Un homme d’affaires et autres nouvellesPlon (p. 96-112).

V LA VICTIME modifier

Toutes les personnes qui se sont trouvées prises dans un accident tragique et d une absolue soudaineté : un tremblement de terre, un déraillement de train, une rencontre de bateaux, un incendie de théâtre, sont unanimes à reconnaître qu’entre la minute où le danger se révèle et celle de la panique ou de l’action - selon les caractères - un instant s’est écoulé, dont elles ne sauraient ensuite mesurer la longueur, où elles sont demeurées comme physiquement et moralement paralysées. Les médecins ont repris, pour caractériser cet état d’anéantissement total de notre volonté, un des vieux mots de l’astrologie. Ils l’appellent : la sidération. Il semble que la nature nous insensibilise, à la façon d’un chirurgien, et qu’elle veuille permettre à notre organisme de ramasser toutes ses forces pour réagir contre un choc que nous n’eussions pas cru devoir supporter sans mourir. Ce fut grâce au terrassement de cette stupeur que Béatrice put écouter l’horrible révélation jusqu’au bout. La même stupeur qui faisait d’elle à cette seconde un véritable automate fut la cause qu’elle obéit mécaniquement à la suggestion impérative du terrible homme, lui ordonnant de rentrer chez elle. Sans répondre un mot, sans verser une larme, elle se leva de sa chaise et sortit de la chambre du pas d’une somnambule. Ce fut dans le corridor, dont les domestiques n’avaient pas encore éteint les lampes, qu’elle réalisa pour la première fois toute la hideur de l’atroce brutalité qu’elle venait de subir, et une terreur folle l’envahit celle que sa mère ne l’attendît là, pour savoir le résultat de l’entretien. Heureusement il n’en était rien, Mme Nortier avait tout naturellement pensé que si cet entretien entre Nortier et Béatrice avait lieu, celle-ci viendrait le lui raconter dans sa chambre. L’idée de cette rencontre avec cette mère sur laquelle elle venait d’ apprendre ce qu’elle avait appris fut aussi intolérable à la pauvre fille que si l’épais tapis de ce somptueux couloir eût été soudain remplacé par une suite de plaques en fer rouge. Elle se mit à gravir, avec la célérité d’une bête qui fuit, l’escalier conduisant au second étage, où elle habitait. Elle arriva dans son appartement, où elle ne trouva que sa femme de chambre. Elle eut la force de dire à cette fille, qui, heureusement, encore, tombait de sommeil, qu’elle se déshabillerait sans son aide, et là, seule, ayant fermé la porte à double tour, elle se jeta par terre comme quelqu’un qui n’en peut plus, qui voudrait s’écraser, s’abimer dans un gouffre de nuit et de silence, et elle éclata en sanglots. — « Mais que lui ai-je fait ? » gémissait-elle, à travers ses larmes, et elle répétait : « Que lui ai-je fait ?… » Car, dans cette première crise de douleur, c’était cela qui la déchirait tout entière, cette impression d’une férocité presque monstrueuse, d’une farouche et complaisante haine, rencontrée chez quelqu’un qu’elle s’était, jusqu’ici, habituée à aimer, tout en le redoutant un peu, et à respecter… L’image de cet homme, assis à son bureau, et lui parlant avec ce sauvage accent, l’épouvantait moins encore que ce mystère soudain entrevu dans leurs relations passées, ce secret d’une implacable rancune, conservée vingt ans durant dans ce cœur auquel elle avait cru, comme on croit au cœur d’un père, même quand il ne vous montre pas de tendresse. A cette première et affreuse découverte, une autre s’ajoutait, dont la malheureuse enfant ne discernait pas le détail, mais qui allait se préciser pour elle de minute en minute, la dénonciation de la faute de sa mère, de cette mère qu’elle avait aimée, elle, avec tout l’abandon de son être le plus intime, avec tant de foi et de vénération. Béatrice était