Édition du Mercure de France (p. 67-101).


ACTE III



Scène Première

Le palais.


PÈRE UBU, MÈRE UBU.

Père Ubu. — De par ma chandelle verte, me voici roi dans ce pays. Je me ſuis déjà flanqué une indigeſtion et on va m’apporter ma grande capeline.

Mère Ubu. — En quoi eſt-elle, Père Ubu ? car nous avons beau être rois il faut être économes.

Père Ubu. — Madame ma femelle, elle eſt en peau de mouton avec une agrafe et des brides en peau de chien.

Mère Ubu. — Voilà qui eſt beau, mais il eſt encore plus beau d’être rois.

Père Ubu. — Oui, tu as eu raiſon, Mère Ubu.

Mère Ubu. — Nous avons une grande reconnaiſſance au duc de Lithuanie.

Père Ubu. — Qui donc ?

Mère Ubu. — Eh ! le Capitaine Bordure.

Père Ubu. — De grâce, Mère Ubu, ne me parle pas de ce bouffre. Maintenant que je n’ai plus beſoin de lui, il peut bien ſe broſſer le ventre, il n’aura point ſon duché.

Mère Ubu. — Tu as grand tort, Père Ubu, il va ſe tourner contre toi.

Père Ubu. — Oh ! je le plains bien, ce petit homme, je m’en ſoucie autant que de Bougrelas.

Mère Ubu. — Eh ! crois-tu en avoir fini avec Bougrelas ?

Père Ubu. — Sabre à finances, évidemment ! que veux-tu qu’il me faſſe, ce petit ſagouin de quatorze ans ?

Mère Ubu. — Père Ubu, fais attention à ce que je te dis. Crois-moi, tâche de t’attacher Bougrelas par tes bienfaits.

Père Ubu. — Encore de l’argent à donner. Ah ! non, du coup ! vous m’avez fait gâcher bien vingt-deux millions.

Mère Ubu. — Fais à ta tête, Père Ubu, il t’en cuira.

Père Ubu. — Eh bien, tu ſeras avec moi dans la marmite.

Mère Ubu. — Écoute, encore une fois, je ſuis ſûre que le jeune Bougrelas l’emportera, car il a pour lui le bon droit.

Père Ubu. — Ah ! ſaleté ! le mauvais droit ne vaut-il pas le bon ? Ah ! tu m’injuries, Mère Ubu, je vais te mettre en morceaux. (La Mère Ubu se sauve poursuivie par Ubu.)


Scène II

La grande salle du palais.
PÈRE UBU, MÈRE UBU, OFFICIERS & SOLDATS,
GIRON, PILE, COTICE, NOBLES enchaînés,
FINANCIERS, MAGISTRATS, GREFFIERS.

Père Ubu. — Apportez la caiſſe à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! enſuite, faites avancer les Nobles.

(On pousse brutalement les Nobles.)

Mère Ubu. — De grâce, modère-toi, Père Ubu.

Père Ubu. — J’ai l’honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.

Nobles. — Horreur ! à nous, peuple et ſoldats !

Père Ubu. — Amenez le premier Noble et paſſez-moi le crochet à Nobles. Ceux qui ſeront condamnés à mort, je les paſſerai dans la trappe, ils tomberont dans les ſous-ſols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous, où on les décervèlera. — (Au Noble.) Qui es-tu, bouffre ?

Le Noble. — Comte de Vitepsk.

Père Ubu. — De combien ſont tes revenus ?

Le Noble. — Trois millions de rixdales.

Père Ubu. — Condamné !

(Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou.)

Mère Ubu. — Quelle baſſe férocité !

Père Ubu. — Second Noble, qui es-tu ? (Le Noble ne répond rien.) Répondras-tu, bouffre ?

Le Noble. — Grand-duc de Poſen.

Père Ubu. — Excellent ! excellent ! Je n’en demande pas plus long. Dans la trappe. Troiſième Noble, qui es-tu ? tu as une ſale tête.

Le Noble. — Duc de Courlande, des villes de Riga, de Revel et de Mitau.

Père Ubu. — Très bien ! très bien ! Tu n’as rien autre choſe ?

Le Noble. — Rien.

Père Ubu. — Dans la trappe, alors. Quatrième Noble, qui es-tu ?

