Universités transatlantiques/Chapitre VI
louisiane
floride, virginie
I
Sous un ciel d’une pureté parfaite, par une température presque trop élevée, nous sortons de notre immense hôtel plein de colonnes, de portiques, de lustres et de punaises… La rue est bordée de galeries-vérandas, sous lesquelles flâne toute une population de mulâtres et de quarterons ; les étalages sont à moitié dehors ; là-haut courent les fils télégraphiques qui, avec les tramways et le drapeau étoilé, indiquent seuls l’Union américaine ; pour le reste, c’est le Sud avec sa douce et facile insouciance. Nous gagnons Canal Street, qui est la principale artère de la cité. Au centre, il y a des herbes folles et de grands arbres ; sous les vérandas, de nombreuses boutiques. Peu à peu, les maisons s’éclaircissent ; puis vient un quartier pauvre ; les égouts en plein air sont d’infects marécages pleins de détritus. Des négresses débraillées bavardent ou s’injurient d’une porte à l’autre. Des magnolias, des palmiers, des bananiers détachent sur l’azur leur feuillage exotique.
Il n’y a pas de port proprement dit, mais un plancher interminable posé sur des pilotis et sous lequel les flots du Mississippi viennent mourir doucement. Cinq cents bateaux sont amarrés, l’arrière au quai. Ils ont amené par la voie du fleuve ces balles de coton que les navires d’Europe vont emporter. Il y en a de véritables amoncellements, d’où s’échappent des flocons blanchâtres qui flottent en l’air et couvrent le sol d’une sorte de neige. Les bateaux du Mississippi sont larges et plats ; la cargaison s’y entasse à l’air libre jusqu’au toit, qui forme terrasse et porte les logements ; la machine est à l’arrière : deux longs tuyaux noirs entre lesquels se lit, posé sur un grillage imperceptible, le nom du propriétaire ou le monogramme d’une compagnie de transports, achèvent de leur donner un aspect d’animal méchant et terrible. Rien ne vaut ici le mois de novembre pour l’animation et le pittoresque. C’est l’époque où le coton règne en maître ; on le voit passer empilé sur des charrettes que couronne un groupe de nègres chantant des chansons et des bamboulas étranges. La blancheur de la marchandise fait ressortir la peau noire des ouvriers et, sur tout cela, le soleil méridional jette des nuances chaudes et vibrantes. L’arrivée d’un steamer, annoncée à coups de cloche, met tout en mouvement ; chacun se précipite pour aider au débarquement… Sur des barils de café, d’érable ou d’indigo, portant le nom des plantations qui les ont fournis, des marins anglais sont assis gravement qui regardent ce tohu-bohu,… et puis la lumière s’adoucit, décroît très vite, presque sans crépuscule ; des fanaux électriques, montés sur des espèces de pyramides aériennes qui ont la forme de la Tour Eiffel, semblent des astres blancs dans le firmament assombri. Il y a des bandes d’or vert là-bas, derrière les arbres, et des moustiques inoffensifs se croisent en l’air, très affairés…
ii
Nous voici repartis dès le matin ; cette fois nous suivons Canal Street jusqu’au bout, jusqu’à d’immenses cimetières remplis de fleurs, d’ombre et de chants d’oiseaux ; les monuments de marbre blanc qui parsèment les pelouses sont couverts de sculptures et d’ornements. À l’entrée, sur un tertre de gazon, la statue de bronze du général Johnston à cheval, l’épée étendue, dressé sur ses étriers, regardant au loin vers l’ennemi ! Sous le tertre que traverse une voûte de marbre, sont les tombes des soldats confédérés. On n’a pas idée du calme joyeux qui règne là, dans cette enceinte de magnolias, de chênes verts et de lauriers. C’est un monde extravagant, presque un autre univers, le vestibule de l’autre vie ! Un cortège funèbre s’arrête devant un long rectangle de pierre, qui disparaît à moitié sous un manteau de vignes vierges. Il y en a d’autres, un peu plus loin : ce sont des catacombes en plein air. La place occupée par chaque cercueil est fermée par une plaque blanche, sur laquelle on a gravé le nom et l’âge de celui qui dort là.
Sortis de ces cimetières, nous continuons loin, très loin dans la campagne jusqu’à un vieil arbre au tronc noueux, près duquel nous nous reposons. La chaleur est extrême à cette heure de midi ; trois chevaux qui errent librement se sont arrêtés un instant pour nous regarder ; ils marchent vers une lisière d’arbres auxquels les lichens donnent une apparence fantastique ; ces lichens décolorés, presque gris, s’accrochent partout, même dans la ville ; ils s’agitent au moindre souffle comme des chinoiseries pendues là pour quelque fête déjà ancienne, et fanées maintenant. La Nouvelle-Orléans n’est plus visible ; à peine distingue-t-on ses fumées qui montent légèrement dans le ciel. Une cabane, à quelque distance, est la seule trace d’habitation ; accroupie sur le seuil, une sorcière noire nous fixe avec un mélange de méfiance et d’hébétement ; des pelures de banane l’environnent. Mon Dieu ! qu’on se sent loin !
