Une voix dans la foule/De la Cendre

Une voix dans la fouleMercure de France (p. 56-57).
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DE LA CENDRE

Ce soir où j’ai senti l’âpre Peur me reprendre
Comme une amante aux yeux mauvais reprend un fou,
J’ouvris la porte et je m’enfuis je ne sais où,
Mâchant avec mes cris de l’ombre et de la cendre.

Comme si des convois de morts, par les chemins,
Montaient vers les cyprès de l’église, les cloches
Se mirent à branler dans les villages proches,
Et soudain je palpai de la cendre en mes mains.


Entendant les crapauds coasser à cœur fendre
Près des eaux où le ciel épanchait tout son sang,
J’essayai de courir vers le jour finissant ;
Mais sur mes pieds trop lourds s’amoncelait la cendre.

Je voulus au moins voir aux confins bleus des cieux
La lune se lever blanche sur les bruyères.
En vain ai-je levé de pesantes paupières :
La cendre avait empli de ténèbres mes yeux.

Croyant qu’en cette nuit Dieu seul pourrait m’entendre,
J’essayai de prier, tel l’enfant d’autrefois ;
Mais le silence seul répondit à ma voix,
Car ma bouche muette était pleine de cendre.