Édition de la Phalange (p. 5-7).

II

Viviane

Tu as vogué en les fraîches délices
Des lents glissements sur les brises,
Aux pâles éclairs de tes ailes de nacre,
Vêtue de soyeuses brumes tissées.

Et ton vol frêle est venu, si doucement, battre
Les grandes fleurs des cimes hellènes
Qu’elles aussi voulurent des ailes
Pour chasser aux papillons et aux rayons d’astres.

Le bois exhala des parfums tendres et tristes
Qui te ravirent d’exquise souffrance…
… Et tu vis neuf monceaux de roses et de lys,
De lys rosés, de roses cruellement blanches,

Dont l’âme s’éleva, d’aube si capiteuse,
Si divine, si « autrefois rêvée »,

Que tu sentis naître, en frissons voluptueux,
De nouvelles féeries dans ton âme de fée.

Et tu devins la poésie de l’Univers,
Portant des mondes surhumains dans ta pensée.
Il te fallut, pour l’immensité de ton rêve,
Les gouffres sublimes, les immenses
Altitudes noyées d’azur et de silence.

Parfois le regret de ta forêt celte
Et des coteaux ondés où s’éplorent
Les flots âcres et frais des feuillages d’Armor
Te rappela vers les pentes de moiteur verte ;
Et, dans la nuit d’opale, un pâtre ou un poète
S’enivra des rayons froids de tes cheveux d’or. [1]

Et, à la blonde lueur de mystère,
Trouva des chants qui lui rendaient sa peine chère.

Mais tu fuyais — et s’envolaient la Poésie,
Le Passé magique et la Beauté entrevue
Où la pensée des hommes n’atteint plus.


Les années vieillissaient les ramures transies,
Et les âmes comme les sylves,
Sans qu’on te revît, de sylphes suivie,
Dans le trouble délicieux des clairs de lune.

Et, plus tard, d’étranges voix murmuraient
Que tu embaumais les thyrses et les corymbes
Des bois fleuris d’invraisemblables Indes
Où l’estivale joie de tes cheveux flottait.

Lors, si las de languir en des rêves de limbes,
Voulant toute la poésie et tout l’azur,
Des poètes prenaient leur essor dans les brumes ;
Et, songeant peut-être, à d’impossibles étreintes,
Toujours déçus, toujours plus sûrs,
Riant des vols de flamme et des astrales houles,
Se lançaient en esprit, dans tes sillages fous.

  1. « ........Viviane, la fée
    « Sur le vert coteau peignant ses cheveux d’or. »
    (Théodore de Banville.)