Un Matin (Verhaeren)

Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 163-164).

UN MATIN


C’était, dans la campagne émerveillée, un coin,
Où la prairie au clair brillait comme un visage,
Où deux grands étangs bleus s’arrondissaient au loin,
Comme un double baiser du ciel au paysage.

Sur les mousses de vair et les pierrailles d’or,
Les eaux, telles des pleurs d’aube s’égouttaient blanches ;
L’éclair d’un vol d’oiseaux frôlait le sol, l’essor
Rythmé, suivant le va-et-vient, au vent, des branches.

Des mélèzes frangés tendaient leurs bras ouverts
Comme des pèlerins tournés vers la lumière.
L’ombre dormait sous eux, parmi les gazons verts,
Et s’inclinait vers les miroirs d’argent de la rivière.


Les cristaux du matin étincelaient dans l’air ;
Toute la vie ornait le silence des choses,
Toutes les feuilles brillaient de mouvement clair
Et le Verbe tremblait sur leurs lèvres décloses.