Un drame au Labrador/Où le « policier » Wapwi trouve qu’il a « du nez »

Leprohon & Leprohon (p. 91-99).

XXI

OÙ LE « POLICIER » WAPWI PROUVE QU’IL A « DU NEZ »


— Ainsi, tu crois encore qu’Arthur a pu se sauver ? disait la jeune fille, la figure angoissée, mais les yeux brillant d’une lueur d’espoir.

— Petite tante, c’est lui que j’ai vu ; c’est sa voix qui a crié…

— N’est-ce pas une illusion de tes sens ?… Il faisait bien noir et la mer devait mener un dur tapage !…

– Le bon Dieu a donné aux sauvages des yeux de chat et des oreilles de lièvre.

– Puisses-tu ne pas t’être trompé !… Mais, en admettant que c’était réellement mon pauvre frère qui se tenait cramponné au dernier piton de l’îlot, a-t-il pu saisir le chaland que tu avais si courageusement dirigé sur lui ?

– Ah ! voilà !… fit soucieusement l’enfant… Le Grand Manitou des blancs seul pourrait le dire !

– Tu n’as pu voir ?…

– Pauvre Wapwi ! fit le petit sauvage d’un ton piteux, il était bien fatigué, et une grosse vague l’a emporté… Elle est méchante la mer !

– Oh ! oui, bien méchante ! dit avec conviction la jeune fille.

– Pourtant, un petit oiseau chante bien doucement dans la tête de Wapwi… Et sa voix n’est pas triste… Et le petit oiseau dit dans sa chanson : « Il reviendra, ton petit père ! »

– Cher enfant ! dit Mimie, très émue et entourant de son bras le cou du jeune Abénaki : c’est peut-être l’ange gardien de ton maître qui dit cela au tien.

– Tu as raison, tante Mimie… Il faut bien qu’ils soient deux là-dedans (et Wapwi frappait son front), puisque je les entends parler.

– Sans doute, cher enfant : les anges parlent souvent à l’oreille des bons petits sauvages qui aiment bien leurs maîtres.

Wapwi parut très heureux de savoir cela. Mais, après quelques secondes, une idée lui surgit, qui assombrit de nouveau son front. Regardant la jeune fille avec ses grands yeux noirs, un peu farouches, il demanda en baissant la voix :

– L’oncle Gaspard a-t-il un ange gardien, lui aussi ?

– Sans doute… Pourquoi cette question ?

– Parce que, s’il en a un, cet ange-là doit être une fière canaille.

– Vas-tu bien te taire !… On ne parle pas comme cela !

– Si, si ! fit l’enfant… Ou bien, ajouta-t-il comme correctif, c’est l’oncle Gaspard qui le chasse, quand il veut faire un mauvais coup.

– Tu ne te trompes pas, petit ; quand on fait le mal, l’ange gardien s’en va.

– Bien sûr… murmura Wapwi avec conviction, le sien n’y était pas, la nuit dernière !

On arrivait à la maison, et la conversation s’arrêta là, pour le moment.

Mais, lorsque la mère Hélène fut bien installée dans son lit, avec des compresses froides sur la tête, le père Labarou fit signe aux deux enfants de le suivre au dehors, et l’on tint une sorte de conférence.

D’abord Wapwi fit part de ses courses, par terre et par mer.

Sans insister particulièrement, toutefois, il ne manqua pas de faire saisir à ses deux auditeurs le fil d’Ariane, que des soupçons trop bien justifiés lui avaient mis dans les mains.

Depuis l’affaire de la passerelle, Wapwi avait l’esprit en éveil et observait Gaspard. Sans être un grand clerc en matière d’amour, le petit sauvage n’avait pu s’empêcher de remarquer comme les préférences de Suzanne pour Arthur avaient toujours assombri la figure de Gaspard.

Quand il vit la passerelle se rompre tout à coup sous les pieds de son maître, Wapwi pensa immédiatement que le cousin y était pour quelque chose.

Et la preuve, c’est que, la veille même, il l’avait retrouvée là-bas sur une pointe, cette passerelle, sciée très visiblement et non rompue.

