(auteur présumé Michèle Nicolaï)
(p. 77-87).

CHAPITRE VII

Je fus exacte à mon rendez-vous avec Kouka, la vedette noire du dancing montmartrois.

J’eus soin de me dire malade à la maison et je m’enfermai dans ma chambre. La consigne fut donnée de me laisser dormir. Je réussis facilement à m’échapper. Je m’habillai avec soin et partis au dancing.

Je me mis à la même table que la veille. Il n’y avait là que deux ou trois clients, des entraîneuses, de belles filles cambrées, et des danseurs tous semblables avec leur habit noir et leur sourire blanc.

Bientôt Kouka arrive.

Il porte un costume marron, très ajusté, qui met en valeur son corps mince. Il est tout jeune avec un nez aplati, des paupières épaisses, un visage de bronze allongé, avec des yeux immenses doux comme du miel, un visage mobile, rieur.

— Vous êtes gentille d’être venue ; j’avais si grande envie de vous connaître.

— Moi aussi… J’aime beaucoup votre danse… Vous aviez l’air si heureux en dansant.

— Je le suis toujours. La vie est si magnifique. Et les femmes de ce pays sont si belles, si précieuses…

Une lueur s’allume dans ses yeux.

— Tout à l’heure, je danserai pour vous. Puis je vous emmènerai… dites que vous acceptez, je vous en prie.

La voix sourde répète ; j’abaisse mes cils sur mes yeux en signe d’acquiescement. Il laisse échapper un petit cri heureux, commande un whisky, me parle avec volubilité d’un tas de choses sans suite. Puis il me quitte et va se préparer pour la danse.

La salle s’est remplie sans que je m’en aperçoive. Les projecteurs lancent leurs pinceaux de lumière. Kouka apparaît, cette fois couvert de haillons et couronné de fleurs. Il danse. Il semble tenir dans ses bras un corps imaginaire et l’étreindre. Il mime de ses hanches souples toutes les figures de l’amour. Son corps noir se tend dans une imploration passionnée. Il tourbillonne, bondit, pousse des cris de joie, puis empoignant une guitare il chante en me regardant, d’une voix profonde qui résonne dans mon corps.

Enfin il me fait signe. À la sortie, nous nous rejoignons. Il m’achète des roses, appelle un taxi.

— J’habite une toute petite chambre sous les toits, voulez-vous y venir ?

— Allons !

Ses larges lèvres se tendent vers les miennes, un peu effrayantes, bestiales. Je ferme les yeux. Mais elles ne se posent pas sur ma bouche. Elles se promènent sur mon visage, happent mon souffle et mon parfum… Il prend ma main dans la sienne, une grande main sèche et chaude.

Bientôt nous arrivons. C’est une petite chambre assez misérable.

— Ne regardez pas trop, hein ! vous savez, on ne gagne pas tellement au fond dans ce métier-là. On réussit à ramasser un cachet par ci, par là, mais ça ne dure pas, alors !…

J’ai un peu honte de mes renards, de mes diamants. À la dérobée j’enlève ma bague pour n’avoir pas l’air de le narguer.

Il y a des photos sur les murs.

— Ça, c’est au gala des artistes. Tiens, tu la reconnais la petite bonne femme : c’est Joséphine.

Il a un accent parisien. L’accent qu’ils ont tous dans les coulisses.

Qu’il se déshabille, mon Dieu, qu’il se déshabille ou je vais repartir !

Ce n’était que cela que j’avais vu sur la scène : ce grand magnifique corps, qui n’était qu’un corps !

Vite, qu’il se déshabille ! Il ne voit donc pas qu’il me fait mal avec sa conversation, avec ses petites réflexions, avec ses détails.

