardes du pape repoussent le peuple. Parmi quantité de portraits que le peintre a introduits dans ce tableau, on remarque ceux de Jules Romain lui-même, de son ami intime le comte Baldassare Castiglione, de Pontano, de Marullo, et de plusieurs autres savants et courtisans. Entre les fenêtres, Jules peignit encore nombre de devises et de sujets poétiques ; aussi le pape, pleinement satisfait, le récompensa-t-il largement.

Tandis que Jules et Fattore étaient occupés à ces grands travaux, ils ne laissèrent pas cependant de faire une Assomption de la Vierge, qui fut envoyée à Pérouse, et placée dans le couvent des religieuses de Montelucci. Jules travailla seul ensuite, et peignit une Vierge avec une chatte qui paraissait vivante : c’est pourquoi cet ouvrage est connu sous le nom du tableau de la chatte (quadro della gatta) ; un autre grand tableau, où il représenta le Christ frappé à la colonne, alla orner l’autel de Santa-Prassedia, à Rome.

Peu de temps après, Messer Gio. Matteo Giberti, son intime ami, alors dataire du pape Clément et depuis évèque de Vérone, lui demanda les dessins d’un escalier et de quelques appartements que l’on construisait en brique, près de la porte du Vatican, et qui donnaient sur la place Saint-Pierre, à l’endroit où sonnent les trompettes lorsque les cardinaux se rendent au consistoire (8). Puis il peignit le Martyre de saint Étienne, pour le meme Giberti, qui l’envoya à Gènes dans son bénéfice. Les traits du saint expriment une résignation et une patience vraiment célestes ; on croirait qu’il voit dans le ciel Jésus-Christ assis à la droite de son père. Matteo Giberti donna plus tard ce tableau aux moines noirs de Monte-Oliveto, en même temps que son bénéfice dont ils firent un monastère. Pour une chapelle qui appartenait à Jacopo Fuccheri, Allemand, dans l’église de Santa-Maria-di-Anima, à Rome, il exécuta un très beau tableau à l’huile où l’on voit la Vierge, sainte Anne, saint Joseph, saint Jacques, le petit saint Jean, et saint Marc l’évangéliste, agenouillé à côté d’un lion dont les poils sont rendus avec un art merveilleux ; plusieurs femmes se trouvent encore dans cette composition ; l’une d’elles, occupée à filer, regarde une poule et ses poussins. Des enfants soutiennent un pavillon au-dessus de la Vierge. Un édifice en forme de théâtre et orné de statues complète ce tableau, auquel on n’aurait rien à reprocher, si le noir n’y était pas autant prodigué (9). Cette couleur, soit que le charbon, l’ivoire, le noir de fumée, ou le papier brûlé entrent dans sa composition, produit toujours une certaine crudité, à laquelle le vernis ne peut remédier. Parmi les nombreux élèves qui aidèrent Jules Romain dans ces travaux, on compte Bartolommeo de Castiglione (10), Tommaso Paparello de Cortona, Benedetto Pagni de Pescia ; mais ceux qu’il employait plus habituellement étaient Giovanni dal Lione et Raffaello dal Colle, de Borgo-San-Sepolcro. Ces deux habiles artistes peignirent, d’après un dessin de leur maître, près de l’ancienne monnaie in Banchi, les armoiries du pape Clément VII, accompagnées de deux figures sous la forme de Termes. Peu de temps après, Raffaello dal Colle exécuta à fresque, d’après un carton de Jules, dans un demi-cercle de la porte du palais du cardinal della Valle, une Vierge couvrant d’une draperie l’enfant Jesus endormi. Cette peinture, où l’on voit d’un côté saint André apôtre, et de l’autre saint Nicolas, fut avec raison considérée comme un chef-d’œuvre.

Jules Romain fit bâtir sur le mont Janicule, pour son intime ami Messer Baldassare Turini de Pescia, un palais qui réunissait tous les genres d’agrément et d’utilité que l’on pouvait désirer (11). Les appartements furent ornés de stucs et de peintures. Jules peignit de sa propre main plusieurs traits de la vie de Numa Pompilius, dont le tombeau avait jadis existé à cet endroit. Dans la salle des bains, aidé par ses élèves, il représenta les fables de Vénus, de Cupidon, d’Apollon et d’Hyacinthe : tous ces sujets ont été gravés.

Lorsqu’il se sépara tout-à-fait de Gio. Francesco, Jules s’occupa, à Rome, de divers ouvrages d’architecture. Ainsi, il donna le dessin de la maison de la famille Alberini in Banchi, que plusieurs personnes attribuent à Raphaël, et celui d’un palais que l’on voit aujourd’hui sur la place de la Dogana à Rome : ce dernier a été gravé. Sur un côté du Macello de’ Gorbi, où était située la maison dans laquelle il naquit, il éleva une façade d’une grâce remarquable.

Après la mort de Raphaël, Jules Romain se trouva placé au premier rang des artistes de l’Italie. Le comte Baldassare Castiglione, qui était à Rome en qualité d’ambassadeur de Frédéric, marquis de Mantoue, reçut ordre de son souverain de lui envoyer un savant architecte, capable de diriger les travaux de sa capitale et de son palais. Frédéric avait ajouté qu’il désirait surtout posséder Jules Romain. Le comte Baldassare sollicita alors si vivement notre artiste, qu’il s’engagea à le suivre pourvu qu’il en eût la permission du pape. Sa Sainteté la lui ayant accordée, le comte emmena Jules à Mantoue et le présenta à Frédéric qui, après l’avoir comblé de caresses, lui accorda une maison magnifiquement meublée, une forte pension, et la table pour lui et pour Benedetto Pagni, son élève, et un autre jeune homme qui était à son service. Le marquis lui envoya, en outre, du velours, du satin et d’autres riches étoffes ; puis songeant qu’il n’avait point de monture, il se fit amener son cheval favori, nommé Ruggieri, et le lui donna (12).

Frédéric mena ensuite Jules hors de la ville, à un trait d’arbalète de la porte San-Bastiano, dans un endroit appelé le T, situé au milieu d’une prairie où Son Excellence avait des écuries pour ses haras. Le marquis désirait que, sans détruire les anciens bâtiments, on arrangeât une habitation où il pût quelquefois aller se divertir. Jules commença donc cet ouvrage en ayant soin de conserver l’ancienne bâtisse. Il disposa d’abord une grande salle avec une suite d’appartements des deux côtés, et comme il ne se trouvait ni carrières ni pierres dures dans ce lieu, il se servit de briques revêtues de stuc pour former les colonnes, les chapiteaux, les corniches, les portes, les fenêtres et tous les autres ornements de cet édifice. Voilà ce qui donna naissance au vaste palais que le marquis résolut ensuite de construire, et que Jules, aidé de plusieurs artistes, acheva en peu de temps  (13).