profondément, absolument pure. Pourtant elle n’avait pas vécu au milieu des familiers de l’hôtel Nortier, un Desforges, un Crucé, un Portille, un Machault, voire un Casal, sans que leurs conversations lui eussent, non pas appris, mais fait soupçonner bien des choses. Son esprit très droit s’était ainsi arrêté à une conception simpliste de la société. Les femmes se divisaient pour elle en deux classes, les honnêtes et les autres. Incapable de se représenter dans leur réalité physique les traits qui distinguaient ces autres, elle les définissait dans sa pensée des femmes obligées de mentir. Elles trompaient. Elles trahissaient. Voici donc que cette idée de mensonge, avec tout ce que ce mot comportait pour sa loyauté de dégradation avilissante, commençait de s’associer à l’idée de cette mère idolâtrée jusqu’ici avec la plus aveugle, la plus fervente dévotion, et, au même moment, tandis qu’étendue à terre, elle agonisait de cette double souffrance, une troisième blessure s’ouvrait en elle, dont la peine se fit tout d’un coup si aiguë, si lancinante, qu’elle se redressa sur ses mains, dévorée par cette nouvelle et suprême angoisse. Elle venait de se demander quel sang coulait dans ses veines, puisque ce n’était pas le sang de Nortier ; quel homme avait été le complice de la faute de sa mère, — de qui elle était la fille ? ,.. Et, les yeux fixes, le buste en avant, elle se prit à répéter tout bas, comme si elle n’entrevoyait déjà que trop la réponse : — « Qui est-ce ? » Elle demeura ainsi - combien de temps ? elle n’aurait su le dire - à essayer d’y voir clair dans les pensées qui tourbillonnaient dans son cerveau. A la fin de cette méditation, dont l’ intensité avait séché ses pleurs, elle se leva, elle vint au bureau posé dans un coin de la chambre où elle s’était si souvent assise pour écrire à ses amies des lettres, heureuses et confiantes, comme elle n’en écrirait plus jamais. Là, sur un petit paravent, à portée de sa vue, étaient suspendus, dans des cadres de cuir, d’argent ciselé, de vieille étoffe, les portraits des personnes qu’elle aimait. Elle en détacha un, parmi les autres, d’une main qui tremblait. C’était celui de San Giobbe, — un San Giobbe encore tout voisin de la jeunesse, avant la meurtrière épreuve de sa maladie et de son dépérissement. Elle vint se placer, cette photographie à la main, devant la glace, et, dans le reflet du miroir, trouble et comme fantomatique à cause du demi-éclairage de la chambre, elle se prit à regarder son propre visage, tour à tour, et celui de l’intime de sa mère, du familier de la maison, de l’ami qu’elle retrouvait dans sa mémoire associé à chacune des scènes de son existence. Des milliers d’impressions confuses qui dormaient en elle achevaient de se démêler à mesure qu’elle constatait l’étonnante ressemblance de ses yeux, de son front, de sa bouche avec ces yeux d’homme dans lesquels elle avait toujours rencontré tant d’indulgente tendresse, elle en comprenait l’expression à présent ! — avec ce front qu’elle avait vu soucieux ce soir à cause d’elle, pourquoi ? elle s’en rendait compte à cette heure ; — avec cette bouche qui ne lui avait jamais dit que des paroles d’affection, et elle devinait quelles autres paroles et de quelle autre affection ces lèvres de son vrai père auraient voulu prononcer et qu’elles avaient tues !… Alors, une espèce de frémissement sacré s’émut en elle, où, pour quelques instants, la tendresse noya la révolte. Ses larmes, qui s’étaient arrêtées, recommencèrent de couler, mais douces cette fois, car elles jaillissaient du plus profond de son humanité, vers celui qu’elle n’appellerait jamais « mon père », qui ne l’appellerait jamais « ma fille », — et ses lèvres se posèrent sur le portrait, désespérément, longuement et pieusement.

