Vénus de Milo (1852)

Poëmes antiquesLibrairie de Marc Ducloux, éditeur (p. 120-124).
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VIII



VÉNUS DE MILO.




Marbre sacré, vêtu de force et de génie,
Déesse irrésistible au port victorieux,
Pure comme un éclair et comme une harmonie,
Ô Vénus, ô beauté, blanche mère des dieux !


Tu n’es pas Aphrodite, au bercement de l’onde,
Sur ta conque d’azur posant un pied neigeux,
Tandis qu’autour de toi, vision rose et blonde,
Volent les Ris d’or avec l’essaim des Jeux.

Tu n’es pas Cythérée, en ta pose assouplie,
Parfumant de baisers l’Adonis bienheureux,
Et n’ayant pour témoins sur le rameau qui plie
Que colombes d’albâtre et ramiers amoureux.

Et tu n’es pas la Muse aux lèvres éloquentes,
La pudique Vénus, ni la molle Astarté
Qui, le front couronné de roses et d’acanthes,
Sur un lit de lotos se meurt de volupté.

Non ! les Ris et les Jeux, les Grâces enlacées,
Rougissantes d’amour, ne t’accompagnent pas.
Ton cortège est formé d’étoiles cadencées,
Et les globes en chœur s’enchaînent sur tes pas.

Du bonheur impassible ô symbole adorable,
Calme comme la mer en sa sérénité,
Nul sanglot n’a brisé ton sein inaltérable,
Jamais les pleurs humains n’ont terni ta beauté.

Salut ! à ton aspect le cœur se précipite.
Un flot marmoréen inonde tes pieds blancs ;
Tu marches, fière et nue, et le monde palpite,
Et le monde est à toi, déesse aux larges flancs !

Bienheureux Phidias, Lysippe ou Praxitèle,
Ces créateurs marqués d’un signe radieux ;
Car leur main a pétri cette forme immortelle,
Car ils se sont assis dans le sénat des dieux !

Bienheureux les enfants de I’Hellade sacrée !
Oh ! que ne suis-je n6 dans le saint archipel,
Aux siècles giorieux où la terre inspirée
Voyait les cieux descendre a son premier appel !

Si mon berceau fiottant sur !a Thétys antique
Ne fur point caressé de son tiède cristal ;
Si je n’ai point prié sous le fronton attique
Vénus victorieuse, à ton autel natal ;


Allume dans mon sein la sublime étincelle,
N’enferme point ma gloire au tombeau soucieux ;
Et fais que ma pensée en rhythmes d’or ruisselle,
Comme un divin métal au moule harmonieux.