Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 3/7

PESELLO ET FRANCESCO PESELLI,
peintres florentins.

Il est rare qu’en observant les préceptes d’un grand maître un élève ne réussisse pas, sinon à le vaincre, du moins à l’égaler. L’imitation exacte et l’étude assidue des bons procédés amènent nécessairement des résultats semblables à ceux obtenus par la science du maître. Et comme la marche est toujours facile sur une voie déjà ouverte et battue, il n’est pas étonnant qu’un élève atteigne et même dépasse son maître. Ainsi, Francesco Peselli imita de telle sorte la manière de Fra Filippo, qu’il l’aurait, sans aucun doute, laissé bien loin derrière lui, si la mort ne l’eût frappé prématurément. Pesello s’appropria aussi le style d’Andrea dal Castagno. Il entretenait chez lui une foule d’animaux vivants qu’il se plaisait à reproduire dans ses tableaux ; aussi fut-il, de son temps, sans rival dans ce genre de peinture. Il dut son talent aux leçons d’Andrea, sous la discipline duquel il resta jusqu’à l’âge de trente ans. Dès qu’il eut donné une preuve de son savoir (1), il fut chargé par la seigneurie de Florence d’exécuter en détrempe une Épiphanie que l’on plaça au milieu de l’escalier du palais. Ce tableau, dans lequel Pesello introduisit quelques portraits, et entre autres celui de Donato Acciaiuoli, lui valut une glorieuse renommée. Il fit ensuite, dans la chapelle des Cavalcanti, à Santa-Croce, au-dessous de l’Annonciation de Donato, un gradin renfermant l’histoire de saint Nicolas (2). Dans le palais Médicis, il orna plusieurs coffres de joûtes de chevaux, et laissa de magnifiques groupes d’animaux. Encore aujourd’hui, on y voit de sa main des lions, les uns derrière une grille, les autres en liberté. On admire particulièrement celui qui combat un serpent. Il y peignit, en outre, un bœuf, un renard et divers animaux pleins d’animation et de mouvement.

À San-Pier-Maggiore, dans la chapelle des Alessandri, on trouve de lui quatre sujets de petite dimension, tirés de la vie de saint Pierre, de saint Paul, de saint Benoît et de saint Zanobi. Ce dernier est représenté ressuscitant la fille de la veuve (3).

À Santa-Maria-Maggiore, dans la chapelle des Orlandini, il fit une Madone et deux belles figures pour les enfants de la confrérie de San-Giorgio, un Crucifix, un saint Jérôme et un saint François ; pour l’église de San-Giorgio, une Annonciation (4) ; pour l’église de San-Jacopo de Pistoia, une Trinité, un saint Zénon et un saint Jacques. Enfin, maints citoyens de Florence possèdent une foule de tableaux de notre artiste.

Pesello avait un caractère affable et bienveillant. Jamais il ne négligea l’occasion de rendre service à ses amis. Il épousa une jeune femme dont il eut un fils, Francesco dit le Pesellino, qui s’adonna à la peinture et imita avec succès Fra Filippo. Le Pesellino aurait été loin, s’il eût vécu plus longtemps, car il était extrêmement studieux et dessinait nuit et jour. Dans la chapelle du noviciat de Santa-Croce, au-dessous du tableau de Fra Filippo, on conserve de lui un merveilleux gradin que l’on est tenté d’attribuer à son maître. Après avoir achevé à Florence quantité de tableaux de petite dimension qui mirent son nom en honneur, il mourut âgé de trente et un ans, à la profonde douleur de son père Pesello, qui le suivit à l’âge de soixante-dix-sept ans (5).



Pesello est le plus grand peintre d’animaux que le quinzième siècle ait possédé, et peut-être même ne compterait-il encore aujourd’hui aucun rival, s’il était plus connu. Nous regrettons vivement que Vasari, d’ordinaire si peu avare de descriptions, n’ait pas jugé à propos de nous détailler quelques-unes des compositions de ce maître que l’on doit regarder comme les chefs-d’œuvre du genre. Afin de suppléer au silence de notre auteur, par exception à la règle que nous nous sommes imposée dans ces notes, nous essaierons d’esquisser une Chasse de Pesello qu’il nous a été permis d’admirer à Londres, dans la précieuse galerie de sir Fitz Pimeray.

Sur un ciel embrasé semblable à une fumée de volcan mêlée de gerbes de feu, se découpent, d’un côté, une montagne de granit qui lance de flamboyantes réverbérations, et de l’autre côté, une forêt dont les rayons du soleil sont impuissants à percer l’épais feuillage. L’ombre que projette cette forêt couvre une partie de l’arène poudreuse qui s’étend jusqu’au pied des rochers. À l’horizon, un lac surmonté d’une brume ardente se développe à perte de vue. Le centre du tableau est occupé par cinq cavaliers qui luttent contre un tigre et deux lions. L’un de ces derniers tombe percé de flèches sous un cheval dont il a ouvert le poitrail avec ses ongles tranchants. L’autre déchire de ses dents aiguës la cuisse du plus jeune des chasseurs, tandis qu’un vieillard frappe de son sabre le tigre qui s’est élancé, la gueule béante, sur l’un de ses compagnons. Au-dessus de ce groupe, un noir vautour se balance sur ses grandes ailes et semble attendre patiemment la fin du combat qui lui promet un splendide festin. Dans le lointain, au bord du lac, une troupe joyeuse de seigneurs et de dames richement parés galope, au bruit des fanfares du cor, sur les traces d’un cerf qui, tout en arpentant le sol de ses pieds agiles, éventre un des lévriers qui s’acharnent après lui.

Ce magnifique tableau, qu’au premier abord on serait tenté d’attribuer au plus habile des Vénitiens, tant la magie de la couleur y est puissante, suffirait à lui seul pour assurer à Pesello un rang distingué parmi les meilleurs peintres du quinzième siècle, lors même que ses autres œuvres ne le lui auraient pas déjà mérité.

NOTES.

(1) Dans sa première édition, Vasari dit que cette preuve du savoir de Pesello fut un tableau que l’on plaça dans l’église de Santa-Lucia dei Bardi.

(2) Ce gradin fut enlevé et donné à Michel-Agnolo le jeune, qui le remplaça par une autre peinture. — Voyez le Baldinucci, Dec. VI, part. ii, sec 3, c. 121.

(4) Le P. Richa, pag. 142 et 143 de ses Notizie istoriche delle Chiese fiorentine, dit plus clairement que Vasari, que ces quatre petits sujets réunis forment le tableau de l’autel. Il ajoute que, des quatre chapelles que la famille des Albizzi possède dans l’église de San-Pier-Maggiore, celle qui se trouve sous l’horloge est également ornée d’un tableau de Pesello.

(4) L’église de San-Giorgio, maintenant Dello-Spirito-Santo, a été restaurée de fond en comble, et les tableaux qu’elle renfermait, tels que ceux de Peselli, de Giotto et du Granacci, furent transportés dans le monastère des religieuses.

(5) On lit dans la première édition de Vasari les vers suivants, composés en l’honneur de Pesello et de son fils Pesellino :

Se pari cigne il cielo i duoi Gemelli
Tal cigne il padre e’l figlio la bell’ arte
Che Apelle fa di se fama in le carte,
Come fan le rare opre a’ duo Peselli.