Imprimerie C.-P. Ménard (p. 39-91).

MA VIE DE BOHÈME


Lorsque, en me repliant sur moi-même, je relis page à page le livre de mon cœur, je retrouve, à côté de feuillets trempés de larmes, d’autres qui sémblent encore garder un vague reflet des jours ensoleillés de mon enfance. C’est une de ces feuilles roses et parfumées que je veux détacher aujourd’hui pour vous du lourd in-folio où la destinée a écrit ma vie, et où dorment pêle-mêle les souvenirs joyeux ou tristes du temps passé.

Tout enfant, j’ai senti le besoin de vie et le désir d’indépendance. Comme pour donner un démenti aux sinistres prédictions de ceux qui m’entouraient ? J’avais, quoique malingre et souffreteuse, une dose d’énergie rare chez une fillette de mon âge. Toujours en tête de la troupe de marmots qui partageait mes jeux, c’était moi que la confiance aveugle de mes compagnons chargeait d’organiser les expéditions lointaines à travers les bois de Barby ou sur les rocs dénudés de Bellavarda. Y avait-il quelque part un nid de merle à dénicher, des fleurs à cueillir, des fruits à dérober ? Je savais indiquer le sentier le plus court, le pré le plus fleuri, l’arbre le plus chargé. Nous passait il par la tête une de ces fantaisies enfantines dont tremblent les mères même lorsque le danger est éloigné ? pour sûr c’était moi qui l’avais rêvée, qui en préparais l’exécution et qui, au besoin, relevais les défaillances peureuses de nos complices.

En dehors des escapades habituelles et, passez-moi l’expression, normales dont nous nous rendions journellement coupables, je nourrissais intérieurement un désir inconscient de voir plus loin et plus grand, de respirer un autre air que celui de notre petit village dont je connaissais chaque pierre, chaque buisson, chaque angle de verger ou de jardinet.

Aussi c’était tous les jours de nouvelles courses entreprises, de nouveaux coins explorés. J’étais sans cesse attirée vers un autre horizon, vers cet inconnu que mes rêves d’enfant décoraient de toutes les splendeurs de leurs illusions dorées. Je n’aimais pas les montagnes, je n’aimais pas les bois sombres, les rideaux d’arbres touffus et ombreux ; tout cela était pour moi des obstacles que je ne pouvais ni briser, ni franchir ; mais j’adorais le grand ciel bleu dont je n’avais jamais pu compter toutes les étoiles, les longues routes blanches et unies dont les lointaines extrémités se perdaient dans la brume vaporeuse du matin ou dans le poudreux rayonnement d’un beau coucher de soleil.

J’avais des instincts d’oiseau voyageur : je voulais pour un temps quitter mon nid, afin de connaître où conduisaient ces chemins sur lesquels passaient rapides et tapageuses les lourdes chaises de poste trainées par des chevaux robustes et conduites par des postillons pimpants et alertes comme ces belles marionnettes que j’avais vues danser sur des fils de soie, ces routes où cheminaient lentement, jour et nuit, cette interminable file de carrioles escortées de rouliers ivres ou chantant quelques refrains d’un pays que je ne connaissais point.

Ce besoin inné de mouvement et de liberté tourmentait fort cette chère grand’mère qui m’adorait. À chaque instant je lui échappais, et notre vieille Josette employait, certes, plus d’heures à ma recherche qu’elle n’en passait à son potager. Pourtant, grâce aux prescriptions d’un médecin pessimiste à qui je vote ici de tardifs, mais très-sincères remerciments, je jouissais d’un droit presque illimité de vagabondage, et, sauf à l’heure des repas et les jours de pluie battante, on me trouvait rarement à la maison.

De temps en temps, la pauvre femme, saisie d’un remords passager à propos des leçons que je n’étudiais pas, et des pages que j’oubliais d’écrire, se prenait à être sévère ; mais je devenais si pâle en face d’un livre de lecture, j’avais de telles inquiétudes nerveuses en traçant les barres ou les déliés d’un modèle de calligraphie, que toutes ses belles résolutions s’évanouissaient subitement, et que je reprenais bien vite le cours de mes pérégrinations interrompues.

On ne pouvait pourtant pas forcer une enfant de sept ans à demeurer tranquille par un si beau soleil ; la santé avant tout !… Et voilà comment se terminaient habituellement ces tentatives de précoce éducation.

J’en viens à mon histoire dont, par distraction, je ne vous ai pas encore dit le premier mot.

À l’époque dont je parle, notre commune recevait périodiquement la visite des bandes nombreuses de Bohémiens qui traversaient notre pays pour se rendre en France, en Suisse ou en Italie, suivant la saison. Ces vagabonds éternels dont jamais le pied ne se fixe nulle part, qui côtoient dédaigneusement une civilisation qu’ils ne veulent point accepter, étaient un objet d’épouvante et de répulsion pour tous les habitants de nos paisibles villages. Quand une de ces tribus pillardes s’abattait sur nos hameaux, les portes se fermaient, les enfants s’éclipsaient derrière les murs, les haies ou les meules de foin les plus proches, et ce n’était qu’à pas furtifs et la mine effarée qu’ils reprenaient le chemin de la maison. C’est que toute sorte de mauvais bruits couraient sur ces créatures sales, déguenillées, bronzées par les vents et les soleils de toutes les latitudes.

On disait qu’ils mangaient les petits enfants au-dessous de quatre ans, après les avoir fait griller sur un grand feu de copeaux ; que les femmes lisaient dans la main l’avenir de la personne qui les interrogeait ; que les hommes avaient le pouvoir de faire grêler sur les récoltes, d’arrêter la foudre d’un mot ou d’un signe, de faire apparaître le démon sous toutes les formes, de changer en chiens, en pourceaux, en renards ou en corbeaux ceux qui ne leur faisaient pas une aumône suffisante ; enfin, qu’ils avaient tous le don de charmer les enfants, d’enchanter les jeunes filles dont ils voulaient s’emparer.

Je ne sais trop comment vous prendrez l’aveu que je vais vous faire, mais je dois à la vérité de déclarer qu’instinctivement je ne partageais point la frayeur et l’éloignement des villageois pour les bohèmes. D’abord, rien n’était jamais venu confirmer les dires malveillants des commères sur leur compte ; jamais un enfant n’avait manqué, jamais une transformation insolite n’avait eu lieu, malgré les rebuffades très-accentuées que les vieilles zingare essuyaient de la part des ménagères écononomes ou des paysans bourrus. Si le diable ou quelque fantôme était apparu, la nuit, au carrefour : d’un chemin ou dans un sentier désert, rien ne prouvait qu’il y fût venu à la voix d’un chef irrité ou d’une femme vindicative.

Donc, je trouvais dans mon petit raisonnement qu’il ne fallait pas leur en vouloir puisqu’ils ne faisaient aucun mal, ni les rebuter parce qu’ils étaient laids, malpropres et déchirés. N’étaient-ils pas bien malheureux de n’avoir point de maison pour s’abriter dans les jours froids et mauvais, point de lit bien chaud et bien douillet pour se reposer la nuit, point de table où sur la nappe blanche se pressassent les mets succulents auxquels j’étais habituée ? Sans doute, je ne savais pas pourquoi ils étaient privés de ces bienfaits qui m’avaient été octroyés bénévolement sans les avoir cherchés ni mérités… C’était probablement déjà un rudiment de question sociale qui s’agitait confusément en moi.

Ce qui surtout m’attirait vers ces êtres étranges, c’est qu’ils venaient de loin pour s’en aller plus loin encore peut-être. Ils gardaient sur leurs joues brunies un souvenir des chauds soleils d’Italie et des froides bises des forêts du Nord ; sur leurs pieds s’étaient amassées la poussière de tous les chemins parcourus, la fange de toutes les villes traversées.

On pouvait lire dans leurs grands yeux noirs les impressions fugitives de tableaux sans cesse renouvelés. Ils savaient un mot de toutes les langues humaines, ils avaient mangé le pain de toutes les nations. Voilà ce que j’aimais chez ces pauvres déshérités que personne n’invitait à s’asseoir à la table de famille, que nul ne saluait d’un geste ou d’un sourire.

Il y avait près du grand château, au lieu dit les Trois Sentiers, une place qu’affectionnaient, je ne sais trop pourquoi, les caravanes de Bohèmes qui s’arrêtaient chez nous. Deux ou trois fois par an, ce carrefour s’encombrait de chariots détraqués, de voitures rouges ou bleues dont les peintures salies par la boue des chemins s’écaillaient en vingt endroits, de chevaux échappés au couteau de l’équarrisseur, d’ânes hors d’âge usant leurs dernières forces à trainer ces baraques vermoulues dans lesquelles s’entassaient pêle-mêle pour dormir des hommes, des femmes et des enfants.

Dans un des angles du rond-point s’élevait un chêne énorme prêtant complaisamment son ombre et son abri aux gens et aux bètes. D’un côté, une haie de buis géants ; de l’autre, des poteaux mobiles et des cordes en treillis servaient de fermeture à ce campement provisoire. Quand cette installation sommaire était faite, femmes et enfants se répandaient dans les villages environnants, les uns quêtant d’une voix nasillarde et traînante un p’tit peu d’beurre, un p’tit peu d’farine, un p’tit peu de pain, d’légumes, d’lard, et généralement tout ce qui leur manquait pour improviser un repas ; les autres pour piller çà et là le bois nécessaire à la cuisson de cette victuaille.