iii
Le président Preston Johnston, parent de l’illustre général sudiste dont nous avons vu ce matin la tombe, a été lui-même colonel dans l’armée confédérée. Grand, maigre, énergique, il se fait remarquer surtout par sa politesse extrême et son urbanité. Si je croyais à la métempsycose, je jurerais qu’il a vécu jadis à Versailles, sous le grand Roi ; et c’est singulier d’entendre des choses très modernes dites dans ce style très ancien, avec un choix d’expressions et une dignité simple qui détonneraient dans tout le reste de l’Amérique. Mais hier, à l’Opéra-Français, où l’on jouait Mignon, j’ai déjà noté cet air de suprême distinction ; les habits noirs et les robes décolletées rivalisaient de correction et j’avais peine à me figurer que ces femmes au port de reine étaient d’ardentes républicaines, et que ces hommes à la démarche élégante avaient aligné des chiffres tout le jour.
Après la guerre, le colonel Johnston, à l’exemple du général Lee, s’est fait maître d’école. Il a eu la direction d’un collège à Bâton-Rouge, la capitale de la Louisiane. Il l’a quittée pour venir présider l’université Tulane. Depuis 1847, une université existait à la Nouvelle-Orléans, mais elle ne brillait ni par sa richesse ni par le nombre de ses étudiants. Or, au mois de mai 1882, Paul Tulane faisait don à un groupe de ses amis d’une somme de 5 500 000 francs, en leur donnant la mission d’employer cet argent pour le bien « intellectuel, moral et industriel » de la jeunesse louisianaise. On s’entendit avec l’État pour racheter l’université, qui prit le nom du généreux donateur.
Paul Tulane, né en 1801, à Princeton (New Jersey), était venu à la Nouvelle-Orléans à l’âge de vingt et un ans pour y faire fortune. Un travail opiniâtre, une intelligence remarquable et une honnêteté scrupuleuse lui valurent, avec la fortune, l’estime de ses concitoyens d’adoption. Retiré des affaires, il n’eut plus d’autre désir que de leur donner un gage de sa reconnaissance et de son affection ; et, cherchant ce qu’il pouvait faire pour eux, il se tourna vers cette force et cette raison d’être des démocraties : l’éducation.
L’université Tulane comprend la faculté académique (littérature et sciences), la faculté de droit, la faculté de médecine ; elle a pour annexes un high school et une école pour les jeunes filles. La population scolaire atteint le chiffre de 1 100, mais, en dehors de la médecine, les facultés sont peu fréquentées. Sortis du High School, la plupart des élèves, qui sont des fils de ruinés, se mettent à l’ouvrage ; leurs enfants, plus fortunés, pourront pousser jusqu’au bout leurs études libérales. On paye 400 francs par an pour l’enseignement et on trouve à se loger dans des boarding-houses pour 100 francs par mois. « Mes jeunes gens, me dit le président Johnston, sont très souples et faciles à manier, et ils ont en même temps les qualités du Nord ! » Qu’ils les possèdent au même degré que leurs rivaux de New York ou de Chicago, j’en doute un peu, mais il est certain qu’ils acceptent crânement leur destinée et prennent, comme on dit « le taureau par les cornes ». Leurs plaisirs favoris consistent à chasser et à pêcher. Ils montent aussi beaucoup à cheval et font du yachting sur le lac Pontchartrain. Quelques associations de foot-ball et de base-ball se sont récemment développées, mais les sports individuels les passionnent surtout et, comme on peut louer des chevaux et des barques pour presque rien, et que la chasse est à tout le monde, les moins bien partagés peuvent satisfaire leurs goûts athlétiques.
Leurs maîtres font constamment appel à l’honneur. La dose de liberté dont ils jouissent est en raison des engagements qu’ils prennent par écrit de ne rien faire de contraire aux lois de l’université : « Ne signez pas, leur dit-on, si vous ne vous sentez pas de force à tenir votre promesse ; mais, pour rien au monde, il ne faut y manquer ! » Et plusieurs, en effet, préfèrent s’abstenir. Comme à Amherst, ils sont associés au gouvernement par le choix qu’ils font de délégués chargés de maintenir le bon ordre et la discipline.
iv
M. Paul Tulane a stipulé dans son acte de donation qu’il avait en vue l’éducation des blancs ; il n’avait pas besoin de le dire : les jeunes nègres assez osés pour se faire inscrire eussent passé de très mauvais quarts d’heure. Dans le Nord, noirs et blancs sont sur le même pied ; on voit même de nombreuses écoles mixtes et le préjugé de race s’en va déclinant de plus en plus vite. Mais ici il subsiste dans toute sa force. Les nègres ont leurs cafés, leurs cars réservés dans les chemins de fer, leurs places au théâtre. Partout, ils doivent céder le pas aux blancs, même à l’église ! Ils ont la majorité et pourraient, s’ils le voulaient, mettre fin à ces honteuses distinctions ; mais ils sont insouciants, désunis et très timides. L’esclavage les a laissés soumis à leurs anciens maîtres, et sans doute il faudra du temps pour que le sentiment de l’égalité vienne aux uns et aux autres.
