Vers la fée Viviane/Les Chanteuses

Édition de la Phalange (p. 3-4).

Viviane

I

Les Chanteuses

Le bois excelse aériennement beau,
Géant et calme sur les cimes,
Bleu d’ombres diaphanes, sourit de haut
À la mer grecque où ondoient les glycines.

Mais ses colonnades sereines
Ont la mélancolie des temples désertés
Et ses mystères verts sont oubliés
Des vols lilas de tourterelles.

Rien n’y évoque plus le souvenir
Des belles divinement graves

Dont les voix lentes prêtaient aux brises
Chantantes sur les radieux songes des rades
Comme des caresses de lyres ;

Et dont les yeux, pensants miroirs
De l’inconnu qui flotte aux suprêmes espaces,
Faisaient plus bleue la clarté rêveuse des soirs
À l’heure du ciel plus immense et de l’extase.

L’âme du bois se meurt comme sont mortes
Celles qu’on voulait immortelles…
Une musique soupirante y rôde
Et attriste le haut sourire teint de ciel
Des vieilles frondaisons délaissées qui s’endorment.

Elles sont mortes, les Mélodieuses,
Les belles aux fronts de pure clarté ;
Et les sources où leurs blancheurs se reflétaient
Se sont taries à chanter, seules.

Elles sont mortes, — en la douceur d’un soir grec
Qui leur tissa des tièdes linceuls d’azur pâle, —
Longuement torturées sous le règne spectral
Des blêmes bourreaux des Grands Siècles.