Vie du pape Pie-IX/Pie IX et la révolution

CHAPITRE VI.

Pie IX et la révolution.


“La révolution, a dit de Maistre, est satanique.” La vérité de cette parole profonde n’a jamais été plus évidente que durant la seconde année du règne de Pie IX. Les révolutionnaires, ayant à leur tête l’assassin Mazzini, avaient formé le projet infernal de séduire le Souverain Pontife lui-même en l’enivrant d’encens populaire. Satan, après avoir transporté le Christ sur le sommet d’une haute montagne, lui dit : “Contemplez tous les royaumes du monde et la gloire qui les accompagne : je vous donnerai toutes ces choses si, vous prosternant devant moi, vous m’adorez.” Les révolutionnaires, fils de Satan, adressaient au Pape, vicaire du Christ, ce même langage perfide, et la réponse du Christ fut celle de son vicaire : Retro Satanas ! Arrière de moi, Satan !

Durant l’été de 1847 la révolution, inspirée par Mazzini et aidée par lord Minto, l’envoyé de lord Palmerston, fit des progrès alarmants à Rome et dans les autres États italiens. Le peuple romain était dans la plus grande effervescence grâce aux discours incendiaires qui se débitaient dans les clubs ou réunions populaires. Aux cris de : “Vive Pie IX” on ajoutait régulièrement celui de : “A bas les Jésuites ! Vive l’Italie,” on faisait suivre l’hymne de Pie IX d’une espèce de marseillaise italienne,

Secoue, ô Rome, la poussière indigne, etc.,

on proférait des cris de mort contre les rétrogrades. “Hélas ! — disait Pie IX, en voyant la fureur aveugle du peuple, — au dimanche des Rameaux, va succéder la semaine de la Passion.”

Des complications étrangères vinrent exciter davantage les révolutionnaires. L’Autriche en vertu du traité de 1815 s’était attribué le droit de mettre une garnison dans les places de Ferrare et de Commanchio qui appartenaient au Saint-Siège. Il est vrai que le Saint-Siège avait protesté contre cette clause du traité et que l’Autriche n’usait que très-rarement de ce prétendu droit. Mais en juillet 1847, l’Autriche, voyant avec alarme les mouvements révolutionnaires, crut devoir envoyer des troupes à Ferrare prendre possession non seulement de la forteresse mais de la ville même. C’était une violation du traité que rien ne justifiait et le Pape dut protester, par l’organe du cardinal Ciacchi, légat apostolique à Ferrare, contre cette invasion de son territoire.

L’Autriche céda après quelques hésitations, et retira ses troupes. Mais le mal était fait. Les révolutionnaires, profitant de cet incident, voulurent mettre le Pape en tête d’une croisade contre l’Autriche. Le Saint-Père indigné expliqua au peuple, dans une proclamation en date du 10 février, 1848, “qu’il n’existe aucun motif avouable à la guerre.”

Cependant, la milice civique, seul appui du Pape, se montrait infidèle ; elle avait substitué les couleurs révolutionnaires à celles du souverain Pontife et elle laissait insulter les jésuites par la populace.

En même temps on apprenait que les princes d’Italie venaient d’accorder des constitutions à leurs sujets et que la République était déclarée à Paris. Le peuple romain, non content des vraies libertés dont il jouissait déjà, voulait lui aussi avoir une constitution.

Sur ces entrefaites, le cardinal Ferretti ayant donné sa démission, avait été remplacé à la tête des affaires par le cardinal Antonelli. Se rendant aux désirs du peuple, le Pape appela au ministère trois laïques MM. Minghetti, Sturbinetti et Galetti, trois clubistes de Mazzini, mais que l’on considérait comme les plus inoffensifs des agitateurs.

À peine le nouveau ministère était-il installé que la populace, pour marquer sa reconnaissance, fit une attaque contre la maison des jésuites. Voyant que leur présence ne servait qu’à aigrir le peuple, les jésuites se dispersèrent, au grand regret de Pie IX qui leur témoigna solennellement son estime.

Le 30 mars, le Pape fit publier, sous le nom de statut fondamental, la constitution que le peuple demandait. “Nous aurions aimé, disait-il, dans le décret de promulgation, laisser à l’expérience le temps de se prononcer sur les résultats de la représentation provinciale dont, les premiers en Italie, nous avions gratifié nos États mais puisque les princes, nos voisins, ont jugé que leurs sujets sont mûrs pour une constitution plus étendue, nous ne voulons pas tenir nos peuples en moindre estime ni compter moins sur leur reconnaissance."

Comme beaucoup d’autres rois à cette époque, Pie IX ne cédait qu’à la force des circonstances ; mais seul il eut le courage de le dire. Du reste il ne faut pas supposer que la constitution romaine ressemblait en tous points aux constitutions des autres pays.

Le collège des cardinaux formait le sénat ; il était défendu au corps législatif de voter aucune loi touchant les affaires ecclésiastiques ou contraire aux règlements de l’Église ou de nature à changer la constitution ; le Pape se réservait le droit de sanctionner les lois et de dissoudre le corps législatif et il maintenait les lois de la presse. On le voit, c’était une constitution très-conservatrice.

Malgré ses préoccupations de prince temporel, Pie IX ne négligeait point les affaires de l’Église. Condamnation de l’hérésie herménienne en Prusse, règlement de plusieurs questions importantes dans les missions lointaines, institution d’un patriarcat latin à Jérusalem, d’un archevêché à Babylone et d’un archevêché nouveau et de trois évêchés aux États-Unis, appel en faveur de l’Irlande affamée, concordat avec l’Espagne pour mettre fins aux douleurs de l’Église spoliée par le pouvoir civil, protestation contre les fameux articles organiques, subrepticement ajoutés au concordat par Napoléon Ier, voilà quelques-uns des grands travaux apostoliques que Pie IX accomplit à cette époque.

La haute Italie était agitée par une guerre contre l’Autriche. Pour garder ses frontières d’une invasion, Pie IX dut armer à son tour et il décida d’envoyer dix-sept mille hommes à Ferrare et à Bologne. Alors les révolutionnaires, affectant de se méprendre sur la portée de cette mesure de précaution, recommencèrent les clameurs contre l’Autriche. Le général Durando, à qui le Pape avait confié le commandement de son armée d’observation, osa afficher un ordre du jour qui équivalait à une déclaration de guerre. Pie IX se hâta de répudier les paroles de Durando et d’affirmer hautement qu’il n’entendait pas déclarer la guerre à l’Autriche.

Alors, la tempête révolutionnaire, mal contenue depuis longtemps, éclata dans toute sa fureur. On parlait froidement de massacrer tous les prêtres et de proclamer la déchéance du Pape. La populace proférait contre Pie IX toutes sortes d’injures et demandait à hauts cris un ministère libéral et laïque. Pie IX dut céder de nouveau à la force des circonstances ; le comte Mamiani, révolutionnaire prétendu modéré, fut appelé au Quirinal et prié de former un cabinet laïque. Pie IX exigea toutefois que le ministre préposé aux affaires ecclésiastiques fût un cardinal. Mamiani fit accepter à ses collègues, non sans peine, le cardinal Ciacchi, le membre le moins impopulaire du sacré Collège.