J’avais souvent assisté de loin aux apprêts de ces dîners champêtres, moins à dédaigner qu’on pourrait le croire. Il se confectionnait là de ces soupes dont le bouillon doré et l’odeur appétissante faisaient venir l’eau à la bouche. Toutes les provisions extorquées à grand renfort d’éloquence à la faiblesse peureuse des paysans concouraient au festin, lequel se prolongeait ou s’écourtait suivant l’importance de la récolte du jour. Pendant que pères, mères et enfants se restauraient, les animaux de la tribu mâchonnaient quelques bouchées de foin dérobées aux meules d’alentour ou se régalaient de quelques poignées d’herbes fraiches coupées le long du grand chemin.

Eh bien ! cette vie ne m’effrayait point : je leur voyais faire de si bons sommeils, couchés sur le dos le long des fossés des routes ! Les petits Bohémiens étaient si gais, si rieurs, si étourdis entre eux ! Ils grimpaient si drôlement aux arbres, ils savaient tant de jolis tours d’acrobates ! Danser sur des cordes tendues faire les gruaux, la roue, le moulinet, contrefaire le cri de tous les oiseaux et de toutes les bêtes que je connaissais ; ils savaient dire papa, maman, bonjour, dans cinq ou six langues différentes ; quelques-uns avaient vu Madrid, une grande ville d’Espagne dont mon livre de géographie disait le plus grand bien ; d’autres s’en allaient à Paris !… Paris, ce mot aussi beau, aussi magique pour nous que celui de Paradis ! Paris où les voitures ne s’arrêtaient jamais, où le roi de France demeurait, où les marchandes de Chambéry allaient deux fois par an chercher les robes, les chapeaux, les fleurs, les plumes que toutes les grandes dames portaient !… Paris, où j’avais déjà deux amis : Joseph B*** et Noël Ringuet, le fils de notre menuisier !… Ne pensez-vous pas que je devais trouver bien heureux ces petits va-nu pieds qui, sans payer un sou, en baguenaudant, pour ainsi dire, tout le long de la route, s’éveilleraient un jour dans la grande ville, dont tout le monde parlait ?…

Ces pensées, je dois le dire, sommeillaient en moi, et ce n’était que de loin en loin, dans mes rêveries enfantines, que je formulais le désir de partager cette vie que je ne connaissais que par ce que je croyais être son beau côté.

Un matin de septembre, à l’heure où les troupeaux partaient pour le pâturage, toute la bande de bergers longeait le chemin du grand village en riant, criant, se bousculant, chassant à grands coups de fouet devant elle les grosses vaches brunes, les bouvillons indociles et les moutons têtus ; pendant que nous les petits messieurs, race parfaitement inutile à cet âge, nous dépouillions les buissons et les haies des mûres noires qui pendaient en bouquets serrés au-dessus des hautes herbes des fossés. C’était un moment charmant pour les courses lointaines ; nous avions de longues heures à dépenser en flânerie avant de penser au retour. Qu’il était bon de partir ainsi sans but et sans autre boussole que notre fantaisie, comme de jeunes oiseaux à la volée, picorant deci, delà, des noix, des pommes, des raisins, jusqu’à ce qu’une faim sérieuse nous ramenât à la bonne table de famille !

Donc, ce jour là, il faisait beau temps, et nous étions en maraude. Tout d’un coup l’un de nous s’écrie : Les Bohémiens ! Les Bohémiens !… Ah ! quelle aubaine ! Une nouvelle à répandre… quelque chose à voir et à raconter ; c’était plus qu’il n’en fallait pour faire frétiller nos cœurs de plaisir ! En effet, une tribu entière de zingari s’avançait sur la route conduisant aux Trois Sentiers, mais cette fois nous avions une chance de plus : ces Bohémiens paraissaient être des bateleurs.

Deux grandes voitures jaunes et bleues, tirées par un attelage poussif, aidé par quatre ou cinq grands gaillards à chevelure flottante, vêtus de lambeaux d’étoffes rapiécées, roulaient péniblement sur les graviers aigus de la voie. Ces voitures, grandes comme quelques-unes des maisons de notre village, étaient percées de plusieurs fenêtres d’où sortaient ébouriffées et noiraudes les têtes de six ou sept petits drôles, filles ou garçons, c’était ce que nous n’approfondimes point au premier abord. Mais ce qui nous fit bondir de joie, nous jeta dans un véritable ravissement, c’est que nous aperçûmes, juché sur l’impériale de la première des baraques, un singe !… oui, vraiment, un affreux petit singe que je trouvais, moi, d’une beauté surprenante, étant donné le costume mirobolant qu’il portait.

Courir de toutes nos forces au devant de la caravane, l’entourer, nous hausser tant que faire se pouvait sur nos pieds pour voir dans l’intérieur de ces maisons roulantes, fut pour nous l’affaire d’un instant. On entendait là-dedans un tel remue-ménage, un tel mélange de grognements de bêtes de cris d’enfants, de jacasseries de poules et de voix nasillardes, que nous pensâmes que l’on avait rebâti l’arche de Noé à notre intention. Cinq chevaux, plutôt cinq rosses maigres, tristes et galeuses, avaient charge de traîner les deux véhicules ; un âne, trop jeune encore pour pareille besogne trottait en serre-file le long du chemin montueux. Trois vieilles venaient ensuite, portant dans des hottes peut-être des chiffons, peut-être autre chose.

Enfin, derrière toute cette interminable procession arrivait, comme appoint, une carriole minuscule, à laquelle était attelée une petite vache rousse osseuse, étroite, essoufflée, roulant ses gros yeux mélancoliques sous des paupières rougies par la poussière que les voitures soulevaient devant ses pas. J’ai su depuis beaucoup de particularités sur cette bête si résignée ! elle se nommait Miouck et était née en Pologne. Voyez-vous d’ici le joli ruban de route que cette pauvre vache avait dû faire pour venir échouer un jour au Chaffard ?… Oh ! ce que c’est que la destinée !…

Bref, toute cette foule suante et piaillante finit par s’arrêter au carrefour des Trois-Sentiers. Je me suis quelquefois demandé par quelle intuition ces bohèmes savaient qu’il existait là une place pour camper. N’ayant rien trouvé à me répondre, j’ai laissé courir l’idée ; aussi bien cela n’ajoute rien à l’intérêt du récit, si tant est qu’il en ait.

Pour toute conclusion donc, je vous ai dit que les chevaux firent halte. Soudain, un bataillon de petits moricauds sortit des baraques, aussi peu vêtus que possible ; trois surtout qui, certes, ne devaient pas d’arriéré à leur tailleur. Au moment où ils dégringolaient par l’escalier de leur demeure leurs mères, pour raison de convenances pobablement, les reprirent quelque part par derrière, et les envoyèrent un peu vivement rouler au milieu des marmites de la communauté. Cela me fit, je l’avoue, réfléchir sur les mauvais moments de l’existence des petits Bohémiens. Ce ne fut pourtant que passager, j’avais tant de choses à voir !

Quand le brouhaha des marmots se fut apaisé, je vis sortir de la carriole une ravissante petite fille brune comme un pruneau, mais gracieuse et leste comme une de ces mouches aux ailes dorées auxquelles nous faisions la chasse sur le bord des ruisseaux. Son premier pas fut une pirouette, son premier mot un couplet de chanson.

Que cette petite était jolie ! Elle portait un reste de costume pailleté qui avait dû coûter bien de l’argent au temps où la couturière l’avait livré ; pour le moment, il restait çà et là une étoile d’or sur un fond vert-tendre agrémenté d’une bordure de velours un peu roussie par l’usage, mais faisant encore assez d’effet pour nous ravir d’admiration. Un vieux maillot de coton rose serrait ses jambes fines ; quelques mailles sautées laissaient apercevoir la peau brune de la fillette. Elle avait une forêt de cheveux noirs tombant en grandes boucles sur ses épaules ; un cordon doré serrait son front, et se nouait derrière la tête sur ses cheveux.

Dès qu’elle eût chanté et pirouetté, le singe, auquel nous ne pensions plus, fit mille contorsions pour attirer son attention. Voyant que cela ne suffisait point, il se mit en devoir de descendre de l’impériale où il était juché, en faisant entendre un bruit sec produit, sans doute, avec ses mâchoires dont les dents blanches craquaient, comme si elles se fussent broyées. En trois culbutes il fut en bas, et d’un saut s’installa sur l’épaule de la petite Bohémienne. Alors commença un colloque entre l’animal et l’enfant, tous deux très-amis, à ce qu’il nous parut, et très-aises de se revoir.

Vous pouvez penser qu’en présence de ces deux créatures étranges, tout le reste du spectacle pàlissait à nos yeux. Si bien que l’installation était terminée, les voitures rangées le long de la haie ; les chevaux, l’âne, la vache et divers autres animaux dont je n’ai plus souvenir étaient entravés ou attachés à des pieux, sans que nous eussions pensé à détourner nos regards du petit groupe que formaient les deux amis. Un peu par coquetterie, je pense, ils nous avaient tous deux donné un échantillon de leur savoir-faire. La petite brunette, tantôt caressant, tantôt grondant, faisait exécuter au singillon ses plus jolis tours : En avant deux, cavalier seul, ou la toupie vivante, il savait tout faire à la perfection. Au moindre signe, il changeait d’exercice, allait, venait, se couchait, dormait, et mille autres drôleries qui nous enchantaient.

En fin de compte, et probablement las tous deux de cette exhibition, le singe, au commandement énergique de sa maîtresse, remonta sur la voiture, et se tint majestueusement coi, comme un juge à l’audience.

Il y avait déjà longtemps que je ruminais en moi-même de quelle façon je pourrais lier conversation avec cette fillette pour laquelle je me sentais pleine de bons sentiments.