Et puis, autre chose !…

Pourquoi Gaspard, après avoir vu la chaloupe qui l’avait ramené de l’îlot, seul, s’éventrer sur une saillie rocheuse, en terre ferme avait-il cassé et caché ce morceau de granit, – que Wapwi se proposait bien, du reste, d’aller retrouver tout à l’heure ?

Pourquoi ?…

Évidemment, parce qu’il voulait faire croire que l’embarcation s’était défoncée sur l’îlot même, et qu’en pareille condition, il n’était pas étonnant qu’Arthur eût péri, lorsque lui-même, Gaspard, n’avait dû son salut qu’à une chance miraculeuse…

Le père Labarou et sa fille écoutaient, atterrés et muets, cette narration, ou plutôt ce plaidoyer, digne d’un policier parisien.

Tour à tour indignés de la fourberie monstrueuse de Gaspard et émerveillés de la sagacité de Wapwi, ils n’interrompaient l’enfant que pour confirmer ses déductions ou le féliciter de son dévouement.

Mais, lorsqu’il en vint à la partie de son récit où il parla de ce cri entendu dans la nuit et de ce spectre noir, dressé sur les flots, le père Labarou s’écria :

– C’est sans doute une illusion de tes sens, mon pauvre petit… Comment, au milieu du fracas de la tempête, lorsque les vagues déferlaient bruyamment et que le nordêt faisait rage, aurais-tu pu entendre une voix humaine, – étant toi-même du côté du vent ?

– Wapwi avait les yeux et les oreilles ouverts tout grands… Wapwi voyait son maître et il l’a entendu ! répéta l’enfant avec obstination.

– Admettons que ce soit réellement le cas… Comment peux-tu supposer que le pauvre Arthur, lui, t’ait vu arriver à son secours ?

– Oh ! Wapwi a crié bien fort, comme un sifflet de navire à feu ; puis, ploum ! ploum ! il a été renversé dans l’eau et ne s’est retrouvé que sur le rivage… Plus rien, que le bruit du vent dans ses oreilles !

Jean Labarou courba la tête avec découragement, puis rentra auprès de sa femme, l’âme affaissée sous un poids mortel.

Il se promit toutefois de repartir avec sa goélette, aussitôt que la malade serait hors de danger immédiat.

En attendant, il comptait sur la promesse de Thomas Noël, pour que les recherches se poursuivissent sans retard et sans interruption.

Mais il n’espérait plus !…

Son fils était bien mort ; et, si l’on retrouvait quelque chose de lui, ce ne serait plus, hélas ! qu’un cadavre.

Restés seuls, la jeune fille et le petit sauvage échangèrent un long regard, où brillait cette étincelle impérissable qui s’appelle l’espérance.

— Wapwi, dit avec fermeté Euphémie Labarou, depuis ton récit, j’ai dans la cervelle, moi aussi, un petit oiseau qui me chante bien doucement : Ton frère n’est pas mort !

— La même chanson que le mien, tante Mimie… Tu vois bien que c’est vrai !

— Partons, mon enfant. Allons voir la chaloupe. De ce jour, je deviens ton associée pour punir le coupable, — s’il y a un coupable ! — ou savoir ce qui est arrivé à mon frère, — si Dieu a voulu conserver ses jours !


Gaspard se dressa sur les genoux et dit : Là !

— Tope là, tante Mimie !… À nous deux, nous retrouverons bien « petit maître ».

Et ils partirent pour l’ouest de la baie, comme midi sonnait.

Le trajet se fit rapidement.

Chacun des deux jeunes gens remuait dans sa pensée un chaos de suppositions, encore vagues chez Mimie, mais irrévocablement arrêtées dans l’esprit du petit sauvage.

Restauré par quelques aliments pris à la hâte, et stimulé par un petit verre d’eau-de-vie qu’on l’avait forcé d’avaler avant son départ, Wapwi sentait grandir et prendre corps, au plus intime de son être, les doutes qui l’obsédaient depuis quelque temps, depuis le matin, surtout.

