Traité sur les apparitions des esprits/I/32

CHAPITRE XXXII.

Autres Exemples de tréſors cachés, &
gardés par de bons ou de mauvais
Eſprits.

ON lit dans un livre nouveau, qu’un nommé Honoré Mirabel ayant trouvé dans un jardin près Marſeille un tréſor de pluſieurs pieces d’or Portugaiſes, à l’indication que lui en avoit faite un Spectre qui lui apparut à onze heures du ſoir près la Baſtide, ou maiſon de campagne nommée du Paret, il en fit la découverte en préſence de la fermiere de cette Baſtide & du valet nommé Bernard. Auſſi-tôt qu’il eut apperçu le tréſor enterré & enveloppé d’un paquet de mauvais linge, il n’oſa d’abord le toucher, de peur qu’il ne fût empoiſonné, & ne lui cauſât la mort. Il l’enleva au bout d’un crochet fait d’une branche d’amandier, & le porta dans ſa chambre, où il le développa ſans témoins, & y trouva beaucoup d’or ; & pour ſatisfaire au déſir de l’Eſprit qui lui étoit apparu, il fit dire pour lui quelques Meſſes. Il découvrit ſa bonne fortune à un homme de ſon pays nommé Auquier, qui lui prêta quarante livres, & lui paſſa un billet par lequel il reconnoiſſoit lui devoir vingt mille livres, & lui quittoit les quarante livres prêtées ; le billet étoit du 27 Septembre 1726.

Quelque tems après Mirabel demanda à Auquier le payement du billet. Auquier dénia tout. Grand procès, informations, perquiſitions dans la maiſon d’Auquier ; Sentence du 10 Septembre 1727. portant qu’Auquier paſſeroit le guichet, & ſeroit appliqué à la queſtion ; appel au Parlement d’Aix. Le billet d’Auquier fut déclaré contrefait. Bernard qu’on diſoit avoir aſſiſté à la découverte du tréſor, ne fut point cité ; les autres témoins ne dépoſerent que ſur des ouis-dire : la ſeule Magdelaine Caillot qui étoit préſente, reconnut avoir vû le paquet enveloppé de linges, & avoir oui tinter comme des eſpeces d’or ou d’argent, & d’en avoir vû une piece de la largeur d’une piece de deux liards.

Le Parlement d’Aix rendit ſon Arrêt le 17 Février 1728. par lequel il ordonna, que Bernard valet de la Baſtide du Paret ſeroit oui ; il fut entendu en différens jours, & dépoſa qu’il n’avoit vû ni tréſor, ni linges, ni pieces d’or. Autre Arrêt du 2 Juin 1728. qui ordonne que le Procureur Général ſe pourvoira par Cenſures Eccléſiaſtiques ſur les faits réſultans de la Procédure.

Le Monitoire fut publié ; cinquante-trois témoins furent ouis. Autre Arrêt du 18 Février 1729. par lequel Auquier fut mis hors de cours & de procès ; Mirabel condamné aux Galeres perpétuelles, après avoir été préalablement appliqué à la queſtion : Caillot condamné à dix livres d’amende. Telle fut la fin de ce grand procès. Si l’on ſuivoit de près ces Apparitions de Spectres qui gardent des tréſors, on trouveroit ſans doute comme ici beaucoup de ſuperſtition, de mauvaiſe foi, & de jeux d’imagination.

Delrio raconte quelques exemples de gens qui ont été mis à mort, ou qui ſont péris miſérablement en voulant chercher des tréſors cachés. Dans tout ceci l’on reconnoît toujours l’Eſprit de menſonge & de ſéduction de la part du Démon, ſon pouvoir borné & ſa malice arrêtée par la volonté de Dieu, l’impiété de l’homme, ſon avarice, ſa vaine curioſité, la confiance qu’il met en l’Ange de ténebres punie par la perte de ſes biens, de ſa vie & de ſon ame.

Jean Vierus dans ſon Ouvrage intitulé Des preſtiges du Démon, imprimé à Bâle en 1577. raconte que de ſon tems (en 1430.) le Démon découvrit à un certain Prêtre à Nuremberg des tréſors cachés dans une caverne près la ville, & renfermés dans un vaſe de criſtal. Le Prêtre prit avec lui un de ſes amis pour lui ſervir de compagnon ; ils ſe mirent à fouiller dans le lieu déſigné, & ils découvrirent dans un ſouterrain une eſpece de coffre, auprès duquel étoit couché un chien noir : le Prêtre s’avance avec empreſſement pour ſe ſaiſir du tréſor ; mais à peine fut-il entré dans la caverne, qu’elle s’enfonça, écraſa le Prêtre, & ſe trouva remplie de terre comme auparavant.

