Vie du pape Pie-IX/Pie IX exilé

CHAPITRE XII.

Pie IX exilé.


À peine installé à Gaëte, Pie IX lança une protestation, adressée à ses sujets et à l’univers, contre les révolutionnaires qui l’avaient chassé de sa capitale. Il nomma en même temps une commission chargée de la direction temporaire des affaires publiques à Rome. Les clubs firent une tentative hypocrite pour engager le Pape à revenir dans ses États. Pie IX refusa de recevoir leur députation, attendu que la commission qu’il avait nommée était capable de gérer les affaires du royaume et que les Romains devaient commencer par reconnaître l’autorité de cette commission. Loin de se soumettre, les séditieux déclarèrent la commission inconstitutionnelle et proclamèrent, le 12 décembre 1848, une junte d’État, renvoyèrent les députés et firent régner le despotisme à Rome. Pie IX protesta de nouveau. Au lieu d’écouter la voix du Saint-Père, Sterbini, Canino et leurs affidés convoquèrent une « assemblée nationale. » Alors, voyant qu’il ne lui était plus permis de temporiser, Pie IX lança, le 1er janvier 1849, les foudres de l’excommunication majeure contre tous ceux qui prendraient part à la formation de cette assemblée. Les élections pour la constituante eurent néanmoins lieu le 21 janvier. Les sociétés secrètes firent des efforts inouïs pour entraîner les électeurs, mais ils ne purent réunir que vingt mille suffrages, et sur ce nombre de votes comparativement restreint, beaucoup étaient donnés en faveur des membres de la commission nommée par le Pape.

Malgré ce fiasco, qui démontrait clairement que la révolution ne s’appuyait que sur une faible minorité, les nouveaux députés, sous l’inspiration de Mazzini, s’installèrent et décrétèrent, dans la nuit du 8 au 9 février, les trois articles suivants : « Premièrement : Le Pape est déchu de fait et de droit du gouvernement temporel de l’État romain. Deuxièment : Le Pontife romain aura toutes les garanties d’indépendance nécessaires pour l’exercice de sa puissance spirituelle. Troisièmement : La forme du gouvernement de l’État romain sera la démocratie pure et prendra le nom glorieux de République romaine. » Le chef de l’Eglise a connu, plus tard, par une amère expérience, ce que valent les garanties de la Révolution. Comme pour donner un gage de leur bon vouloir envers le pouvoir spirituel du Pape, les révolutionnaires confisquèrent les biens ecclésiastiques, proscrivirent les prêtres et chassèrent les religieux et les religieuses de leurs couvents.

L’Europe catholique s’émut enfin à la vue des iniquités qui se commettaient à Rome, et les puissances, même schismatiques et protestantes, comprirent que le pouvoir temporel n’est pas seulement un droit mais une nécessité. Ce fut l’Espagne qui eut la gloire de prendre l’initiative dans le rétablissement du Saint-Père sur son siège. Par une note diplomatique du 21 décembre 1848, elle déclara qu’il ne « s’agissait plus de protéger la liberté du Pape, mais de rétablir son autorité d’une manière ferme et stable, et de l’assurer contre toute violence. La souveraineté pontificale est d’une telle importance pour les États chrétiens, qu’elle ne peut en aucune façon être laissée à l’arbitraire d’une petite partie du monde catholique, telle que les États romains. »

Le 18 février 1849, le cardinal Antonelli demanda formellement, au nom du Pape, le secours des nations catholiques et l’appui moral des autres puissances. Toutes, excepté le Piémont engagé dans une autre voie, répondirent à l’appel, et le 30 mars, les plénipotentiaires se réunirent à Gaëte, sous la présidence du cardinal Antonelli.

Dans les délibérations des représentants de l’Europe qui eurent lieu à cette occasion, nous avons la preuve que l’action des sociétés secrètes était alors bien moins puissante que de nos jours. À cette époque, on parlait peu des faits accomplis, et les gouvernants, notamment Louis Napoléon Bonaparte, étaient forcés de compter avec le sentiment catholique. Depuis 48 les idées ont marché, comme on dit. Le catholicisme libéral, cette « peste pernicieuse » qui amollit la foi, qui aveugle les esprits et qui émousse les facultés de l’âme, a fait des ravages immenses dans le monde. À force de vouloir concilier le bien et le mal et de chercher à mettre ces deux principes opposés sur un pied d’égalité, on est arrivé à proscrire le bien et à ne reconnaître des droits qu’au mal. Existe-t-il aujourd’hui un gouvernement qui oserait songer à prendre la défense du Saint-Siège ? Existe-t-il un peuple assez pénétré de l’esprit catholique pour forcer ceux qui le gouvernent, comme la France catholique a forcé Napoléon en 49, à remettre le Pontife romain sur son trône ? Hélas ! non. Le catholicisme libéral, ce poison le plus subtil que l’enfer ait inventé, n’a que trop bien accompli son œuvre : Il a tué la Chrétienté et il tuerait l’Église elle-même si cela était possible. Il y a encore des catholiques ; il n’y a plus de peuples catholiques.