Traité sur les apparitions des esprits/I/31

CHAPITRE XXXI.

Eſprits qui gardent les tréſors.

TOut le monde reconnoît qu’il y a une infinité de richeſſes enfouies ſous la terre, ou perdues ſous les eaux par des naufrages ; on s’imagine que le Démon qu’on regarde comme le Dieu des richeſſes, le Dieu Mammon, le Pluton des Payens, eſt le dépoſitaire ou du moins le Gardien de ces tréſors. Il diſoit à Jeſus-Chriſt[1] lorſqu’il le tenta dans le déſert, en lui montrant les royaumes du monde & toute leur gloire : je vous donnerai tout cela, ſi vous voulez m’adorer. Nous ſçavons auſſi que les Anciens enterroient aſſez ſouvent de grands tréſors dans les tombeaux des morts, ſoit afin que ces morts puſſent s’en ſervir dans l’autre vie, ou que leurs ames les gardaſſent dans ces lieux ténébreux. Job ſemble faire alluſion à cet ancien uſage, lorſqu’il dit[2] : plût à Dieu que je ne fuſſe pas né : je dormirois maintenant avec les Rois & les Grands de la terre, qui ſe ſont bâti des ſolitudes ; comme ceux qui cherchent un tréſor, & qui ſont ravis lorſqu’ils ont trouvé un tombeau ; ſans doute parce qu’ils eſperent d’y trouver de grandes richeſſes.

Il y avoit dans le tombeau de Cyrus des choſes fort précieuſes. Sémiramis avoit fait graver ſur ſon Mauſolée qu’il contenoit de grandes richeſſes. Joſeph[3] raconte que Salomon mit dans le tombeau de David ſon pere de grands tréſors ; que le Grand-Prêtre Hircan étant aſſiégé dans Jéruſalem par le Roi Antiochus, en tira trois mille talens. Il dit de plus, que pluſieurs années après Hérode le Grand ayant fait fouiller dans ce tombeau, en tira encore de groſſes ſommes. On voit pluſieurs loix contre ceux qui violoient les ſépulcres pour en tirer ce qui y étoit de précieux. L’Empereur Marcien[4] défendit d’enfouir des richeſſes dans les tombeaux.

Si l’on en a mis dans les Mauſolées des gens de bien & des ſaints perſonnages, & ſi l’on en a trouvé ſur l’indication des bons Eſprits de gens décédés dans la foi & dans la grace de Dieu, on ne peut pas en conclure que tous les tréſors cachés ſoient au pouvoir du Démon, & que lui ſeul en ait connoiſſance ; les bons Anges les connoiſſent, & les Saints en peuvent être gardiens beaucoup plus fideles que les Démons, qui d’ordinaire n’ont pas le pouvoir d’enrichir, ni de délivrer des horreurs de la pauvreté, des ſupplices & de la mort même, ceux qui ſe ſont livrés à eux pour en recevoir quelque récompenſe.

Mélanchton raconte[5] que le Démon enſeigna à un Prêtre le lieu d’un tréſor caché. Le Prêtre accompagné d’un de ſes amis alla à l’endroit marqué ; ils y virent un chien noir couché ſur un coffre. Le Prêtre étant entré pour tirer le tréſor, fut écraſé & étouffé par les ruines de la caverne.

M. Remy[6] dans ſa Démonolatrie parle de pluſieurs perſonnes qu’il a ouies en jugement en ſa qualité de Lieutenant-Général de Lorraine, dans le tems où ce pays fourmilloit de Sorciers & de Sorcieres : ceux d’entr’eux qui croyoient avoir reçû de l’argent du Démon, ne trouvoient dans leurs bourſes que des morceaux de pots caſſés & des charbons, ou des feuilles d’arbres, ou d’autres choſes auſſi viles & auſſi mépriſables.

Le R. P. Abram Jéſuite, dans ſon Hiſtoire manuſcrite de l’Univerſité de Pont-à-Mouſſon, rapporte qu’un jeune garçon de bonne famille, mais peu accommodé, ſe mit d’abord à ſervir dans l’armée parmi les Goujats & les Valets : de-là ſes parens le mirent aux Ecoles ; mais ne s’accommodant pas de l’aſſujettiſſement que demandent les études, il les quitta, réſolu de retourner à ſon premier genre de vie. En chemin il eut à ſa rencontre un homme vêtu d’un habit de ſoie, mais de mauvaiſe mine, noir & hideux, qui lui demanda où il alloit, & pourquoi il avoit l’air ſi triſte : je ſuis, lui dit cet homme, en état de vous mettre à votre aiſe, ſi vous voulez vous donner à moi.

Le jeune homme croyant qu’il vouloit l’engager à ſon ſervice, lui demanda du tems pour y penſer ; mais commençant à ſe défier des magnifiques promeſſes qu’il lui faiſoit, il le conſidéra de plus près, & ayant remarqué qu’il avoit le pied gauche fendu comme celui d’un bœuf, il fut ſaiſi de frayeur, fit le ſigne de la croix, & invoqua le nom de Jeſus : auſſi-tôt le Spectre diſparut.