À travers ce va-et-vient de sa sensibilité, remuée ainsi dans ses plus secrètes profondeurs, ces images de son enfance soudain évoquées par la contemplation du portrait de son vrai père allaient devenir pour Béatrice le principe d’un nouvel éveil d’idées, auxquelles se mêlait maintenant un autre souvenir, celui de Gabriel Clamand, du jeune homme qu’elle aimait, — comme une jeune fille peut aimer. Les virginales émotions d’un cœur de vingt ans sont délicieuses de fraicheur, d’élan sincère, de spontanéité frissonnante ; mais, il faut bien l’avouer, au risque de contredire ce touchant préjugé sur la force du premier amour dont tant de poètes se sont faits les complices, ces émotions sont plutôt rêvées que vécues, plutôt désirées qu’éprouvées, plutôt pressenties que senties. Ce sont des annonces, des préludes de la passion. Ce n’est pas la passion. Il y manque cette brûlure directe de la réalité, cette invasion de l’être par la fièvre des sens et de l’âme à la fois. Enfin, la femme n’est qu’ébauchée chez la jeune fille. Les romanesques tendresses de celle-ci ressemblent à ces arbustes grandis de la veille, qui promettent, si les vents ne sont pas trop durs, la gelée pas trop rude, des efflorescences magnifiques. Ils ne sont pas assez racinés pour tenir contre une tempête. Quelle place les douces et fines voluptés d’âme, goûtées par Béatrice auprès de Gabriel, pouvaientelles garder dans un cœur que venait de mordre une telle souffrance, si positive, si âpre, si mêlée au plus intime de la chair et du sang ! En se rappelant le souci de San Giobbe ce soir, Béatrice s’était rappelé aussi ce projet de mariage, si tendrement caressé dans ses songes de ces dernières semaines. Gabriel s’était représenté à sa pensée, tel qu’ils s’étaient quittés après le déjeuner sur le perron du château, lui, montant dans la victoria préparée pour son départ, et se retournant au coin de l’allée pour la saluer d’un dernier geste, d’un dernier regard. Si elle devait ne pas l’épouser, cet « au revoir » était un « adieu », et ni lui ni elle ne l’avaient deviné !… Cette vision se doublait aussitôt d’une autre, de celle de Gabriel apprenant ce mariage, et avec quel rival ! Qu’il serait malheureux et comme il la mépriserait !… Oui, mais ce perron même, sur le seuil duquel ils s’étaient quittés ; les arbres de ce parc, sous les blonds feuillages desquels ils s’étaient promenés ; cette allée au tournant de laquelle avait disparu la victoria, cette Victoria, le cheval qui la traînait, le cocher qui la conduisait, la fourrure que le jeune homme avait posée sur ses genoux, — à qui donc était tout cela ? Béatrice entendait la voix impitoyable du maître : « Tout est à moi, à moi, à moi… » Ces aspects des choses associées à sa jolie espérance, le gracieux décor dans lequel son innocent roman avait déroulé ses naïves scènes, — tout, oui tout avait été payé par l’homme d’affaires… L’horrible phrase : « Voulez-vous que je vous dise le chiffre ? » résonnait de nouveau à l’oreille de l’enfant adultérine, et les mots : «  Vous n’êtes pas ma fille. » A l’idée de cette dette, contractée, en effet, envers le mari de sa mère, à son insu, le souvenir de Gabriel s’effaçait, s’abolissait dans son cœur. Il n’y avait plus de place dans ce malheureux cœur que pour la révolte contre cette révélation que l’on n’aurait pas dû lui infliger ainsi, et le cri de la première minute lui revenait aux lèvres, ce : « Que lui ai-je fait ? » d’épouvante et de stupeur !… - Ce qu’elle avait fait au mari de sa mère ? Elle le comprenait maintenant, elle existait, et la sensation de la haine dont elle était l’objet, par cette seule existence, la faisait frémir depuis la racine de ses cheveux jusqu’à l’extrémité de ses pieds, comme si des meubles, des bibelots, des tentures, de tout ce luxe épars autour d’elle et donné par lui, un effluve de cette haine eût émané - physiquement.

