Une voix dans la fouleMercure de France (p. 58-60).
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FOLIE

À Edmond Jaloux.

Prends-moi par la main, ô Folie,
Pour guider sûrement mes pas
Vers les maisons où l’on oublie
Que l’amour n’est pas d’ici-bas.

Mène-moi vers les lieux infâmes
Où l’on boit les eaux de la mort
Et du sang aux lèvres des femmes
Que le baiser des hommes mord.


Je suis las d’essayer de vivre
Pour celle qui trompa ma foi :
Je ne suis qu’un vagabond ivre
Brisant les tables de la Loi.

Je veux cracher au front de l’ange
Qui me montra l’étoile d’or
Et souiller de toute ma fange
Ses ailes prêtes à l’essor.

Femmes dont l’ivresse grimace,
Dansez devant les hauts miroirs
Pour m’y cacher ma pauvre face
Où la pluie a pleuré, ces soirs.

Versez le poison dans les coupes,
Souillez les roses et les lys,
Tordez vos hanches et vos croupes,
Tuez mes espoirs de jadis !

Je râle entre tes bras, Folie,
Sous l’éclat rouge des flambeaux
Qui semblent veiller l’agonie
De rêves qui furent trop beaux.


Dehors, l’ombre couvre la ville
Où s’est tu peu à peu tout bruit.
Est-ce enfin, sur cette âme vile,
La paix et l’oubli de la nuit ?

Ai-je enfin, bourreau de moi-même,
Tué de honte l’amour ? — Non !
Je m’éveillerai, toi que j’aime,
En criant au soleil ton nom !