Voici l’Extrait d’une lettre écrite de Kirchheim du premier Janvier 1747. à M. Schopfflein Profeſſeur en Hiſtoire & en Eloquence à Straſbourg. Il y a plus d’un an, que M. Cavallari premier Muſicien de mon Séréniſſime Maître, & Vénitien de Nation, avoit envie de faire creuſer à Rothenkirchen à une lieüe d’ici, qui étoit autrefois un Abbaye renommée, & qui fut ruinée du tems de la Réformation. L’occaſion lui en fut fournie par une Apparition, que la femme du Cenſier de Rothenkirchen avoit eue plus d’une fois en plein midi, & ſurtout le 7 Mai pendant deux ans conſécutifs. Elle jure & en peut faire ſerment, qu’elle a vû un Prêtre vénérable en habits Pontificaux brodés en or, qui jetta devant lui un grand tas de pierres ; & quoiqu’elle ſoit Luthérienne, par conſéquent peu crédule ſur ces ſortes de choſes-là, elle croît pourtant que ſi elle avoit eu la préſence d’eſprit d’y mettre un mouchoir ou un tablier, toutes les pierres ſeroient devenues de l’argent.

M. Cavallari demanda donc permiſſion d’y creuſer ; ce qui lui fut d’autant plus facilement accordé, que le dixiéme du tréſor eſt dû au Souverain. On le traita de viſionnaire, & on regarda l’affaire des tréſors comme une choſe inouie. Cependant il ſe mocqua du qu’en dira t’on, & me demanda ſi je voulois être de moitié avec lui : je n’ai pas héſité un moment d’accepter cette propoſition ; mais j’ai été bien ſurpris d’y trouver de petits pots de terre remplis de piéces d’or. Toutes ces piéces plus fines que les ducats ſont pour la plûpart du 14. & quinziéme ſiécle. Il m’en a échû pour ma part 666. trouvées à trois différentes repriſes. Il y en a des Archevêques de Mayence, de Treves & de Cologne, des Villes d’Oppenheim, de Baccarat, de Bingen, de Coblens : il y en a auſſi de Rupert Palatin, de Frederic Burgrave de Nuremberg, quelques-unes de Wenceslas, & une de l’Empereur Charles IV. &c.

Ceci montre, que non-ſeulement les Démons, mais auſſi les Saints ſont quelquefois gardiens des tréſors ; à moins qu’on ne veuille dire, que le Démon s’étoit mis ſous la figure de ce Prélat. Mais quel intérêt auroit eu le Démon de donner ce tréſor à ces Meſſieurs, qui ne le lui demandoient pas, & ne ſe mettoient guere en peine de lui ? J’ai vû deux de ces pieces entre les mains de M. Schopfflein.

L’Hiſtoire qu’on vient de rapporter, eſt rappellée avec quelques circonſtances différentes dans un imprimé, qui annonce une Lotterie de pieces trouvées à Rothenkirchen au Pays de Naſſau, peu loin de Donnerſberg. On y dit que la valeur de ces pieces eſt de 12 liv. 10 ſols argent de France. La Lotterie devoit ſe tirer publiquement le premier Février 1750. chaque billet étoit de ſix liv. argent de France. Je ne rapporte ce détail que pour prouver la vérité du fait.

On peut ajouter à ce que nous venons de voir, ce qui eſt rapporté par Bartolin dans ſon livre de la cauſe du mépris de la mort que faiſoient les anciens Danois, lib. 2. c. 2. Il raconte que les richeſſes cachées dans les tombeaux des grands hommes de ce pays-là étoient gardées par les Manes de ceux à qui elles appartenoient, & que ces Manes ou ces Démons répandoient la frayeur dans l’ame de ceux qui vouloient enlever ces tréſors, par un déluge d’eau qu’ils répandoient, ou par des flammes qu’ils faiſoient paroître autour des monumens qui renfermoient

ces corps & ces tréſors.