VISITES.


Venez, enfans ! à vous jardins, cours, escaliers !
Ébranlez et planchers, et plafonds, et piliers !
Que le jour s’achève où renaisse
Courez et bourdonnez comme l’abeille aux champs !
Ma joie et mon bonheur, et mon âme, et mes chants,
Iront où vous irez, jeunesse !
Feuilles d’automne.


XIII.


Ernest fut prêt de bonne heure ; non qu’il négligeât de parer convenablement sa personne, déjà fort agréable, mais il apportait dans toutes ses actions une vivacité qui lui fit trouver bientôt le temps d’une lenteur insupportable.

Enfin, le marteau tombe avec force sur la porte de l’hôtel, des pas d’homme se dirigent vers le salon ; Camille, lui-même, vient mettre un terme à son impatience ; et répondant au regard presque inquiet qu’il promène dans l’appartement : « On se fait belle pour le bal, dit-il ; passons chez madame Nilys ; elle te verra avec le calme heureux que nous rendrons un jour à qui l’a momentanément perdu. Chut ! poursuivit-il, ayant suffisamment excité la mémoire et l’embarras de son ami, entrons chez ma tante ; c’est le sanctuaire de la raison. » Et il passe son bras sous celui de Camille qu’il traîne gaîment à sa paisible confidente.

— Venez ! dit-elle ; venez, monsieur, je retrouverai avec joie dans vos traits quelques reflets du temps où je les ai vus si jeunes. C’est une de mes espérances accomplies ; car ils ont tenu parole en vérité ! et je félicite mon neveu que vous soyez aussi fidèle à l’amitié.

Camille, tout ému de cet accueil simple et facile, salue profondément, et tenant avec respect ses yeux brillans fixés sur elle, madame Nilys y lit à loisir tout ce qu’elle rêve de beau pour l’avenir de sa nièce, tout ce qui a jamais été écrit de plus tendre et de plus pur sur l’amour ; et au fond de tout cela, le mot divorce, mot discordant et fatal qui avait effarouché l’âme de Georgina, ne se présente pas à l’œil observateur de sa tante. Enfin les complimens se répandent avec trop de sincérité de la part de Camille pour n’être pas un remmercîment du bien-être qui succède à l’espèce d’angoisse dont il sort. Une voiture s’arrête, Ernest attentif tremble que Nérestine ne vienne mêler son bavardage enfantin à la conversation engagée heureusement avec sa tante, et se précipite jusqu’au bas de l’escalier, où Nérestine en effet, jolie comme un petit ange, se pend, légère et riante, au bras qu’il lui offre pour monter au salon désert.

— Ah ! bon soir ! dit-elle en entrant ; mais, qu’est-ce que je fais donc, moi ? voyez ! j’ai cru d’abord que ce miroir était une belle personne, et c’est…

— C’est vous ! poursuit Ernest en achevant la phrase qu’elle n’osait finir.

Elle le regarde toute rouge : puis, se retourne encore vers la glace vraie comme Ernest, et, ne sachant que leur répondre, elle rit ; ce qui met Ernest de bonne humeur à son tour.

— Me permettez-vous, mademoiselle, dit-il après l’avoir obligée à s’asseoir devant un grand feu, et se tenant modestement debout devant elle, de remplacer un moment ma sœur ? Nérestine s’incline en baissant les yeux.

— Je le veux bien, monsieur ; mais ce que j’attends d’elle, je ne peux l’attendre de vous.

— Ma sœur est heureuse ; elle a votre confiance entière, et toute votre amitié.

— Oui, puisqu’elle peut me conduire au bal.

— Vous aimez donc bien le bal ?

— Quand ma robe est belle !… la trouvez-vous belle, ma robe ?

— Charmante !

— Eh bien ! je suis sûre qu’elle plaira à tout le monde, car vous avez du goût, M. Ernest, et je n’ai plus peur à présent de n’être pas bien : où donc est Georgina ?

— D’où vous venez ; je pense au miroir.

— Oh ! laissez-moi l’aller trouver ! je veux la remercier de me conduire au bal.

— Demandez-le-moi sans m’en remercier ; je vous réponds de mon obéissance.

— Vous êtes un jeune homme, vous, et maman, qui n’a pu se parer pour moi ce soir, ne me confierait pas à votre complaisance.

Aurez-vous du moins la bonté de me choisir pour votre cavalier ? Nérestine le regarda interdite, et après un petit silence, répondit comme avec regret :

— J’en aurai un autre, je crois. Si vous n’avez fait encore aucune promesse ?…

— Pas une ; mais il y aura tant de monde ! et vous savez que je danse presqu’aussi bien que Georgina, et que je danse toujours. C’est que c’est aimable d’entendre dire : qu’elle est bien ! qu’elle a de grâce ! on baisse les yeux, mais on écoute, et si l’on ne peut s’empêcher de rougir, on n’en est pas plus mal ; … mais, comme je parle donc ! ce n’est pas à vous que je voulais dire cela ; je croyais déjà parler à Georgina.

— C’est dommage, car j’éprouve autant de plaisir à vous entendre qu’elle en trouvera, sans doute ; mais si vous me refusez quelquefois, je ferai nombre parmi vos admirateurs, et je serai l’un de ceux qui dira le plus sincèrement : qu’elle est bien ! qu’elle a de grâce !

— Pourquoi ne le dites-vous donc jamais, devant ma mère surtout ? ajouta-t-elle un peu triste.

— En vérité, je ne conçois pas comment je ne vous l’ai pas dit.

— Voulez-vous que je vous apprenne pourquoi ?

— Oui.

— C’est que… madame votre tante et Georgina me traitent encore comme une enfant, et que vous ne faites pas attention que je ne le suis plus.

— Vous me puniriez, peut-être, si je m’apercevais trop du contraire.

— Vous punir ! M. Ernest, oh ! cela me ferait trop de plaisir pour…, mais ne raillez pas, je vous prie, car cela me gêne quand je danse devant vous,… cela me gêne déjà, dit-elle en détournant les veux et s’étourdissant elle-même ; mais pour vous apprendre, sachez que ma mère… eh ! mon Dieu ! j’allais aussi vous dire un secret.

— Vous est-il bien cher, ce secret ?

Nérestine leva les épaules, avec la candeur d’un enfant qui n’en sait rien encore ; puis tout-à-coup elle salua Ernest d’un air grave et modeste.

— Je veux aller parler à Georgina, dit-elle avec sa voix émue ; faites-moi donc conduire chez elle.

Il sonna, et l’ayant saluée aussi très gravement :

— Conduisez mademoiselle chez ma sœur, dit-il à Sophie, et il courut rejoindre Camille.


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