Traité sur les apparitions des esprits/II/16

CHAPITRE XVI.

Veſtiges prétendus du Vampiriſme dans
l’Antiquité.

QUelques Savans ont crû trouver des veſtiges du Vampiriſme dans la plus haute Antiquité ; mais tout ce qu’ils en ont dit n’approche point de ce qu’on raconte des Vampires. Les Lamies, les Striges, les Sorciers qu’on accuſoit de ſucer le ſang des vivans & de les faire mourir, les Magiciennes qu’on diſoit faire périr les enfans nouveaux nés par des charmes & des maléfices, ne ſont rien moins que ce que nous entendons ſous le nom de Vampires ; quand on avoueroit que ces ſortes de Lamies & de Striges ont réellement exiſté, ce que nous ne croyons pas que l’on puiſſe jamais bien prouver.

J’avoue que ces termes ſe trouvent dans les verſions de la Sainte Ecriture. Par exemple, Iſaïe décrivant l’état où devoit être réduite Babylone après ſa ruine, dit qu’elle deviendra la demeure des Satyres, des Lamies, des Striges (en Hebreu Lilith) ; ce dernier terme, ſelon les Hebreux, ſignifie la même choſe que les Grecs & les Latins expriment par Strix & Lamia, qui ſont des Sorcieres ou Magiciennes, qui cherchent à faire périr les enfans nouveaux nés. D’où vient que les Juifs pour les écarter, ont coûtume d’écrire aux quatre coins de la chambre d’une femme nouvellement accouchée, Adam, Eve, hors d’ici Lilith.

Les anciens Grecs connoiſſoient ces dangereuſes Sorcieres ſous le nom de Lamiæ, & ils croyoient qu’elles dévoroient les enfans, ou leur ſuçoient tout le ſang juſqu’à les faire mourir. Horace[1] : Neu pranſe Lamiæ vivum puerum extrahat alvo.

Les Septante dans Iſaïe traduiſent l’Hébreu Lilith par Lamia. Euripide & le Scholiaſte d’Ariſtophane en font auſſi mention, comme d’un monſtre funeſte & ennemi des mortels. Ovide parlant des Striges, les décrit comme des oiſeaux dangereux, qui volent la nuit & cherchent les enfans, pour les dévorer & ſe nourrir de leur ſang.

Carpere dicuntur lactentia viſcera roſtris,
Et plenum poto ſanguine guttur habent.
Eſt illis Strigibus nomen
.

Ces préjugés avoient jetté de ſi profondes racines dans l’eſprit des peuples barbares, qu’ils mettoient à mort les perſonnes ſoupçonnées d’être Striges, ou Sorcieres, & de manger les hommes vivans. Charle-magne dans ſes Capitulaires, qu’il a compoſés pour les Saxons ſes nouveaux ſujets[2], condamne à mort ceux qui croiront, qu’un homme ou une femme ſont Sorciers (Striges eſſe) & mangent les hommes vivans ; il condamne de même ceux qui les feront brûler, ou donneront leur chair à manger, ou la mangeront eux-mêmes.

Où l’on peut remarquer, premierement, qu’on croyoit qu’il y avoit des gens qui mangeoient les hommes vivans, qu’on les faiſoit mourir & brûler, qu’on mangeoit quelquefois leurs chairs, comme nous avons vû qu’en Ruſſie on mange du pain pêtri avec le ſang des Vampires, & que d’autres fois on expoſoit leurs cadavres aux bêtes carnacieres, comme on fait encore dans les lieux où ſe trouvent de ces Revenans, après les avoir empalés, ou leur avoir coupé la tête.

Les Loix des Lombards défendent de même de faire mourir la ſervante d’une autre comme Sorciere, Strix ou maſca. Ce dernier mot maſca, d’où vient maſque, a la même ſignification que le Latin Larva, un Eſprit, un Fantôme, un Spectre.

On peut ranger au nombre des Revenans celui dont il eſt parlé dans la Chronique de Sigebert ſous l’an 858.

Théodore de Gaze[3] avoit dans la Campanie une petite ferme qu’il faiſoit cultiver par un laboureur : comme il travailloit à labourer la terre, il découvrit un vaſe rond, où étoient enfermées les cendres d’un mort ; auſſi-tôt il lui apparut un ſpectre, qui lui commanda de remettre en terre le même vaſe avec ce qu’il contenoit, ſinon qu’il feroit mourir ſon fils aîné. Le laboureur ne tint compte de ces menaces, & peu de jours après ſon fils aîné ſut trouvé mort dans ſon lit. Peu de tems après le même ſpectre lui apparut, lui réitérant le même commandement, & le menaça de faire mourir ſon ſecond fils. Le laboureur avertit de tout ceci ſon maître Théodore de Gaze, qui vint lui-même en ſa Métairie, & fit remettre le tout en ſa place. Ce ſpectre étoit apparemment un Démon, ou l’ame d’un Payen enterré en cet endroit.

Michel Glycas[4] raconte que l’Empereur Baſile ayant perdu ſon fils bien-aimé, obtint par le moyen d’un Moine noir de Santabaren de voir ſondit fils, qui étoit mort peu auparavant ; il le vit, & le tint embraſſé aſſez long-tems, juſqu’à ce qu’il diſparut entre ſes bras. Ce n’étoit donc qu’un fantôme, qui parut ſous la forme de ſon fils.

