Alphonse Lemerre, éditeur (p. 29-36).

III
LIED OHNE ENDE
schumann.



\version "2.20.0"

\header {
  title = "II"
  subtitle = "LIED OHNE ENDE"
  composer = "SCHUMANN."
}
  \layout {
  indent = #10  
  }
  <<

    \new PianoStaff = "piano" \with { instrumentName = ""}     <<
      \new Staff = "upper" { \relative c'  {\key f \major \autoBeamOff \set Staff.midiInstrument = #"piano"
         \time 4/4 \omit Score.BarNumber
% Ligne 1
r2\p a'2^(~  \bar ".|:" a4\< bes \stemUp b\! \stemDown c | e d c4. bes!8 \break
 

% Ligne 2   
bes2  a2)_( a4)( bes\< b c\! | \slashedGrace c8 e4\> d c4.\! bes!8 | \stemUp bes2 a) \bar "|"

% Ligne 3 
  
    
% Ligne 4  
     

} }
      \new Staff = "lower" {
        
        \relative c  {\clef "bass" \key f \major \set Staff.midiInstrument = #"piano" 
% Ligne 1
r2 \grace {f,8^([ <c' f>]} <a' c>2)~ <a c>2 \grace {f,8^([ <c' f>]} <a' c>2) | 
\grace {f,8^([ <bes d>]} <bes' d>2) \grace {f,8^([ <c' g'>]} <bes' e>2)~ |

% Ligne 2    
<bes e>2 \grace {f,8^([ <c' f>]} <a' c>2)~| <a c>2 \grace {fis,8^([ <c' ees>]} <a' c>2) |
\grace {g,8^([ <d' f>]} <bes' d>2) \grace {c,,8^([ <g' c>]} <bes' e>2) |
<bes e>2 \grace {f,8^([ <c' f>]} <a' c>2)
% Ligne 3  
  
}
}
>>
>>


III


Peu à peu, les jours s’attendrirent jusqu’aux tiédeurs du printemps. L’avril que préférait Vally laissa entrevoir ses bizarres sourires et ses larmes énigmatiques. Les heures qui fuyaient unissaient plus étroitement nos âmes dissemblables. Avec le temps, s’affirmait et s’approfondissait mon douloureux amour.

Elle avait le culte instinctif de l’artificiel. Elle se plaisait à farder sa pâleur de rose blanche. La fausse rougeur de ses joues contrastait brutalement avec la lumière atténuée de ses cheveux crépusculaires. Sa mère, israélite, lui avait transmis ce charme déconcertant des juives blondes. Ses yeux, plus froidement bleus que les brumes d’hiver, distillaient un regard d’Orientale, un regard de volupté et de langueur. Et ses lèvres sinueuses étaient faites pour le mensonge plus encore que pour le baiser. On les eût crues ciselées laborieusement par une main subtile. C’étaient des lèvres sans tendresse, des lèvres à qui tous les artifices de la parole étaient depuis longtemps familiers.

Elle revêtait parfois un costume de page vénitien, un costume de velours aux verts de lune qui s’harmonisaient délicatement avec sa morbide chevelure. Parfois aussi elle se transformait en pâtre grec. Une invisible musique de syrinx semblait alors s’élever sous ses pas, et ses yeux riaient aux nudités lascives des Faunesses. Elle recherchait, comme toute âme nostalgique, ce miracle des vêtements étranges qui travestit les esprits en même temps que les corps, et qui ressuscite, pour une heure, la grâce d’une époque évanouie. Elle était l’Androgyne, vigoureuse comme un éphèbe, ondoyante comme une femme. J’admirais fervemment son ardeur de Prêtresse vouée au culte des autels abandonnés. Je l’aimais de raviver les flammes des temples en ruines et d’enguirlander de roses les statues défleuries.

Le temps passait, avec ses flux et ses reflux d’heures monotones comme un bruit de vagues.

Les Pétrus ne franchirent plus le seuil du petit salon aux reflets d’iris.

« Cet homme me répugne comme une eau de rose rance, » déclara Vally. « L’attrait infini de sa femme ne peut me décider à supporter la présence de ce Levantin. Quelle pitié de voir cet être merveilleux, cette fleur, cette algue, à côté d’un pareil marchand de bazar ! »

… Ione ne venait que rarement. J’avais le cœur si heureux et si malheureux tout ensemble que je ne m’inquiétais plus de ses longs silences, ni des contractions de son front trop haut et trop large. Elle semblait vivre d’une vie intérieure que nulle pensée étrangère n’osait pénétrer, d’une vie intense et terrible qui lentement épuisait toutes ses forces. L’interrogation perpétuelle de son regard angoissait, autant que celui des êtres hallucinés devant l’abîme qui les engloutira.

Et je ne voyais rien de cette lutte d’une âme avec l’Inconnaissable, plus tragiquement vaine que la lutte de l’Homme avec l’Ange. Je ne voyais rien et je ne comprenais rien, car je n’appartenais plus qu’aux tourments de ce premier amour où se débattait mon être éperdu.

Cependant, j’allais parfois rendre visite à la silencieuse Ione. Je la trouvais toujours vêtue d’une robe à plis amples. C’était une robe d’un rouge sombre qui, je ne sais pourquoi, m’évoquait les soirs de Florence. Un pendentif, au dessin hiératique, composé d’un rubis pâle encadré d’or vert et terminé par une perle bizarre, était, avec une ceinture de rubis, le seul joyau qu’elle se plaisait à porter. Je passais auprès d’elle des heures taciturnes. Je n’osais lui parler de Vally. Je n’appréhendais point la censure de cette âme dont la pureté s’ennoblissait d’une très large compréhension, mais je sentais que sa tendresse s’alarmait de mes supplices, devinés malgré mes réticences. Elle savait, comme moi et mieux que moi, combien resterait stérile mon impossible effort pour conquérir le cœur indifférent de Vally, qui ne m’aimait point et qui ne m’aimerait jamais. Elle n’ignorait point que je m’épuisais en d’inutiles souffrances, et cette idée assombrissait encore la tristesse de ses yeux ardemment bruns ainsi qu’une nuit d’automne.

La contrainte qui pesait sur nos paroles détermina entre nous un éloignement d’âme. Nous redoutions nos regards comme on redoute un aveu, et nous craignions nos silences comme des trahisons. Nous avions peur de la vérité, — nous avions peur surtout de notre ancienne franchise.

J’allai moins fréquemment la voir, puis mes visites cessèrent presque. Elle ne m’en fit point le plus léger reproche. Plus lointaine qu’une étrangère distraite, elle paraissait insensible à tout ce qui n’était point son effroi mystique devant l’Inconnu. Et, pourtant, elle avait été la Sœur très blanche à qui j’avais confié jadis mes rêves inexprimables…