J. Hetzel (p. 274-275).

Du même à la même.
Paris, 6 janvier.

Hier, la journée des assiégés avait bien commencé, malgré dix degrés de froid. Quelques numéros du Moniteur prussien, journal officiel de Seine-et-Oise, avaient pénétré jusqu’à nous et nous leur avions dû un aperçu de l’état des choses hors de notre prison qui nous avait fait quelque bien. Ce n’est pas que ces journaux renfermassent de bonnes nouvelles, mais ils n’en donnaient point de mauvaises, et c’était beaucoup. Il semble ne s’être rien passé d’important sur la Loire, pas de nouvelles de ce redoutable Frédéric-Charles ; mais des témoignages que la résistance de la province s’est accentuée, voilà qui avait suffi à nous donner une lueur d’espérance. Tu vois que nous ne sommes pas gâtés ! Il faut peu de chose pour réjouir des assiégés qui s’imaginent parfois qu’au delà de l’enceinte de leur prison, tout s’est écroulé.

Le soir, les rapports constataient un redoublement d’activité du feu de l’ennemi ; le même vacarme continue toute la nuit ; le matin nous apprenons que des obus sont tombés dans le quartier Saint-Jacques, rue Gay-Lussac et boulevard Saint-Michel. La population n’en paraît point émue, quoique quelques habitants des quartiers atteints quittent leur domicile. On est résolu à voir en beau, et l’avis général est que les Prussiens ne se seraient pas décidés au bombardement de la ville même, ce qui sans avertissement préalable est monstrueux comme fait de guerre, s’ils n’étaient pas eux-mêmes menacés. On les juge pressés d’en finir par crainte de la province, et l’attente d’une délivrance prochaine fait saluer presque gaiement les formidables détonations des grosses pièces de siége.

Est-il besoin de te dire que je ne partage pas la commune espérance ? Ce peuple est bien toujours le même, prompt à l’illusion, volontiers séduit par l’absurde, mais si admirablement généreux qu’il cherche des excuses à ses pires ennemis, et cela sous leurs bombes mêmes.