J. Hetzel (p. 276-278).

Du même à la même.
Paris, 9 janvier.

Le bombardement continue avec la même violence contre les forts et les quartiers du sud, les obus pleuvent maintenant jusqu’à la rue de Madame. Le Panthéon, l’École des Mines, le Luxembourg sont atteints ; les habitants s’établissent dans leurs caves ou se réfugient de ce côté-ci de la Seine. J’ai invité les ***, dont la maison avait reçu deux bombes et qui avaient passé la nuit dernière dans leur cave, à venir prendre notre appartement, ils s’installent en ce moment. Comme les Prussiens pointaient hier de préférence sur l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, Trochu leur a fait dire qu’il allait y concentrer les blessés allemands ; les obus ont immédiatement pris une autre direction. Malheureusement il y avait déjà des infirmières et des malades d’atteints.

En somme, les accidents ont été peu graves relativement au nombre des obus tombés dans la ville, mais le fait que les victimes sont des femmes, des enfants, des passants ou des dormants, les rend odieux. Il était devenu pour ainsi dire classique qu’une ville investie ne pouvait être bombardée avant que la libre sortie n’eût été offerte aux femmes, aux vieillards et aux enfants. Malgré sa surprise, la population reste très-ferme : ni effroi, ni stupeur, ni colère, ni agitation d’aucune espèce.

Si l’on analysait le sentiment général, il s’en dégagerait peut-être une certaine satisfaction de voir que l’ennemi juge nécessaire de déployer tous ses moyens pour nous réduire. Les haineux, ou du moins ceux qui s’efforcent de l’être, se déclarent enchantés que la Prusse endosse une infamie de plus. — Hélas ! cela peut bien consoler sur la rive droite, où les bombes n’arrivent pas, mais cela ne console pas sur la rive gauche, là où un pauvre petit, dans sa chambre, vient d’être affreusement mutilé par le même projectile qui tuait à côté de lui son père et sa mère. Cela ne console pas ceux qui aiment l’âme humaine pour elle-même et quel que soit l’uniforme dont on habille son enveloppe. Infamies prussiennes ! dit-on, mais qui en souffre, sinon l’humanité tout entière ? Elle croyait au progrès, à la civilisation, à la lumière, et elle ne sait plus où elle en est. Qui en souffre ? sinon l’idée chrétienne. L’idée chrétienne doit changer la face du monde, et elle la changera ! ma foi reste entière ; mais malheur à ceux qui arrêtent son œuvre, foulent aux pieds ses conquêtes et retournent de gaieté de cœur à la barbarie !

Je ne serais pas surpris que l’impatience gagnât la population. On finira pas forcer la main au général et par obtenir des sorties.

Des pigeons sont arrivés. Il y a de bonnes nouvelles de Faidherbe, qui a battu les Prussiens à Bapaume ; on attend de grands succès dans l’Est, enfin Chanzy manœuvre sur la Loire et reçoit des renforts. Quand aurai-je une dépêche pour moi et saurai-je si mon cher, cher lignard a résisté à tant d’épreuves ?