Je n’étais pas précisément timide dans les grandes occasions ; aussi après avoir fait mon petit thème, prenant délibérément mon parti, je lui lançai hardiment cette question :

« Dis, petite, comment t’appelles-tu ? »

Certainement mes camarades ne s’attendaient point à tant d’audace, car tous levèrent le nez avec effroi, persuadés que j’allais être punie de mon indiscrétion. Mais la jolie enfant, au lieu de se courroucer, jugeant sans doute sur ma mine de mes bonnes intentions à son égard, me sourit amicalement et répondit, à notre stupéfaction, dans un français arrangé à sa façon :

« Z’ai moi le nom Sta. »

Soit que ce nom leur parut insolite, soit que l’accent étranger de la Bohémienne les eût mis en gaité, un éclat de rire intempestif de mes compagnons couvrit sa voix câline, et accueillit sa réponse. Elle rougit, et nous fit la moue. Pour mon compte, je n’avais point ri ; je démontrai même très vivement aux insolents mon indignation de leur mauvais procédé.

Nous n’avions pas l’habitude de prendre des gants pour nous exprimer notre façon de penser. Je fus emportée ; ils furent grossiers ; les coups étaient proches… Être seule de mon opinion et la soutenir quand même était une chose qui ne m’effrayait point. Je me rangeai contre la haie, faisant face à la troupe de mes adversaires, composée d’une petite fille, excellente et paisible mère de famille aujourd’hui, et de trois petits garçons qui on, je crois, très-pacifiquement fait, plus tard, leur chemin dans le monde. Garantie de toute traîtreuse attaque de leur part, je leur jetai fièrement ce mot comme un sanglant défi : — Malhonnêtes ! Ah ! dame ! cela devint chaud ! Les pierres s’en mêlèrent ; ils étaient quatre, j’étais seule ; l’inégalité était flagrante. Malgré mon courage, j’allais succomber… quand un renfort inespéré m’arriva. Sta, ma nouvelle amie, car je sentais que nous allions nous aimer, — fit un geste, poussa un cri, et, prompt comme l’éclair, son singe quitta sa mine béate, fit deux bonds, une cabriole, et se trouva droit comme un I devant la Bohémienne, prêt à exécuter ses ordres, avant que nous fussions revenus de notre ébahissement. Du doigt, Sta montra mes agresseurs, en faisant claquer sa langue contre son palais. Ah ! quelle déroute ! quelle reculade ! Je vous assure que j’en ris encore aux larmes en y pensant. L’animal, excité par la petite fille, courut sus aux bambins en montrant les dents d’une façon terrible, accompagnant cette grimace peu rassurante de la pantomime la plus expressive. S’armant de cailloux, de branchages desséchés et autres projectiles à sa portée, il les lança très-adroitement contre les imprudents, qui, du reste, je dois le dire, vidèrent assez lestement les lieux pour ne rien craindre de sa fureur.

Quand ils eurent disparu à l’horizon, c’est-à-dire au détour du chemin, la vaillante bête, sans s’enorgueillir plus qu’il ne convenait de son facile triomphe, s’en revint modestement demander à Sta une récompense qui ne se fit point attendre.

Ici, je me sens prise d’un scrupule de délicatesse que l’on comprendra : je ne voudrais point dépoétiser mon héros en révélant ses faiblesses, et je conçois qu’il serait utile pour sa réputation de ne point dire en quoi consistait la rémunération de ses exploits ; mais la vérité est là, elle sera toujours là, tandis qu’il y a beau temps que le singe se moque de ce qu’on pourrait penser de lui. Donc, voici le fait. La Bohémienne appela les marmots qui se vautraient dans la poussière, comme de jeunes porcs dans un fossé quatre ou cinq accoururent. Sta montra au singe leur tête, et l’animal joyeux, sautant d’une épaule à l’autre, se mit en chasse dans la chevelure graisseuse et crépue de chacun d’eux.

Je dois dire que le contentement paraissait égal des deux côtés : la complaisance des moricauds et la dextérité du singillon produisirent des résultats très appréciables ; mais comme il ne faut abuser, de rien, Sta donna le signal de la retraite au vorace quadrumane qui, bien à regret, abandonna le champ de carnage pour reprendre sa position mélancolique sur le haut de la baraque.

C’en était fait la glace était rompue entre la petite danseuse et moi. Les amitiés d’enfants, pour être spontanées, n’en sont que plus vives. Au bout d’un quart d’heure, nous n’avions plus de secrets l’une pour l’autre.

Je lui avais dit mon nom ; elle savait que je possédais trois poupées, dont une que je ne pouvais souffrir parce qu’elle avait les yeux tournés en-dedans. Elle savait que j’avais une grand’mère qui me gâtait beaucoup ; que j’allais à l’école l’hiver dans une grande chambre noire où je m’ennuyais tout le jour ; qu’il y avait là une chatte qui se nommait Mademoiselle, une bien désagréable bête, vous griffant sans pitié lorsque vous lui tiriez la queue Elle savait, elle savait…… tout ce que j’avais eu le temps de lui raconter en me pressant un peu.

De mon côté, j’avais appris qu’elle venait de Marseille, et qu’elle allait à Naples. Elle me dit avoir vu déjà quatre fois la mer, que c’était tout plat et plus grand que le ciel que nous avions sur nos têtes. Je sus aussi que le petit singe se nommait Pruk, qu’il était âgé de quatre ans ; qu’elle, Sta, avait cinq frères, trois seeurs et beaucoup de cousins, parmi lesquels il y en avait un, nommé Titzo, qu’elle aimait plus que tous les autres. Ce cousin n’avait que quatorze ans, mais il était assez fort pour se battre avec un homme. Sta me dit encore que la moitié de la bande était demeurée à Chambéry pour y donner des représentations. Les Bohémiens que je voyais devaient attendre leurs compagnons pour repartir tous ensemble, mais elle ignorait combien de jours ils camperaient aux Trois-Sentiers.

Ces choses, Sta me les disait dans un langage pittoresque, émaillé de mots de toutes les consonnances et de tous les dialectes. Au fond, nous avions bien un peu de mal à nous comprendre, mais je n’en étais pas moins enchantée de ma nouvelle connaissance, et certes je n’eusse point encore interrompu l’entretien si, tout d’un coup, je n’avais vu apparaître à trente pas la figure rouge et renfrognée de Josette, qui, probablement avertie par les fuyards de ma présence au camp des Bohémiens, venait tout droit m’y relancer. Il fallut quitter mon amie, non sans lui avoir fait promettre de me rendre très-prochainement visite, en compagnie de Pruk, bien entendu.

Je suivis donc Josette, laquelle me gronda tout le long du chemin, m’assurant en outre que je n’en serais pas quitte pour cela… — Si ce n’était pas des abominations !… Avoir battu mes compagnons… les avoir mis en fuite, à l’aide d’une sorcière de bête, que c’était peut être venimeux… cela méritait une punition dont mes oreilles garderaient longtemps un cuisant souvenir….

À mesure que j’avançais, ma faute prenait, même à mes yeux, des proportions d’une gravité inquiétante. J’allais avoir à répondre de mon délit devant toute l’assemblée des parents de mes ex-amis. Cependant, comme je n’en étais pas à mon coup d’essai là-dessus, ce fut l’âme point trop troublée que je rentrais chez grand’mère. Mes camarades avaient passé par-là, cela se voyait de reste.

J’eus deux fables à étudier, quatre pages de barres à confectionner, et comme œuvre expiatoire, deux échevaux de coton à dévider !…… Vous voyez que bonne-maman savait rattraper la sévérité perdue quand elle faisait tant que de s’y mettre.

Oh ! vous tous gens raisonnables d’à présent, vous, mes contemporains, hommes et femmes, qui perdez un instant à me lire, vous souvient-il du profond désespoir dans lequel vous a plongés jadis une situation pareille à celle que je décris ? Vous souvenez-vous d’avoir pleuré toutes les larmes de votre cœur pour une de ces peccadilles que les moutards d’aujourd’hui dédaignent de commettre ? Vous souvient-il de ces appels farouches et désespérés à la miséricorde céleste pour vous délivrer des corrections paternelles ?… Vous en souvient-il, dites, vous en souvient-il ?… Je pleurai, je rageai ; je pris les chaises et la pendule à témoin de mon affliction et de mon courroux. Puis, comme adoucissement à ma peine, je jetai le malencontreux fabuliste sous une commode, bien décidée à l’y laisser à jamais.

Grand’mère, en femme de précautions, était allée passer l’après-dîner chez la vieille Mme B***, afin de n’avoir pas l’occasion de s’attendrir. Josette, s’étant constituée ma gardienne, tricotait assise en travers de la porte d’entrée. Je n’avais donc rien à espérer ; rien autre à faire qu’à me désoler, puisque je n’admettais ni les barres, ni les fables, encore moins le coton à dévider. Je m’en donnai à plaisir. Les heures se succédèrent bien lentement ce jour-là.

