Vie de Mohammed/De l’allaitement du prophète par Halima de la tribu des Benou-Saad

Traduction par Adolphe-Noël Desvergers.
Imprimerie royale Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 7-10).

De l’allaitement du prophète par Halima de la tribu des Benou-Saad.

Les nourrices avaient coutume de venir du désert à la Mecque pour y chercher des nourrissons(12), et comme il en était alors arrivé un grand nombre et que chacune s’était pourvue d’un enfant à nourrir, Halima n’en trouva pas d’autre à prendre que le prophète qui alors était orphelin, puisque déjà il avait perdu son père Abd-allah. C’était la cause qui avait empêché les autres nourrices de s’offrir pour le prendre ; car elles espéraient des récompenses du père de l’enfant et n’en espéraient point de la mère. Cependant Halima, fille d’Abou-Dowaïb, fils d’El-Harith des Benou-Saad, se chargea de nourrir le prophète qu’elle reçut des mains de sa mère Amina, et elle s’en retourna avec lui dans son pays qui était le désert des Benou-Saad. Là elle éprouva plus de bonheur et d’événements heureux qu’elle n’en avait jamais eu avant ce temps : lorsqu’ensuite elle reporta son nourrisson à la Mecque, elle était aussi désireuse que possible de le garder avec elle : elle dit donc à sa mère Amina : « Que ne me laissez-vous votre fils jusqu’à ce qu’il soit devenu fort ? car je crains pour lui le mauvais air de la Mecque ? » et elle ne cessa point ses instances jusqu’à ce qu’Amina eût consenti à le lui laisser. Alors elle le prit de nouveau avec elle et s’en retourna au pays des Benou-Saad où pendant quelque temps resta le prophète.

Un jour que le prophète et son frère de lait étaient sortis de la maison, le fils d’Halima accourut vers sa mère en lui disant « Ce Koreïschite vient d’être saisi par deux hommes vêtus de banc qui l’ont couché à terre et lui ont ouvert le ventre(13). » Halima et son mari sortent aussitôt pour aller vers lui et le trouvent debout, « Que t’est-il donc arrivé, mon fils ? » lui dirent-ils. — « Deux hommes, répond le prophète, m’ont couché à terre et m’ont ouvert le ventre. » Son mari dit alors à Halima : « Je crains bien que cet enfant ne soit atteint de foie ; reconduis-le dans sa famille. » En conséquence Halima l’ayant pris avec elle s’en vint trouver sa mère Amina qui lui dit : « Quelle est la cause qui te fait me ramener mon fils, toi qui étais naguère si désireuse de le garder ? » Halima voulut lui donner quelque excuse dont Amina ne se contenta pas : et l’ayant pressée davantage de lui dire la vérité : « Je crains pour votre fils, lui dit Halima, la malice du démon. » « Certes, il n’en est rien, reprit aussitôt Amina. Le démon n’a pas de pouvoir sur mon fils, car il est réservé à de hautes destinées. »

Les frères et sœurs de lait du prophète étaient Abd-allah, Aniça et Djodhama, cette dernière plus connue sous le surnom de Schima. Leur mère était Halima des Benou-Saad, et leur père Harith, fils d’Abd-el-Ozza, qui fut père nourricier du prophète.

Dans la suite Halima se présenta au prophète après son mariage avec Khadidja et se plaignit à lui de la stérilité de l’année. Le prophète ayant parlé en sa faveur à Khadidja, celle-ci fit présent à Halima de quarante brebis. Plus tard Halima et son mari Harith se rendirent auprès du prophète après qu’il eut commencé à annoncer la parle de Dieu, et tous deux embrassèrent l’Islamisme.

Cependant le prophète restait avec sa mère Amina ; mais lorsqu’il eut atteint l’âge de six ans elle mourut à El-Aboua(14) entre la Mecque et Médine. Elle avait mené son fils à Médine pour y voir ses oncles maternels(15) de la famiمle d’Adi ben-Nadjar, et la mort l’atteignit pendant son retour à la Mecque. Abd-el-Mottalib, grand-père du prophète, le prit alors sous sa tutelle. À l’âge de huit ans le prophète perdit son grand-père, et il eut alors pour tuteur son oncle Abou-Taleb, fils d’Abd-el-Mottalib, lequel Abou-Taleb était frère d’Abd-allah, père du prophète. Des affaires de commerce ayant appelé Abou-Taleb en Syrie, il alla jusqu’à Bosra(16) accompagné de son neveu alors âgé de treize ans. Là se trouvait un moine appelé Bohaïra(17) qui dit à Abou-Taleb : « Retournez avec cet enfant et gardez-le des Juifs, car de hautes destinées sont promises au fils de votre frère. » Abou-Taleb partit et ramena son neveu à la Mecque après avoir terminé les affaires de son négoce. Arrivé à l’âge de puberté le prophète était le plus remarquable des hommes et par la noblesse de ses sentiments et par sa sagesse ; ses réponses étaient admirables, ses discours toujours sincères, et sa bonne foi était si forte, son aversion de ce qui est honteux si grande, qu’on le surnommait dans sa famille le fidèle, en témoignage des qualités précieuses que Dieu s’était plu à réunir en lui.