Quoi qu’il en soit, la question nègre préoccupe à bon droit les hommes d’État américains et leur fournit, de temps à autre, l’occasion de mettre au monde des projets excentriques. Un sénateur a proposé de les reconduire tous en Afrique : « C’est leur patrie d’origine, a-t-il dit ; quelle glorieuse mission pour eux d’apporter à leurs frères restés dans la barbarie la civilisation qu’ils tiennent de nous ! » J’espère qu’il se sera trouvé quelqu’un pour rire au nez du facétieux sénateur ; en tout cas les nègres ont ri jaune ! à la pensée de cette « glorieuse mission ». Vis-à-vis des noirs, les blancs se croient tout permis ; ils trichent aux élections dans le dépouillement des bulletins et ne craignent pas de s’en vanter ouvertement. En cas de querelle, le noir a toujours tort ; on lui parle comme à un chien ; et chacun fait de son mieux pour lui donner une idée bien nette de son infériorité ; or cette infériorité n’est rien moins que prouvée. Après tant d’années de servitude, il n’est pas surprenant que l’intelligence soit lente à s’ouvrir. Dans les écoles les petits nègres apprennent à merveille et témoignent d’une grande facilité au travail. Puis cela s’arrête subitement ; ils ne vont guère au delà d’une certaine limite, mais cette limite recule peu à peu ; en Europe, d’ailleurs, nous avons maints exemples, dans nos écoles, d’élèves nègres remportant les premiers prix et passant brillamment leurs examens. J’ajouterai que, le plus souvent, ces élèves, par leur aimable caractère et leur enjouement, se sont fait aimer de tous leurs camarades et sont devenus des favoris. C’est qu’en effet ils sont sympathiques, plus sympathiques que les êtres malpropres et pochards qui se sont parfois assis auprès de moi dans les chemins de fer d’Amérique, et auxquels j’aurais préféré comme voisins des nègres bien mis.v
vi
Le déjeuner du lendemain a lieu en pleine campagne, dans une petite auberge toute basse, entourée d’énormes bananiers. Les murs sont blanchis à la chaux ; il y a sur la table une nappe blanche et bleue, de grands bols de lait et des petits gâteaux à la noix de coco. Le mécanicien et le conducteur mangent avec nous en jetant par-ci par-là un regard vers les wagons, arrêtés à cinquante mètres et à moitié dissimulés par la verdure. Un énorme perroquet raconte des histoires très drôles…
vii
Tallahassee est la capitale de la Floride, mais Jacksonville en est la principale cité. Ses avenues sablonneuses, ses squares trop grands, ses innombrables hôtels où s’entassent, pour l’hiver, des malades, des détraqués et des rhumatisants lui donnent un aspect très caractéristique et peu attrayant. Mais c’est un centre d’excursions ; des vapeurs remontent la rivière Saint-Jean, un chemin de fer joujou conduit à Saint-Augustin et un autre vous dépose en trois quarts d’heure sur la plage de Pablo-Beach.
À cette époque de l’année, Pablo-Beach est désert, absolument désert, à ce point que nous n’y pouvons trouver que des oranges et des cigarettes. Mais il y a l’Océan vide et indéfini, la plage de sable et un arrière-plan de palmiers nains ; il n’en faut pas tant pour passer agréablement deux heures. Quant à Saint-Augustin, c’est un Eden de deux mille habitants l’été, de dix mille l’hiver : c’est aussi la plus vieille fondation européenne de toute l’Amérique. L’Espagne y a laissé l’empreinte de son architecture, mais non de sa malpropreté. L’Amérique, elle, n’y a rien apporté, ni affaires, ni bourse, ni mouvement commercial. Les indigènes sont de braves pêcheurs décoratifs qui louent des bateaux et vendent des curiosités ; la municipalité n’a d’autre souci que d’embellir les places publiques ; il n’y a pas de lourdes charrettes pour défoncer les rues ou écorner les trottoirs : tout est frais, joli, élégant, soigné ; quant aux hôtels, ils défient toute description : nulle part au monde il n’en existe de pareils. Bâtis en pierres grises et polies qui ont le reflet du marbre, couverts d’ornements de terre cuite du plus gracieux effet, ils empruntent aux styles hindou et mexicain des lignes originales et hardies, à la Renaissance ses bas-reliefs et ses chapiteaux, au plein cintre ses arcs de cercle… Bref, ce sont des œuvres absurdes, conçues en dehors de toutes les règles, mais, par ailleurs, séduisantes au suprême degré et inimitables. L’hôtel Ponce de Léon est entouré d’un jardin exotique qui fait rêver. L’hôtel Cordoba évoque l’image d’un palais des Mille et une Nuits. L’hôtel Alcazar possède une cour intérieure où jouent des fontaines et une piscine immense bordée de promenoirs. Tout cela resplendit sous le ciel bleu, sous les reflets chatoyants de la lumière vive ; c’est une féerie, une magie, un éblouissement.