Accoudée sur le rebord de la fenêtre, je regardais passer dans le ciel les grands nuages blancs qui ressemblaient à des maisons à roulettes ; plus bas, les hirondelles, filant comme des flèches d’un bout de l’horizon à l’autre, les moineaux voletant sur le toit des granges, les papillons visitant les unes après les autres les fleurs de notre jardin, les abeilles regagnant leur logis, les moucherons dansant une farandole effrénée autour d’un rayon de soleil et les mouches venant bourdonner jusqu’à mes oreilles la joyeuse chanson de la liberté !… Oui, tout cela se mouvait, volait, chantait, tout s’abreuvait d’air frais, de soleil et de bonheur insouciant, tous étaient libres… sauf moi ! moi qui sanglotais, moi qui devais m’instruire, et n’avoir jamais d’ailes !… Ah ! mon Dieu, que j’ai pleuré cette fois-là !… Je pensais au singe, à Sta, aux petits bohémiens qui se roulaient dans l’herbe, voire même à l’ânon qui n’avait, présumai-je, qu’une mission en ce monde, celle de trotter sur le bord des routes… Et je me disais : « Qu’ils sont heureux ceux-là ! Ils vivent à leur fantaisie, sans souci des livres et des cahiers d’écriture. Ils ne doivent pas être, comme moi, une demoiselle bien élevée, sage, tranquille et ne parlant que lorsqu’on l’interroge… Oh ! qu’ils sont heureux, et que je voudrais être à leur place !… »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tout passe, nous le savons bien maintenant, n’est-ce pas ?… Le plaisir et la peine se succèdent tour à tour, et le rire revient vite aux lèvres de l’enfant.

La journée s’acheva. Je fus pardonnée. La Fontaine s’en revint de son voyage sous la commode, et le coton se dévida, grâce au concours précieux et assidu de cette chère grand’mère qui, je le crois, sans l’avoir jamais su positivement cependant, avait le cœur aussi gros que le mien de la punition que j’avais failli faire.

J’avais signé un nouveau traité de paix avec mes quatre adversaires, et dès le lendemain de mon emprisonnement, nous avions repris nos jeux, nos promenades. Pourtant, je l’avoue, je laissais bien souvent mes camarades se créer des distractions nouvelles ou faire des courses lointaines pour écouter les interminables récits de la jolie danseuse.

J’avais obtenu que Sta et Pruk pourraient venir dans la journée s’installer dans la cour de la ferme, située sous les fenêtres de la chambre où grand’mère travaillait. De cette façon, j’étais surveillée sans être privée de la présence de mes amis. Que d’heures nous avons passées assises toutes deux sous le grand mûrier ombrageant la cour, Sta me contant tout ce qu’elle avait vu, moi l’écoutant les yeux grands ouverts et la bouche béante, pendant que le singe, suspendu aux branches de l’arbre, se gorgeait de mûres déjà flétries !

C’est que c’était bien beau ce qu’elle savait et ce qu’elle avait vu, la zingarella ! La mer surtout, ce mot qui, tout petit qu’il est à l’oreille, me représentait une chose aussi vaste que tout ce que je pouvais imaginer !

Et les palais tout en marbre blanc, comme la cheminée de notre salon de Chambéry ! Et les églises si hautes, si hautes que l’on ne voyait plus les oiseaux qui se perchaient au sommet de leurs clochers… Les jardins tout plantés de roses, les bois où grandissaient des arbres portant des oranges, des citrons, des dattes, des figues, que j’avais toujours cru être nés tout uniment, chez les confiseurs… Que ce devait être admirable, ces chemins bordés de haies toujours fleuries, ces champs où croissaient pour tout le monde les fruits qu’ici l’on payait si cher !

Par exemple, un détail qui me refroidissait un peu, c’était que ce paradis terrestre était habité par d’affreuses petites bêtes que l’on trouvait partout : les zanzares (moustiques) qui vous empêchaient de dormir, les scorpions se collant aux murs et pénétrant jusque dans votre lit, les tarentules qui pouvaient faire mourir d’une piqûre ; puis quelquefois les sauterelles, arrivant tout à-coup dans le ciel comme un grand nuage noir, se jetant sur les prés, les vignes, les jardins, rongeant tout ce qui se trouvait devant elles, comme des chèvres brouteraient des salades.

Comme notre pays me semblait petit, laid et mesquin auprès de ces contrées enchantées ! Est-ce que cela valait la peine d’y demeurer ? Qu’était-ce qu’un endroit où l’on ne trouvait que des pommes, des raisins, des cerises !… Qui est-ce qui n’en mangeait pas de ces fruits-là ?… Qui est-ce qui ne savait pas comment cela était fait ? Il y en avait dans toutes les vignes, dans tous les jardins… C’était vraiment honteux d’avoir un pays aussi vulgaire, hérissé de montagnes qui tenaient toute la place !…

Puis, chez nous on ne parlait que français et patois… Il y avait bien encore le piémontais pour quelques-uns, mais cela ne comptait pas, on n’y comprenait rien !…

Oh ! que je me trouvais malheureuse au Chaffard, et que j’aurais voulu être à la place de Sta !…

Au reste, je n’étais plus seule à nourrir le désir de voyager : Alexandre V., le fils d’un de nos voisins de campagne, mon meilleur camarade, mon ami le plus intime, s’était pris, lui aussi, d’enthousiasme pour la vie nomade des bohèmes. C’était un charmant blondin, vif comme la poudre, bon comme le pain et ne rêvant que batailles et aventures. Il avait huit ans, je n’en avais que sept, mais cette supériorité d’âge ne le rendait point plus méchant compagnon. Le voisinage de nos parents et les bonnes relations d’amitié qui les unissaient nous permettaient de vivre pour ainsi dire comme frère et sœur. Toujours d’accord en principe, ce n’était que sur les détails que nous nous disputions quelquefois. Il connaissait toutes mes escapades, je savais toutes ses sottises, et grâce à cette entente, nous pouvions souvent éluder les punitions méritées.

Je l’avais mis dans la confidence de mes secrètes aspirations. Il se trouva qu’il les partageait avec d’autant plus de vivacité que le métier d’acrobate lui paraissait primer de beaucoup tous les autres.

Nous avions d’ailleurs la tête encore fort montée du spectacle que venaient de donner les compagnons de Sta, sur la grande place de la commune.

Comme tous les assistants accourus des quatre coins de la paroisse, nous avions admiré ensemble les tours d’adresse des uns, les jongleries des autres, la science précoce d’un roquet noir jouant aux dés, et le talent musical de Pruk marquant la cadence en frappant sur un tambour gros comme un melon de poche, pendant que cette petite fée de Sta exécutait la danse de la plume, sorte de valse vertigineuse dont la seule vue coupait la respiration.

Il est certain qu’une pareille représentation devait achever de mettre nos petites cervelles à l’envers, si bien que, de retour à la maison, nous employâmes de longues heures à nous disloquer bras et jambes, afin de juger par nous-mêmes de notre degré d’aptitude à exécuter le saut périlleux, la turbine horizontale ou le télégraphe aérien. À dire vrai, l’exercice me paraissait peu agréable, mais Alexandre me persuada qu’on se faisait à tout, et qu’à la fin on était plus son aise sur une corde tendue qu’une carpe au milieu d’un lac.

Il se peut cependant que nous fussions peu à peu revenus de cette toquade si les projets d’émancipation, dont nous avions fait part à notre amie Sta, n’eussent servi à souhait les mauvais desseins du chef de la troupe. La petite fille, bien stylée par lui et par sa méchante mère, nous promit monts et merveilles si nous voulions l’acccompagner seulement jusqu’à Turin.

D’abord, il était entendu que nous voyagerions dans la petite carriole que traînait Miouck, la vache polonaise ; puis Sta me ferait cadeau de Pruk, le joli petit singe ; Titzo donnerait à Alexandre le roquet savant, et ce qui acheva de nous séduire, ce fut qu’ils nous promirent de nous laisser ramener nos chères bêtes avec nous à notre retour en Savoie, car notre intention n’était certes pas de ne plus revenir à la maison. Seulement, dans notre insoucieuse ignorance de la vie pratique, il nous semblait très simple d’aller à Turin, où d’ailleurs mon petit camarade avait un oncle qui, à l’entendre, serait ravi de le recevoir. Sans doute, il se mettrait en quatre pour nous montrer les merveilles de la ville… Nous verrions le roi !… J’en sautais de bonheur, moi qui ne pouvais m’imaginer quelle forme précise avait une majesté… Alexandre, plus positif, réservait son admiration pour le régiment des gardes du corps, pour les beaux équipages et les chevaux couverts d’or et d’argent. Enfin Turin nous apparaissait dans le lointain comme ces villes enchantées des contes arabes que nous lisions ensemble…

Quant au retour, il était tacitement convenu que l’oncle y pourvoirait, et nous ne pensions pas à nous inquiéter des voies et des moyens de l’effectuer.

Quoi qu’il en soit de ces folles idées d’enfants, j’ai hâte d’arriver au dénouement d’une aventure que je vous ai peut-être déjà trop contée par le menu.

En ce temps-là, grand’mère avait un procès qui lui donnait bien du tourment et, surtout, la forçait à faire de nombreuses courses à Chambéry, où parfois elle couchait. Dans ces circonstances, outre Josette à qui j’étais spécialement confiée, bonne-maman s’en remettait à la gracieuse obligeance de madame V., la mère d’Alexandre, certainement la meilleure femme que la terre eût portée, laquelle se chargeait de remplir auprès de moi le rôle de maman.

Oh ! cher bon temps d’autrefois, où les voisins ne faisaient souvent qu’une même famille, où le couvert des enfants était toujours mis, quelle que fût la table à laquelle ils vinssent s’asseoir !… Chère hospitalité savoyarde si large et si simple à la fois, qui donc t’as bannie de nos mœurs ?… Ces relations si cordiales qui donc les a brisées ?… Alors, pères et mères voyaient, sans souci de l’avenir, croître autour d’eux leurs enfants, fillettes et garçons, dont leurs juvéniles amitiés promettaient de continuer les traditions de la famille et du foyer… Rien ne divisait ces cœurs destinés à vivre sur le même sol, à se nourrir des mêmes idées et des mêmes exemples… Aujourd’hui…

Mais, voyez un peu où s’en va courir ma plume, à propos d’une escapade de deux bambins !…

Je reprends bien vite mon récit pour ne plus l’interrompre.