Il se rappelait fort bien qu’au sortir de son lourd sommeil de la nuit dernière, il avait vu Gaspard faire de violents efforts, — tout blessé qu’il était, — pour arracher du flanc de la chaloupe la pointe qui avait éventré celle-ci ; et il voulait savoir, pourquoi il était allé cacher si soigneusement ce fragment de rocher tout au pied de la côte, au milieu des fourrés les plus épais…

Évidemment… se disait l’enfant, parce qu’il ne veut pas qu’on sache qu’il a fait naufrage à terre, et non sur l’îlot !

Et, dans ce cas, quelle est la raison pour laquelle il a pris ses mesures pour qu’on ne se doute pas que la chaloupe est arrivée à la côte, en bon ordre ?…

— Oh ! quant à cela, c’était limpide… Ne fallait-il pas montrer à tous les yeux que l’embarcation étant défoncée au moment du départ, les vagues, poussées par la tempête, avaient eu beau jeu pour la balayer et la rouler dans leurs replis mouvants, enlevant Arthur par-dessus bord, tandis que lui, Gaspard, plus robuste, y demeurait cramponné, jusqu’à ce qu’une dernière montagne liquide eût jeté sur le rivage l’épave et le naufragé ?…

Oui, c’était clair comme de l’eau de roche, ce calcul du misérable Gaspard ; et voilà de toute évidence, quel avait été le raisonnement du naufrageur en dégageant son embarcation de cette pointe qui l’avait transpercée et immobilisée, et en soustrayant l’objet révélateur aux regards trop curieux.

Ce point arrêté dans la tête de Wapwi, il ne restait plus qu’à retrouver le fragment de rocher.

Or, l’enfant, curieux et observateur de sa nature, se faisait tort d’aller en quelques minutes, mettre la main dessus.

La sagacité indienne se révèlerait chez lui, et cette recherche ne serait qu’un jeu d’enfant… sauvage.

Voilà ce que Wapwi disait à sa compagne de route, tout en la guidant rapidement sur la grève qui longe la haute falaise.

Au détour d’une saillie de la côte, après une vingtaine de minutes de marche, on se trouva tout à coup en face du lieu de l’échouement.

La chaloupe, remise sur sa quille, gisait éventrée au fond d’une petite anse de sable, limitée du côté ouest par une arête rocheuse qui s’avançait de quelques toises vers la mer.

En quelques enjambées, les deux explorateurs y étaient.

— Attention, tante Mimie ! prononça Wapwi avec la gravité d’un juge d’instruction… Vois d’abord ce trou ou plutôt ce découpage dans le bois comme s’il était fait par un outil tranchant…

— Je vois, dit Mimie… C’est net, et si l’on retrouvait « l’outil, » comme tu dis…

— On le retrouvera, tante Mimie. En attendant, grave-toi bien dans l’œil la forme de cette ouverture, car j’ai dans l’idée que la première chose que feront l’oncle Gaspard et son ami Thomas sera d’enlever cette planche pour en mettre une autre…

— Tu as raison, petit. Mais la planche primitive, avec son trou à cinq pointes restera gravée dans ma mémoire.

— Bon. C’est tout pour ici. Voyons maintenant où la chaloupe a frappé… Tiens, c’est là… Regarde un peu ce rocher à fleur de sable… Il est vieux, jaune et sale partout, excepté en un endroit, — tiens, vois-tu ?

— En effet, il y a là une cassure fraîche… On dirait qu’on vient de briser la partie qui manque.

— C’est cette partie du rocher qu’il nous reste à retrouver. Je m’en charge. Tu vas voir qu’on est bien heureux parfois d’être venu au monde dans la peau d’un sauvage.

Mimie eut un faible sourire et suivit son guide vers la côte.

Celui-ci commença par examiner soigneusement les pistes des pieds nus sur le sable.

C’était un enchevêtrement, à n’y rien comprendre.

Mais, de ce réseau de pistes, s’en détachaient deux dans la direction de la falaise : une y allant, l’autre en revenant.

— Suivons ces pistes, dit Wapwi à sa compagne.

Mimie emboîta le pas de son petit protégé, et tous deux, l’un suivant l’autre, se dirigèrent vers la lisière de forêt bordant le rivage.

Mais, une fois sous bois, la jeune fille s’arrêta, bien empêchée de savoir quel côté prendre.