À l’extrémité de la petite ville, un vieux fort construit en 1756, sous le gouverneur espagnol don Alonzo Fernando Herida, dresse ses bastions et ses tours. L’eau de l’Océan vient caresser les contreforts ; une grande île plate ferme la rade et au delà on aperçoit les crêtes d’écume des vagues. Tout près du fort, de gros poissons se montrent par instants, faisant mille cabrioles ; tout le monde flâne et s’amuse ici, même les poissons. Des vélocipèdes, des chevaux sellés attendent les promeneurs. Quand la saison battra son plein, ce sera bien autre chose. Il y aura un mouvement inouï dans les rues et des fêtes presque chaque soir. Les jeunes gens flirteront et les maîtres d’hôtel saleront les notes.viii
Dans le car qui va nous ramener à Jacksonville, il y a une femme d’environ quarante ans, vêtue avec élégance ; son visage est très légèrement teinté, si légèrement que je ne m’en aperçois pas tout d’abord. Mais au moment où le train va s’ébranler, le conducteur lui parle à l’oreille ; elle fait signe que non ; il insiste et élève la voix, et bientôt chacun comprend le sujet de la querelle. Cette femme a un peu de sang nègre dans les veines ; sa fortune, sa distinction ne la mettent pas à l’abri de la loi. Il faut qu’elle émigre dans le car des nègres, qui est aussi celui des fumeurs, qui est sale et inconfortable. Elle proteste ; alors le conducteur appelle son camarade et, sans plus de façons, ils la prennent sous les bras et comme elle est lourde, la traînent jusque dans l’autre car. Devant cette scène ignoble, quelques Américains qui sont là se contentent de ricaner grossièrement. Si les États du Sud sont assez stupides pour maintenir encore quelque temps cette législation ingénieuse, il est à croire qu’ils finiront par le payer cher ; à moins que le gouvernement fédéral ne se décide à intervenir et à leur donner le fouet comme aux enfants méchants.
ix
Le coucher du soleil s’opère, en Floride, avec une majesté et une splendeur incomparables. On commence par étendre des tapis de pourpre sur le chemin de l’astre royal ; au-dessus de lui, il y a comme un dais immense d’étoffes bleues et violettes ; il s’enveloppe alors dans des voiles transparents couleur d’opale, et se retire : tout aussitôt paraît une longue bande d’un vert surnaturel, profond, pailletée d’or et brillamment éclairée par en dessous comme la frange d’un rideau de théâtre. À ce moment précis, les étoiles se mettent à scintiller, les pins deviennent tout noirs et le vent fait de la musique dans les palmiers.
x
Nous avons une longue route à faire pour atteindre Charlottesville, siège de l’université de Virginie, située dans les premiers contreforts des Alleghanys, à l’ouest de Richmond. Il faut traverser la Georgie et les deux Carolines. Nous allons faire cette route tout d’une traite ; non pas que Savannah, Charleston, Raleigh, soient des villes dépourvues d’intérêt, non pas que ces régions n’offrent de beaux paysages et ne contiennent des institutions dignes d’être visitées, mais il faut nous hâter de gagner Washington et Baltimore, où nous avons beaucoup à voir. Donc pour charmer ces vingt-quatre heures de chemin de fer, je vous proposerai la lecture d’une page d’histoire virginienne, page aussi captivante que peu connue et qui devrait l’être des Français au même titre que des Américains[1].
En Virginie, on se préoccupa de bonne heure de développer l’instruction et les colons résolurent d’en appeler à la métropole pour se faire aider par elle dans cette tâche. En 1691, leur envoyé fut reçu à Londres par Guillaume et Marie, qui régnaient conjointement. Tous deux se montrèrent favorables au projet de fondation d’un collège qui porterait leur nom et ils donnèrent une somme importante. Quant à Seymour, attorney-général, il reçut l’envoyé par un mot demeuré célèbre ; comme celui-ci lui représentait que les Virginiens avaient aussi des âmes auxquelles on devait songer : « Des âmes ! s’écria Seymour ; le diable emporte leurs âmes !… Qu’ils fassent du tabac ! » et ce make tobacco ! resté le mot d’ordre de la politique coloniale anglaise, renfermait le germe de la révolution américaine. Cependant Seymour donna, lui aussi, et le collège de William and Mary, fondé à Williamsburg (Virginie), débuta dans l’existence avec une riche dotation. Ce fut une grande et belle institution, qui exerça sur les destinées de la colonie une influence prépondérante. On s’étonna, dans la suite, de voir ces planteurs se transformer en hommes d’État ; on admira l’étendue de leurs connaissances, la netteté de leurs vues politiques ; c’est que tous ils avaient fait leurs études au collège de William and Mary, qui brillait alors d’un vif éclat. Depuis, les mauvais jours sont venus ; des incendies ont détruit les bâtiments ; la guerre de Sécession a dispersé les élèves et le pauvre collège tombait en ruines quand, tout dernièrement, le gouvernement virginien lui a rendu la vie en y installant une sorte d’École normale supérieure.