Donc, par suite d’une convocation imprévue, un matin grand’mère, après avoir revêtu sa robe de cérémonie et mis son chapeau à fleurs, me dit qu’étant obligée d’aller en ville et peut-être d’y coucher le soir, j’irais passer la journée chez madame V., qu’elle avait priée de me garder pendant son absence. Je promis, comme de coutume d’être bien sage et bien honnête, et la chère femme partit tout-à-fait rassurée.

J’aimais beaucoup à dîner dans la maison de nos amis. Gasparde, la cuisinière, connaissait à fond le répertoire des friandises agréables aux enfants. Puis il y avait tant de bonnes choses dans le grand placard de la salle à manger et dans le fruitier où l’excellente Mme V. nous mettait en prison quelquefois !… Et le jardin si beau et si grand, le verger avec ses longues allées sablées, le labyrinthe où nous jouions à cache-cache ! Vraiment, il faisait bon vivre dans cette maison, et, en temps ordinaire, nous y passions très-bien nos journées sans ennuis ; mais avec les nouvelles idées qui nous trottaient en tête, il est certain que ce jour-là Alexandre et moi nous trouvâmes, dès le matin, les heures trop longues. Si bien que, sous le premier prétexte venu, nous nous échappâmes pour aller rôder à travers le village en compagnie des petits paysans inoccupés et de nos autres camarades de jeu.

Là nous apprîmes une grande nouvelle : les bohémiens allaient probablement partir, parce qu’on les avait vus ployer les toiles de leurs tentes et faire tous les préparatifs de la levée du camp.

Ces détails nous jetèrent tous deux dans une grande perplexité. Est-ce que Sta ne viendrait pas nous avertir comme elle l’avait promis ?… Est-ce que nous n’irions plus à Turin ? Est-ce que Pruk et le petit chien ne seraient plus à nous ?… Je sentais mon cœur se gonfler à ces amères pensées… et j’aurais donné bien gros pour savoir à quoi m’en tenir. Ce fut encore Alexandre qui me réconforta « Écoute, me dit-il, je suis bien sûr que les bohémiens ne partiront pas avant midi ; nous irons les voir tout de suite après dîner ; mais n’en dis rien, rien à personne, parce que nous ne pourrions plus partir. » Je me tus donc, malgré la bonne envie que je sentais de crier bien haut que j’allais voir Turin.

Il était écrit que cette fois-là tout devait concourir à l’accomplissement de nos désirs… Des convives inattendus arrivèrent dans la matinée chez Mme V. Les embarras de la réception occupèrent assez la maîtresse de maison pour lui enlever le loisir d’une surveillance que nous étions habitués, du reste, à éluder.

Le dîner, quelque peu retardé, se prolongeant plus que de coutume, il nous fut permis de quitter la table dès que le dessert eût été servi. Mme V. bourra nos poches de fruits et de friandises, et nous envoya jouer dans le verger avec les recommandations d’usage. Alexandre promit tout ; pour moi, depuis quelques instants, je me sentais en proie à un malaise intérieur dont je ne me rendais pas compte et que je tâchais de dissimuler devant mon complice, inaccessible à la faiblesse lorsqu’il s’agissait de contenter une de ses fantaisies. Je ne pourrais peindre mieux mes sentiments intimes qu’en disant que j’aurais voulu être déjà de retour de Turin. C’est avouer que, tout en n’abandonnant pas l’idée du voyage, j’éprouvais un vague ennui de l’entreprendre ; mais avec un compagnon aussi décidé que l’était Alexandre, il n’y avait plus à reculer. Ce fut donc soutenue et entraînée par la crânerie de mon ami que je m’éclipsai, comme lui, derrière la haie de charmille qui séparait le clos du grand chemin et que je le suivis dans sa course vers le chêne des Trois-Sentiers.

Un peu avant d’y arriver, nous vimes venir à nous Sta rouge et essoufflée, un doigt sur la bouche, nous faisant signe de ne pas lui parler avant d’être près d’elle. Nous nous approchâmes en lui demandant s’il était vrai qu’elle allait partir. « Si, nous dit Sta, nous partir le zour de ce soir. Le cef a dit à moi aller prendre toi et toi, continua-t-elle en nous désignant l’un et l’autre, sans point de paroles pour les autres. »

La fillette faisait tant de gestes, savait si bien tirer parti de ses regards et d’une petite moue mignonne de sa jolie bouche, qu’il nous était devenu très-facile de la comprendre, malgré le décousu de ses phrases.

J’ai eu souvent l’occasion depuis de constater la merveilleuse aptitude qu’ont les enfants à saisir mutuellement le sens de leurs pensées, quelle que soit la difficulté qu’ils éprouvent à s’énoncer. Nous comprimes donc très-bien toutes les recommandations de la petite danseuse qui, sans doute, avait reçu du chef des instructions très-précises à cet égard.

Ces indications tendaient à dissimuler la part que les bohémiens avaient prise à notre fuite et à tâcher que surtout celle-ci ne fût pas remarquée. Il s’agissait pour cela qu’Alexandre et moi nous prissions les devants en allant attendre au-delà du village toute la troupe, bientôt prête à partir. Là seulement nous monterions en voiture avec Sta.

Ces précautions et ces cachotteries ne pouvaient inspirer aucune défiance à des enfants de huit ans accoutumés à compter sur la loyauté d’autrui et ne comprenant point quel bénéfice ces zingari pouvaient retirer de notre enlèvement. C’est pourquoi nous promimes à notre amie tout ce qu’elle voulut, et, la laissant retourner seule vers la bande occupée des apprêts du départ, nous coupâmes à travers champs pour rejoindre plus vite la route qu’on apercevait dans le lointain.

Il faisait un temps superbe : le soleil encore haut sur l’horizon mettait sa joyeuse lumière sur tout ce qui nous entourait. C’était le moment du fanage des regains, et les vendanges étaient proches. Partout, dans les grands prés, le long des sentiers que nous parcourions, on voyait des troupes nombreuses de travailleurs. Ici des faucheurs couchant les andains d’herbes fleuries, là des bandes de filles et de garçons occupés à mettre en meule le fourrage déjà sec. Leurs rires et leurs chansons faisaient dans l’air un bruit plein de gaieté et d’entrain. Çà et là les troupeaux de vaches et de brebis, prenant possession des vergers nouvellement fauchés, paissaient tranquilles sous la garde inattentive de quelques petits bergers joufflus et frisés.

Ces gens, nous les connaissions tous. Ils nous voyaient journellement arpenter dans tous les sens bois, champs et broussailles pour revenir le soir, les bras chargés d’un butin quelconque enlevé aux haies fleuries, aux ceps allourdis par le poids des grappes mûres ou aux branches des pommiers, dont les fruits entraînaient les rameaux jusqu’à terre.

Ils nous aimaient tous, ces rudes paysans, dont nos parents étaient les amis, en même temps que les maîtres. Ils savaient qu’à l’heure du partage des récoltes on leur rendrait de bonne grâce la part que les petits messieurs s’étaient un peu trop prématurément adjugée.

Nous avions donc, comme l’on dit vulgairement, les pieds blancs, ce qui nous permettait de ne pas suivre bien strictement les sentiers battus. Ce jour-là, nous abusâmes un peu de la permission : piquant droit devant nous, sans répondre aux bonjours des uns, à l’appel lointain des autres, nous passions rapides à travers les champs d’étroublons[1] et de blé noir, ne tenant compte ni des obstacles à franchir, ni des dégâts que nous pouvions commettre. Enfin, après un quart d’heure de cette course à la diable, la poitrine oppressée et le visage ruisselant de sueur, nous atteignîmes la grande route sur laquelle nous devions bientôt cheminer en compagnie des bohèmes.

Pendant que j’avais couru, la pensée que nous allions quitter le pays, que ce soir-là je ne verrais pas grand’mère, que mon petit lit dans le coin de la chambre resterait vide, et que je devrais passer la nuit en voyage, couchée dans la carriole, à côté de Sta et du singe, cette pensée, dis-je, ne m’était pas venue.

Tout était si joyeux, si vivant autour de nous ! Les hauts rochers de Bellavarda gris et sombres les jours de pluie, maintenant baignés de soleil, ressemblaient à d’énormes blocs d’or s’encadrant dans un ciel limpide et bleu. Il y avait dans l’air, attiédi par l’approche du soir, des parfums de sainfoin qui montaient à la tête. Rien n’était silencieux, rien n’était triste. À nos pieds le criquet, sur nos têtes l’alouette ; tout bourdonnait et chantait. Comment n’aurions-nous pas été heureux de nous sentir vivre en pleine liberté, nous les êtres ignorants et insoucieux par l’âge, dont le cerveau était rempli de la vision féerique des pays inconnus que nous allions voir ?… Oui, je l’avoue, tout cela m’avait enivrée un instant ; mais lorsque, assise sur le bord du fossé de la route, j’eus repris haleine, j’éprouvai la même émotion inconsciente que j’avais sentie déjà m’étreindre le cœur. Je regardais mon compagnon, un peu embarrassée et honteuse d’avoir envie de m’en retourner vers la petite maison rose que je voyais là-bas, là-bas sur le coteau verdoyant du Chaffard. Mais Alexandre paraissait si gai, si tranquille, que je n’osais rien lui dire de ce que je pensais.