— Laisse-moi faire, petite tante, dit l’enfant… C’est ici que Wapwi va redevenir Abénaki pour quelques minutes.

Alors, le descendant des aborigènes du golfe, penché vers le sol, examina chaque brin d’herbe couché sous une pression quelconque, chaque menue branche, chaque rameau froissé ou déplacé…

Et il allait, il allait, lentement, mais avec une quasi-certitude.

Arrivé à quelques pieds de la falaise, il avisa une grosse talle de jeunes sapins touffus.

— Hum ! dit-il à Mimie, je crois bien que la cache est ici… Tiens, vois : les pistes ne vont pas plus loin.

Ce disant, il se mit à plat ventre et se coula sous les branches basses, à fleur de terre.

Dix secondes ne s’étaient pas écoulées, qu’il reparut, tenant à la main une pointe de pierre, très aiguë et affectant la forme pyramidale.

— Voici le talisman pour confondre l’oncle Gaspard, dit-il en présentant la chose à Mimie.

Celle-ci prit dans ses mains le fragment de rocher, l’examina un instant, puis le remit à Wapwi, en disant d’une voix ferme :

— Si cette pierre, dont la cassure est fraîche, s’adapte à la partie du rocher qui présente, lui aussi, une cassure fraîche, Gaspard Labarou est un assassin, et je vengerai mon frère !

— Bien, petite tante. Allons voir ça.

Ce ne fut pas long.

La pointe de pierre, ajustée sur la cassure du rocher, s’adaptait parfaitement, faisant une saillie menaçante de plus de six pouces.

— À la chaloupe, maintenant ! dit la jeune fille… Constatons pour la forme, — car ma conviction est faite, — que les angles des pointes correspondent aux angles de l’ouverture.

Wapwi introduisit sa pierre pyramidale, de dehors en dedans, dans le trou ouvert au flanc de l’embarcation et l’y ajusta, après une couple d’essais.

L’ouverture se trouva bouchée presque hermétiquement.

Euphémie Labarou, très pâle et les yeux étincelants, brandit son poing fermé dans la direction de la baie et s’écria d’une voix vibrante :

— Assassin !… J’aimais un assassin !

Deux larmes brûlantes jaillirent de ses yeux. Puis elle ajouta sourdement :

— Mon frère ! mon pauvre frère, tu seras vengé !

Wapwi, très surexcité, lui aussi, imita le geste menaçant de sa « petite tante ».

Et, cette sorte de pacte conclu, on reprit lentement le chemin de la baie.

Mais on n’alla pas loin.

En doublant une sorte de cap assez élevé marquant l’extrémité orientale de l’arc décrit par la petite baie où ils venaient de faire leurs étranges découvertes, nos deux jeunes gens eurent sous les yeux une vision qui les arrêta net…

À moins d’un demi-mille dans l’est, la goélette des Noël, toutes voiles hautes, tirait une bordée en droite ligne vers le lieu où avait atterri Gaspard.

— Je te le disais bien, tante Mimie, s’écria le petit sauvage !… Les voilà qui viennent ici, nos deux compères !

— Les deux jeunes Noël ?

— Non pas : l’oncle Gaspard et son ami Thomas, — les deux inséparables.

— Mais Gaspard, il y a quelques heures à peine, semblait mourant !…

Wapwi eut un rire silencieux, qui découvrit ses dents blanches.

— Malin, malin… l’oncle Gaspard, grommela-t-il… Une simple coupure sur sa tête de fer, qu’est-ce que c’est ?

Mimie réfléchit pendant une seconde.

— Restons, dit-elle… Je veux voir ce qu’ils vont faire.

— Vite, petite tante… Nous allons rire… Tu vas voir sa mine quand il ne retrouvera plus ce bout de pierre que j’ai là.

Et Wapwi désignait la pointe cassée, qui ne l’avait pas quitté depuis qu’il en avait fait la trouvaille.

On remonta vers la côte, grimpant sur le flanc du cap, et, en quelques minutes, nos deux policiers improvisés se trouvaient installés à l’abri des regards les plus soupçonneux, dans un endroit assez élevé pour dominer l’anse qu’ils venaient de quitter et où leurs perquisitions les avaient amenés à une si étrange découverte.