À l’âge de quatorze ans il fut avec ses oncles à la guerre El-fidjar qui eut lieu entre les Koreïschites et autres familles de Kenana réunis contre les Benou-Hawazin. On la nomma guerre El-fidjar parce que dans son cours les Benou-Hawazin violèrent la sainteté des mois sacrés(18). D’abord la fortune se déclara contre les Koreïschites et les Benou-Kenana, mais bientôt elle abandonna les Benou-Hawazin, et les Koreïschites furent vainqueurs.


(12) Cette coutume d’envoyer ses enfants dans le désert pour y être nourris, est encore en vigueur à la Mecque parmi les Schérifs ou descendants de Mahomet ; on lit dans Burkhardt (t.1, p. 317 de la traduction de M. Eyriès) : » Les Schérifs ont la coutume d’envoyer chaque enfant mâle huit jours après se naissance, à la tente de quelque Bédouin qui fréquente les environs de la ville ; ces enfants y sont élevés jusqu’à l’âge de huit ou dix ans, ou jusqu’à ce qu’ils soient en état de monter une jument ; alors leurs pères les reprennent. Pendant tout le temps de son séjour pari les Bédouins, l’enfant ne va jamais voir ses parents, ni n’entre dans la ville, que lorsqu’il a atteint son sixième mois. Alors sa mère nourricière le porte pour quelques instants à sa famille, puis s’en retourne aussitôt avec lui dans sa tribu. L’exemple de Mahomet élevé dans la tribu des Beni-Sad, est continuellement cité par les Mekkaouis quand ils parlent de cet usage. »

(13) Beidawi dit à ce sujet que Gabriel étant venu trouver le prophète dans son enfance, lui enleva le cœur, le purifia, puis le remplit de foi et de science. (Gagnier, p. 9.)

(14) Aboulféda dit dans sa Géographie qu’El-Aboua est situé à huit parasanges au nord de Djohfah. On lit dans Edisi (2e climat, Ve partie) : TEXTE EN ARABE « Djohfah à El-Aboua on compta vingt-sept milles. El-Aboua est un lieu de station où l’on trouve des puits. » Voici l’article du Meraçid-el-Ittila relatif à cette ville : TEXTE EN ARABE « Aboua est un village du district de For qui dépend de Médine ; entre Aboua et Dijohfah on compte 23 milles. Le tombeau d’Amina, mère du prophète, est dans ce village. »

(15) Ses oncles maternels de la famille d’Adi-ben-Nadjar. On lit dans Le Sirat er-reçoul, man. de la Bibl. royale, n° 629, fol. 25 v. : TEXTE EN ARABE « La mère d’Abd el-Mottalib, fils de Haschem (grand-père de Mahomet) était Salma, fille d’Amrou des Benou-Nadjar, et c’est là ce qui donnait aux Benou-Nadjar le qualité d’oncles maternels du prophète, dont parle Ebn-Ishak (c’est-à-dire la qualité de ses parents par les femmes). »

(16) Bosra, ancienne ville de Syrie, située à 4 journées au midi de Damas. Aboulféda dit dans sa Géographie, qu’elle était la capitale du pays de Hauran TEXTE EN ARABE. Elle est généralement connue parmi nous maintenant sous le nom corrompu de Bostra, et contient encore des restes d’antiquités qui attestent sa splendeur passée, lorsque vers le 3e siècles après J. C. elle était la capitale de l’Arabie Romaine.

(17) Gagnier (p. 12) rapporte un passage de Maçoudi ainsi conçu : « Le nom de Bohaira dans les livres des Chrétiens est Sergius : il habitait le couvent d’Abd-el-Kaïs. » Ce n’est peut-être pas une raison suffisante pour l’identifier, ainsi que font Gagnier et Prideaux, avec le Sergius dont parle avec détail Vincent de Beauvais dans son Miroir Historique.

(18) Reise a traduit : « Quod Havazenitæ sanctimoniam barami (seu sacri territorii Mekkani) violaverant. » Il a lu par conséquent TEXTE ARABE : on peut lire aussi TEXTE ARABE pluriel de TEXTE ARABE, c’est-à-dire TEXTE ARABE les mois sacrés. Le passage suivant du Camous rend même cette dernière leçon plus probable : TEXTE ARABE « Les combats de Fidjar (avec un kesra sous le fé) sont quatre combats qui ont eu lieu dans les mois sacrés entre les Koreïschites réunis à d’autres familles issues de Kenana, et des descendants de Kaïs-ailan. »