Nous attendîmes ainsi près d’une heure, et plus d’une fois la patience faillit nous échapper. Alexandre allait et venait, regardant de tous ses yeux du côté par où devaient arriver les voitures. Peu de personnes passaient à ces heures sur la grande route quelques charrettes, dont les conducteurs étendus tout de leur long sur les sacs ou les tonneaux de leur chargement, dormaient insoucieux confiants dans la sagacité des chevaux de l’attelage ; de rares voitures de maître amenant à Chambéry une société de touristes ou de bourgeois de retour d’une partie de campagne. Personne parmi ces gens ne s’inquiétait de ce que faisaient là deux enfants tous seuls, ayant d’ailleurs l’air d’habiter dans le voisinage.

Enfin, après longtemps, Alexandre s’écria en frappant des mains : « Les voilà ! Les voilà ! » On apercevait en effet, à cent mètres plus bas, les deux grandes baraques bleues et jaunes quitter le chemin communal et déboucher sur la route où nous attendions. Je crois que toute la tribu faisait à pied cette première étape, car nous voyions de loin un fourmillement de monde entourer les deux énormes véhicules ; mais nous eûmes beau regarder, nous ne vîmes point la petite vache et la carriole dans laquelle nous devions voyager.

« Oh ! me dit Alexandre, Miouck a de trop petites jambes, elle ne peut aller aussi vite que les chevaux ; elle arrivera dans un moment. » Il me parlait encore lorsque tout d’un coup nous aperçûmes la petite tête frisée de Sta à la lucarne de la première voiture. Elle nous fit signe en riant ; nous courûmes vers elle…

— Et Miouck, lui demandai je ?

La danseuse me répondit avec volubilité :

« Le carretto est pas bon pour venir, lui est rott’[2]. Tot et toi, monte ici,  » continua-t-elle en nous ouvrant la porte de la baraque.

Mais tous deux nous éprouvions quelque répugnance à entrer dans cette voiture sombre que nous ne connaissions point. Alexandre ne bougeait pas ; moi non plus ; cependant les chevaux s’étaient arrêtés ; les conducteurs, deux grands garçons noirs et mal peignés, attendaient. Le chef, qui probablement surveillait les retardataires de la bande, arriva. Il dit quatre mots à Sta dans cette langue qui leur était habituelle, et que nous ne comprenions pas ; la petite fit un signe d’obéissance, et reprit en s’adressant à nous : « Monte, monte tous deux ; on va à Turin vite, vite. »

Hélas ! ce mot de Turin nous tenta une fois encore, et sans plus hésiter, Alexandre, aidé par le chef, enjamba les trois marches d’escalier et pénétra le premier dans la voiture ; deux secondes après, j’étais auprès de lui ; puis nous sentimes la lourde machine s’ébranler, pendant que la porte se refermait brusquement. C’en était fait, nous étions chez les bohémiens, et en route pour l’Italie.

Nous fûmes tellement étourdis de nous trouver enfermés dans cette boîte noire et puante, au lieu d’être commodément assis sur la banquette du petit chariot, que nous restâmes quelques instants des bout, silencieux, sans songer à regarder autour de nous. Sta, pourtant semblait rayonner d’aise de nous voir là : elle pirouettait sur elle-même, frappait des mains, et répétait à satiété : « Oh ! contente moi ! contente moi !… »

Mon camarade, agacé sans doute par cette explosion d’un bonheur qu’il ne partageait que médiocrement, retrouva le premier sa langue :

— « Oh ! que ta maison est vilaine ! » dit-il en faisant une grimace de dégoût.

« Il fait trop chaud, et ça sent bien mauvais ici ! » ajoutai-je, enhardie par la franchise d’Alexandre.

La danseuse arrêta brusquement ses pirouettes, et, d’un air boudeur, murmura quelques mots dans son idiome incompréhensible.

C’était pourtant vrai, de reste, ce que nous avions dit, et je puis vous assurer que, malgré que je fusse encore bien jeune, je n’ai rien oublié de l’affreux tableau que j’ai eu sous les yeux. Ces impressions-là ne sauraient s’effacer de la mémoire.

La maison de Sta, comme la nommait mon ami, était une grande boîte en planches partagée dans le milieu par une cloison plus haute que moi, et percée de quatre trous étroits et carrés servant de fenêtres. Je ne pouvais voir que la partie dans laquelle on nous avait fait monter ; c’était probablement un des dortoirs de la tribu. L’autre compartiment devait être une cuisine, car on apercevait un morceau de tuyau de poêle qui trouait le plafond tout noirci par fumée. Pas la moindre trace de meubles dans le coin où nous étions ; seulement de larges banquettes, fixées à la paroi par de gros clous, remplaçaient les lits absents. Sur ces espèces de rayons d’armoire étaient étendues quelques nippes sales, des couvertures en loques, une limousine de roulier et nombre d’autres guenilles multicolores. Dans les angles, des épluchures de légumes, de la paille moisie, des chaussures de rebut.

Mais ce qui achevait de donner à ce taudis um aspect repoussant, c’est que tout le dessous des banquettes était habité par une population de poules, de lapins, voire même de cochons de mer occupant, famille par famille, des cases grillées et exhalant une odeur impossible à définir. Oh ! que je me souviens, que je me souviens avec dégoût de toutes ces choses !

Nous n’étions pas seuls dans ce bouge. Outre Sta, Alexandre et moi, il y avait encore une vieille Zingara se tenant courbée et ramassée sur elle-même comme un chat qui fait son ronron. Sans doute elle était infirme et ne bougeait jamais de cet antre de sorcière, car je ne me souvenais pas l’avoir vue sous les tentes avec les autres femmes de la bande. Lorsque la porte s’était refermée sur nous, elle s’était redressée en grognant comme un vieux chien en colère ; puis, se pelotonnant de nouveau, elle redevint immobile et silencieuse.

Quand Alexandre et moi nous eûmes assez examiné les objets qui nous entouraient en formulant, de temps à autre, des réflexions tout autres qu’élogieuses, il nous prit fantaisie de regarder par les fenêtres ce qui ce passait à l’extérieur. Pour moi, le temps me durait déjà du soleil. Les lucarnes étaient placées tout au haut de la baraque, il nous fallait donc monter sur les lits pour atteindre. Alexandre se mit en devoir de se hisser sur le tas d’habits, mais Sta le retint : « Cef veut pas ! » dit-elle d’une façon péremptoire.

Mon pauvre ami eut un mouvement d’étonnement si prompt qu’il dégringola de la banquette où il était déjà debout.

« Pourquoi ? demanda-t-il vivement.

« — Z’ai moi dit : Cef veut pas, cef veut pas, et plus rien ! » et Sta reprit le bras du petit garçon en le serrant plus fort. Mais lui n’était pas de trempe à céder aussi facilement.

« Je veux voir dehors ! je veux ! je veux ! » cria-t-il en se débattant.

En voyant mon petit camarade ainsi molesté, je me mêlai à l’action.

« Tu es une méchante, Sta ! dis-je, grossissant ma voix autant que je le pouvais. Laisse-le regarder, ou bien nous te battrons ! Tu verras ! tu verras ! »

Hélas ! c’est nous qui dûmes constater que nos menaces étaient dérisoires !… La petite bohème, en face de notre rébellion, fit entendre le fameux clapement bien connu de Pruk, et avant que nous eussions su de quel endroit le singillon était sorti, nous le vimes se dresser irrité et menaçant sur l’épaule de sa maîtresse.

Celle-ci lui montra la lucarne en dessous de laquelle nous étions ; l’animal, s’élançant d’un bond sur le rebord de la planchette, s’y installa en nous faisant d’affreuses grimaces. Qu’il était laid, et comme il nous effrayait ! Ce n’était plus là le joli petit singe que j’avais connu et aimé tout d’abord : on lui avait enlevé son superbe costume rouge et or, sa toque à grelots qu’il portait si gaillardement. Maintenant, nous n’avions devant les yeux qu’une bête rousse et velue montrant sous ses babines larges et flasques une double rangée de dents qui donnaient à réfléchir…

Cependant Alexandre était entêté, et, de mon côté, je n’étais point sans avoir du courage quand il le fallait. Tous deux, d’un commun accord, nous essayâmes d’arriver à l’autre croisée ; mais, plus prompt que l’éclair, Pruk nous y avait devancés, et pendant deux ou trois minutes, ce fut entre lui et nous une lutte de vitesse à qui arriverait avant l’autre à ces bienheureuses lucarnes par lesquelles passait la seule lumière qui pénétrait dans la baraque.

Il est entendu que nous renonçâmes les premiers à vaincre l’obstination de notre adversaire, excité par les encouragements de sa maîtresse qui s’en donnait à cœur-joie du plaisir de nous voir nous démener ainsi inutilement.

Alors, exaspérés, honteux, essoufflés, hors de nous, criant, pleurant, frappant du pied, nous nous jetâmes tous deux sur la petite bohème pour nous venger de sa méchanceté.

« Je veux m’en aller tout de suite, tout de suite, disait mon camarade… Je ne veux plus aller à Turin avec toi… tu es trop méchante… c’est trop vilain chez toi… Je ne veux pas rester avec toi : tu es une bohémienne ! une pauvre !… Je veux m’en aller ! je veux m’en aller !!!… »

Ah ! que de fois nous avons répété tous deux cette phrase désespérée, en l’accentuant de coups de pied et de coups de poing lancés un peu au hasard, soit sur les épaules de Sta, soit sur les planches des cloisons qui n’en pouvaient mais.