Il était temps…

La goélette abaissant ses voiles rapidement, jetait l’ancre à quelques jets de pierre de la batture.

Une chaloupe s’en détacha aussitôt.

Thomas et Gaspard, qui avaient sauté dedans, ramèrent hâtivement vers le rivage.

Ils semblaient très pressés.

À peine, en effet, leur embarcation eut-elle touché terre, que, jetant à bout de bras son ancrage, ils s’élancèrent vers la côte.

En passant près de la chaloupe crevée, les deux compères y firent une première station, et Gaspard parut donner à Thomas de rapides explications, illustrées par des gestes très démonstratifs et l’examen minutieux du bordage où béait l’ouverture.

De là, Gaspard guida son compagnon vers le rocher sur lequel la chaloupe était venue se crever.

Après l’échange de quelques phrases et un examen de la fracture, que l’on sait, Gaspard courut vers la côte, disparut sous bois et se dirigea vers l’endroit où il avait jeté la partie du rocher manquant.

Il voulait, sans l’ombre d’un doute, éblouir son copain, par l’étalage de précautions qu’il avait prises.

Mais il revint bientôt, l’oreille basse, la mine soucieuse, grommelant :

— C’est drôle… Je ne retrouve plus… Pourtant, je crois bien me souvenir d’avoir jeté là cette pointe ensorcelée…

— Laissons donc !… fit Thomas. Qui serait venu ?… Et surtout, qui aurait été déterrer cette pierre au milieu de ce fouillis ?

— Au fait… dit l’autre… je suis fou d’avoir des idées pareilles… Quand je serai plus calme, je mettrai bien la main sur ce morceau de roc.

Pendant quelques minutes, l’entretien se poursuivit, Gaspard parlant, contre son habitude, avec une certaine volubilité, tandis que Thomas avait l’air de poser froidement une série d’objections.

Finalement, on en arriva à s’entendre et se convaincre mutuellement, sans doute, car, tournant le dos à la côte, les nouveaux venus retournèrent à la chaloupe crevée.

Ici encore se manifesta l’extrême prudence de maître Thomas.

Il se pencha longtemps sur l’ouverture irrégulière découpée par la pointe de rocher, l’examina des deux côtés, extérieur et intérieur, puis finalement acheva d’arracher le bordage entamé, jusqu’à mi-joint, en le déclouant à coups de pierre.

Cela fait, les deux compères reprirent le chemin de leur embarcation et se rembarquèrent, non toutefois sans avoir jeté au fleuve le bout de planche suspect.

Dix minutes plus tard, la goélette, toutes voiles hautes s’éloignant de la côte, gagnait la haute mer.

— Nous n’avons plus rien à faire ici, dit à son compagnon Euphémie Labarou. Mais nous n’avons pas perdu notre temps, petit Wapwi, car nous venons de démasquer, je le jurerais, deux bien grands misérables !…

— Je te demande encore une petite demi-heure, tante Mimie ; — le temps d’aller repêcher le bout de planche que ces deux imprudents viennent de jeter à l’eau, après l’avoir enlevé à la chaloupe.

— Tu as raison, petit : ce morceau de bois sera une pièce à conviction qui pourra servir, — peut-être, — on ne sait pas !…

Wapwi donna à la goélette le temps de parcourir une distance suffisante pour qu’on ne le vit pas du bord et, prenant sa course dans la direction où le courant de montant entraînait le fragment de bordage, il se lança résolument à l’eau.

Comme l’enfant nageait facilement, il eut bientôt recouvré le bout de planche flottant et regagné le rivage avec son butin.

— Ça fait trois pièces à conviction dans l’affaire Labarou vs Labarou, dit Mimie, qui avait quelque lecture.

— Il ne faut rien négliger pour punir les méchants… dit sentencieusement le petit Abénaki.

Et il alla cacher soigneusement sa pointe de pierre et son bout de bordage au pied de la côte, dans un endroit inaccessible pour tout autre qu’un adroit peau-rouge de son espèce, à lui.

Après quoi, on reprit, sans plus de retard, le chemin de la maison.