Le corps principal de ce palais présente dans son plan un carré parfait. La cour, coupée en croix par quatre entrées, forme également un grand quadrangle. Une de ces entrées conduit à un vestibule qui donne accès dans une galerie ouverte sur le jardin ; deux autres galeries, décorées de stucs et de peintures, mènent à différents appartements. Dans une salle dont la voûte est divisée en riches compartiments ornés de fresques, Jules fit peindre sur les murailles, par Benedetto Pagni et Rinaldo de Mantoue, ses élèves, les chiens et les chevaux favoris du duc, qu’il avait dessinés lui-même. Sur la voûte d’une autre pièce, Benedetto et Rinaldo peignirent à l’huile le Mariage de Psyché et de l’Amour, et les Vengeances de Vénus. Sur les murailles, peintes à fresque, se trouve le reste de l’histoire de Psyché. D’un côté, on voit Psyché au bain environnée d’une troupe d’amours qui versent sur elle des essences et des parfums ; de l’autre côté, Mercure prépare le banquet nuptial. Les Grâces parsèment la table de fleurs ; des bacchantes jouent de quelques instruments ; Silène, accompagné de son âne, est soutenu par des satyres, pendant que deux enfants tètent les mamelles d’une chèvre. Deux tigres sont couchés aux pieds de Bacchus appuyé sur un buffet, aux côtés duquel se tiennent un chameau et un éléphant. Ce buffet, cintré, recouvert d’un berceau de festons de verdure, de fleurs, et de pampres de vigne chargés de grappes de raisin, est garni de trois rangs de vases d’un goût bizarre, de bassins, de bocaux, de tasses et de coupes de diverses formes, que l’on croirait d’or ou d’argent, tant l’imitation est parfaite (14). Près de là, Psyché, entourée de femmes qui la servent et la conduisent, voit au loin apparaître Phœbus sur son char attelé de quatre chevaux, tandis que Zéphyre, couché sur des nuages, souffle dans une corne pour rendre l’air plus doux et plus agréable : ces sujets ont été gravés, il y a peu d’années, par Battista Franco de Venise. Benedetto et Binaldo, à l’exception du Bacchus, du Silène et des deux enfants qui tètent la chèvre, exécutèrent entièrement ces peintures d’après les cartons de Jules Romain, qui, à la vérité, retoucha ensuite presque tout l’ouvrage. À l’exemple de Raphaël, Jules faisait peindre ses élèves d’après ses dessins. Cette méthode est fort utile aux jeunes gens, qui parviennent ainsi, nécessairement, à acquérir une grande habileté ; et si quelquefois il s’en rencontre d’assez présomptueux pour s’imaginer qu’ils en savent plus que leur maître, bientôt ils sont forcés de reconnaître qu’ils ont perdu leur temps en vaines tentatives, pour avoir abandonné leur guide avant d’être arrivés au but. Mais revenons à la description des appartements du palais du T. De la pièce de Psyché on passe dans une salle ornée d’une frise à deux rangs, l’un sur l’autre, travaillée en stuc sur les dessins de Jules Romain, par Francesco Primaticcio de Bologne et Gio. Battista de Mantoue. C’est une imitation des bas-reliefs de la colonne Trajane (15). Dans le vestibule, on trouve les douze mois de l’année et l’histoire d’Icare : nous possédons dans notre recueil le dessin de ce dernier sujet, exécuté par Jules Romain lui-même. Enfin, ce grand artiste, voulant montrer toute l’étendue de son génie, construisit une salle où la peinture et l’architecture concourent à produire une illusion vraiment magique. Sur de solides fondements, il fit faire une muraille qui, en s’élevant, décrivait un cercle, et composait une voûte surbaissée en manière de four. Les fragments de rochers dont étaient formées les portes, les fenêtres et la cheminée, se trouvaient disposés de telle sorte qu’ils semblaient près de s’écrouler. Jules y peignit ensuite les Géants foudroyés par Jupiter, sujet d’une conception aussi neuve que hardie. La partie la plus élevée de la voûte représente le ciel et le trône du maître de l’Olympe placé au milieu d’un temple circulaire, soutenu par des colonnes d’ordre dorique. Le dieu irrité lance sa foudre contre les superbes géants ; Junon semble l’aider à les exterminer. Les vents soufflent vers la terre, pendant que la déesse Opis, effrayée par le bruit des tonnerres, s’enfuit avec ses lions ; elle est suivie par plusieurs autres divinités, parmi lesquelles on remarque Vénus, Mars, Momus, les Grâces et les Heures. Diane, Saturne et Janus s’élèvent dans les airs pour éviter cette horrible tempête ; Neptune, accompagné de ses dauphins, cherche à s’affermir sur son trident ; Pallas et les neuf Muses contemplent tranquillement le combat ; Pan sauve de cet embrasement et des éclats de la foudre une Nymphe qu’il tient entre ses bras ; Apollon est monté sur son char, et quelques Heures arrêtent ses chevaux dans leur course. Des Nymphes et des Satyres tout tremblants entourent Bacchus et Silène ; Vulcain, armé de son marteau, regarde Hercule qui parle à Mercure ; Pomone, Vertumne et tous les autres dieux sont frappés de terreur ; des géants portent sur leurs robustes épaules des rochers énormes pour escalader le ciel ; mais le moment de leur défaite s’approche, la foudre renverse sur eux les montagnes qu’ils ont élevées dans leur téméraire audace : on dirait que le monde entier va être bouleversé ; parmi les géants tués ou mutilés, on aperçoit Briarée se débattant sous les débris d’un rocher immense ; au travers d’une grotte, on découvre plusieurs géants arrêtés dans leur fuite par les carreaux de Jupiter ; d’un autre côté, on voit encore des géants accablés par la chute des temples, des colonnes et des palais, horrible et épouvantable carnage ! Au milieu des éboulements de ces édifices, Jules a placé une cheminée, et aussitôt qu’on y allume du feu, apparaissent de nouveaux Géants dévorés par les flammes, et Pluton, suivi des Furies, se précipitant au fond des enfers sur son char, tiré par des chevaux décharnés ; tout, dans cette composition, concourt à inspirer la terreur. Le spectateur ne peut s’empêcher de craindre d’être écrasé par ces fenêtres, ces portes, ces montagnes, ces édifices près de s’écrouler ; mais cet ouvrage paraît surtout étonnant lorsqu’on le considère dans son ensemble, car il n’a pour ainsi dire ni commencement ni fin : tout se lie et s’enchaîne si parfaitement, qu’une fois entré dans cette salle, qui n’a que quinze brasses de longueur, on se croit transporté au milieu d’une vaste campagne ; pour que rien ne manque à l’illusion, le plancher même fut pavé de petits cailloux ronds que la peinture a reproduits au bas des murs à la hauteur d’un pied (16). Rinaldo de Mantoue devint grand coloriste en exécutant ces travaux d’après les cartons de Jules Romain, et si la mort ne fût venue le frapper prématurément, il aurait certes grandement honoré son maître (17).