Nous en aller !… ce n’était plus possible ! Pour sortir de là, il eût fallu pouvoir ouvrir la portière, ou bien passer par une fenêtre ou briser une des parois de la baraque. Aucun de ces moyens n’était à notre disposition.

Sta, plus âgée et plus forte que nous, non seulement se défendait contre nos faibles attaques, mais elle avait encore pour auxiliaire, outre le singe qui grondait sourdement, n’attendant qu’un ordre pour nous planter ses griffes quelque part, l’affreuse vieille qui, pendant la bagarre, s’était roulée jusque vers la porte et semblait garder cette issue avec la féroce vigilance d’un dogue hargneux.

Au bruit de notre lutte et de nos cris de colère venaient s’ajouter les piaulements effarés de la volaille, coqs, poules et poussins se bousculant dans leurs cages étroites, les bonds des lapins cognant le grillage dans un tohu-bohu indescriptible. C’était à ne plus s’entendre, et malgré cet étrange vacarme, les conducteurs de la voiture ne se montrèrent jamais pour en connaître la cause, ce qui m’a toujours donné à penser que certainement l’homme qui nous avait tendu le piége, auquel notre étourderie et notre crédulité s’étaient laissées prendre, ne devait pas en être à son coup d’essai.

Sta obéissait, sans doute, à des ordres très-précis et très-détaillés, car rien ne paraissait la toucher, ni l’embarrasser, tout semblait avoir été prévu d’avance nos emportements, nos larmes, les folles menaces que nous arrachait l’inutile fureur dont nous étions animés, les promesses que nous prodiguions à tort et à travers de lui faire acheter par nos mamans de belles robes toutes dorées avec des dentelles hautes comme ça — des colliers, des bagues, tout ce qu’elle voudrait enfin, pourvu qu’elle nous ouvrit la porte, car c’était bien en ce moment notre désir le plus intense : retourner chez nous malgré la longueur du trajet, malgré la nuit qui nous prendrait en route, malgré même les terribles punitions que nous étions sûrs de nous voir infliger.

Pourtant, nous avançions toujours, les cahots de la voiture nous permettaient du moins de le croire. Alexandre, épuisé de fatigue et de larmes, avait fini par s’asseoir sur le bord d’une des banquettes et regardait obstinément ce petit carré de ciel bleu qui, de moment en moment, se faisait plus sombre.

Sa figure rouge et mouillée de pleurs avait une expression de désespoir impuissant qui me rendait plus triste encore.

De temps en temps, un bruit passager de grelots ébranlait l’air. Sans doute, c’était une charrette de roulier s’en allant à Montmélian, à Grenoble ou revenant sur Chambéry. À chaque fois, mon cœur battait bien fort ! il me semblait, en écoutant ce tintement si connu, que nous étions moins seuls et moins abandonnés ; peu à peu le grincement des roues sur les cailloux se faisait plus sourd, le son se perdait dans le lointain, le silence revenait lourd et menaçant, et moi je recommençais à pleurer…

Oh ! pauvre bonne maman, où était-elle à cette heure où je me sentais si malheureuse ? Que faisait-on dans cette maison que j’avais volontairement quittée ? Ma chère, chère petite maison, je la voyais telle qu’elle devait être en ce moment : la cuisine déjà sombre s’illuminant tout d’un coup du reflet rouge de flamme montant droite et claire dans la grande cheminée ; Josette allant et venant, affairée, de la table au buffet ; le vieux chat gris accroupi sur le chenet, fixant de ses yeux jaunes la marmite où cuit notre souper… La soupe la bonne soupe chaude et fumante ! je ne la mangerais pas ce soir, ni demain, ni jamais plus peut-être !… Oh ! que je pleurais en pensant à tout cela !…

Un instant, probablement en traversant Saint-Jeoire, des cris d’enfants, des aboiements de chiens, des exclamations d’étonnement frappèrent nos oreilles. Alexandre se redressa et se mit à appeler de toutes ses forces ; mais des coups de fouet répétés, la voix des conducteurs excitant les chevaux poussifs couvrirent ses faibles clameurs, et de nouveau tout s’apaisa autour de nous……

Près d’un quart d’heure s’écoula ainsi ; nous ne pleurions même plus ; un morne abattement nous enveloppait tous deux, nous enlevant toute force et toute pensée. C’était comme un invincible besoin de dormir, paralysant même notre chagrin, et, sans doute, le sommeil nous aurait gagnés si tout d’un coup nous n’eussions été tirés de cette torpeur par l’allure plus vive des chevaux et par les jurements réitérés des bohèmes qui les conduisaient. D’autres voix encore se mêlaient aux leurs : des intonations de colère, des mots brefs comme des ordres, des exclamations subites se croisaient rapidement. Que se passait-il au dehors ?… Nous ne le savions ni l’un ni l’autre, ne pouvant rien saisir de ce maudit langage ; mais, dès les premières paroles, Sta qui, depuis notre lutte, s’était tenue à l’écart, jouant avec Pruk, tout en jetant de temps en temps un regard courroucé sur nous, Sta, dis je, semblait effrayée et agitée. Par deux fois, elle avait mis sa tête à la fenêtre, prononçant des mots qui résonnaient à nos oreilles comme des interrogations. Alexandre lui ayant demandé la cause de son trouble, la rusée petite créature lui avait répondu tout autre chose que la vérité.

Subitement, la baraque tourna à droite, quittant la grande route pour prendre une direction opposée. Le chef, prévoyant que notre disparition, une fois constatée, mettrait à sa poursuite les gens du pays, avait probablement pris ce moyen pour égarer les recherches. Je sus, en effet, plus tard que cette première voiture dans laquelle nous étions enfermés, était de beaucoup en avance sur l’autre. On le voit, nous avions affaire à forte partie. Où nous conduisait-on maintenant ?… Qu’allions-nous devenir ?… Les roues ne faisaient presque plus de bruit en tournant, la voiture allait plus lentement ; qu’est-ce que tout cela voulait dire ?… Ce brusque changement dont j’étais loin de soupçonner la cause acheva de me terrifier. Je me jetai au cou de mon petit ami et me mis à crier, affolée de peur : « Alexandre, Alexandre, ils vont nous mener perdre dans les bois !… Nous allons mourir tous les deux !  !  !… » Le pauvre enfant tremblait aussi fort que moi, mais il eut cependant le courage de répondre : « Non, non. Va ! n’aie pas peur, ils n’oseront pas nous faire du mal : mon papa est juge, il les ferait pendre !… » Etait-ce là une raison bien convaincante ? Je ne le trouve pas maintenant ; alors elle me suffit et me calma quelque peu.

Cependant, malgré que nous eussions abandonné la route depuis un instant déjà, le bruit et le mouvement ne cessaient point au dehors. Des cris éloignés, des appels d’abord lointains, puis peu à peu se rapprochant de l’endroit où nous étions, attirėrent notre attention ; enfin, au milieu d’un brouhaha de disputes et de menaces, nous finîmes par distinguer nos deux noms lancés vigoureusement par des voix qui nous étaient bien connues.

« Oh ! c’est Paul !… c’est Benoît qui viennent nous chercher ! » criai-je hors de moi.

« Paul ! Paul ici ! ici !… » Je riais, je pleurais ; Alexandre poussait des clameurs aiguës entremêlées de mots sans suite. Nos cœurs battaient à se rompre dans nos poitrines déjà si oppressées. Nous allions être délivrés !…

Mais à ce moment, Sta qui d’abord suffoquée par l’étonnement et par la crainte, nous avait laissé crier à notre aise, excitée par l’épouvantable vieille à laquelle nous ne pensions plus, se jeta sur nous et de ses pieds, de ses dents, de ses ongles, nous mit à tous deux la figure et les mains en sang. Pruk l’aidait ; la vieille nous tirait les jambes, essayant de nous couvrir avec tout le linge et les loques à sa portée, probablement pour étouffer nos cris. Je ne sais ce qui serait advenu de nous si nos braves paysans ne fussent parvenus à ouvrir la porte et à nous arracher à ces furies.

Peut-être croyez-vous que j’exagère à plaisir toutes les péripéties de cette aventure pour augmenter l’intérêt du récit. S’il en était ainsi, j’en serais fâchée, car je me sentirais moins à l’aise pour continuer, et surtout pour vous décrire l’immense joie que nous éprouvâmes à respirer de nouveau l’air pur, à revoir le ciel tout entier, la terre, les arbres, tout ce qui nous manquait enfin dans cette infecte prison d’où nous venions de sortir.

Au premier moment, je nė vis rien qu’une foule irritée et menaçante, une ou deux femmes qui s’empressaient autour de nous, essuyant avec leur tablier les pleurs et le sang dont nous étions couverts.

La voiture était arrêtée au milieu d’un grand pré ; une vingtaine de personnes, hommes, jeunes gens et enfants, se bousculaient à l’entour, gesticulant et injuriant les bohémiens, lesquels se défendaient de leur mieux à l’aide de leurs fouets dont ils se servaient avec une dextérité supérieure.

Les paysans s’irritaient de ne pouvoir châtier d’une façon exemplaire nos ravisseurs ; les plus échauffés parlaient d’étrangler sur place toute cette vermine ; d’autres voulaient brûler les baraques, les plus raisonnables conseillaient d’aller chercher la justice. Mais comme la discussion se prolongeait sans résultats, Paul Berthier et Benoît Porraz, nos deux fermiers, prirent les devants avec nous. Commodément installés à califourchon sur les épaules robustes de nos sauveurs, entourés de feinmes et de marmots, nous fîmes notre entrée triomphale à Saint-Jeoire où tout le monde était déjà sens dessus dessous par l’annonce de l’événement. L’alerte avait été si chaude pour tous, nous avions tant besoin de respirer un peu librement, et, de leur côté, Paul et Benoit, qui n’avaient cessé de courir depuis le Chaffard, étaient si mouillés de sueur qu’ils jugèrent bon d’accepter l’invitation du père Satin, le maître de l’auberge du Grand-Saint-Georges, lequel leur offrit à boire un tarrat du bon, pendant que les petits se reposeraient un brin.