En 1712, le gouverneur Spotswood, écrivant à l’évêque de Londres, mentionne la présence au collège de 20 jeunes Indiens. « Ils ont l’air très heureux, dit-il, et les chefs de leurs nations qui viennent souvent les voir, se lamentent de n’avoir pas reçu, dans leur jeunesse, une semblable éducation. » En 1788, George Washington fut élu chancelier. Le chancelier n’était qu’une manière de Mécène acceptant de patronner et de combler de faveurs le collège qui l’avait élu. Enfin il est question de William et Mary dans les voyages du duc de la Rochefoucauld-Liancourt, qui parcourut les États-Unis de 1795 à 1797 et rendit compte de sa visite à Williamsburgh.
Cependant Jefferson caressait l’idée de créer dans son pays une université sur le modèle de celles qu’il avait admirées en Europe. Il était revenu enthousiasmé notamment des universités de Genève et d’Édimbourg ; il les appelait « les deux yeux de l’Europe ». Sa première pensée fut d’agrandir et de transformer le vieux collège de William et Mary, où il avait lui-même été élevé. Mais il était à peu près libre penseur et l’Église anglicane tenait William et Mary sous sa domination. Il écouta alors les propositions d’un homme entreprenant et singulièrement perspicace, le chevalier Quesnay de Beaurepaire. Ce gentilhomme français avait servi dans l’armée américaine, de 1777 à 1778. Sa santé l’ayant forcé de quitter le service, il parcourut la jeune république, se rendit compte de ses ressources et de ses besoins et résolut de la lier avec sa patrie « par de nouveaux liens de reconnaissance, de conformité dans les goûts et de communication plus intime entre les individus des deux nations ». Son plan consistait dans la création à Richmond d’une « académie française des sciences et des beaux-arts » ayant des annexes à Baltimore, Philadelphie et New York, affiliée aux sociétés royales de Paris, de Londres et de Bruxelles et recrutant, par le moyen de son comité de Paris, les meilleurs artistes, les plus habiles professeurs, les savants les plus en renom de l’Europe. L’idée était simple, bonne et originale ; mais l’exécution en fut surtout curieuse. Jamais œuvre d’initiative privée ne fut menée d’une manière plus pratique et plus moderne. Quesnay de Beaurepaire écrivit à Franklin pour obtenir son appui et il fit une souscription publique. La liste des premiers souscripteurs (1780) contient les noms des principaux citoyens de Richmond, Baltimore, Philadelphie, Trenton, Élizabeth, Newark et New York. Le chevalier allait, venait, parlait, écrivait et remuait l’opinion publique, si bien que la Gazette virginienne du 1er juillet 1786 put rendre compte de la pose de la première pierre de l’édifice destiné à abriter l’académie. La cérémonie eut lieu en grande pompe le jour de la Saint-Jean, « en présence des dignitaires des loges maçonniques ». Alors Quesnay revint en France, vit le roi et la reine, leur présenta un mémoire, intéressa Lavoisier, Condorcet, Vernet, Beaumarchais, La Fayette, Malesherbes. Bientôt il eut une longue liste d’associés français et anglais et un comité s’assembla pour choisir les professeurs. On sait qu’il désigna, en premier lieu, et engagea pour dix ans un nommé Jean Rouelle, qui n’arriva jamais à destination. La Révolution survint et ce projet grandiose, qui eût assuré à la France des avantages incalculables, fut emporté dans la tourmente. Il fût même demeuré dans l’oubli si le président A.-D. White, en faisant des recherches relatives à l’histoire de la Révolution, n’avait découvert une copie du mémoire présenté à Louis XVI par Quesnay de Beaurepaire. Quant au bâtiment dont la première pierre avait été posée le 24 juin 1786, il devint un théâtre ; le feu le détruisit ; réédifié, il fut encore brûlé le 26 décembre 1811 et 70 personnes, y compris le gouverneur de l’État, furent ensevelies sous ses décombres ; en commémoration de cette catastrophe, on a élevé sur son emplacement une église connue sous le nom de Monumental Church.
