Éditions Albert Lévesque (p. 121-126).

XVIII

EMMURÉS VIVANTS !



LA Sorcière une fois disparue, Polichinelle laissa ses compagnons déplorer leur sort et s’étendit par terre en feignant de dormir. Mais sa tête fertile s’agitait, créait. Tout à coup, il pencha son oreille près du sol. Un léger bruit se faisait entendre. Il y répondit bientôt par de légers coups de doigts et se trouva debout, étouffant un cri de joie.

« Altesse, altesse, vint-il annoncer en hâte à la princesse. On vient vous délivrer. Voyez ! » À cet instant, en effet, une large pierre se soulevait dans un angle de la pièce. Un gnome en sortait, puis un deuxième, un troisième, un quatrième. Chacun d’eux apportait un colis ficelé avec beaucoup de goût. « Du duc, votre époux, » disait chacun des nains à la princesse avec beaucoup de révérences, en remettant les envois. L’un d’eux ajouta : « Sa Grâce vous prie de nous suivre sans retard. Chaque minute est comptée et vous met, ainsi que vos amis, dans un péril certain. La revanche des Bonnes Fées a sonné, princesse ! Du reste, voici la lettre de l’illustre duc. Elle est authentique, cette lettre. Le seul espion qu’il y ait parmi nous et qui est cause de votre malheur expie durement sa faute en ce moment. Il ne vous remettra pas de sitôt madame, un pareil billet forgé. Lisez, de grâce, puis hâtons-nous tous ! »

Les yeux de la princesse se ranimaient en présence de la sollicitude du duc. Il lui envoyait à la fois des provisions, des vêtements et quelle épître réconfortante ! Mais hélas le souvenir de son fils ne la quittait pas non plus et bientôt elle se rejeta sur son grabat en gémissant.

« Que faites-vous, madame ? s’enquit avec effroi Don Quichotte. Vite, vite, partons. Ce secours des bons gnomes, est inespéré.

— Non, je ne puis partir, gémit la princesse, en tordant ses mains. Mon fils ! Mon fils demeurerait seul ici !

— Son fils ! s’exclama en reculant Don Quichotte… Cette jeune femme perd la raison… Son fils !

— Oui, oui, son fils, repartit Polichinelle. Voyons, monseigneur de la Manche, avec votre vie mouvementée vous n’avez donc jamais vu un enfant descendre du ciel dans une prison…

— Ah !… Vraiment ? Où est-ce tendre agneau, alors ?

— Carabosse l’a endormi, mais sans conditions, heureusement, ainsi que la sœur de ce petit.

— Ma Cloclo, ma pauvre Cloclo ! cria Louison.

— Chut, petit ! pria Polichinelle. C’est encore ce qui pouvait arriver de mieux à votre sœur. En un pareil repaire, qu’attendre de bon, voyons, pour une petite fille et un bébé ? Altesse, ajouta-t-il avec une profonde douceur d’accent, en se penchant vers la princesse, partez, partez, je vous en supplie. C’est le salut. Ne savez-vous pas que je veillerai sur votre fils comme sur moi-même, et sur la petite fille également ?

— Non, non, jamais je ne saurai m’y résoudre, jamais, dit la princesse. Allez, gnomes fidèles, rapportez tout au duc. La douleur transpercera son cœur, mais son esprit me comprendra.

— Moi aussi, je reste, décida Louison, que ferait Cloclo, si elle venait soudain à se réveiller et me demandait ?

— Et moi, madame, conclut avec solennité Don Quichotte, en mettant un genou en terre devant la princesse, je serais indigne de mon titre de chevalier si je vous abandonnais seule, à un aussi malheureux sort. Je reste également.

— Absurdes, vous êtes tous absurdes, cria sans ménagement Polichinelle. Voyez, les gnomes s’éloignent, la tête basse. Je ne voudrais pas apporter au duc le message dont vous les chargez, madame. Absurdes ! Vous êtes tous absurdes !… Vraiment, je ne méritais pas cette défiance de votre part, Altesse.

— Hélas ! monseigneur Polichinelle, pardonnez-moi… Je souffre tant, lui répliqua dans un souffle la pauvre jeune femme.

— Je n’ai pas à vous pardonner Altesse, non. Que suis-je, moi ?… Allons, je vais essayer un autre de mes plans. Espérons encore. Ne vous effrayez pas à la vue des cyclopes que j’entends. Laissez-les accomplir leur sinistre besogne. Laissez-les nous emmurer vivants. Cela n’entravera pas mes plans, heureusement. Louison, continua Polichinelle avec agitation, dis-moi, « où as-tu vu, pour la dernière fois, Alice du pays des merveilles ? Elle ne répond pas à mes signaux. Je n’y comprends rien… Vite, vite, rappelle-toi ?… J’ai besoin d’elle. Parle tout bas… Bien, Maintenant, éloigne-toi. Personne ne doit connaître mon code secret… Hourrah !… Bien !… Hourrah ! Altesse, Monseigneur, tout va bien… toutes les communications lointaines sont à ma disposition… C’est fait ! Nous serons sauvés. Oyez maintenant mon plan…


« Madame, vociféra Rageuse, couvrez vos diamants ! » ◁Texte▷