Après l’achèvement de ce palais, dans lequel Jules Romain a exécuté quantité de choses dignes d’éloges, mais que nous passerons sous silence pour éviter les longueurs, il restaura le château qu’habite le duc à Mantoue, construisit deux grands escaliers en limaçon, et décora plusieurs appartements de stucs précieux ; il fit peindre dans une salle l’histoire de la guerre de Troie, et dans une antichambre douze tableaux à l’huile, au-dessus des portraits des douze Empereurs que l’on doit au pinceau du Titien. Jules donna ensuite le dessin d’un bâtiment que l’on éleva à Marmiruolo, à cinq milles de Mantoue, et qu’il orna de peintures non moins belles que celles du palais du T. À Sant’-Andrea de Mantoue, pour la chapelle de la signora Isabella Buschetta, il fit un tableau à l’huile, où l’on voit la Vierge et saint Joseph qui adorent l’enfant Jésus placé entre saint Jean l’évangéliste et saint Longin (18)  ; sur les murs de cette chapelle, Rinaldo exécuta, d’après les dessins de son maître, deux sujets dont l’un représente le Crucifiement du Christ avec les larrons, et l’autre les Fidèles trouvant le sang de Notre-Seigneur. Jules peignit de sa propre main, pour le duc Frédéric, une Vierge occupée à laver le Christ encore enfant, pendant que le petit saint Jean renverse l’eau contenue dans un vase ; ces figures, grandes comme nature, sont très belles ; dans le lointain, on aperçoit plusieurs femmes qui viennent visiter la Mère de Dieu ; ce tableau fut donné par le duc à la signora Isabella Buschetta, dont Jules plaça le portrait dans un petit tableau de la Nativité de Notre-Seigneur, que le signor Vespasiano Gonzaga possède aujourd’hui avec un autre, qu’il doit à la libéralité du duc Frédéric. Dans ce dernier tableau, Jules Romain a représenté un jeune homme et une jeune fille couchés sur un lit, se tenant étroitement embrassés et se prodiguant des caresses, tandis qu’une vieille, cachée derrière une porte, les regarde furtivement ; ces figures, d’une grâce indicible, sont presque de grandeur naturelle. Jules Romain fit encore, pour le signor Gonzaga, un saint Jérôme, et pour le comte Niccolà Maffei, un Alexandre tenant en main une Victoire. Pour Messer Girolamo, organiste de la cathédrale de Mantoue, son ami intime, il peignit à fresque, sur une cheminée, Vulcain forgeant des flèches, pendant que Vénus trempe dans un vase celles qui sont achevées, et les place dans le carquois de Cupidon. À San-Domenico, il termina pour Messer Lodovico da Fermo un Christ mort, que Joseph et Nicodème se disposent à mettre au tombeau ; à l’entour, on voit les trois Maries et saint Jean l’évangéliste. Ce même sujet qu’il reproduisit en petit se trouve, à Venise, chez Messer Tommaso da Empoli, Florentin.

À cette époque, Jean de Médicis fut blessé d’un coup de mousquet, et transporté à Mantoue où il mourut. Messer Pietro Aretino voulut que Jules Romain retraçât les traits de ce seigneur ; en conséquence, notre artiste moula le masque sur nature, et fit un portrait qui resta long-temps chez Messer Aretino (19).

Lorsque l’empereur Charles-Quint passa à Mantoue, Jules construisit plusieurs arcs de triomphe, composa des décorations de théâtre et quantité d’autres magnifiques appareils, pour lesquels il n’avait point d’égal. Personne ne sut mieux que lui arranger des mascarades et inventer des costumes extraordinaires pour les joutes, les fêtes et les tournois.

Mantoue, jadis sale et fangeuse au point d’étre presque inhabitable, devint, grâce à Jules Romain, aussi saine qu’agréable. Elle lui dut la plupart de ses embellissements, chapelles, maisons, jardins, façades. Les digues du Pô s’étant rompues un jour, les quartiers bas de la ville se trouvèrent couverts de quatre brasses d’eau ; les grenouilles y séjournaient à peu près toute l’année. Jules avisa aux moyens de remédier à ces inconvénients, et agit de façon que les eaux reprirent leur cours naturel ; et même, pour parer à une nouvelle inondation, il fit élever les rues qui bordent le fleuve, et ordonna la démolition d’une foule de petites habitations, mal bâties et de peu d’importance, pour les remplacer par de grandes et magnifiques maisons, qui devaient contribuer à l’embellissement de la ville. Plusieurs particuliers s’y opposèrent, et dirent au duc que Jules, par son projet, leur causait une trop grande perte ; mais le prince ne voulut écouter personne, et enjoignit même de ne rien construire sans l’ordre exprès de Jules. Aux plaintes succédèrent alors des menaces ; mais le duc donna aussitôt à entendre que les injures dont on se rendrait coupable envers son architecte seraient réputées faites à lui-même, et qu’il saurait les punir. Ce prince aimait en effet Jules au point de ne pouvoir se passer de lui, et l’artiste de son côté révérait au-delà de toute expression son protecteur, qui ne lui refusa jamais aucune faveur, et qui, par ses libéralités, le rendit maître d’un revenu de plus de mille ducats. Jules Romain se construisit à Mantoue, vis-à-vis San-Barnaba, une maison dont il décora la façade de stucs colorés. Il enrichit l’intérieur, de peintures, de stucs semblables à ceux de la façade et de morceaux antiques que lui avait donnés le duc. Le nombre des dessins qu’il fit pour Mantoue et ses environs est vraiment incroyable ; car, comme nous l’avons déjà dit, on ne pouvait, surtout dans la ville, élever de palais et d’autres édifices considérables que d’après ses dessins. Il rebâtit sur ses anciens murs l’église de San-Benedetto, et l’orna de peintures et de tableaux précieux.

Gio. Matteo Giberti, évéque de Vérone, voulut que la tribune de sa cathédrale fût entièrement peinte d’après les dessins de Jules, par le Moro, qui jouissait d’une grande renommée dans toute la Lombardie.