Le Noble. — Prince de Podolie.

Père Ubu. — Quels ſont tes revenus ?

Le Noble. — Je ſuis ruiné.

Père Ubu. — Pour cette mauvaiſe parole, paſſe dans la trappe. Cinquième Noble, qui es-tu ?

Le Noble. — Margrave de Thorn, palatin de Polock.

Père Ubu. — Ça n’eſt pas lourd. Tu n’as rien autre choſe ?

Le Noble. — Cela me ſuffiſait.

Père Ubu. — Eh bien ! mieux vaut peu que rien. Dans la trappe. Qu’as-tu à pigner, Mère Ubu ?

Mère Ubu. — Tu es trop féroce, Père Ubu.

Père Ubu. — Eh ! je m’enrichis. Je vais faire lire MA liſte de MES biens. Greffier, liſez MA liſte de MES biens.

Le Greffier. — Comté de Sandomir.

Père Ubu. — Commence par les principautés, ſtupide bougre !

Le Greffier. — Principauté de Podolie, grand-duché de Poſen, duché de Courlande, comté de Sandomir, comté de Vitepsk, palatinat de Polock, margraviat de Thorn.

Père Ubu. — Et puis après ?

Le Greffier. — C’eſt tout.

Père Ubu. — Comment, c’eſt tout ! Oh bien alors, en avant les Nobles, et comme je ne finirai pas de m’enrichir je vais faire exécuter tous les Nobles, et ainſi j’aurai tous les biens vacants. Allez, paſſez les Nobles dans la trappe. (On empile les Nobles dans la trappe.) Dépêchez-vous plus vite, je veux faire des lois maintenant.

Pluſieurs. — On va voir ça.

Père Ubu. — Je vais d’abord réformer la juſtice, après quoi nous procéderons aux finances.

Pluſieurs Magiſtrats. — Nous nous oppoſons à tout changement.

Père Ubu. — Merdre. D’abord les magiſtrats ne ſeront plus payés.

Magiſtrats. — Et de quoi vivrons-nous ? Nous ſommes pauvres.

Père Ubu. — Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort.

Un Magiſtrat. — Horreur.

Deuxième. — Infamie.

Troiſième. — Scandale.

Quatrième. — Indignité.

Tous. — Nous nous refuſons à juger dans des conditions pareilles.

Père Ubu. — À la trappe les magiſtrats ! (Ils se débattent en vain.)

Mère Ubu. — Eh ! que fais-tu, Père Ubu ? Qui rendra maintenant la juſtice ?

Père Ubu. — Tiens ! moi. Tu verras comme ça marchera bien.

Mère Ubu. — Oui, ce ſera du propre.

Père Ubu. — Allons, tais-toi, bouffreſque. Nous allons maintenant, meſſieurs, procéder aux finances.

Financiers. — Il n’y a rien à changer.

Père Ubu. — Comment, je veux tout changer, moi. D’abord je veux garder pour moi la moitié des impôts.

Financiers. — Pas gêné.

Père Ubu. — Meſſieurs, nous établirons un impôt de dix pour cent ſur la propriété, un autre ſur le commerce et l’induſtrie, et un troiſième ſur les mariages et un quatrième ſur les décès, de quinze francs chacun.

Premier Financier. — Mais c’eſt idiot, Père Ubu.

Deuxième Financier. — C’eſt abſurde.

Troiſième Financier. — Ça n’a ni queue ni tête.

Père Ubu. — Vous vous fichez de moi ! Dans la trappe, les financiers ! (On enfourne les financiers.)

Mère Ubu. — Mais enfin, Père Ubu, quel roi tu fais, tu maſſacres tout le monde.

Père Ubu. — Eh merdre !

Mère Ubu. — Plus de juſtice, plus de finances.

Père Ubu. — Ne crains rien, ma douce enfant, j’irai moi-même de village en village recueillir les impôts.


Scène III

Une maison de paysans dans les environs de Varsovie.
PLUSIEURS PAYSANS ſont aſſemblés.

Un Payſan (entrant). — Apprenez la grande nouvelle. Le roi eſt mort, les ducs auſſi et le jeune Bougrelas ſ’eſt ſauvé avec ſa mère dans les montagnes. De plus, le Père Ubu ſ’eſt emparé du trône.