Ceux qui, par le privilège de l’âge, ont le droit de se souvenir et de regretter, peut-être, les institutions du passé, auront sans doute souri en retrouvant ce vieux nom du père Satin dans ces pages, consacrées tout entières aux choses mortes et aux traditions oubliées. L’auberge du Grand-Saint-Georges, il y a trente-cinq ans !… N’est-ce pas qu’en vous la rappelant vous revoyez d’ici l’encombrement de chaises de poste, de charrettes, de voiturins, de diligences, de chars-à-bancs se croisant, se pressant, se heurtant dans la vaste cour où les chevaux mangent, en reniflant, le picotin d’avoine réglementaire ? Et la carriole du coquettier à côté de la guimbarde du coureur de foires, et tout ce va-et-vient continuel de valets d’écurie, de postillons, de courriers, de conducteurs de diligences riant ou s’injuriant, suivant l’humeur du moment ? Et cette cohue de dineurs emplissant la salle basse du bruit assourdissant des fourchettes, du tintement des verres, de querelles ou de chansons ?… N’est-ce pas que vous entendez le piaffement des chevaux, le clic-clac joyeux du fouet de ceux qui arrivent, les appels, les ordres, les adieux de ceux qui partent, tout ce tintamarre enfin qui constituait jadis la vie mouvementée d’un relai de poste ?…

Aujourd’hui que le progrès, à l’instar de l’Esprit-Saint, « a renouvelé la face de la terre, « tout ce monde s’est disperse, tout cet entrain s’est apaisé, tout ce vacarme s’est tu. La vieille auberge garde encore ses portes grandes ouvertes pour les rares voyageurs qui suivent l’ancienne route de Chambéry à Turin. Mais les vieux sont morts, mais la vaste remise est vide, la grande cuisine est silencieuse. Deux ou trois fois par jour, là-bas dans la plaine, passe rapide comme la pensée le monstre à la gueule de fer, crachant sa fumée noire, jetant comme un ricanement le cri strident de la vapeur qui s’échappe de ses flancs. Et comme une protestation inutile, le grincement de l’enseigne oubliée répond de loin à l’insulte de la locomotive triomphante…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La nuit tombait lorsque nous entrâmes dans l’auberge. La cuisine resplendissait d’un feu clair des vant lequel trois marmites et un coquemar bouillaient à grandes ondes. Une odeur de gigot braisé, de sauce à l’ail et d’oignons frits me fit penser de suite que j’avais faim.

La brave mère Satin avait quitté poêle et casseroles à notre arrivée, et, tout en poussant des hélas ! réitérés, nous prodiguait des caresses et des soins presque maternels.

— Oh ! les pauvres anges du bon Dieu comme ils sont martilisés ! Pauvres petits fenons, va !… Je vas vous faire prendre un bouillon bien conditionné, allez !… Oh ! si c’est Dieu possible de voir des abominations comme ça… prendre des petits que ça ne sait pas encore se défendre !… Mettez-vous là bien tranquilles, més petits choux. Voyez… voilà déjà pour un… À l’autre à présent ! Eh ! ça pauvre petit qui a le front tout en sang… Ouh ! les vauriens ! les canailles ! qu’il en revienne par chez nous de ces voleurs d’enfants !… Allons, mange, ma petite ; est-ce trop chaud ?… est ce qu’il n’y a pas assez de fromage ?… Oh ! moi qui connais tant ta bonne-maman, une si brave dame !… Pense comme je ne vous soignerai pas ! Je vais vous donner encore un bout de quéque chose, après le bouillon, n’est-ce pas ?

Et la bonne hôtesse se trémoussait dans la cuisine, interrompant son monologue à notre adresse pour retourner sa friture, arroser ses rôtis, tremper un bouillon à un arrivant, et surtout gourmander ses deux servantes qui, trop curieuses, oubliaient leur besogne pour écouter Paul raconter au père Satin comment il avait été averti que nous manquions au Chaffard, et comment la moitié du village s’était mise à la poursuite des bohèmes.

Ils avaient d’abord rencontré la carriole et la petite vache ; Titzo avait fait semblant de ne point comprendre leurs questions. Poursuivant alors leur chemin, ils étaient arrivés jusqu’à la seconde voiture, entourée de tous les bambins, des femmes et des jeunes garçon de la bande. Là, ils s’étaient encore informés ; même silence à notre propos. Un bohémien alla jusqu’à ouvrir la voiture pour bien prouver que nous n’étions point caché là.

Cependant, en s’informant de tous côtés, nos fermiers avaient appris que l’on nous avait aperçus jouer longtemps sur le bord de la route, et que nous avions disparu seulement depuis le passage des baraques. Ils continuèrent donc la poursuite, guidés d’ailleurs par les indications qu’ils recevaient des passants et par les renseignements qu’ils recueillirent à Saint-Jeoire. On sait le reste : comment ils virent de loin la voiture prendre une autre direction, comment ils entendirent nos pleurs et nos cris, et finalement comment ils nous avaient repris des mains de ces brigands.

— Maintenant, ce qui presse le plus, continua le paysan, c’est de ramener ces petits au Chaffard. Les dames là bas sont sens dessus-dessous. La grand’ de la petite est justement revenue de Chambéry comme nous filions… Oh ! las ! ça faisait quelque chose de la voir pleurer !… Mais à l’heure qu’il est, Jean Piattet ne doit pas être loin de chez nous. Il s’est mis en avant pour tirer tout le monde de peine.

Allons, les petits messieurs, reprit Paul en s’adressant à Alexandre et à moi, nous montrant ses colossales épaules, est-on prêt à remonter en carrosse ?… Pour sûr, vous serez mieux là que chez ces satans de bohèmes !… Ah ! leur affaire est toute réglée ; pas besoin de juge pour avoir reçu la raclée qu’ils méritaient !…

Allons, à tous bonsoir ! Merci bien, madame Satin et la compagnie. Vous savez comme on dit : On est bien toujours bon pour se revoir, n’est-ce pas ?…

Nous joignimes nos remerciments à ceux du fermier. La brave aubergiste nous embrassa, me chargeant de tous ses compliments pour ma grand’mère, et, malgré nos refus, voulut mettre encore dans nos poches deux pommes et trois biscotins comme provisions de voyage. Enfin, bien lestés et tant soit peu remis de nos émotions, nous reprimes position sur le dos des deux paysans.

Je serais, certes, bien en peine pour vous donner des détails sur notre retour, attendu qu’au bout d’un quart d’heure, soit la fatigue de notre journée, soit les deux doigts de vin pur que je venais de boire, je me sentis envahir par un sommeil qui dura jusqu’à notre arrivée.

Ce ne fut que lorsque Josette me reçut des bras de Paul que je rouvris les yeux. Un instant, j’entrevis le visage de bonne-maman tout gonflé et rougi par les larmes. Pauvre femme ! elle s’efforçait de conserver un maintien sévère et glacial à mon égard, et moi, malgré la frayeur et le chagrin que j’en éprouvais, je ne pus parvenir à m’éveiller complétement. Aussi fut-ce le plus tranquillement du monde que je passais ma nuit dans ce bon petit lit que je croyais ne plus revoir Le lendemain, huit heures sonnaient à la grande horloge de la cuisine, que je dormais encore. Le bruit m’éveilla.

Oh ! les bons réveils de mon enfance ! Lorsque le reflet rose des montagnes ensoleillées illuminait toute notre chambre d’une joyeuse lumière !… lorsque mon regard, encore indécis et rempli des fantastiques visions des rêves de la nuit, cherchait dans l’angle de la fenêtre la chère et douce figure de grand mère occupée à ravauder des bas ou à raccommoder quelque accroc que j’avais fait la veille !… C’était mon premier plaisir — son baiser répondant à mon bonjour ! C’était aussi la première marque de son contentement ! Puls venait le déjeuner qu’elle allait me chercher des que j’avais les yeux ouverts, la grande tasse de bon laît crémeux dont j’étais si friande !…

Ce matin-là, j’eus beau regarder autour de moi, il n’y avait personne devant la petite table de travail… Tous les souvenirs de la veille me revinrent à l’esprit… Bonne-maman était fâchée… Je ne l’embrasserais pas, moi qui en avais tant besoin !… Tristement, je m’assis sur mon lit, et j’appelai… Josétte entra, portant mon déjeuner.

Cette seule circonstance me confirma dans l’idée que mon expiation commençait… et je puis vous assurer qu’elle fut dure !… Je pleurais bien moins du long séjour que je fis dans la cave à charbon que du profond repentir d’avoir tant chagrinė bonne-maman !…

Aussi, quand revint l’heure si douce du pardon que je sentis de nouveau sur mon front le baiser maternel, ce fut de tout mon cœur que je remerciai Dieu de n’avoir exaucé qu’à moitié le vœu étourdi que j’avais formé de connaître et de partager quelque temps la vie aventureuse des bohémiens.

FIN.
  1. Étroublons : champ de blé dont on a coupé seulement la partie supérieure de la tige afin de conserver le semis de trèfles fait au printemps.
  2. Cassé.