Cependant Jefferson, n’ayant pas renoncé à son idée, communiqua à Washington une lettre qui lui arrivait de Genève. Par suite de dissentiments avec le parti au pouvoir, les professeurs de la faculté de Genève, au nombre desquels était Saussure, manifestaient le désir de se transporter en corps dans le nouveau monde, sans esprit de retour. Jefferson enthousiasmé demandait des crédits pour aider à la réalisation de ce projet. Washington lui représenta, avec sa sagesse habituelle, les inconvénients et les dangers d’un semblable établissement. Il avait lui-même reconnu la nécessité de fonder une université qu’il se plaisait à définir « une école de sciences politiques et administratives » ; il la voulait à Federal City, la capitale qui devait plus tard porter son nom. Son plan est exposé dans le Traité de l’Éducation nationale aux États-Unis, que Dupont de Nemours, l’économiste et l’ami de Turgot, écrivit en 1800, pendant son séjour en Amérique. L’université y est désignée sous le nom de « palais du peuple » ; elle devra s’élever près du Capitole et en égaler la splendeur ; elle aura quatre facultés : médecine, mines, sciences, droit et politique. Pas plus que les autres, le projet de Washington ne se réalisa, mais on aboutit enfin à la fondation de l’université de Virginie, grâce à un jeune homme du nom de Cabell qui rentra aux États-Unis en 1806, après une longue tournée pédagogique en Europe ; il avait vécu à Paris, à Montpellier, à Padoue, à Leyden, à Oxford ; il avait entendu Cuvier et causé avec Pestalozzi. Jefferson, alors président des États-Unis, se prit d’amitié pour lui et l’engagea à se présenter au Sénat virginien. Cabell y entra, en effet, et y fut le champion des idées de son illustre protecteur. Grâce à lui, on triompha des fédéralistes, du parti clérical et de la jalousie des autres collèges, et l’université de Virginie fut fondée le 6 octobre 1817.
xi
Une prairie rectangulaire, de grandes dimensions, entourée de trois côtés par de longues colonnades, des maisons ornées de péristyles, régulièrement espacées et ouvrant sur ces colonnades, enfin une rotonde énorme précédée d’un portique, tel est l’ensemble des constructions qu’éleva Jefferson. Ce n’est pas sans un certain ahurissement que le touriste reconnaît dans la rotonde une copie très pâle du Panthéon d’Agrippa, qu’il perçoit le long des colonnades les trois ordres de chapiteaux bizarrement mélangés, qu’il saisit enfin, sur les façades des maisons à péristyles, des réminiscences vagues du théâtre de Marcellus, des thermes de Dioclétien ou du temple de la Fortune Virile. Par ces imitations quelque peu maladroites, le fondateur se flattait d’inspirer aux étudiants le goût des belles choses, en même temps que les notions fondamentales de l’architecture décorative, laquelle se bornait, pour lui, à mettre des colonnes partout. La rotonde est une bibliothèque ; la place manquant, on lui a ajouté par derrière, comme une queue de comète, une suite de bâtiments qui contiennent des laboratoires, des salles d’examen, un hall pour les réunions solennelles, etc. Du sommet de l’édifice, on saisit d’un coup d’œil le plan de ce « village académique », assis sur un étroit plateau qu’entourent des vallons pittoresques et, plus loin, une ceinture de montagnes. À gauche, sur un sommet, on aperçoit Monticello, la demeure favorite de Jefferson. C’est de là qu’il surveillait la construction de sa chère université, c’est là qu’il rendit le dernier soupir, le 4 juillet 1826, et c’est là que ses restes mortels ont été déposés sous un simple obélisque de marbre qui porte, de par sa volonté expresse, l’inscription suivante : « Ici repose Thomas Jefferson, auteur de la Déclaration d’indépendance des États-Unis et du Statut pour la liberté religieuse, et père de l’Université de Virginie ». Ce sont les titres auxquels il a tenu par delà la mort et, sachant la postérité oublieuse, il les a réduits à trois… Homme singulier, plein de contrastes, n’ayant ni la force d’âme, ni la puissance de caractère, ni le prodigieux bon sens de Washington, mais remarquable par son activité, sa science et aussi par l’étrange avance qu’il eut sur son temps. Il y a telles idées, telles théories de Jefferson qui aujourd’hui seulement sont appréciées et comprises ; la perspicacité humaine a des bornes et ce n’est pas le raisonnement, mais plutôt une sorte de mystérieux instinct qui a fait énoncer par cet Américain du XVIIIe siècle quelques-uns des principes du XXe.
À Charlottesville, la vie universitaire se concentre sous les colonnades. Les chambres des étudiants ouvrent dessus et aussi les demeures des professeurs. Maîtres et élèves se trouvent de la sorte en contact perpétuel ; ajoutez-y cette urbanité du Sud, laquelle n’exclut pas parfois une certaine rudesse, voire un peu de brutalité, et vous comprendrez l’originalité extrême du décor et des personnages. En arrivant, j’ai demandé mon chemin à un jeune homme qui, la main sur le pommeau de sa selle, s’apprêtait à sauter à cheval : Le Dr Venable ?… Oh ! certainement, il connaît très bien le colonel Venable ! C’est son professeur de mathématiques. Il faut aller tout droit, monter un peu, tourner sous les colonnades et c’est la troisième maison… Derrière, il en venait d’autres, vêtus sans prétentions, montés sur de bons petits chevaux solides et ardents. On voit qu’ils ont la passion du cheval, qu’ils s’en vont seuls par les bois pour goûter l’ivresse des longues courses, du plein air et de la saine fatigue.
