VI

LES MINES DE CUIVRE ET D’ÉTAIN.


Allures des filons. — Production en étain. — Étain de mine et d’alluvion. — Production en cuivre. — Les ticketings. — Personnel d’une mine. — Les adventurers. — L’industrie des mines, fortune du Cornouailles.

Les mines de cuivre et d’étain, dont nous avons parcouru les plus connues, les plus dignes d’intérêt, forment la principale richesse du Cornouailles. Elles font, comme on l’a dit, de cette pointe de granit une véritable corne d’abondance. Exploitées de temps immémorial, elles sont aujourd’hui encore l’objet du travail le plus soutenu, et ne paraissent pas près d’être épuisées. À quatre cents, à six cents mètres, les filons sont toujours productifs. Souvent l’étain et le cuivre se trouvent également mélangés ; tantôt c’est l’un, tantôt l’autre qui domine ; enfin telle mine exploitée dans le principe pour le cuivre, l’est pour l’étain à une plus grande profondeur ou réciproquement.

Les filons, sortes de masses tabulaires, de composition siliceuse, remplissant des fentes antérieurement ouvertes dans le terrain, sont diversement inclinés et de directions à peu près constantes allant de l’est à l’ouest. Ils taillent les schistes (killas), roches feuilletées, ou suivent leur stratification. Ils pénètrent aussi dans le granit, le porphyre (elvan), la serpentine. À la surface, ils se distinguent par des affleurements rougeâtres, que les mineurs du Cornonailles appellent gossan, et dont l’aspect fait généralement préjuger de la nature et de la richesse du filon en profondeur.

Les filons sont surtout riches en étain aux environs de Penzance, en cuivre aux environs de Redruth. Sur quelques points, ils renferment aussi du plomb argentifère. Dans la même localité l’étain paraît avoir surgi le premier, puis le cuivre, puis le plomb et l’argent, tout cela aux époques géologiques qui ont suivi l’éruption des roches de granit et de porphyre.

La totalité de l’étain exploité annuellement en Angleterre (environ 25 000 tonnes de minerai brut, chaque tonne étant de 1 016 kilog.) vient du Cornouailles ; elle représente du reste, à peu de chose près, toute la production européenne. Il n’y a guère que la Saxe et la Bohême qui, dans l’ancien continent, produisent aussi de l’étain. En Amérique la Bolivie, depuis quelques années, et dans les Indes orientales les Détroits (Banca et Malacca) font à l’étain de l’Angleterre une sérieuse concurrence.

Le minerai d’étain produit par les mines anglaises est très-pauvre au sortir des chantiers ; il renferme en moyenne deux pour cent au plus ; mais comme il est très-dense, et contient en même temps très-peu d’autres minerais métalliques, il est facile de l’enrichir par la préparation mécanique. Nous avons vu de même que son traitement métallurgique n’offrait aucune difficulté.

Outre l’étain de mine, il y a aussi le minerai d’étain d’alluvion, provenant de la désagrégation naturelle des granits et des filons quartzeux, et que l’on exploite aux environs de Saint-Austell. La méthode employée est le lavage à grande eau : elle rappelle celle en usage dans les alluvions aurifères. Le minerai ainsi obtenu est beaucoup plus riche et plus pur que celui provenant de l’abatage des filons. On donne le nom de stream works (expression qu’on pourrait traduire par travaux hydrauliques) à ce traitement des alluvions stannifères, et on appelle steamers les ouvriers qui s’y livrent.

Plus importantes encore que les mines d’étain sont les mines de cuivre du Cornouailles. Les sept huitièmes du cuivre produit par l’Angleterre viennent de ces mines. On estime à cinq cent mille tonnes de minerai brut l’extraction annuelle. Le minerai est assez pauvre au sortir des puits d’extraction, deux et demi à trois pour cent au plus. Par la préparation mécanique on porte sa teneur en cuivre à sept ou huit pour cent. On envoie alors le minerai subir le traitement métallurgique dans les usines du pays de Galles, à Swansea, que nous allons bientôt visiter.

Le marché des minerais de cuivre a lieu à Truro et Redruth une fois par semaine. Ce jour-là les propriétaires des mines réunissent solennellement à dîner les représentants des acheteurs. Des essayeurs, agréés par les deux partis, prélèvent sur chaque tas de minerai en vente une prise d’échantillons dont ils déterminent la teneur en cuivre. Cette teneur forme le titre du tas correspondant. Chacun des acheteurs inscrit sur un morceau de papier le prix qu’il offre de chaque tas d’après son titre. Il plie et cachète son billet, ticket, d’où le nom de ticketings donné à ces marchés de minerais. On réunit et proclame toutes les offres, et chaque tas est adjugé au plus offrant des enchérisseurs. Tout cela se fait à l’anglaise, dans le plus grand calme et le plus grand silence.

La raison qui fait qu’on expédie ensuite le minerai sur le pays de Galles est que le Cornouailles ne renferme pas de charbon, et qu’il faut, par la méthode que les Anglais ont adoptée dans le traitement métallurgique du cuivre, jusqu’à seize tonnes de charbon pour obtenir une tonne de cuivre, avec du minerai à huit pour cent comme celui du Cornouailles.