Je sais bien que c’est peut-être cela sa vie et que je ne suis qu’une petite bourgeoise, riche, qui se fiche pas mal de la vie d’un petit danseur et qui n’aime que les spectacles esthétiques. Je sais, je sais, mais tant pis : je suis venue pour être ravie, pour être extasiée, pour jouir… Vite !…

J’aurais voulu qu’il ne soit vêtu que d’un unique vêtement avec une fermeture éclair et que je tire sur cette fermeture, que les vêtements tombent et qu’il ne soit plus que nu et muet…

Il a dû comprendre. Il m’attire dans ses bras ; sa bouche me mord les lèvres tout à coup ; je sens les petites dents pointues et sa langue va chercher la mienne. Il lâche ma bouche, c’est un sein qu’il suce maintenant à travers le lamé de la robe. La pointe toute tendue.

Il me repousse… Et alors, c’est le miracle…

En un instant, avec une sorte de frénésie il a arraché ses vêtements. C’est presque aussi rapide que la fermeture éclair. Avec une virtuosité que je n’ai jamais vu ailleurs, il laisse tomber son pantalon autour de ses jambes ; il ne soulève pas une jambe, puis une autre, comme les autres hommes ; il est debout et son pantalon tombe. Il a l’air de jaillir comme un arbre. Et je vois pour la première fois, réellement en détail et dans sa totalité, un corps d’homme.

Les autres, j’avais vu leurs queues, leurs petits accessoires, mais le reste, gênés par on ne sait trop quelle pudeur occidentale, ils ne le montraient pas volontiers. Mais lui, ça ne le gêne pas : il en est fier et ça se voit.

Je regarde la grande poitrine bombée et lisse, bien tendue sur les muscles longs de danseur, bien couverte, bien capitonnée par la peau brune. Il a l’air d’avoir été fraîchement repeint, verni. Je vois les bras longs avec la quantité nécessaire de biceps et la taille comme serrée dans une ceinture et les jambes en colonne sur lesquelles il tapote pour faire voir que c’est bien plein.

Il sait que ça me plaît et il en joue, le cabotin. Il me tourne le dos, se baisse lentement et je vois son derrière mince, tendu et dur, très soutenu par les muscles et le petit orifice intéressant et les petits poils avec leur ombre, et les boules qui pendent et plus haut, la ligne du dos et le triangle des épaules et la nuque mince.

Oh ! je me sens devenir vorace et cannibale !…

Mais pourquoi me cache-t-il son sexe ? Car il s’obstine, depuis que son pantalon est baissé, à le cacher avec un petit foulard de soie rouge qu’il a tendu devant, et derrière lequel il danse.

Pourquoi ? Je vais le savoir. Ce n’est sûrement pas la honte, il n’a pas l’air d’avoir honte. Et tout à coup, il le découvre.

Oh ! il n’était pas comme cela tout à l’heure ! C’est devenu tellement énorme que c’en est effrayant. Mais jamais je ne pourrais supporter tout cela ! Mon Dieu, ce n’est pas possible d’introduire tout cela !…

Il prend ma main :

— Tu veux toucher ?

Je touche ; c’est aussi dur que c’est gros ; mes doigts ne se referment pas dessus ; je frissonne ; je suis toute bouleversée de tenir cette énorme queue ; j’ai peur et j’ai envie. Lui :

— C’est gros, hein !… Touche-là en attendant que je te déshabille !

Je branle, timidement d’abord, tellement je suis peu habituée à un sexe aussi monstrueux ; je m’affole à mesure que ses mains, qui tirent sur ma culotte, insistent.

Il l’enlève enfin avec des difficultés ; l’étoffe glisse, s’arrête en chemin, résiste, puis de nouveau cède ; je sens ses mains qui s’impatientent.

Il me jette brusquement sur le lit. Il me relève les jambes en l’air, il se met à me sucer.

Je ne puis m’empêcher de l’approuver par mes cris.

— Oh ! mon chéri, comme tu me suces !… Comme tu me manges !… Là, là, où je mets mon doigt, suce-moi le bouton !… Oui, oui, suce, suce, jusqu’à ce que je mouille !… Oh ! tu me mords !… Oh ! tu me manges les petites lèvres !…

Sa bouche quitte mon con, il la remplace immédiatement par sa main pour que je ne perde pas mon plaisir.

