Traité sur les apparitions des esprits/II/15

CHAPITRE XV.

Autre lettre ſur les Revenans.

POur ne rien omettre de tout ce qui peut éclaircir cette matiere, je mettrai encore ici la lettre d’un fort honnête homme & fort inſtruit de ce qui regarde les Revenans, écrite à ſon parent.

Vous ſouhaitez, mon cher couſin, être informé au juſte de ce qui ſe paſſe en Hongrie au ſujet de certains Revenans, qui donnent la mort à bien des gens en ce pays-là. Je puis vous en parler ſavamment : car j’ai été pluſieurs années dans ces quartiers-là, & je ſuis naturellement curieux. J’ai oui en ma vie raconter une infinité d’Hiſtoires, ou prétenduës telles, ſur les Eſprits & Sortileges ; mais de mille à peine ai-je ajoûté foi à une ſeule : on ne peut être trop circonſpect ſur cet article ſans courir riſque d’en être la dupe. Cependant il y a certains faits ſi avérés, qu’on ne peut ſe diſpenſer de les croire. Quant aux Revenans de Hongrie, voici comme la choſe s’y paſſe. Une perſonne ſe trouve attaquée de langueur, perd l’appétit, maigrit à vûe d’œil, & au bout de huit ou dix jours, quelquefois quinze, meurt ſans fiévre ni aucun autre ſymptôme, que la maigreur & le deſſéchement.

On dit en ce pays-là que c’eſt un Revenant qui s’attache à elle & lui ſuce le ſang. De ceux qui ſont attaqués de cette maladie, la plûpart croyent voir un Spectre blanc, qui les ſuit par tout comme l’ombre fait le corps. Lorſque nous étions en quartier chez les Valaques dans le Bannat de Temeſwar, deux Cavaliers de la Compagnie dont j’étois Cornette, moururent de cette maladie, & pluſieurs autres qui en étoient encore attaqués, en ſeroient morts de même, ſi un Caporal de notre Compagnie n’avoit fait ceſſer la maladie, en exécutant le remede que les gens du pays emploient pour cela. Il eſt des plus particuliers, & quoiqu’infaillible, je ne l’ai jamais lû dans aucun rituel. Le voici.

On choſit un jeune garçon qui eſt d’âge à n’avoir jamais fait œuvre de ſon corps, c’eſt-à-dire, qu’on croit vierge. On le fait monter à poil ſur un cheval entier qui n’a jamais ſailli, & abſolument noir ; on le fait promener dans le cimetiere, & paſſer ſur toutes les foſſes : celle où l’animal refuſe de paſſer malgré force coups de corvache qu’on lui délivre, eſt réputée remplie d’un Vampire ; on ouvre cette foſſe, & l’on y trouve un cadavre auſſi gras & auſſi beau, que ſi c’étoit un homme heureuſement & tranquillement endormi : on coupe le col à ce cadavre d’un coup de bêche, dont il ſort un ſang des plus beaux & de plus vermeils, & en quantité. On jureroit que c’eſt un homme des plus ſains, & des plus vivans qu’on égorge. Cela fait, on comble la foſſe, & on peut compter que la maladie ceſſe, & que tous ceux qui en étoient attaqués, recouvrent leurs forces petit à petit, comme gens qui échapent d’une longue maladie, & qui ont été exténués de longue-main. C’eſt ce qui arriva à nos Cavaliers qui en étoient attaqués. J’étois pour lors Commandant de la Compagnie, mon Capitaine & mon Lieutenant étant abſens ; je fus très-piqué que ce Caporal eût ſait faire cette expérience ſans moi. J’eus toutes les peines du monde de me vaincre, & de ne le pas régaler d’une volée de coups de bâton, marchandiſe qui ſe donne à bon prix dans les troupes de l’Empereur. J’aurois voulu pour toutes choſes au monde être préſent à cette opération ; mais enfin il fallut en paſſer par-là.

Un parent de ce même Officier m’a fait écrire le 17 Octobre 1746. que ſon frere qui a ſervi pendant 20 ans en Hongrie, & qui a très-curieuſement examiné tout ce qu’on y dit des Revenans, reconnoît que les peuples de ce pays ſont plus crédules & plus ſuperſtitieux que les autres peuples, & qu’ils attribuent les maladies qui leur arrivent à des Sortileges. Que d’abord qu’ils ſoupçonnent une perſonne morte de leur avoir envoyé cette incommodité, ils la déferent au Magiſtrat, qui ſur la dépoſition de quelques témoins fait exhumer le mort ; on lui coupe la tête avec une bêche, & s’il en ſort quelque goute de ſang, ils en concluent que c’eſt le ſang qu’il a ſucé à la perſonne malade. Mais celui qui m’écrit paroît fort éloigné de croire ce que l’on en penſe dans ce pays là.

A Warſovie un Prêtre ayant commandé à un Sellier de lui faire une bride pour ſon cheval, mourut auparavant que la bride fût faite ; & comme il étoit de ceux que l’on nomme Vampires en Pologne, il ſortit de ſon tombeau habillé comme on a coutume d’inhumer les Eccléſiaſtiques, prit ſon cheval à l’écurie, monta deſſus, & fut à la vûe de tout Warſovie à la boutique du Sellier, où d’abord il ne trouva que la femme qui fut effrayée, & appella ſon mari qui vint ; & ce Prêtre lui ayant demandé ſa bride, il lui répondit : Mais vous êtes mort, Mr. le Curé ; à quoi il répondit : je te vas faire voir que non, & en même tems le frappa de telle ſorte, que le pauvre Sellier mourut quelques jours après, & le Prêtre retourna à ſon tombeau.

L’intendant du Comte Simon Labienski, Staroſte de Poſnanie, étant mort, la Comteſſe Douairiere de Labienski voulut par reconnoiſſance de ſes ſervices qu’il fût inhumé dans le caveau des Seigneurs de cette famille ; ce qui fut exécuté. Quelque tems après le Sacriſtain qui avoit ſoin du caveau, s’apperçût qu’il y avoit du dérangement, & en avertit la Comteſſe, qui ordonna ſuivant l’uſage reçû en Pologne, qu’on lui coupât la tête ; ce qui fut fait en préſence de pluſieurs perſonnes, & entr’autres du ſieur Jouvinski, Officier Polonois & Gouverneur du jeune Comte Simon Labienski, qui vit que lorſque le Sacriſtain tira ce cadavre de ſa tombe pour lui couper la tête, il grinça les dents, & le ſang en ſortit auſſi fluide que d’une perſonne qui mourroit d’une mort violente, ce qui fit dreſſer les cheveux à tous les aſſiſtans, & l’on trempa un mouchoir blanc dans le ſang de ce cadavre, dont on fit boire à tous ceux de la maiſon pour n’être point tourmentés.