Un Autre. — J’en ſais bien d’autres. Je viens de Cracovie, où j’ai vu emporter les corps de plus de trois cents nobles et de cinq cents magiſtrats qu’on a tués, et il paraît qu’on va doubler les impôts et que le Père Ubu viendra les ramaſſer lui-même.

Tous. — Grand Dieu ! qu’allons-nous devenir ? le Père Ubu eſt un affreux ſagouin et ſa famille eſt, dit-on, abominable.

Un Payſan. — Mais, écoutez : ne dirait-on pas qu’on frappe à la porte ?

Une voix (au-dehors). — Cornegidouille ! Ouvrez, de par ma merdre, par ſaint Jean, ſaint Pierre et ſaint Nicolas ! ouvrez, ſabre à finances, corne finances, je viens chercher les impôts ! (La porte est défoncée, Ubu pénètre suivi d’une légion de Grippe-Sous.)



Scène IV


Père Ubu. — Qui de vous eſt le plus vieux ? (Un paysan s’avance.) Comment te nommes-tu ?

Le Paysan. — Staniſlas Leczinſki.

Père Ubu. — Eh bien, cornegidouille, écoute-moi bien, ſinon ces meſſieurs te couperont les oneilles. Mais, vas-tu m’écouter enfin ?

Staniſlas. — Mais Votre Excellence n’a encore rien dit.

Père Ubu. — Comment, je parle depuis une heure. Crois-tu que je vienne ici pour prêcher dans le déſert ?

Staniſlas. — Loin de moi cette penſée.

Père Ubu. — Je viens donc te dire, t’ordonner et te ſignifier que tu aies à produire et exhiber promptement ta finance, ſinon tu ſeras maſſacré. Allons, meſſeigneurs les ſalopins de finance, voiturez ici le voiturin à phynances.

(On apporte le voiturin.)

Staniſlas. — Sire, nous ne ſommes inſcrits ſur le regiſtre que pour cent cinquante-deux rixdales que nous avons déjà payées, il y aura tantôt ſix ſemaines à la Saint-Mathieu.

Père Ubu. — C’eſt fort poſſible, mais j’ai changé le gouvernement et j’ai fait mettre dans le journal qu’on paierait deux fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront être déſignés ultérieurement. Avec ce ſyſtème, j’aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m’en irai.

Paysans. — Monſieur Ubu, de grâce, ayez pitié de nous. Nous ſommes de pauvres citoyens.

Père Ubu. — Je m’en fiche. Payez.

Payſans. — Nous ne pouvons, nous avons payé.

Père Ubu. — Payez ! ou ji vous mets dans ma poche avec ſupplice et décollation du cou et de la tête ! Cornegidouille, je ſuis le roi peut-être !

Tous. — Ah, c’eſt ainſi ! Aux armes ! Vive Bougrelas, par la grâce de Dieu roi de Pologne et de Lithuanie !

Père Ubu. — En avant, meſſieurs des Finances, faites votre devoir.

(Une lutte s’engage, la maison est détruite et le vieux Staniſlas s’enfuit seul à travers la plaine. Ubu reste à ramasser la finance.)


Scène V

Une casemate des fortifications de Thorn.
BORDURE enchaîné, PÈRE UBU.

Père Ubu. — Ah ! citoyen, voilà ce que c’eſt, tu as voulu que je te paye ce que je te devais, alors tu t’es révolté parce que je n’ai pas voulu, tu as conſpiré et te voilà coffré. Cornefinance, c’eſt bien fait et le tour eſt ſi bien joué que tu dois toi-même le trouver fort à ton goût.

Bordure. — Prenez garde, Père Ubu. Depuis cinq jours que vous êtes roi, vous avez commis plus de meurtres qu’il n’en faudrait pour damner tous les ſaints du Paradis. Le ſang du roi et des nobles crie vengeance et ſes cris ſeront entendus.

Père Ubu. — Eh ! mon bel ami, vous avez la langue fort bien pendue. Je ne doute pas que ſi vous vous échappiez il en pourrait réſulter des complications, mais je ne crois pas que les caſemates de Thorn aient jamais lâché quelqu’un des honnêtes garçons qu’on leur avait confiés. C’eſt pourquoi, bonne nuit, et je vous invite à dormir ſur les deux oneilles, bien que les rats danſent ici une aſſez belle ſarabande.

