Trois petits poèmes érotiques/La Foutromanie/05

Trois petits poèmes érotiquesImprimé exclusivement pour les membres de la Société des bibliophiles, les amis des lettres et des arts galants (p. 103-112).

CHANT TROISIÈME


Les dieux sont bons plus qu’ils ne sont terribles !
Aux maux de l’homme ils se montrent sensibles,
Et leur soleil d’un rayon bienfaisant
Chauffe à la fois le juste et le méchant !
Tout se balance, et l’aimable nature,
En tolérant dans le cadavre humain
Que la vérole importe son venin,
Pour la détruire inventa le mercure.
Remèdes vains contre la masse impure
D’un sang brûlé, les faibles végétaux
N’en pouvaient plus épurer les canaux.
Il leur fallait un puissant phlogistique
Qui balayât l’urètre dans son cours,
Qui, poursuivant le mal dans ses détours,
Rendît le ton à l’ordre équilibrique,
Au sang glacé redonnât la chaleur,
Et fît fluer la trop épaisse humeur.
Saint Côme vint, son creuset salutaire,
En un clin d’œil, régénéra la terre,
Fit des corps neufs, répara les humains.
Les cons, les vits, désormais rendus saints,
Furent munis d’une vertu nouvelle.
Par les talents de la docte séquelle,

Du froid virus les progrès assassins
Sont arrêtés dans leur marche rapide.
Sans nuls soucis, le fouteur intrépide
Peut à jamais braver tous les vagins,
Foutre, sans choix, la duchesse et l’actrice,
Et mettre au pair la garce et la novice.
A-t-il d’un con putride et peu discret
Par le piston pompé les molécules,
Il se tisane, avale des pilules :
En peu de jours, du virus c’en est fait ;
Il ne perd rien de sa force première,
Et peut soudain rentrer dans la carrière,
Se disposer à des combats nouveaux,
En bon fouteur reprendre ses travaux,
De cent toisons hasarder la conquête,
Sans voir flétrir les lauriers sur sa tête.
Dieux ! que d’abbés, ministres et prélats,
Bravant sans peur l’auguste casserole,
Indépendants du joug de la vérole,
Grâce à saint Côme, ont moissonné d’appas !
Près M...... agréable prêtresse
Du dieu d’amour, regardez Montazet[1]
Faisant le jeune et poussant son bidet.
De vingt rivaux la galante duchesse
A pondéré les vœux et le caquet ;
Mais, pour l’église ajustant son toupet,
A l’archevêque elle a donné la pomme,
Rit du prélat et chérit l’aimable homme,
L’épicurien sous l’habit prestolet.

La Montesson suit ce brillant exemple :
A d’Orléans elle livre son temple,
En fait son dieu, l’aime de tout son cœur,
De tous ses sens adore son vainqueur,
Et n’a pas tort ; car il en vaut la peine.
Si l’on en croit le public enfantin,
De leur amour pour resserrer la chaîne,
Ils sont unis par un nœud clandestin.
Pour moi, j’en doute : à quoi bon l’hyménée,
Secret ou non, quand on s’aime vraiment,
Lorsque l’amour guide la destinée
D’un couple heureux, sans contrat, sans serment ?
Vénus française, adorable princesse,
Qui, des plaisirs chérissant trop l’ivresse,
Vécûtes peu, pour avoir trop foutu,
Qui dans l’amour plaçâtes la vertu,
Belle B...., qui, semblable à l’aurore,
Réunissez les vœux de l’univers,
Ressuscitez, prenez place en mes vers.
Vous n’êtes plus, et l’on vous aime encore,
Dans tout Paris on vante vos travers,
Votre beauté, vos lubriques caprices,
Les doux présents, les vertes chaudes-pisses
Qu’en vous foutant, le beau l’Aigle et Melfort
Prirent tous deux, n’en voulant point au sort
D’avoir gagné de légers bénéfices,
Pour posséder un si rare trésor.
Que de beaux ans, depuis vingt jusqu’à trente !
Tous les instants d’une ferme santé
Sont des tributs dus à la volupté.
Loin des tourments de l’ennuyeuse attente,