Dans des crises comme celle que traversait la jeune fille, pendant cette interminable nuit, toutes sortes de raisonnements se développent dans l’intelligence, offrant une solution, puis une autre, combinant les deux, échafaudant une troisième. En réalité, c’est la portion la plus profonde de notre être, et la plus inconnue de nous-mêmes, notre « inconscient », comme disent les philosophes dans leur terminologie, pédantesque mais irremplaçable, qui finit par décider de notre volonté dernière. La ressemblance de Béatrice et de son vrai père ne mentait pas. L’hérédité de la physionomie annonçait l’hérédité de toute la nature. San Giobbe - sa fidélité à une liaison prolongée à travers toute la vie l’attestait seule – n’avait rien de commun avec le style ordinaire du viveur qui « travaille dans les femmes du monde », comme eussent dit, dans une autre terminologie, ces autres philosophes en habit noir, le baron Desforges et Casal. A Paris, et dans ce monde des oisifs où les occupations extérieures sont toutes les mêmes, toutes également frivoles et insignifiantes, les originalités des natures sont bien difficiles à discerner. Elles existent pourtant. Tel habitué des Cercles les plus choisis est, comme un Portille ou un Longuillon, une âme de boue, et qui mériterait la terrible épigramme de Rivarol, parlant d’un capitaine des gardes, traître au roi dans la nuit du 5 octobre : « Lassé d’un trop long déguisement, ce grand seigneur, » dit le pamphlétaire, « revêtit enfin, pour fuir, l’habit de son laquais. » Tel autre, au contraire, et c’était le cas de San Giobbe, a dépensé sa jeunesse en puérils triomphes de sport, qui avait en lui et qui a gardé jusqu’à la fin une âme de noblesse et de chevalerie. Le gentilhomme de Bergame, venu à Paris par désœuvrement, et aussi pour l’enfantin motif de « boutonner » les premiers tireurs des premières salles s’était retrouvé, dans son attachement pour la jolie Madeleine Nortier, le romanesque et passionné cavalier servant de son pays, un parfait représentant de cette sorte d’amoureux, pour qui un engagement de cœur devient l’affaire unique de la vie. Peu parleur, ne s’étant même pas laissé effleurer par l’ironie française, totalement dépourvu de vanité, mais apportant à ses moindres actions le sérieux profond de l’Italie du nord, que l’on pourrait définir « une simplicité forte », il avait vraiment fait de cette aventure si vulgaire - une liaison avec une femme du monde à Paris - quelque chose de rare, par son respect pour ses propres sentiments, par la vérité de son attitude dans la plus fausse des situations, enfin par un singulier et indiscutable pouvoir de dignité personnelle. Comment avait-il choisi, pour objet de cette dévotion, quelqu’un d’aussi prosaïque au fond qu’une poupée de la mode, telle que celle-ci, et dans une situation sociale bien peu propice à des émotions profondes ? Cette inconséquence était la preuve qu’il y avait en lui du Don Quichotte, comme chez tous les grands amoureux peut-être, un coin chimérique de natif idéalisme, — autant dire, avant tout et par-dessus tout, de la fierté. Cette fierté foncière, il l’avait transmise à sa fille, et celle-ci, dans le désarroi d’âme où la jetait le dur traitement d’un homme impitoyable, allait trouver là son point de résistance, le fixe appui où se poser. — « Il a raison, » se disait-elle, couchée dans son lit, après ces premiers éclats de douleur, toute lampe éteinte, afin de ne plus subir la vue de cet ameublement somptueux qui lui faisait mal, et elle revoyait, et elle entendait Nortier. « Tout est à lui. Voilà vingt ans que je jouis de son luxe. Je dois payer. Je dois… » L’énergie intime de son être se tendait dans cette syllabe d’obligation : « Il a une raison d’intérêt, extrêmement importante pour lui, » et elle se répétait les termes mêmes de l’homme d’affaires, « à ce que j’épouse M. de Longuillon. Quelle raison ? Quel intérêt ?