Vie du pape Pie-IX/Pie IX fugitif

CHAPITRE XI.

Pie IX fugitif.


Une française, la comtesse de Spaur, femme du ministre de Bavière, forma, de concert avec son mari et l’ambassadeur français, le duc d’Harcourt, un projet d’évasion.

Dans la soirée du 24 novembre 1848, le duc d’Harcourt arrivait au Quirinal en voiture de gala comme pour une réception solennelle. La garde l’admet non sans difficulté auprès du Saint-Père. L’ambassadeur aide aussitôt le Pape à quitter son costume blanc et à revêtir la soutane noire d’un simple prêtre, lui couvre les yeux d’épaisses lunettes et lui jette un simple manteau sur les épaules. Un fidèle serviteur, Filippani, conduit le Saint-Père par une voie dérobée, à la porte Quatre fontaines, endroit peu fréquenté, où le comte de Spaur l’attend avec une voiture. Au moment où Pie IX passe la porte de la ville des soldats lui adressent la parole sans le reconnaître.

Pendant cet intervalle, le duc d’Harcourt, resté seul dans les appartements du Pape, lisait à haute voix et parlait avec animation. Les geôliers, trompés par ce stratagème, ne firent pas attention que c’était toujours la même voix qu’ils entendaient. Baissant graduellement le ton, l’ambassadeur cessa enfin de parler ; il sortit bientôt après de la chambre et annonça aux gardes que Pie IX venait de se mettre au lit. Puis, prenant une chaise de poste, il se hâta de rejoindre l’auguste fugitif. Le lendemain matin, lorsqu’on s’aperçut de l’évasion du Saint-Père, celui-ci était déjà loin de Rome.

La comtesse de Spaur, qui avait quitté la ville quelques heures avant la fuite du Pape, attendait les fugitifs à Albano, avec une berline attelée de quatre chevaux. Au moment où Pie IX changeait de voiture, une patrouille de cinq carabiniers qui passait s’arrêta et regarda fixement le Saint-Père. Comprenant le danger, la comtesse, avec une présence d’esprit admirable, adressa à haute voix quelques paroles familières au Souverain Pontife. Les soldats, convaincus qu’ils n’avaient affaire qu’à un prêtre, continuèrent leur chemin.

À Fondi, Pie IX faillit être reconnu par un postillon, qui dit à son camarade : « Regarde donc cet abbé, comme il ressemble au portrait du Pape que nous avons chez nous. »

« Pendant toute la route, raconte Mme de Spaur, le Saint-Père ne cessa de prier pour ses persécuteurs. En sortant de Terracine, il me pria de l’avertir quand nous serions à la frontière de l’État romain et du royaume de Naples. Lorsqu’il eut entendu de ma bouche ces mots : Saint-Père, nous y sommes ; il versa des larmes et récita le Te Deum. »

Durant sa fuite, Pie IX portait sur lui le très-saint Sacrement dans une petite pyxide qui avait appartenu à Pie VI et dans laquelle l’illustre prisonnier du Directoire portait la Sainte-Eucharistie pendant ses pérégrinations à travers la France.

À neuf heures et demie, le 25 novembre, les fugitifs arrivèrent à Gaëte, dans le Royaume de Naples. L’évêque de Gaëte étant absent, son domestique ne voulut point recevoir des voyageurs qu’il ne connaissait pas et Pie IX fut obligé de chercher un refuge dans une petite maison appelée l’Auberge du Jardinet.

Avant d’arriver à Gaëte, Pie IX avait expédié le comte de Spaur auprès du roi de Naples, Ferdinand II, avec une lettre informant le roi qu’il quitterait immédiatement le territoire napolitain si sa présence pouvait devenir un sujet de différends politiques.

Ferdinand II fit à Pie IX un accueil magnifique : il lui offrit l’hospitalité de Gaëte, endroit retiré et paisible, mit un palais à sa disposition et pourvut largement aux besoins des cardinaux, des ambassadeurs et des autres personnes qui avaient suivi le Pape dans son exil. En un mot, ce pieux monarque, quoique le moins puissant de l’Europe, se comporta en grand roi et en roi chrétien.