On ne m’eut pas dit que M. Venable avait servi dans les armées confédérées que je l’aurais deviné sans peine. Ils ont tous, ces officiers du Sud, un visage et une démarche qui les trahissent. Ils sont calmes, nobles, un peu tristes, très modernes en même temps et très résolus. On dirait que l’ombre du général Lee a passé sur eux et que l’exemple qu’il a donné est constamment devant leurs yeux.
Derrière un repli de terrain se dissimule une jolie chapelle ; ce sont les étudiants qui l’ont élevée ; ils entretiennent eux-mêmes le chapelain qui en a la charge et les offices y sont célébrés alternativement pour les presbytériens, les épiscopaliens, les méthodistes et les baptistes. Non loin se trouve une grande salle de lecture avec des journaux et des revues. L’observatoire s’élève sur une colline, au milieu des arbres. À côté, il y a le champ de foot-ball, très animé à cette heure. Les joueurs se battent avec entrain, mais ils ont, en même temps, une grâce et une aisance dans les mouvements qui rendent le spectacle particulièrement agréable. D’autres jouent au tennis ; d’autres sont assis dans l’herbe à regarder leurs camarades. Ils ont près d’eux de grands chiens qu’ils caressent. Et, sur la route, les cavaliers continuent de défiler ; tout le monde se salue au passage d’un bonjour amical. Et puis le soir arrive, des brumes descendent dans la vallée, l’humidité s’élève, c’est l’heure de rentrer. Promeneurs, cavaliers, grands chiens, jerseys de couleur, tout cela s’achemine vers l’université, dont les lumières s’allument.
L’élément de liberté matérielle et d’indépendance morale que Jefferson introduisit dans les règlements académiques n’y fructifia pas tout d’abord. La jeunesse virginienne, peu habituée à ce régime, en abusa étrangement ; il y eut des orgies, des désordres de tous genres et enfin, le 12 novembre 1840, à la nuit, un étudiant tua d’un coup de revolver le professeur Davis. Il est à croire que ce crime abominable contribua puissamment à la réforme qui s’est accomplie ; aujourd’hui Charlottesville est, comme ses sœurs du Nord et de l’Ouest, un asile de paix et de travail ; 439 jeunes gens suivent les cours et, sur ce total, 433 viennent des États du Sud et 6 de l’État de New York. Leurs dépenses sont peu considérables : en 1889, la moyenne a été de 2 750 francs ; le maximum, de 5 365 francs, et le minimum, de 1 425. Leurs ressources sont en proportion. Ils n’ont plus d’esclaves, leurs parents n’habitent plus de luxueuses maisons et presque tous ils ont leur chemin à faire. Il leur est resté une sorte de fierté aristocratique, qui d’ailleurs ne va pas à l’encontre des sentiments démocratiques américains. Ils en traduisent les impressions à leur manière dans les discussions auxquelles ils prennent part, ou dans les articles qu’ils publient. J’ai noté, dans l’un des derniers numéros du Virginia University Magazine, une protestation éloquente contre la naturalisation rapide des émigrants. L’auteur s’indigne qu’on prodigue de la sorte ce « glorieux titre » de citoyen américain. On sent se réveiller en lui les instincts orgueilleux de la vieille Virginie.
Les Fraternités, ces sociétés secrètes dont j’ai déjà parlé, sont très nombreuses ici. Le cours n’a pas une durée limitée. Dans les matières enseignées, chacun fait son choix. On étudie les lettres, les sciences, le droit, la médecine, les sciences industrielles, la pharmacie et l’agriculture. On joue au foot-ball et au base-ball, on rame, on nage et surtout on monte à cheval ; on fait aussi de la gymnastique, mais sans grand enthousiasme.
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À Lexington (Virginie), fut établie définitivement en 1803 une université qui devait porter les deux plus beaux noms de l’Amérique : celui de Washington et celui du grand vaincu de la guerre de Sécession, Robert Lee. Elle s’appela d’abord Augusta Academy et ne donna qu’un enseignement restreint. En 1776, au lendemain de la Révolution, on changea son titre en celui de Liberty Hall. En 1796 George Washington la dota richement et, en reconnaissance de ce don, Liberty Hall devint Washington University. Enfin, le 2 octobre 1865, le général Lee en fut élu président et il occupa ce poste jusqu’à sa mort, qui arriva cinq ans plus tard. Depuis lors, l’université s’appelle Washington and Lee et elle garde le souvenir de son chef illustre.