Le duc de Ferrare demanda également à notre artiste des cartons pour des tapisseries tissues d’or et de soie, qu’il fit exécuter par deux Flamands, Maestro Niccolò et Gio. Battista Rosso. Ces cartons ont été gravés par Gio. Battista de Mantoue, ainsi que plusieurs autres compositions de Jules, parmi lesquelles nous citerons un Médecin appliquant des ventouses sur les épaules d’une femme ; une Fuite en Egypte, où l’on voit quelques anges occupés à courber les branches d’un palmier afin de mettre l’enfant Jésus à portée d’en cueillir les fruits, et saint Joseph conduisant l’âne par la bride ; Rémus et Romulus allaités par une louve sur les bords du Tibre ; Pluton, Jupiter et Neptune, tirant au sort le ciel, la terre et la mer ; Jupiter nourri par la chèvre Alphée, que tient Mélisse (20) ; enfin, un grand sujet représentant des prisonniers que l’on torture. On a de même gravé, d’après Jules Romain, Scipion et Annibal haranguant leurs soldats. La Nativité du Christ a été reproduite par le burin de Sebastiano de Reggio, et beaucoup d’autres gravures ont été exécutées en Italie, en France et en Flandre, d’après d’admirables dessins, que nous passerons sous silence, car il en existe une quantité innombrable. Nous nous contenterons de dire qu’il avait acquis une si prodigieuse facilité, surtout pour dessiner, que jamais aucun artiste n’égala sa fécondité.

Rien ne lui était étranger, il consacra beaucoup de temps et d’argent à l’étude de la science numismatique, et, malgré ses grands travaux, il s’occupait d’une foule de futilités pour faire plaisir au duc ou à ses amis. À peine avait-on ouvert la bouche pour lui communiquer une idée, qu’il l’avait saisie et dessinée.

Parmi les morceaux rares que renfermait sa maison, se trouvait un portrait d’Albert Durer, peint à la gouache et à l’aquarelle sur une toile extrêmement fine, par cet artiste lui-même, qui l’avait envoyé en présent à Raphaël, comme nous l’avons dit ailleurs. Jules Romain me montra ce portrait comme un prodige, lorsque mes affaires m’appelèrent à Mantoue (21).

Lorsque Frédéric mourut, Jules ressentit une telle douleur de la perte de ce prince, qui l’avait tant aimé, qu’il aurait quitté la ville, si le cardinal de Gonzaga, à qui les rênes du gouvernement avaient été confiées pendant la minorité de ses neveux, ne l’eût retenu dans ce pays, où devaient le fixer, du reste, sa femme, ses enfants, ses amis et ses propriétés. D’un autre côté, le cardinal était bien aise de conserver un artiste dont les conseils lui étaient nécessaires pour reconstruire presque entièrement la cathédrale de la ville.

Dans ce temps, Giorgio Vasari passa par Mantoue en se rendant à Venise, pour voir Jules qu’il aimait beaucoup, quoiqu’il ne le connût encore que de réputation, et pour avoir entretenu avec lui une correspondance épistolaire. Giorgio, à son arrivée, rencontra dans les rues de la ville son ami ; et les deux artistes, qui ne s’étaient jamais vus auparavant, se reconnurent aussitôt comme s’ils eussent déjà vécu long-temps ensemble. Jules Romain, enchanté, ne quitta pas un moment Giorgio pendant quatre jours. Il lui montra tous ses ouvrages, et les plans des anciens édifices de Rome, de Naples, de Pozzuolo, de Campagna et de toutes les antiquités les plus célèbres, dont il avait dessiné lui-même une grande partie. Ensuite il ouvrit une grande armoire, et en tira les plans de toutes les constructions qui avaient été élevées d’après ses dessins et par son ordre, à Mantoue, à Rome et dans toute la Lombardie. Je crois qu’il est impossible d’avoir des idées plus neuves, plus belles et mieux entendues en fait d’architecture. Le cardinal ayant demandé à Vasari ce qu’il pensait des ouvrages de Jules Romain, il répondit, en présence même de Jules, que leur auteur méritait qu’on lui élevât des statues dans toutes les rues de la ville, et que la moitié de l’état de Mantoue ne suffirait pas pour récompenser ses travaux et ses talents. Le cardinal repartit que Jules était plus maître de l’état que lui-méme. Vasari quitta Mantoue vivement touché des caresses et des marques d’attachement que lui avait prodiguées Jules Romain. Aussi, après son voyage à Venise, étant retourné à Rome, précisément à l’époque où Michel-Ange découvrit entièrement son Jugement dernier, il envoya à son ami, par Messer Nino Nini de Cortona, secrétaire du cardinal, trois dessins des sept péchés mortels qu’il avait faits d’après la peinture du Buonarroti. Ce présent fut très agréable à Jules, qui avait alors à peindre une chapelle dans le palais du cardinal. La vue de ces figures magnifiques ouvrit un nouveau champ à ses idées, et il entreprit aussitôt un admirable carton, où il représenta Pierre et André qui abandonnent leurs filets pour suivre le Christ, et qui de pêcheurs de poissons deviennent pêcheurs d’hommes. Ce carton, le plus beau que Jules ait jamais fait, fut ensuite peint par Fermo Guisoni, son élève, aujourd’hui maître habile et expérimenté.

Peu de temps après, les surintendants de San-Petronio, qui voulaient commencer la façade de leur église, décidèrent Jules à venir à Bologne, avec Tofano Lombardino, architecte milanais, très estimé en Lombardie, où il avait construit beaucoup d’édifices. Les dessins de Baldassare Peruzzi de Sienne étant perdus, nos deux artistes en composèrent de nouveaux, et Jules en donna un, entre autres, dont la beauté et la magnifique ordonnance lui méritèrent les plus grands éloges, et de riches récompenses lorsqu’il retourna à Mantoue.