Maintenant il est debout ; sa main qui n’est pas occupée à aller et venir sur mon clitoris relève mes jambes ; je sens que le redoutable organe va faire son office. Oh ! mon Dieu, j’ai peur et j’en ai envie.

Je le supplie :

— Attends encore un peu, mon chéri !… Suce-moi encore un peu pour que je sois plus mouillée, ça entrera mieux, tu es tellement gros !

Il se baisse, donne de nouveau quelques rapides coups de langue. Il me fait cambrer la croupe et me lèche aussi l’autre trou. Je sens cette pointe chaude qui me perfore, qui va et vient dedans. Pour le coup je n’y résiste plus : je mouille… je mouille…

Alors, il se remet en position et je sens l’énorme queue chercher l’orifice. Il écarte des deux mains mes lèvres, se plante bien droit ; je m’ouvre le plus possible.

— Tu vois mon chéri, ta queue est sur le bord, mais tu ne pourras jamais la faire entrer, tu es trop gros !… Veux-tu que je remue le cul ?… Je te branlerai le gland avec mes lèvres !… Oh ! non, ne pousse pas, tu vas me déchirer !… Tu vas me défoncer !… Oh ! là, non, n’enfonce pas, pas plus loin que le gland !… Là ! comme ça tu vas pouvoir jouir quand même !… Oh ! reste comme cela, c’est bon pour moi aussi comme cela !… Non, ne pousse pas, je t’en supplie !… Non, rien que le bout, chéri !… Je ne pourrai pas davantage !… Oh ! tu pousses, tu me déchires !… Non, n’enfonce pas plus !… Là, tu en as mis assez !… Oh ! tu pousses !… oh ! ça glisse !… Oh ! comme je suis ouverte !… Oh ! tu m’empales !… Oh ! salaud !… Non, non, ne mets pas tout !… Oh ! tu enfonces !… Tu me dilates !… Ça y est !… ça va entrer !… Oh ! tu y arrives !… Ça glisse !… Ça entre !… Oh ! tu vas au fond, salaud !… C’est bon !…

L’énorme bélier va et vient dans moi, se retire, puis de nouveau se met à l’assaut. Il est féroce, il est sauvage. J’arrête des deux mains son ventre.

— Là, mon chéri, ne va pas plus loin… Oh ! ne va pas si vite… tu vas me faire jouir trop vite comme cela… Là, là, calme-toi !… Oh ! c’est bon !… ça monte !… Là, là, ça y est !…

Une halte.

— Tu aimes cela ?

— Oh ! oui !

— Tu vois que j’ai pu entrer. Tu vois, il suffit de bien pousser. Tu étais bien excitée, petite sale !

Nous parlons crûment, sans pudeur. Il ne me parle pas de son âme, il ne me parle pas de ses ancêtres. Il ne me dit pas qu’il est le petit fils d’un roi.

Il est gentil et charmant comme certaines brutes au repos. Il ne sent presque pas le nègre, ce serait plutôt une odeur de bois, l’odeur d’un piano ou d’une commode.

Il ne me parle pas de son âme ; mais peut-être que c’est cela son âme, cette jeune tige qui se redresse, qui me cherche de nouveau.

— Non, non, chéri, attends un peu, tu viens de le faire !

Il rit, se lève et passe derrière le paravent qui sert de cabinet de toilette.

— Attends, je reviens tout de suite !

Il farfouille là-bas derrière son paravent, cherchant quelque chose. J’ai un peu peur ; que cherche-t-il ?… Et tout à coup il revient avec… Oh ! mon Dieu ! un tube… un tube de vaseline. Pour quoi faire ? puisque c’est entré comme cela.

Je suis couchée sur le dos. Il me retourne brusquement.

— Mets-toi à genoux !

Je m’exécute, n’osant résister.

— Là, comme cela. Avance un peu les fesses, ne te retire pas… Cambre-toi !… N’aie pas peur, puisque je vais te mettre de la vaseline…

Oh ! le mot, l’affreux mot qui me fait honte ! J’ai honte et en même temps, c’est bizarre, j’aime cela, ça me fait presque mouiller.