Tout est plaisir pour l’amant et l’amante,
Les sens charmés font l’ivresse du cœur,
Nous leur devons le physique bonheur.
Car, les plaisirs, les biens imaginaires
Sont des zéros, de menteuses chimères,
J’ai beau guinder mon esprit aux amours,
D’une beauté me peindre les contours,
Me la tracer et parfaite et naïve,
Sur ses appas, sur ses charmes secrets,
Faire trotter mon imaginative,
De ses talents m’exagérer les traits,
Que m’en vient-il ? Soupirant, en viédase,
Pour un fantôme, une belle en tableau,
Dupe sans fin de ma brillante extase,
Le bec ouvert, je croque le marmot.
Bien fou qui va, d’un amour platonique,
De longs soupirs accueillant les objets,
En Espagnol se morfondre aux aguets,
Guitare en main, courtiser en musique,
Genoux pliés, contempler des attraits
Qu’on lui refuse, et qu’il n’aura jamais.
Le sot métier ! Pour Vénus elle-même,
Pour la beauté ceinte du diadème,
Point ne voudrais du rôle d’attentif,
De soupirant, d’amant contemplatif.
Il m’en souvient, pendant toute une année,
D’avoir langui pour un tendron charmant,
Qui, sans pitié pour mon cruel tourment,
En fier vainqueur, me tint haut la dragée.
Jouer de l’œil, écrire des billets,
Faire l’aveu d’une ardeur réciproque,

Me paraissait un destin équivoque.
Las, ennuyé de former des souhaits,
Du tendre amour d’attendre les bienfaits,
J’abandonnai ma trop lente princesse,
Et fus au con d’une prompte drôlesse,
Des cons d’État oublier les hauteurs,
Me délasser d’insipides rigueurs,
Donner de l’air à ma couille brûlante,
Ingurgiter mon vit dans cette fente
Dont Jupiter, les bergers et les rois
Sont tous forcés de recevoir les lois.
Voilà le but de tout bon foutromane ;
La pique en l’air, s’acheminer au fait,
Des biens réels se procurer l’effet.
Du plaisir seul le vrai bonheur émane :
Le différer, c’est être son bourreau,
C’est mal user de l’âge le plus beau.
Jeune homme, fuis, dans ta course sublime,
D’être jamais coupable d’un tel crime.
De tes délais veux-tu bien te guérir ?
Voyage en France, apprends l’art de jouir ;
Vois eu amour comme chacun s’escrime,
Comme on y suit la route du plaisir !
Si l’Opéra ni les deux Comédies
Ne t’offrent rien qui flatte ton désir,
Tu trouveras mille et mille Uranies,
A tout mortel accordant des secours,
Et présentant de faciles amours.
Veux-tu jouir avec délicatesse,
A la débauche allier la tendresse ?
Vole à Marly, le beau jour d’un salon ;

Tu charmeras quelque brave duchesse ;
Femme de cour, prêtresse de bon ton ;
Tu fileras le parfait avec elle,
Pendant une heure, et bientôt la dondon
Te livrera sa chaude citadelle.
Mais que ton vit, pour attaquer la belle,
Soit bien monté : car la dame en son con
N’admit jamais que des vits à la Suisse,
De gros calibre, et foutant sans raison.
Que l’az’ la foute, et que Dieu la bénisse !
Elle fait fi des Priapes de cour,
Des vits communs elle se bat la cuisse,
Ne craint rien tant, après la chaude-pisse,
Que le contact ou l’aspect d’un vit court.
Surtout prends garde, en bricolant la dame,
De n’aller pas la rater un beau jour :
C’en serait fait de ton corps, de ton âme ;
La gaupe entend qu’on partage sa flamme,
Que l’on réponde à son ardent amour,
Que l’on décharge alors qu’elle se pâme,
Que l’on travaille ensemble et tour à tour.
Ami, crois-moi, cette vaillante école
Vaut bien autant que les champs d’un bordel.
Tu peux y ceindre un laurier immortel,
Y mériter, y gagner la vérole.
Ah ! qu’il est beau de gâter sa santé,
De se pourrir en bonne compagnie,
Mulet servant d’une noble Émilie,
De fêtoyer un con de qualité !
On peut de là, d’une course légère,
Faire la cour à quelque financière,

Endoctriner la femme d’un bourgeois,
D’un gros banquier, de quelque homme de lois,
Sur le toupet d’un cocu débonnaire,
Accumuler un magasin de bois,
A sa moitié démontrer la manière
De foutre sec, de jouir de ses droits.
Eh ! voilà comme il faut passer sa vie,
Faisant sans choix du bien à son prochain,
De ses voisins caressant la folie,
De la beauté satisfaisant l’envie,
A ses désirs se montrant fort humain !
Ainsi soit-il : car braver les caprices
D’un sexe ardent, lui montrer des froideurs,
Lui refuser de longs et lourds services,
C’est encourir de fâcheuses humeurs.
Que faire alors ? où porter ses hommages ?
Faut-il, longeant de putrides rivages,
Trahir les gens, assassiner les culs,
Malgré l’odeur, fourgonner les anus ?
Cas erronés ! péchés contre nature !
Coups de Sodome ! excès de la luxure !
Qui, tôt ou tard engendrent le virus,
Et de l’enfer provoquent la brûlure
Sur les destins des fouteurs, des foutus.
Et puis voyez la chétive figure
Que font ici les bougres reconnus !
On les persiffle, on les fuit, on les chasse.
Les plaindra-t-on dans leur juste disgrâce,
Quand Beaufremont, au scandale des cons,
D’un roi puissant méprisant les leçons,
Ose, à Versaille, en pleine galerie,