Sur ces entrefaites, Antonio da San-Gallo étant mort a Rome, les commissaires de Saint-Pierre restèrent fort embarrassés, ne sachant à qui s’adresser pour terminer cet immense édifice. Ils pensèrent enfin que personne n’était plus digne de leur confiance que Jules Romain, dont ils connaissaient tout le mérite. Persuadés que cet artiste accueillerait avec empressement l’occasion de rentrer avec honneur dans sa patrie, ils chargèrent plusieurs de ses amis de lui faire des offres brillantes. Mais le cardinal s’opposa à son départ, et sa femme, ses amis et ses parents employèrent tous leurs efforts pour le retenir. Néanmoins, cela n’eùt servi de rien, s’il ne se fût alors trouvé malade. Pensant à la gloire et aux avantages qui devaient résulter de ces travaux pour lui et ses enfants, il était entièrement décidé à supplier le cardinal de lui permettre d’aller à Rome, lorsque son mal ne fit qu’empirer. La Providence avait marqué le terme de ses jours, et il mourut bientôt à Mantoue, à l’âge de cinquante-quatre ans. Il laissait un fils à qui il avait donné le nom de Raphaël, en souvenir de son maître. Ce jeune homme, qui annonçait d’heureuses dispositions pour la peinture, vint à mourir ainsi que sa mère, peu d’années après Jules, dont il ne resta qu’une fille nommée Virginia, qui vit aujourd’hui à Mantoue, où elle s’est mariée avec Ercole Malatesta. Jules Romain, amèrement regretté de tous ceux qui le connurent, fut enseveli dans l’église de San-Barnaba. On avait l’intention d’y élever un monument à sa mémoire ; mais ses enfants et sa femme traînèrent les choses en longueur, et moururent sans lui avoir rendu cet hommage. Il est vraiment honteux que dans Mantoue, cette ville qu’il orna de tant de chefs-d’œuvre, il ne se soit trouvé personne pour consacrer son souvenir. Son génie heureusement lui a élevé un monument glorieux, que le temps et les années ne parviendront jamais à détruire (22).

Jules Romain était d’une taille moyenne. Il avait une belle figure, la barbe et les cheveux noirs, les yeux de même couleur et pleins de gaîté et de vivacité. Sa mise annonçait de l’élégance. Sobre, affable, prévenant, il vécut toujours d’une manière honorable.

Parmi ses nombreux élèves, les plus habiles furent Gian dal Lione, Raffaello dal Colle, Benedetto Pagni de Pescia, Figurino de Faenza, Rinaldo et Gio. Battista de Mantoue et Fermo Guisoni. Benedetto Pagni a laissé beaucoup d’ouvrages à Pescia, sa patrie, et a peint deux tableaux remarquables, dont l’un appartient à la cathédrale de Pise, et l’autre au signor Mondragone, Espagnol, que l’illustre prince de Florence combla de ses faveurs.

Jules Romain mourut l’an 1546, le jour de la Toussaint. On plaça sur sa tombe l’épitaphe suivante :

Romanus moriens secum tres Julius arteis
Abstulit (haud mirum) quatuor unus erat.

Cette biographie de Jules Romain nous paraît admirablement faite par notre auteur. Pourtant, il a suivi, comme toujours, cette marche saccadée et rapide, qui lui donne l’air d’un homme effrayé de l’énormité de sa tâche, et qui craint de ne pas la voir arriver à sa fin. Il s’est abstenu, comme toujours, d’exposer l’idée mère qui devait dominer et résumer son récit ; il a peur, comme toujours, de perdre son temps aux utiles réflexions qui devaient découler des faits et les corroborer. Mais a-t-il eu bien tort cette fois ? Ce qui ailleurs reste un défaut ne devient-il pas ici une convenance ?

L’illustre élève de Raphaël fut essentiellement un homme d’action, et l’histoire de sa vie devait marcher comme elle, au pas de course. Quelle accumulation de travaux, quelle variété d’entreprises, quelles responsabilités, pour un seul homme ! Quand nous avons cherché, à la fin de la vie de Raphaël, à faire ressortir l’immensité de sa production, les personnes qui n’avaient pas été à même, comme nous, d’en connaître l’ensemble, ont dû nous croire dans l’exagération. Elles peuvent dès maintenant pressentir ce qu’a dû opérer un si grand génie, appuyé sur des hommes de la valeur de Jules Romain. Elles peuvent maintenant comprendre le sens exact que le Vasari attachait à ses paroles, quand il nous désignait Raphaël marchant dans Rome comme un prince, entouré de ses cinquante élèves, tous bons et vaillants. Elles peuvent maintenant apercevoir s’il était indifférent pour nous d’engager une lutte, afin de maintenir la tradition qui attribuait à l’école romaine une existence propre et une réelle unité. La biographie de Jules Romain, telle que le Vasari nous la donne, et telle que nous la laisserons, appuie complètement notre thèse ; mais elle n’est pas la seule que le Vasari nous ait réservée pour cela. Et si, ayant amené déjà l’école romaine, depuis sa première origine, dès avant Cimabué et Giotto, jusqu’à Raphaël, nous voulons continuer plus tard à en montrer encore la succession, nous pourrons, pour le faire, nous passer même de Jules Romain, et trouver sans lui de suffisants jalons. Nous nous rappelons bien qu’il nous reste l’engagement d’un utile et intéressant travail de critique à achever sur la continuité de l’école romaine, telle que Raphaël l’avait constituée pendant sa vie, telle qu’il la laissa après sa mort. Sans doute, le cas était de l’entreprendre après la vie de Jules Romain, son principal élève ; mais si Jules fut le successeur de Raphaël et le prince de l’école après lui à Rome, il fut aussi fondateur de l’école mantouane, et c’est là qu’il nous convient davantage de le suivre ; car les occasions pourraient nous manquer de rechercher quelle fut l’école de Mantoue, si peu connue, et qui cependant mérite tant de l’être.

S’il fallait trouver une raison à l’oubli que les historiens de l’art et les voyageurs en Italie font également de cette ville, autrefois si riche et si importante sous le long règne des Gonzaga, on ne saurait en trouver d’autres probablement que l’esprit de routine et d’imitation, où se laissent prendre trop souvent les écrivains et les curieux. Malgré les notices du savant Volta, et les dissertations de Bettinelli, on peut dire que les maîtres de Mantoue ont manqué jusqu’ici d’un historien local qui offrît aux vulgarisateurs étrangers une abondante et facile érudition ; personne n’a cherché à suppléer à cette lacune, ou au moins ne l’a fait convenablement. Le laborieux Lanzi lui-même, tout en reconnaissant la haute valeur de l’école de Mantoue, tout en lui ouvrant un chapitre particulier dans son histoire générale, ne lui a consacré qu’un insuffisant effort ; et nos auteurs, n’ayant eu personne à mettre à contribution, ont mieux aimé se taire sur ce sujet que de l’étudier. Les voyageurs, et les jeunes artistes de leur côté, n’ayant rien pu apprendre qui leur recommandât cette ville, et ne la trouvant pas d’ailleurs sur la route battue, se sont rarement détournés, pour aller y jouir des richesses qu’elle contient, et y profiter de tous les grands éléments d’instruction que renferment encore ses églises et ses palais. Cependant, l’hospitalière Mantoue, cette seconde patrie d’Andrea Mantegna parmi les anciens, de Jules Romain et du Primatice parmi les modernes ; cette ville que le Corrége, le Genga, le Tintoret, le Feti, l’Albane, le Gerola, le Castiglione, le Bertucci et Rubens, contribuèrent à décorer, eût largement payé la perte de temps occasionnée par un détour.