Des historiens sympathiques[2] nous ont raconté son existence noble et droite, les prodiges de son énergie surhumaine, sa religion pure et sereine, son patriotisme ardent et sa volonté toujours maîtresse d’elle-même. Ils nous l’ont dépeint dans la retraite où s’écoula son enfance, partageant ses premières années entre son dévouement à sa mère et sa passion pour les exercices du corps ; puis, à West Point, cavalier intrépide, travailleur infatigable déjà entouré des marques de respect de ses camarades ; puis encore dans la campagne contre le Mexique, exécutant ce merveilleux passage du Pedrigale qui livra Mexico à l’armée des États-Unis.
La crise approchait ; l’élection d’Abraham Lincoln à la présidence fut le signal d’un déchirement qui devait se produire tôt ou tard et dont l’abolition de l’esclavage n’était pas la seule cause, loin de là. La Caroline du Sud, le Texas, le Mississipi, la Floride, bientôt suivis de l’Alabama, de la Géorgie et de la Louisiane, se retirèrent de l’Union et formèrent la ligue des États-Confédérés d’Amérique, sous la présidence de Jefferson Davis. La Virginie restait neutre et Lee, avant des amis dans les deux camps, sollicité par les uns et par les autres, à cause de sa haute situation et de ses grandes qualités, donna sa démission. Le gouvernement fédéral avait répondu à l’acte de sécession en déclarant qu’il rétablirait l’Union à tout prix. Un décret présidentiel ordonna la levée du contingent virginien. C’en était trop. La Virginie se retira de l’Union : le pacte fédéral lui en donnait le droit ; mais que de maux eussent été évités si cette « mère des États » n’avait point pris parti dans la querelle ! Le jour où le sol natal se trouva envahi, le général retira son épée du fourreau et marcha où l’appelait son devoir de Virginien.
Dans cette guerre de quatre années, on sait ce qu’il déploya de vigueur et de talent, à quel point il se montra savant tacticien et puissant organisateur. Mais ce n’est pas à son héroïsme et à sa science militaire que la foule rendit hommage. Il y eut tant de héros dans ces batailles ! et la tactique touche peu les masses. Non ! en présence de cet homme dont l’intelligence était sans éclipses, la volonté sans hésitation, la modération sans défaillances et la charité sans bornes, chacun se sentit empoigné. Le soir de la capitulation suprême, épuisé par les privations, la famine et la douleur morale, il traversa les rangs de ses vainqueurs ; tous les fronts se découvraient devant lui ; et il entra dans Richmond acclamé comme un triomphateur. Étrange triomphe : il y avait des larmes dans tous les yeux, l’incendie achevait de dévorer la ville et les habitants étaient vêtus de deuil !
Quatre mois durant, l’ovation continua. On stationnait sous ses fenêtres pour le voir ; des adresses lui arrivaient de tous les points de l’Amérique et de l’Europe ; sa maison devenait un lieu de pèlerinage ; son nom était sur toutes les lèvres. L’Angleterre lui offrait asile et fortune, mais il voulait donner l’exemple et rester à son poste. La tentation d’émigrer n’était que trop puissante pour des hommes vaincus et ruinés et tous ses efforts tendaient à les retenir dans leur patrie. Il puisait une consolation à sa douleur dans ce patriotisme à deux faces qui remplit les cœurs américains : la Virginie était battue, mais les États-Unis étaient sauvés !
Il mourut à l’âge de 63 ans, le 12 octobre 1870, entouré jusqu’au bout des témoignages d’affection de ses compatriotes, qui se pressèrent autour de son cercueil. Ses élèves l’avaient adoré comme jadis ses soldats ; on l’avait vu refuser la pension que la Virginie voulait lui assurer ; on l’avait vu signer, le premier, la demande d’amnistie et « il était arrivé à ce point de vertu chrétienne qu’on se sentait meilleur à le voir, à l’entendre, à songer à lui[3]».
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… Et, comme j’y songeais, précisément les journaux m’ont apporté la nouvelle de la mort de Jefferson Davis, le premier et l’unique président des États-Confédérés. Il vivait dans la retraite près de la Nouvelle-Orléans. Emprisonné à l’issue de la guerre, il eut à subir un procès que le président Johnson arrêta. Le temps a passé sur ces choses et cette mort ne réveille plus les haines de jadis… Lincoln, celui que la voix populaire désigna sous le nom de « l’honnête Abraham », dort son dernier sommeil dans l’Illinois, sa patrie ; la statue de Lee s’élève à Lexington ; l’Hudson coule devant la tombe du général Grant et Jefferson Davis repose sur les bords du Mississipi, là-bas, dans le grand cimetière plein de fleurs et de chants d’oiseaux, à l’ombre des magnolias, des chênes verts et des lauriers ! On l’y a conduit hier en grande pompe, au milieu d’un brillant cortège et, pour la dernière fois, l’étendard confédéré a paru côte à côte avec le drapeau étoilé des États deux fois unis !