… Est-ce que cela me regarde ? Si je devais une somme d’argent à quelqu’un, est-ce que j’aurais le droit, quand il me la réclamerait, de lui demander pour quel usage ? Je m’acquitterais, voilà tout. Il faut m’acquitter… Il le faut. » Et elle reprenait : « Je dois. Je paierai. » Puis, comme elle était jeune, qu’elle s’était vue, dans cette même journée, au bord du bonheur, avec un horizon devant elle d’un si doux mariage, et que l’attaque avait été si foudroyante de soudaineté, ses puissances de jeunesse et d’amour avaient des sursauts de rébellion. Un moment elle pensa : « C’est trop injuste ! Du jour où il a su, c’était lui qui devait nous chasser, ma mère et moi… Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?… » Cette sensibilité magnanime n’était pas même capable de soupçonner les sinistres calculs d’une sensibilité venimeuse comme celle d’un Nortier. Que pouvait-elle se répondre, sinon qu’il n’avait pas voulu d’un scandale, et à cause de quoi ? — Tout naturellement elle rencontrait le motif que donnaient aussi, on l’a vu, les quelques braves gens du groupe de Malenoue. — Il avait une autre fille : « C’est pour ma sœur qu’il s’est tu, ! » se dit Béatrice. « Alors, pourquoi menace-t-il de parler maintenant ?… C’est tout simple. Ma sœur est mariée et à l’abri… » Et des projets insensés lui traversaient la tête : « Si je me sauvais du château, si j’allais chez Françoise, » on se rappelle que c’était le nom de cette sœur, « tout lui conter, la supplier de parler à son père, car il est son vrai père à elle, d’obtenir qu’il n’exige pas de moi cette condition… Chez Françoise, mais lui dire quoi ?… Que maman… » Rien que de concevoir cette hypothèse donna un frisson de remords à l’enfant de la faute. Oh ! non, tout, tout, plutôt que de porter à cette sœur le coup dont elle agonisait elle-même, cette révélation de la honte de leur commune mère ! Et ses raisonnements recommencèrent de courir dans le sens de l’acception et du sacrifice. L’association de ses pensées, en lui représentant le mariage de la comtesse d’Arcole, fit surgir devant son esprit l’idée de contrat et celle de dot. Une évidence lui apparut : l’impossibilité de recevoir ce nouveau bienfait. Elle s’aperçut mariée à Gabriel Clamand, arrivant dans la vieille maison familiale qu’il lui avait destinée, — la maison qui n’avait jamais été vendue, — y apportant, elle, un argent souillé, l’argent de cet homme qui l’avait traitée ainsi, et cette hypothèse lui infligea le même frisson de remords… Mais si elle allait à Gabriel, si elle lui demandait de la prendre sans dot, sans cette fortune qui n’était pas la sienne ?… Non, il faudrait encore parler de sa mère… Et, toujours aheurtée à cette impossibilité de s’échapper de l’impasse où elle se sentait acculée, par la haine de Nortier, sans vendre cette mère, la noble enfant revenait à cette immolation où sa fierté trouvait l’unique revanche qui lui fût permise. Si elle acceptait de se soumettre à l’injonction de celui qu’elle avait cru son père, et qui n’était que le plus implacable créancier, alors, l’argent de cette dot ne lui serait pas versé, à elle. Il serait versé à l’ homme que ce créancier aurait lui-même choisi. Son existence dans ce mariage sans amour et imposé ainsi serait un martyre… Sans qu’elle s’en doutât, cette certitude de douleur l’attirait déjà. L’instinct mystique de l’expiation s’émouvait en elle et lui faisait apercevoir dans son malheur volontaire autre chose encore que l’acquit de sa propre obligation vis-à-vis de Nortier. Cette dernière phrase de leur entretien lui revenait : « Si c’est oui, je considérerai que vous avez payé la dette de votre mère avec la vôtre… » Au matin, et quand, après un court sommeil enfin goûté sur les cinq heures, elle rouvrit ses yeux, cernés par la fièvre de cette terrible première partie de la nuit, sa résolution était prise : « Ce sera oui, et personne au monde ne saura jamais pourquoi… »