Les Gonzaga furent investis du pouvoir par le peuple de Mantoue, dans le commencement du quatorzième siècle, après leur révolte et le meurtre des derniers Bonacossi ; ils parvinrent très vite, par leur habileté dans les guerres, par l’élan qu’ils surent imprimer au commerce, et par leurs alliances, à exercer une grande influence en Italie, et à y tenir un rang élevé parmi les familles souveraines. Riches et puissants, ils ne tardèrent pas non plus à demander aux sciences et aux arts cette illustration par laquelle seulement les positions acquises semblaient alors en Italie pouvoir se consacrer, et donner aux peuples des gages rassurants de durée. La cour du Gonzaga de Mantoue eut donc son éclat comme celles des Sforze de Milan, des d’Este de Ferrare, et des Médicis de Florence. Nous avons vu déjà, dans la première partie de notre histoire, Louis Gonzaga attirer à Mantoue le célèbre Andrea Mantegna, et celui-ci y fonder définitivement son école sous les auspices de ce seigneur. On le sait, l’école du Mantegna, dans la haute Italie au moins, fut, avant l’apparition du Vinci, du Giorgione et du Corrége, celle qui peut-être résuma le mieux les véritables progrès de l’art, et qui en marqua le plus nettement le réel état. Le Mantegna, libéralement sustenté dans ses travaux, aidé par ses fils et ses autres élèves, laissa dans la ville de nombreux ouvrages ; quelques-uns subsistent encore et jouissent d’une grande célébrité. C’est à Mantoue qu’on trouve son fameux tableau de la Victoire ; on y montre aussi dans une salle du château, appelée la chambre des époux, de vastes compositions de sa main. — Un peu plus tard, François et Frédéric Gonzaga appelèrent et retinrent à Mantoue Lorenzo Costa, Ferrarais, et l’un des plus habiles élèves de Francia de Bologne ; ils y appelèrent également Gianfrancesco Carotto, Francesco Monsignori de Vérone, et plusieurs autres artistes de Vicence, de Padoue, de Crémone et des autres villes lombardes. Tous ces artistes, et nous en passons beaucoup dont nous pourrions donner les noms, après avoir couru l’Italie, travaillé çà et là, se trouvant bien à Mantoue, s’y fixèrent avec leurs familles et s’y naturalisèrent. Mantoue devint donc, après Milan, un des centres importants de toutes les traditions lombardes ; l’installation seule du Mantegna suffirait à le prouver ; et d’ailleurs, personne n’ignore l’influence exercée par ce grand artiste dans son siècle. Il n’est point une ville en Lombardie, si peu importante et si reculée quelle soit, où l’on ne puisse maintenant retrouver des preuves incontestables de l’imitation du style de Mantegna. Cet homme savant et inventif, qui se serait évidemment classé au premier rang, s’il n’avait pas eu le malheur de venir trop tôt, imprima à l’art de ce pays lombard, morcelé en tant d’états étrangers et hostiles les uns aux autres, une direction aussi forte qu’avaient pu le faire le Ghirlandajo à Florence, le Vannucci à Pérouse, et le Francia à Bologne. Et cette idée que nous avons dû combattre, à savoir que le Mantegna avait été le maître du Corrége, constate au moins, par le facile crédit quelle obtint chez les historiens, cette disposition générale à considérer le Mantegna comme le grand initiateur des écoles lombardes. Quant à l’école de Mantoue, elle continua religieusement son premier maître, à ce point que non seulement la plupart des travaux des jeunes Mantegna furent attribués à leur père, mais encore un bon nombre des travaux bien postérieurs de Lorenzo Costa, de Carlo, de Gio. Carotto, et des deux Monsignori.

Cette position de la primitive école de Mantoue était importante à établir ; en effet, c’est seulement sur ce terrain ainsi décrit, qu’on peut se rendre compte de la manière intelligente dont opéra Jules Romain, l’élève du divin Raphaël.

Jules, vivement recommandé par Baldassare Castiglione, venait chercher un refuge auprès des Gonzaga : il en avait besoin, beaucoup plus besoin, soit dit en passant, que ne l’indique maître Giorgio, son ami, car il paraît que s’il fût demeuré davantage à Rome, il y eût mal passé son temps ; le pape furieux voulait le faire pendre, justement indigné des dessins fournis à Marc-Antoine Raimondi, le graveur, pour illustrer le livre du licencieux Arétin. Jules, heureux de l’accueil qu’on lui fit, voulut le reconnaître et s’en montrer digne ; honoré de la plus grande confiance, mis à la tête de l’école, nommé préfet des eaux et surintendant des bâtimens, non seulement il donna à l’école une impulsion toute particulière, mais la ville même prit par ses soins une physionomie nouvelle. Jules se trouvait à Mantoue dans une position analogue à celle qu’avait rencontrée avant lui Léonard de Vinci à Milan : le moins qu’il put en résulter, c’est qu’il modifia, aussi profondément que le Vinci l’avait fait de son côté, le goût et les traditions de cette partie de la Lombardie qui touche aux états vénitiens ; car assurément l’école romaine, dont il était le plus puissant représentant, avait tellement affermi sa méthode et ses principes dans les grands travaux de Raphaël, qu’elle devait influer autant que l’école florentine, personnifiée dans Léonard, avait pu le faire sur l’art lombard, alors un peu retardataire. Mais la science éminemment pratique du collaborateur de Raphaël devait en quelque sorte aller plus loin que la science théorique de Léonard ; elle devait davantage corroborer l’enseignement par l’application. Léonard de Vinci, conduit par son caractère méditatif à approfondir la partie abstraite de l’art, plutôt qu’à s’abandonner à une production abondante, dirigeait la jeunesse par des cours publics, par des livres, par des conseils, encore mieux que par des exemples, quoiqu’il en ait donné de bien grands. Les productions du Vinci, surtout en peinture, sont peu nombreuses ; il y apportait une si grande recherche, il y mettait un sentiment tellement intime et exclusif, qu’aucun élève ne pouvait guère être appelé par lui à l’aider, et par conséquent à profiter immédiatement de son contact. Jules Romain, homme assurément moins éminent que Léonard, s’y prit autrement, et obtint peut-être à Mantoue de plus utiles résultats. Élevé dans l’école de Raphaël, accoutumé à voir mettre en train une foule d’entreprises à la fois, et à les voir mener à fin par les moyens les plus rapides, aussitôt qu’il comprit le parti qu’il pouvait tirer de la faveur et de la richesse des Gonzaga, il se mit à l’œuvre de la manière la plus délibérée. Il avait aussi appris de son maître, par quelles séductions, par quelles promesses on pousse, en fait de dépenses et de sacrifices, un prince plus loin qu’il ne le veut. Aussitôt que Jules put connaître les Gonzaga, il les envahit ; car au bout du compte, quand on le voit remuer Mantoue de fond en comble, et en aussi peu de temps, il faut bien le supposer. Si ces princes eussent été fortement préoccupés de tous les changements que réclamait l’état de leur ville, avant que Jules Romain ne vînt s’y réfugier, ils en auraient au moins commencé quelque chose sans lui, les habiles gens ne leur manquant pas à Mantoue, ni surtout à Milan, à Vérone et à Venise, leurs voisines. Certes, ils aimaient les arts et les encourageaient ; mais jamais, sans la rencontre d’un homme comme Jules Romain, ils n’eussent été amenés aussi loin. Jules se croyait toujours à Rome, et les Gonzaga, émerveillés, le laissèrent aller à ce point, que leur peuple s’en échauffa et voulut remuer. Aussi raconte-t-on que lorsque Charles-Quint visita Mantoue, il trouva cette ville si belle et les fêtes que Jules Romain lui donna si brillantes, qu’il ne crut avoir rien de mieux à faire, pour reconnaître le zèle de ses princes, que d’ériger en duché leur marquisat.