Dans le Diocèſe de Mayence on vit cette année un Eſprit, qui ſe manifeſta d’abord en jettant des pierres, frappant les murailles des maiſons, comme à grands coups de maillets, puis parlant & découvrant des choſes inconnuës, les Auteurs de certains larcins, & d’autres choſes propres à répandre l’eſprit de diſcorde parmi les voiſins. A la fin il porta ſa fureur contre un particulier, qu’il affecta de perſécuter & de rendre odieux à tout le voiſinage, publiant que c’étoit lui qui excitoit la colere de Dieu contre tout le village. Il le pourſuivoit en tout lieu, ſans lui donner le moindre relâche ; il brûla ſes moiſſons ramaſſées dans ſa maiſon, & mit le feu dans tous les lieux où il entroit.

Les Prêtres l’exorciſerent, firent des prieres, jetterent de l’eau bénite ; l’Eſprit leur jetta des pierres, & bleſſa pluſieurs perſonnes. Après que les Prêtres ſe furent retirés, on l’entendit comme ſe lamentant, & diſant qu’il s’étoit caché ſous la chappe d’un Prêtre qu’il nomma, & qu’il accuſa d’avoir corrompu la fille d’un homme d’affaires du lieu : il continua ſes infeſtations pendant trois ans, & ne ceſſa point qu’il n’eût brûlé toutes les maiſons du village.

Voici un exemple qui peut ſe rapporter à ce qu’on raconte des Revenans de Hongrie, qui viennent annoncer la mort à leurs proches. Evode Evêque d’Upzale en Afrique écrit à S. Auguſtin en 415.[5] qu’un jeune homme qu’il avoit auprès de lui, qui lui ſervoit d’Ecrivain, & étoit d’une innocence & d’une pureté extraordinaire, étant venu à mourir à l’âge de vingt-deux ans, une vertueuſe Veuve vit en ſonge un certain Diacre, qui avec d’autres Serviteurs & Servantes de Dieu ornoit un Palais qui paroiſſoit brillant, comme s’il eût été tout d’argent. Elle demanda pour qui on le préparoit : on lui dit, que c’étoit pour ce jeune homme qui étoit mort la veille. Elle vit enſuite dans le même Palais un Vieillard vêtu de blanc, qui ordonna à deux perſonnes de tirer ce jeune homme du tombeau, & de le conduire au Ciel.

Dans la même maiſon, où ce jeune homme étoit mort, un Vieillard à demi-endormi vit un homme avec une branche de laurier à la main, ſur laquelle il y avoit quelque choſe d’écrit.

Trois jours après la mort du jeune homme, ſon pere qui étoit Prêtre, & ſe nommoit Armene, s’étant rétiré dans un Monaſtére, pour ſe conſoler avec le Saint vieillard Theaſe Evêque de Manbloſe, le fils trépaſſé apparut à un Moine de ce Monaſtére, & lui dit que Dieu l’avoit reçû au nombre des bien-heureux, & qu’il l’avoit envoyé pour querir ſon Pere. En effet quatre jours après ſon pere ſentit un peu de fiévre, mais ſi légere que le Medecin aſſûroit qu’il n’y avoit rien à craindre. Il ne laiſſa pas de ſe mettre au lit ; & en même tems, comme il parloit encore, il expira.

Ce n’eſt pas de la frayeur dont il fut ſaiſi : car il ne paroît pas qu’il ait rien ſû de ce que le Moine avoit vû en ſonge.

Le même Evêque Evode raconte, qu’on a vû pluſieurs perſonnes après leur mort aller & venir dans leurs maiſons, comme auparavant, ou la nuit, ou même en plein jour. On dit auſſi, ajoûte-t-il que dans les lieux où il y a des corps enterrés, & ſur-tout dans les Egliſes, on entend ſouvent du bruit à une certaine heure de la nuit, comme de perſonnes qui prient à haute voix. Je me ſouviens, dit toûjours Evode, de l’avoir entendu dire à pluſieurs, & entr’autres à un S. Prêtre, qui eſt témoin de ces Apparitions, pour avoir vû ſortir du baptiſtere un grand nombre de ces Ames avec des corps éclatans de lumiere, & les avoir enſuite entendu prier au milieu de l’Egliſe. Le même Evode dit de plus, que Profuture, Privat & Servile, qui avoient vêcu avec beaucoup de pieté dans le Monaſtére, lui avoient parlé à lui même depuis leur mort, & que ce qu’ils lui avoient dit étoit arrivé.

Saint Auguſtin après avoir rapporté ce que diſoit Evode, reconnoît qu’il y a beaucoup de diſtinction à faire entre les viſions vraies & les fauſſes, & témoigne qu’il voudroit bien avoir un moyen ſûr pour en faire le juſte diſcernement.

Mais qui nous donnera les lumieres néceſſaires pour faire ce diſcernement ſi difficile, & néanmoins ſi néceſſaire, puiſque nous n’avons pas même de caracteres certains & démonſtratiſs, pour diſcerner infailliblement les vrais miracles d’avec les faux, ni pour faire la diſtinction des œuvres du Tout-Puiſſant des illuſions de l’Ange de ténébres ?


  1. Horat. Art. Poët. v. 340.
  2. Capitul. Caroli magni pro partibus Saxonie, I. 6. Siquis à Diabolo deceptus crediderit ſecundùm morem Pagarorum, virum aliquem aut fœminam Strigem eſſe, & homines comedere, & propter hoc ipſum incenderit, vel carnem ejus ad comedendum dederit, vel ipſam comederit, capitis ſententiá puniatur.
  3. Le Loyer, des Spectres, l. 2. p. 427.
  4. Mich. Glycas, part. 4. annal.
  5. Aug. Epiſt. 658. & Epiſt. 258. pag. 361.