Le nombre d’ouvriers employés aux mines de cuivre et d’étain est de plus de trente mille, dont les trois cinquièmes aux mines de cuivre et les deux cinquièmes aux mines d’étain. Ces ouvriers, compris sous la dénomination générale de miners, sont tous forts, vigoureux, bien nourris et capables des plus durs travaux. À l’époque de la découverte de l’or en Californie et en Australie, ils émigrèrent en masse vers ces lointains Eldorados. Dans les mines de quarz aurifère de Californie, ce sont eux qui, aujourd’hui encore, sont les mineurs les plus habiles, et nul ne songe à leur disputer la palme[1]. Dans tous les comtés aurifères le Cornish miner gagne toujours 20 et 25 francs par jour, alors que le mineur espagnol ou français se contente de la moitié. Dans le Cornouailles le salaire sans doute est loin d’être le même, mais les bons mineurs gagnent encore facilement de trois à quatre shillings (trois francs soixante quinze centimes à cinq francs) par jour de travail.

Mine de la Providence : Travail dans le filon. — Dessin de Durand-Brager d’après M. Lançon.

Ceux qui entreprennent à forfait le creusement d’un puits à tant le mètre courant sont appelés, dans la langue des mines, tutmen ; ceux qui poursuivent l’exploitation d’un filon à leurs risques et périls, moyennant un tant à recevoir (tribute) par tonne de minerai extrait, sont nommés tributers ; enfin, ceux qui poursuivent le fonçage des galeries ou l’avancement des chantiers à tant le mètre courant ou le mètre cube, sont les contractors. Les contrats se renouvellent toutes les semaines, toutes les quinzaines ou tous les mois, à l’époque de chaque paye, à la criée, et ce sont naturellement les ouvriers qui demandent le moins pour un ouvrage donné qui obtiennent la préférence.

Les ouvriers d’une même mine obéissent à des caporaux ou maîtres mineurs, leaders (on donne le même nom aux chefs de partis dans le Parlement), et tous ensemble à un capitaine. Si la mine à deux capitaines, un pour le dedans, l’autre pour le dehors, celui-ci prend le titre de grass ou ground captain, capitaine du gazon ou de la surface, l’autre s’appelle underground captain, capitaine du dedans ou du sous-sol. Le manager est l’agent général ou régisseur de la mine ; à lui incombe la partie économique, comme la partie technique au capitaine. Il a quelquefois sous ses ordres un purser ou agent comptable ; d’ordinaire il en fait lui-même les fonctions. Il commande aussi au capitaine pour la marche générale du service, et alors s’appelle volontiers le superintendent ou surintendant de la mine.

Les propriétaires de la mine ou ceux au compte desquels sont entrepris tous les travaux sont désignés par le titre énergique d’adventurers, aventuriers. N’aventurent-ils pas en effet leur fortune, n’escomptent-ils pas l’avenir, ces joueurs hardis, ces pionniers des mines, qui, quelquefois sur un simple indice, jettent sous terre des millions et percent dans le granit, le quarz, le porphyre, c’est-à-dire les roches les plus dures qu’on puisse rencontrer, des puits qui descendent jusqu’à trois et quatre cents mètres sans même rencontrer le filon. Il n’importe, neverd mind ! Capital, patience et courage, voilà ce qu’il faut aux chercheurs. Aussi comme la fortune leur sourit quelquefois, comme elle se plaît à récompenser leurs efforts ! Que de mines de cuivre et d’étain, qui paraissent stériles au début, et qui donnent aujourd’hui des millions de bénéfices annuels à leurs heureux propriétaires ! Que d’actions qui ont décuplé de valeur !

En somme, l’industrie des mines métalliques apporte dans tout le Cornouailles le bien-être, l’aisance. C’est pour l’homme intelligent, un vaste champ d’opérations presque toujours fructueuses ; pour l’ouvrier une source féconde de travail. Il y trouve non-seulement une occupation pour lui-même, mais il y emploie encore sa famille, ses filles, ses garçons, au travail peu fatigant et même agréable du lavage de minerai. En attendant la femme soigne le logis, prépare à la maison le repas et le thé, embellit le cottage où toute la famille se repose le dimanche.

Mine du Levant. — Dessin de Durand-Brager.

Les mines sont exploitées sans l’intervention de l’État, contrairement à ce qui a lieu en France, tout est laissé à l’initiative individuelle, et le travail n’en marche pas moins bien ; il faut même reconnaître qu’il est mieux conduit que chez nous. Le Cornouailles est du reste sous ce rapport comme sous tant d’autres un pays favorisé. Nous verrons bientôt que dans le pays de Galles qu’il nous reste à parcourir, et où l’industrie règne aussi en souveraine dans les forges et les houillères, on est loin de rencontrer chez l’ouvrier la même somme de bien-être, la même aisance, la même propreté, en un mot ces apparences de vie heureuse, commode, je dirai presque confortable, qui nous ont partout frappés dans notre voyage en Cornouailles.

L. Simonin.

(La fin à la prochaine livraison.)



  1. Voy. notre Voyage en Californie (Tour du monde, t. V).