Jules Romain n’avait cependant amené qu’un élève avec lui. Mais il avait appris de Raphaël à tirer parti de tous les éléments et de tous les hommes que le hasard pouvait lui offrir. Il appela donc tous ces continuateurs du Mantegna, tous ces héritiers des vieux peintres attirés à Mantoue par les premiers Gonzaga. Tous ces artistes étaient restés entièrement en dehors du mouvement communiqué à la Lombardie par les ouvrages du Corrège et du Vinci, à cause de leur situation isolée et de la facilité même qu’ils trouvaient à vivre auprès des Gonzaga, ce qui les éloignait des études et des voyages. On comprend tout ce qu’un génie actif, habitué au commandement à la grande école de l’obéissance, en possession aussi de tous les progrès réalisés, de toutes les expériences acquises, pouvait se promettre de ces ouvriers attardés et irrésolus qui n’attendaient qu’un maître pour le suivre et marcher. Autant Jules Romain trouva d’artistes à Mantoue, autant il eut d’élèves, et ce mot d’élève signifie exclusivement ici collaborateur. Le talent de Jules Romain se prêtait on ne peut mieux à ces conditions de collaboration et de partage, sans lesquelles des talents même supérieurs au sien n’auraient pu fonctionner. Praticien plus diligent qu’assidu, artiste plus entreprenant que convaincu, esprit plus inventif que pénétrant, caractère plus ambitieux que volontaire ; c’était un homme à qui il fallait du monde autour de lui, comme il fallait au divin Michel-Ange la solitude. Michel-Ange fabriquait lui-même jusqu’à ses derniers outils, ne trouvant aucun ouvrier assez habile, Jules Romain faisait fabriquer à d’autres ses œuvres les plus belles, trouvant tout artiste assez adroit. Jules Romain était, à proprement parler, un entrepreneur de travaux, un machiniste plus qu’un peintre ; et c’est en ce point qu’il se distingua encore de son maître. Les œuvres de Raphaël sont d’autant plus pures, plus saisissantes et plus précieuses, que lui seul y a mis la main ; les œuvres de Jules Romain ont d’autant plus de valeur, qu’un grand nombre d’auxiliaires a pu y concourir ; la raison s’en découvre assez facilement. Le génie de Jules Romain était tourné entièrement vers les choses d’apparat ; il entendait mieux le faste que la noblesse, et se trouvait plus à l’aise au milieu des conceptions compliquées que dans les idées simples. Il suffit de voir une Madone de Raphaël, un portrait, une télé d’enfant, pour comprendre tout l’amour, tout le bonheur, tout l’entraînement avec lesquels il a caressé son œuvre la plus simple, cherchant, quand il était seul et quand il avait le temps, à arriver par la perfection de la forme, le calcul de la touche, le choix de l’effet, à l’expression complète de la pensée qui l’occupait. Jules Romain, au contraire, quand il travaille à des choses qu’il devra achever seul, semble travailler à contre-cœur. On peut s’en convaincre dans nos musées ; partout où l’on ne reconnaît que sa main, on voit percer l’ennui ou l’impatience : l’ennui, qui le pousse à la sécheresse ; l’impatience, qui le mène à l’incorrection. Mais on doit juger les hommes sur leur terrain ; ce n’est donc pas dans nos musées qu’il faut chercher à apprécier Jules Romain ; c’est dans Mantoue, dans le château ducal, dans ee qui reste du palais du T, dans la cathédrale, magnifiques édifices bâtis sur ses plans. C’est là qu’on voit toutes ses ressources, toute sa fougue, toute son imagination. C’est là que l’on comprend aussi l’ascendant qu’il dut exercer dans l’école, et la discipline qu’il sut établir pour mettre à tribut des talents peu faits, il faut le dire, pour le seconder ; car, si l’on se rappelle ce qu’était le Mantegna, et quels étaient les principes de son atelier, on sentira ce qu’il fallut à Jules Romain de résignation en même temps que d’empire. Tous ces Mantouans, coloristes suaves mais timides, dessinateurs gracieux mais peu savants, compositeurs naïfs mais gauches, devaient être bien difficiles à remuer par cet homme impétueux, pour qui la couleur était moins que rien, pour qui le dessin ne valait que par l’énergie, et la composition que par le jet. Jules, contenu à peine par Raphaël, qui d’ailleurs connaissait son prix, a été accusé d’avoir souvent entamé l’harmonie du grand maître, par sa touche brutale, et sa rude couleur, qui entre le blanc et le noir ne connaissait guère d’intermédiaires. Que devait-il donc souffrir quand il voyait ces écoliers du Mantegna, remplir par toutes sortes de détails, par le modelé le plus attentif et le plus minutieux, les hardis contours qu’il leur traçait en courant ; contours qui ne paraissent appartenir aux plus grands dessinateurs, qu’à cause de leurs savantes longueurs, de la netteté de leur jeu, et de la précision étonnante de leur emmanchement ; c’est-à-dire, qui sont les moins intelligibles aux ignorants, ou aux talents faibles, qui ne savent découvrir que les finesses partielles, et à qui la masse échappe toujours ! Que devaient dire et penser aussi, dans les premiers temps de leur association, les écoliers du Mantegna, quand Jules, passant en revue leurs peintures blondes, suaves et tranquilles, venait, pour ainsi dire, les réveiller en sursaut en les rehaussant à sec avec le blanc de plomb et le noir de l’imprimeur ! Cependant, cet homme ferme fit marcher tout cela. Aux miniatures, aux tableaux de chevalet, aux fresques étroites succédèrent les immenses compositions, les toiles et les fresques populeuses. Les écoliers du Mantegna l’aidèrent dans la Guerre des Géants, et luttèrent fort bien, en tremblant sous lui, contre le formidable Florentin, dont ils n’avaient pas même vu les œuvres. Jules avait apporté de Rome, pour eux, une innombrable quantité de dessins, tout son héritage de Raphaël, toutes ses études, tous ses plans et tous ses projets d’architecture : arsenal immense où l’école mantouane puisa long-temps. On peut donc dire que l’école mantouane est une véritable ramification de l’école romaine. Jules doubla l’œuvre de Raphaël ; mais ce qui l’honore, c’est qu’il la doubla avec intelligence, et qu’il sut y mettre le cachet de sa personnalité. Ainsi, l’école de Mantoue, où l’art s’étiolait, devint une forte et productive école. Benedetto Pagni de Pescia, Alberto Cavalli de Savone, Giulio Clovio de la Croatie, et Rinaldo, Fermo Guisoni, Giovan Battista et Domenico Bertani, Ippolitto, Ludovico et Lorenza Costa, Giovan Battista et Diana sa fille, tous de Mantoue, furent ses élèves. Le Vasari nous parlera d’eux ailleurs, soit à l’occasion, soit d’une manière spéciale. Nous les notons ici pour mémoire, et pour suivre la succession de l’école mantouane.

