Vie du pape Pie-IX/Pie IX réformateur

CHAPITRE V.

Pie IX réformateur.


L’ascension de Pie IX au trône pontifical fut accueillie par un hosanna immense, universel. À cette époque il y avait beaucoup de bonnes âmes qui n’étaient pas encore convaincues de la complète inanité des promesses de la Révolution ; on rêvait je ne sais quel compromis entre la religion et les idées modernes. On était ignorant, et l’on était peut-être de bonne foi. On se disait naïvement ami de la Révolution et en même temps bon catholique. Aujourd’hui, les idées se sont débrouillées et l’on voit clair ; d’un côté est la Révolution, fille de l’enfer, de l’autre, l’Église, fille du ciel. Entre elles il n’y a rien de commun, entre elles il n’y a pas de pacte possible. La ligne qui sépare le bien du mal est très visible ; c’est Pie IX qui l’a tracée, et les aveugles qui confondent encore le mal avec le bien, les catholiques libéraux, sont aveugles, parce qu’ils ne veulent point voir.

Mais en 1846, le monde était dans le délire. Tous saluèrent Pie IX avec joie et enthousiasme, les catholiques, parce qu’ils savaient que le Saint-Esprit garderait le nouveau pape, les impies, parce qu’ils espéraient trouver en lui un instrument docile. Ce concert unanime de louanges était contre nature et ne devait durer que peu de temps.

Comme pour convaincre la Révolution d’imposture, Pie IX fit de suite des concessions qui excitèrent des craintes chez un certain nombre. Son premier ministère se composait du cardinal Gizzi, secrétaire d’État et premier ministre, du Cardinal Antonelli, aux finances, du cardinal Camerlingue, Riario Sforza, au commerce et à l’industrie, du cardinal Massimo, aux travaux publics, de Mgr. Lavinio Spada, aux affaires militaires et de Mgr. Grassellini, aux fonctions de gouverneur de Rome. Les deux premiers de ces six personnages étaient populaires ; les quatre autres étaient ce qu’on appelait alors des grégoriens, c’est à dire qu’ils avaient servi sous Grégoire XVI ; on aurait voulu les voir disparaître. Mais Pie IX, prêt à faire toute concession raisonnable à l’opinion publique, refusa noblement de faire injure à la mémoire de son prédécesseur en renvoyant tous les anciens ministres.

L’un des premiers actes de Pie IX, nous l’avons vu, fut d’accorder une amnistie à tous les condamnés politiques. Il n’imposait qu’une seule obligation aux amnistiés, celle de le reconnaître pour leur souverain légitime et de s’engager d’honneur à ne pas abuser de la grâce qui leur était faite. Presque tous ces ingrats manquèrent honteusement plus tard à leurs solennels engagements.

Grégoire XVI avait institué une commission de jurisconsultes chargée d’introduire dans les lois pénales et la procédure criminelle les améliorations qui pouvaient être désirables. Pie IX confirma cette commission et en étendit les attributions. Il modifia les lois concernant les journaux et établit, non la licence mais la liberté de la presse. Il s’occupait de l’élargissement des libertés municipales et civiles, cherchait à mettre l’instruction à la portée des plus pauvres, protégeait et encourageait l’agriculture, les arts, les sciences, l’architecture, la construction des voies ferrées, inaugurait des travaux publics considérables et restreignait ses dépenses personnelles. Et le monde était dans l’admiration. Cependant, à Rome l’orage commençait à gronder dans le lointain. Tout en acclamant Pie IX, on insultait à ses ministres et à la mémoire de son prédécesseur. Déjà, le 8 septembre 1846, on avait osé crier en présence du Pape : Vive Pie IX seul. Quelques jours plus tard on ajoutait : À bas les jésuites ! À mort les rétrogrades. Avant de frapper le souverain, on frappait ses fidèles. C’est ainsi que font toujours les révolutionnaires.

Nous avons vu Pie IX roi, voyons-le maintenant chef de l’Église. Il aimait à visiter les prêtres et les religieux de Rome, à les réunir, à s’entretenir familièrement avec eux, à leur donner de paternels conseils.

Le 17 juin 1847, il adressa une encyclique à tous les Supérieurs généraux, aux abbés, aux provinciaux et aux autres chefs des ordres réguliers, les rappelant tous à l’observance stricte de leurs règles et plus particulièrement au devoir de l’étude. Il institua une congrégation spéciale dite des Ordres religieux. Il visitait les couvents et les monastères sans se faire annoncer et veillait lui-même à ce que ses recommandations fussent observées.

