VersOllendorff, éditeur (p. 49-50).

SOMMEIL


I


La gomme coule en larmes d’or des cerisiers.
Cette journée, ô ma chérie, est tropicale :
Endors-toi donc dans le parterre où la cigale
Crie aigrement aux cœurs touffus des vieux rosiers.

Dans le salon où l’on causait, hier vous posiez…
Mais aujourd’hui nous sommes seuls — Rose Bengale !
Endormez-vous tout doucement dans la percale
De votre robe, endormez-vous sous mes baisers.

Il fait si chaud que l’on n’entend que les abeilles…
Endors-toi donc, petite mouche au tendre cœur !
Cet autre bruit ?… C’est le ruisseau sous les corbeilles

Des coudriers où dorment les martins-pôcheurs…
Endors-toi donc… Je ne sais plus si c’est ton rire
Ou l’eau qui court sur les cailloux qu’elle fait luire…


II


Ton rêve est doux — si doux qu’il fait bouger tes lèvres
Tout doucement, tout doucement — comme un baiser…
Dis, rêves-tu que sur un roc vont se poser
Parmi des thyms chèvrefeuillés de blanches chèvres ?

Dis, rêves-tu que sur la mousse, en notes mièvres
La source pure au fond du bois vient à jaser,
— Ou qu’un oiseau tout rose et bleu s’en va briser
Les fils de Vierge et faire au loin s’enfuir les lièvres ?

Rêves-tu que la lune est un hortensia ?…
— Ou bien encor que sur le puits l’acacia
Jette des fleurs de neige d’or sentant la myrrhe ?…

— Ou que ta bouche, au fond du seau, si bien se mire,
Que je la prends pour une fleur qu’un coup de vent
A fait tomber, du vieux rosier, dans l’eau d’argent ?