Pour un Cent-Suisse allumant ses tisons,
Lui proposer un fait de bougrerie !
Doit-on gémir s’il manque les cordons,
Si des fouteurs la cohorte chérie,
Lui coupe l’herbe et saisit les fleurons ?
Les cons, en cour, mènent droit au salut :
C’est du bonheur la sûre sauvegarde.
Fouteur prudent, n’allez pas, pour début,
Narguer le con, et, célébrant le cul,
Près du coccyx travailler la moutarde.
Si quelquefois votre priape en rut,
Par goût pervers, par essai, par mégarde,
Va se nichant dans le four d’un chrétien,
N’en faites pas une triste habitude,
Bien vite au con rentrez par gratitude.
Quoique paillard, soyez homme de bien.
Souvenez-vous qu’au vieux temps des miracles,
Les cons permis et les culs prohibés
Furent leur règne en différents spectacles :
Pour les cons seuls que les vits exhibés,
De se fourrer dans un réduit fétide
N’eurent jamais le caprice maudit,
Et qu’Augustin, pénitent insipide,
D’avoir au con cent fois posé son vit,
Dans ses remords, point ne se repentit.
Son seul regret fut d’avoir, par méprise,
En malotru, perforé la chemise
Et le secret d’un jeune sacristain.
Or, sans ce cas, jamais la mère Église,
Sur le retour, ne l’eût déclaré saint.
Ce fut ainsi, qu’autrefois Madeleine

En bien aimant, mit fin à ses douleurs.
La pauvre garce était vraiment en peine,
Cheveux épars, ne versait que des pleurs,
Dans tout son corps souffrait de la vérole :
Un regard doux, un mot vous la console,
Lui fait soudain oublier ses malheurs,
Vous la guérit, lui sert de casserole.
Son cœur épris sent d’étranges ardeurs,
Pour l’homme-Dieu[2] la drôlesse soupire,
Et désormais l’impudente n’aspire
Qu’au vit divin qui cause ses chaleurs.
Vous m’entendez, aimables foutromanes ?
L’exemple est sûr ; on n’en peut de meilleurs ?
C’est par l’amour que l’on cueille les fleurs,
Point de ces fleurs albâtres et profanes
Qui font pâtir, réduisent aux tisanes,
Et dans les sens insèrent les langueurs :
Mais les plaisirs des cieux et de la terre.
Car les regrets ne sont que vrais bourreaux ;
Aux sots vivants ils creusent des tombeaux,
Du vain scrupule étendent l’hémisphère,
Livrent au cœur une éternelle guerre,
Doublant toujours la masse de nos maux.

Cent fois heureux ces mortels sans richesse,
Qui, dégagés de toute ambition,
Courent goûter sans feinte la tendresse,
Dont le désir ne se bute qu’au con !
C’est le vrai bien, c’est l’unique sagesse,
De savoir fuir d’insipides trésors,
Inanimés, suivis de la tristesse,
De se livrer à d’aimables transports,
De savourer les contours d’un beau corps,
En essayer les diverses postures,
Et, de Plutus méprisant les injures,
Se rendre heureux par ses propres efforts !
Tu nous appris, par d’exquises peintures,
Par tes tableaux, immortel Arétin,
Le vit au con, à braver le destin,
A célébrer, sous toutes les figures,
D’un joli con les célestes attraits ;
Tu nous peignis sous d’ingénieux traits
L’aspect divers de toutes les luxures !
Reconnaissant d’aussi tendres bienfaits,
Le genre humain te doit l’apothéose.
Près de Vénus que ta cendre repose !
A la servir tu consacras tes jours ;
Que tous les cons et les vits, de guirlandes
Sur tes autels déposant les offrandes,
A qui mieux mieux exécutant tes tours,
Dansent entre eux de chaudes sarabandes,
Et par ton ordre enchaînent les amours !

  1. L’archevêque de Lyon.
  2. Mon confrère Voltaire et mon maître, comme celui de bien d’autres, a fort élégamment dit dans sa Pucelle, en parlant des amours du Saint-Esprit avec la Vierge :

    Joseph Panther et la brune Marie,
    En badinant, firent cette œuvre pie :
    A son mari la belle dit adieu,
    Puis accoucha d’un bâtard qui fut Dieu.