(Il sort. Les Larbins viennent verrouiller toutes les portes.)


Scène VI

Le palais de Moscou.
L’EMPEREUR ALEXIS & ſa Cour, BORDURE.

Le Czar Alexis. — C’eſt vous, infâme aventurier, qui avez coopéré à la mort de notre couſin Venceſlas ?

Bordure. — Sire, pardonnez-moi, j’ai été entraîné malgré moi par le Père Ubu.

Alexis. — Oh ! l’affreux menteur. Enfin, que déſirez-vous ?

Bordure. — Le Père Ubu m’a fait empriſonner ſous prétexte de conſpiration, je ſuis parvenu à m’échapper et j’ai couru cinq jours et cinq nuits à cheval à travers les ſteppes pour venir implorer Votre gracieuſe miſéricorde.

Alexis. — Que m’apportes-tu comme gage de ta ſoumission ?

Bordure. — Mon épée d’aventurier et un plan détaillé de la ville de Thorn.

Alexis. — Je prends l’épée, mais par Saint Georges, brûlez ce plan, je ne veux pas devoir ma victoire à une trahiſon.

Bordure. — Un des fils de Venceſlas, le jeune Bougrelas, eſt encore vivant, je ferai tout pour le rétablir.

Alexis. — Quel grade avais-tu dans l’armée polonaiſe ?

Bordure. — Je commandais le 5e régiment des dragons de Wilna et une compagnie franche au ſervice du Père Ubu.

Alexis. — C’eſt bien, je te nomme ſous-lieutenant au 10e régiment de Coſaques, et gare à toi ſi tu trahis. Si tu te bats bien, tu ſeras récompensé.

Bordure. — Ce n’eſt pas le courage qui me manque, Sire.

Alexis. — C’eſt bien, diſparais de ma préſence.

(Il sort.)

Scène VII

La salle du Conseil d’Ubu.
PÈRE UBU, MÈRE UBU, CONSEILLERS DE PHYNANCES.

Père Ubu. — Meſſieurs, la ſéance est ouverte et tâchez de bien écouter et de vous tenir tranquilles. D’abord, nous allons faire le chapitre des finances, enſuite nous parlerons d’un petit ſyſtème que j’ai imaginé pour faire venir le beau temps et conjurer la pluie.

Un Conſeiller. — Fort bien, monſieur Ubu.

Mère Ubu. — Quel ſot homme.

Père Ubu. — Madame de ma merdre, garde à vous, car je ne ſouffrirai pas vos ſottiſes. Je vous diſais donc, meſſieurs, que les finances vont paſſablement. Un nombre conſidérable de chiens à bas de laine ſe répand chaque matin dans les rues et les ſalopins font merveille. De tous côtés on ne voit que des maiſons brûlées et des gens pliant ſous le poids de nos phynances.

Le Conſeiller. — Et les nouveaux impôts, monſieur Ubu, vont-ils bien ?

Mère Ubu. — Point du tout. L’impôt ſur les mariages n’a encore produit que 11 ſous, et encore le Père Ubu pourſuit les gens partout pour les forcer à ſe marier.

Père Ubu. — Sabre à finances, corne de ma gidouille, madame la financière, j’ai des oneilles pour parler et vous une bouche pour m’entendre. (Éclats de rire). Ou plutôt non ! Vous me faites tromper et vous êtes cauſe que je suis bête ! Mais, corne d’Ubu ! (Un meſſager entre.) Allons, bon, qu’a-t-il encore celui-là ? Va-t’en, ſagouin, ou je te poche avec décollation et torſion des jambes.

Mère Ubu. — Ah ! le voilà dehors, mais il y a une lettre.

Père Ubu. — Lis-la. Je crois que je perds l’eſprit ou que je ne ſais pas lire. Dépêche-toi, bouffreſque, ce doit être de Bordure.

Mère Ubu. — Tout juſtement. Il dit que le czar l’a accueilli très bien, qu’il va envahir tes États pour rétablir Bougrelas et que toi tu ſeras tué.