Malgré ses nombreuses occupations de roi temporel et de chef de la Chrétienté, Pie IX n’oubliait pas qu’il était aussi évêque de Rome. Il veillait d’un œil jaloux sur son troupeau et ne craignait pas de monter en chaire et de prêcher lui-même l’Évangile à ses ouailles. Il allait dans les paroisses où se faisait la première communion pour distribuer de sa main la sainte Eucharistie aux enfants. Il visitait les hôpitaux, consolant les malades, administrant les mourants. Sa charité ne connaissait point de bornes. On raconte mille anecdotes touchantes qui font voir la bonté du cœur de Pie IX. En voici quelques-unes : Un jour que le Pape allait monter en voiture, un pauvre enfant sanglotait près de la porte. Les gardes veulent l’éloigner, mais Pie IX le fait approcher et l’interroge sur la cause de son chagrin. “On vient, répond l’enfant, de conduire mon père en prison pour une dette de douze écus.” Le Saint-Père se retournant vers sa suite demande si quelqu’un peut lui prêter de l’argent. Personne n’ayant cette somme, il remonte dans ses appartements, rapporte les douze écus et envoie l’enfant délivrer son père.

Un autre enfant, plus hardi, se présente au Quirinal et demande au Pape trente trois paoli, environ 18 francs, pour acheter des médicaments dont sa mère a besoin. Le Saint-Père lui remet une pièce d’or. “Vous me donnez trois paoli de trop, dit l’enfant, et je n’ai pas de quoi vous les rendre.” Pie IX lui dit de garder le tout ; puis il le congédie et le fait suivre pour s’assurer que l’enfant ne l’a pas trompé. Les renseignements ayant confirmé le récit de l’enfant, le Pape le fait revenir. “Tu es un brave garçon, lui dit-il ; pour te récompenser de ta véracité et de ta piété filiale, je t’annonce que je me charge de ton éducation et de ton avenir. — Hélas ! répond l’enfant, cela est impossible, ma mère n’a que moi, je ne puis la quitter. — Hé bien ! répliqua Pie IX, je me charge de ta mère aussi bien que de toi.”

En traversant la ville, Pie IX aperçoit un malheureux vieillard étendu sans connaissance et presque sans vie. Il descend de sa voiture et s’approche de lui : “C’est un juif, dit la foule, et personne ne lui porte secours. — N’est-ce pas un de nos semblables qui souffre, s’écrie le Pape, il faut le secourir.” Et le relevant lui-même, aidé des prélats qui l’accompagnent, il le fait porter à son carosse, le conduit à sa demeure et ne le quitte qu’après l’avoir vu revenir à lui.

Le cardinal Ferretti, neveu du Pape, ayant remplacé en 1847 le cardinal Gizzi, tombé malade, inaugura, de concert avec le souverain Pontife, de nouvelles et importantes réformes. Il établit la garde civique, organisa le gouvernement municipal et créa une consulte d’État. On a beaucoup calomnié Pie IX au sujet de ces trois institutions. La garde civique et la municipalité de Rome ne furent nullement des innovations de Pie IX ; c’était une simple restauration, celle de l’ancien régime municipal des États de l’Église, détruit par la première révolution française. Durant tout le moyen âge, le gouvernement papal avait été le seul qui admit la représentation régulière et permanente des intérêts des provinces dans les conseils du souverain. En établissant une consulte d’État, Pie IX ne faisait que revenir au self-government que le despotisme du premier empire avait fait disparaître.

La Consulte ou Conseil d’État se composait d’un cardinal président, d’un prélat vice-président et de vingt-quatre cousulteurs choisis par le souverain sur des listes de candidats envoyés par les conseils provinciaux, qui, eux, choisissaient parmi d’autres listes fournies par les conseils municipaux, lesquels étaient le produit du suffrage universel épuré par l’exclusion des repris de justice, des ivrognes et de toutes les personnes vivant en dehors des lois sociales. La Consulte, comme l’indique son nom, n’avait qu’une voix consultative, le Pape se réservant le droit d’entendre en outre, non seulement le conseil des ministres, mais le collège des cardinaux, avant de prendre une décision souveraine. Il y a loin, on le voit, de ce gouvernement sage et réellement monarchique au parlementarisme moderne.

Telles sont les réformes inaugurées par Pie IX durant la première année et la seconde année de son règne. Si elles n’ont pas réussi, la faute n’en est pas à leur auteur mais au peuple romain, affolé par les doctrines révolutionnaires.