Il frotte avec la verge dans la rainure toute vaselinée ; il frotte le gland dans la fente, allant et venant, atteignant et dépassant le petit trou qu’il cherche. Il approche… oh ! mon Dieu !… il appuie… là, il pousse !…

Le bout est engagé ; il ressort mal assujetti et rejeté par la contraction de mon anus qui ne veut pas, qui ne veut pas encore. Il ressort, puis de nouveau entre.

Il y en a maintenant quelques bons centimètres. Il s’arrête une minute, le temps que mon ouverture s’élargisse. Je sens que ça cède, que ça ne résiste plus. Alors, d’un coup, l’énorme cylindre plonge au fond.

Je suis bien agenouillée, je tends la croupe pour l’aider, je me fais bien cambrée, je sens maintenant que j’en ai besoin, que j’en ai besoin au fond du trou. Oh !… oh ! qu’il continue… qu’il continue… ça commence à monter !…

Sa main en même temps s’est placée devant, guidée par ma main, sur mon clitoris. De temps en temps je la déplace pour me branler moi-même et je lui fais mettre sa large main sur mon ventre. Ça me soutient les organes un peu bousculés par ce boutoir qui donne des coups profonds ; ça me fait doux. Son excitation monte, il a saisi un de mes seins dont il roule la pointe.

Qu’est-ce qu’il me demande ? je n’ose comprendre. Il me demande une chose horrible, une chose horrible et troublante. Je n’ose comprendre tant c’est sale. Il me supplie avec des mots qui me font honte et chaud. Il voudrait que je m’épanche sur sa main, pendant que lui, par derrière…

— Essaie, je t’en prie, essaie !…

— Je ne peux pas.

— Si, si, tu peux, essaie !…

J’essaie de faire ce qu’il veut. Il sent l’effort que je fais pour le satisfaire et sa joie décuple.

Il va et vient furieusement dans moi ; il veut se retirer, il se retire, je ne sais trop pourquoi, mais je le renfonce de force. Un jet chaud et lourd jaillit au fond de moi.

Tirée de mes rêves par le gros réveil à dix-neuf francs, je quitte Kouka au petit jour. Est-ce qu’il dort ? Je m’habille sans faire de bruit, mais assez lentement pour que la chance ait le temps de décider.

S’il se réveille, c’est la destinée qui l’aura voulu. Par la même occasion, si la destinée veut aussi qu’il me donne un dernier gage d’affection, ce n’est pas moi qui l’aurais cherché.

Un de mes souliers m’échappe et tombe.

Kouka ouvre un œil, le bon ! D’un geste il chasse son sommeil et se lève. Il est là debout, tout nu sur le misérable tapis pelé de la petite chambre. Il est là tout nu et il me pousse contre la porte que je voulais ouvrir.

— Non, non, Kouka, il faut que je rentre maintenant, j’ai une famille, moi ! Soyez raisonnable, laissez-moi partir !… Laissez-moi !…

J’essaie d’entrouvrir la porte, mais il menace tout à coup.

— Ne te sauve pas, il y a six étages : avant que tu sois descendue en bas, je te la mets dans l’escalier et tout le monde verra que tu as débauché le nègre ; tu comprends ! Allons, donne !…

Il me cherche sous ma robe, il me trousse…

— Donne au fond, chérie, pour que tu te rappelles bien de moi, pour que tu te rappelles du nègre ! Là, comme ça, bonne chérie ! Donne, que je tienne ta jambe en l’air.

Je suis appuyée contre la porte, debout sur une jambe, l’autre, c’est lui qui la soulève, pendant qu’il m’offre un dernier hommage.

Dans le taxi, encore toute mouillée à l’intérieur par sa dernière marque d’estime, je traverse l’énorme Paris endormi. L’énorme Paris plein de gens qui vont se réveiller sans avoir rien eu. Mais moi, je suis heureuse…