Père Ubu. — Ho ! ho ! J’ai peur ! J’ai peur ! Ha ! je penſe mourir. Ô pauvre homme que je ſuis. Que devenir, grand Dieu ? Ce méchant homme va me tuer. Saint Antoine et tout les ſaints, protégez-moi, je vous donnerai de la phynance et je brûlerai des cierges pour vous. Seigneur, que devenir ? (Il pleure et sanglote.)

Mère Ubu. — Il n’y a qu’un parti à prendre, Père Ubu.

Père Ubu. — Lequel, mon amour ?

Mère Ubu. — La guerre !!

Tous. — Vive Dieu ! Voilà qui eſt noble !

Père Ubu. — Oui, et je recevrai encore des coups.

Premier Conſeiller. — Courons, courons organiſer l’armée.

Deuxième. — Et réunir les vivres.

Troiſième. — Et préparer l’artillerie et les fortereſſes.

Quatrième. — Et prendre l’argent pour les troupes.

Père Ubu. — Ah ! non, par exemple ! Je vais te tuer, toi, je ne veux pas donner d’argent. En voilà d’une autre ! J’étais payé pour faire la guerre et maintenant il faut la faire à mes dépens. Non, de par ma chandelle verte, faiſons la guerre, puiſque vous en êtes enragés, mais ne débourſons pas un ſou.

Tous. — Vive la guerre !


Scène VIII

Le camp sous Varsovie.

Soldats & Palotins. — Vive la Pologne ! Vive le Père Ubu !

Père Ubu. — Ah ! Mère Ubu, donne-moi ma cuiraſſe et mon petit bout de bois. Je vais être bientôt tellement chargé que je ne ſaurais marcher ſi j’étais pourſuivi.

Mère Ubu. — Fi, le lâche.

Père Ubu. — Ah ! voilà le ſabre à merdre qui ſe ſauve et le croc à finances qui ne tient pas !!! Je n’en finirai jamais, et les Ruſſes avancent et vont me tuer.

Un Soldat. — Seigneur Ubu, voilà le ciſeau à oneilles qui tombe.

Père Ubu. — Ji tou tue au moyen du croc à merdre et du couteau à figure.

Mère Ubu. — Comme il eſt beau avec ſon caſque et ſa cuiraſſe, on dirait une citrouille armée.

Père Ubu. — Ah ! maintenant, je vais monter à cheval. Amenez, meſſieurs, le cheval à phynances.

Mère Ubu. — Père Ubu, ton cheval ne ſaurait plus te porter, il n’a rien mangé depuis cinq jours et eſt preſque mort.

Père Ubu. — Elle eſt bonne celle-là ! On me fait payer 12 ſous par jour pour cette roſſe et elle ne me peut porter. Vous vous fichez, corne d’Ubu, ou bien ſi vous me volez ? (La Mère Ubu rougit et baisse les yeux.) Alors, que l’on m’apporte une autre bête, mais je n’irai pas à pied, cornegidouille !

(On amène un énorme cheval.)

Père Ubu. — Je vais monter deſſus. Oh ! aſſis plutôt ! car je vais tomber. (Le cheval part.) Ah ! arrêtez ma bête, Grand Dieu, je vais tomber et être mort !!!

Mère Ubu. — Il eſt vraiment imbécile. Ah ! le voilà relevé. Mais il eſt tombé par terre.

Père Ubu. — Corne phyſique, je ſuis à moitié mort ! Mais c’eſt égal, je pars en guerre et je tuerai tout le monde. Gare à qui ne marchera pas droit. Ji lon mets dans ma poche avec torſion du nez et des dents et extraction de la langue.

Mère Ubu. — Bonne chance, monſieur Ubu.

Père Ubu. — J’oubliais de te dire que je te confie la régence. Mais j’ai ſur moi le livre des finances, tant pis pour toi ſi tu me voles. Je te laiſſe pour t’aider le Palotin Giron. Adieu, Mère Ubu.

Mère Ubu. — Adieu, Père Ubu. Tue bien le czar.

Père Ubu. — Pour ſûr. Torſion du nez et des dents, extraction de la langue et enfoncement du petit bout de bois dans les oneilles.

(L’armée s’éloigne au bruit des fanfares.)

Mère Ubu (seule). — Maintenant que ce gros pantin eſt parti, tâchons de faire nos affaires, tuer Bougrelas et nous emparer du tréſor.


Fin du Troiſième Acte.