Nous terminons en rappelant également que Jules, tout dévoué aux Gonzaga, ne voulut pas venir en France, malgré les sollicitations de François Ier, mais qu’il put, sans trop s’appauvrir, puiser dans son école et lui envoyer un digne représentant, le Primatice, un des hommes qui ont le plus influé sur notre art national.

NOTES.

(1) Jules Romain s’appelait Giulio Pippi. Il naquit à Rome en 1492, et mourut en 1546. Aucun auteur ne nous parle de sa famille.

(2) Le tableau de sainte Elisabeth, dont parle ici Vasari, est celui que l’on connaît sous la dénomination de la Sainte-Famille. Gravé par Edelinck et par Jacques Frey.

(3) Nous ne savons sur quoi s’appuie le P. Dan pour dire, page 135 du Trésor des merveilles de Fontainebleau, que ce tableau fut donné à l’église de Saint-Martin-des-Champs par un seigneur florentin, et que depuis on en fit présent à Henri IV. Gravé en 1589 par Philippe Thomassin, et ensuite par Louis Surugue.

(4) Le portrait de la vice-reine de Naples est celui de Jeanne d’Aragon. On le voit au Musée du Louvre.

(5) Quelques auteurs attribuent ces figures à Raphaël.

(6) La bibliothèque Corsini possède une magnifique gravure de cette bataille, par Marc de Ravenne, sur laquelle on voit la marque R. S., et une inscription dont on ne peut plus lire que le mot Antuerpiæ. Plusieurs artistes ont également gravé ce sujet ; nous citerons entre autres Aquila.

(7) Le Cavalierino avait été autrefois valet des écuries de Filippo Strozzi. Il était de très-basse extraction, mais fort attaché au pape, qui avait en lui la plus grande confiance et l’avait comblé de richesses. (Benvenuto Cellini.)

(8) Ces constructions ont été démolies.

(9) Ce tableau est resté long-temps dans la sacristie. Il fut endommagé dans la partie inférieure pendant une inondation du Tibre ; mais les figures n’ayant pas été gâtées, on l’a assez bien restauré. Il fut ensuite placé sur le maître-autel.

(10) On ne connaît aucun ouvrage de cet artiste ; il y a cependant lieu de croire qu’il avait du talent, puisque Jules Romain s’en faisait aider. On peut en dire autant de Tommaso Paparello.

(11) Près de cet endroit se trouvait la maison de campagne de Martial. C’est de là que l’on voit toute la ville de Rome, comme le dit Martial, liv. IV, épig. 64 :

Totam possis æstimare Romam.

(12) Le brillant accueil qui attendait Jules Romain à la cour de Mantoue ne fut pas le seul avaptage qu’il retira de ce voyage. En s’y rendant, il évita la juste colère du pape, qui apprit, peu de temps après son départ, que les dessins des seize gravures trop célèbres de Marcantonio Raimondi étaient de notre artiste. L’Arétin, auteur des sonnets qui les accompagnaient, échappa par la fuite au châtiment qu’il méritait : mais le graveur fut emprisonné ; il aurait même été pendu sans l’intercession du cardinal Hippolyte de Médicis.

(13) Dans le tome III de Richardson, page 690, on trouve le plan et la description de ce palais.

(14) Diana de Mantoue a laissé une gravure très-estimée de cette peinture.

(15) Ces frises ont été gravées par Pietro Santi Bartoli et par Stella.

(16) Le père de Richardson possédait une copie de cette Chambre des Géants, exécutée en grisaille par Rubens (Richardson, tome III, pag. 604). Gravé par Pietro Santi Bartoli.

(17) Mantoue possède plusieurs tableaux remarquables de Rinaldo.

(18) Quelque temps après, le duc de Mantoue fit transporter ce tableau dans son palais, où il resta jusqu’au moment où Charles Ier en devint possesseur. À sa mort, M. Jabach en fit l’acquisition, et c’est de lui que le roi de France l’a acheté (Catalogue de l’Épiciè, tom. Ier, p. 111 et 112). On le voit aujourd’hui au Musée du Louvre. Gravé par François Chauveau, et depuis par L. Desplaces.

(19) Jean de Médicis, appelé Jean des Bandes Noires, mourut à Mantoue le 30 décembre 1526, laissant de Maria Salviati, sa femme, un fils qui fut grand-duc de Toscane sous le nom de Cosme Ier. Jean de Médicis était si redouté des Allemands, qu’ils l’avaient surnommé le Grand Diable,

(20) Gravé par Pietro Santi Bartoli.

(21) Voyez la vie de Raphaël, tom. III, p. 233 et 234.

(22) Le Musée du Louvre possède six tableaux de Jules Romain : La Nativité du Christ. — Vulcain fournissant à Vénus des traits dont elle remplit le carquois de l’Amour. — La Vierge, Jésus et saint Jean. — La Victoire couronnant Titus et Vespasien, vainqueurs de la Judée. — Le portrait de Jules Romain. — La Circoncision, que plusieurs auteurs attribuent à Bartolommeo Ramenghi, dit le Bagnacavallo. — On peut encore compter comme appartenant en partie à Jules Romain le portrait de Jeanne d’Aragon, vice-reine de Sicile, dont la tête seulement a été peinte par Raphaël.