Au Bord de l’eau (Verhaeren)

Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 165-166).
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AU BORD DE L’EAU


Chairs de vulves ou de gencives,
Les pétales des fleurs nocives
Bougent au vent,
Torpide et lent,
Qui les pourrit d’automne monotone
Et les emporte sur l’étang.

On croirait voir de grands morceaux
De cœurs brisés,
On croirait voir de grands lambeaux
De vie ardente et dispersée,
On croirait voir de gros caillots
De sang tomber, parmi les flots,
À moins qu’on ne se voie enfin soi-même
Défini là, par un emblème.


Les fleurs charnelles et nocives,
Et flasques comme des gencives,
Abandonnent au vent dolent
Leurs pétales et leurs couleurs ;
Les fleurs mornes abandonnent
Au vent d’automne
Leur sang et leurs douleurs
Monotones.

Le soir a beau filtrer ses ombres,
Par le treillis des taillis sombres,
Et le soleil, comme un cri rouge,
Se perdre et s’étouffer dans l’eau qui bouge,
Elles réapparaissent sous la lune,
Les fleurs mornes et importunes,
Grappes de pleurs, bouquets de sang,
Qui se mirent et se déchirent
Dans la pâleur de l’étang blanc.