Trois jours après la même figure lui apparut de nouveau, & lui demanda s’il avoit pris ſa réſolution ; le jeune homme répondit, qu’il n’avoit pas beſoin de Maître. Le Spectre lui dit : où allez-vous ? je vais, lui répondit-il, à une telle Ville qu’il lui nomma. En même tems le Démon jetta à ſes pieds une bourſe qui ſonnoit, & qui ſe trouva pleine de trente ou quarante écus de Flandres, entre leſquels il y en avoit environ douze qui paroiſſoient d’or, nouvellement frappés, & comme ſortant de deſſous le coin du monnoyeur. Dans la même bourſe il y avoit une poudre, que le Spectre diſoit être une poudre très-ſubtile.

En même tems il lui donnoit des conſeils abominables pour contenter les plus honteuſes paſſions, & l’exhortoit à renoncer à l’uſage de l’eau bénite & à l’adoration de l’Hoſtie, qu’il nommoit par dériſion ce petit gâteau. L’enfant eut horreur de ſes propoſitions, fit le ſigne de la croix ſur ſon cœur ; & en même tems il ſe ſentit ſi rudement jetté contre terre, qu’il y demeura demi-mort pendant une demi-heure. S’étant relevé, il s’en retourna chez ſa mere, fit pénitence, & changea de conduite. Les piéces qui paroiſſoient d’or & nouvellement frappées, ayant été miſes au feu, ne ſe trouverent que de cuivre.

Je rapporte cet exemple, pour montrer que le Démon ne cherche qu’à tromper & à corrompre ceux mêmes à qui il fait les plus ſpécieuſes promeſſes, & auſquels il ſemble donner des richeſſes.

Il y a quelques années que deux Religieux fort éclairés & fort ſages me conſulterent ſur une choſe arrivée à Orbé, Village d’Alſace près l’Abbaye de Pairis. Deux hommes de ce lieu leur dirent qu’ils avoient vû dans leur jardin ſortir de terre une caſſette, qu’ils préſumoient être remplie d’argent, & que l’ayant voulu ſaiſir, elle s’étoit retirée & cachée de nouveau ſous la terre. Ce qui leur étoit arrivé plus d’une fois.

Théophane, Hiſtoriographe Grec célébre & ſérieux, ſous l’an de Jeſus-Chriſt 408. raconte que Cabades, Roi de Perſe, étant informé qu’entre le pays de l’Inde & de la Perſe il y avoit un Château nommé Zubdadeyer, qui renfermoit une grande quantité d’or, d’argent & de pierreries, réſolut de s’en rendre maître ; mais ces tréſors étoient gardés par des Démons, qui ne ſouffroient point qu’on en approchât. Il employa pour les conjurer & les chaſſer les Exorciſmes des Mages & des Juifs qui étoient auprès de lui ; mais leurs efforts furent inutiles. Le Roi ſe ſouvint du Dieu des Chrétiens, lui adreſſa ſes prieres, fit venir l’Evêque qui étoit à la tête de l’Egliſe Chrétienne de Perſe, & le pria de s’employer pour lui faire avoir ces tréſors, & pour chaſſer les Démons qui les gardoient. Le Prélat offrit le Saint Sacrifice, y participa, & étant allé ſur le lieu, en écarta les Démons gardiens de ces richeſſes, & mit le Roi en paiſible poſſeſſion du Château.

Racontant cette Hiſtoire à un homme de conſidération[7], il me dit que dans l’Iſle de Malthe deux Chevaliers ayant apoſté un Eſclave, qui ſe vantoit d’avoir le ſecret d’évoquer les Démons, & de les obliger de découvrir les choſes les plus cachées, ils le menerent dans un vieux Château, où l’on croyoit qu’étoient cachés des tréſors. L’Eſclave fit ſes évocations, & enfin le Démon ouvrit un rocher d’où ſortit un coffre. L’Eſclave voulut s’en emparer ; mais le coffre rentra dans le rocher. La choſe recommença plus d’une ſois ; & l’Eſclave après de vains efforts vint dire aux Chevaliers ce qui lui étoit arrivé, mais qu’il étoit tellement affoibli par les efforts qu’il avoit faits, qu’il avoit beſoin d’un peu de liqueur pour ſe fortifier : on lui en donna, & quelque tems après étant retourné, on ouit du bruit ; l’on alla dans la cave avec de la lumiere pour voir ce qui étoit arrivé, & l’on trouva l’Eſclave étendu mort, & ayant ſur toute ſa chair comme des coups de ganifs repréſentant une croix. Il en étoit ſi chargé, qu’il n’y avoit pas de quoi poſer le doigt qui n’en fût marqué. Les Chevaliers le porterent au bord de la mer, & l’y précipiterent avec une groſſe pierre pendue au col. On pourroit nommer les perſonnes & marquer les dates, s’il étoit néceſſaire.

La même perſonne nous raconta encore à cette occaſion, qu’il y a environ quatre-vingt dix ans qu’une vieille femme de Malthe fut avertie par un Génie, qu’il y avoit dans ſa cave un tréſor de grand prix, appartenant à un Chevalier de très-grande conſidération, & lui ordonna de lui en donner avis : elle y alla ; mais elle ne put obtenir audience. La nuit ſuivante le même Génie revint, lui ordonna la même choſe ; & comme elle refuſoit d’obéir, il la maltraita, & la renvoya de nouveau. Le lendemain elle revint trouver le Seigneur, & dit aux Domeſtiques qu’elle ne ſortiroit point qu’elle n’eût parlé au Maître. Elle lui raconta ce qui lui étoit arrivé ; & le Chevalier réſolut d’aller chez elle, accompagné de gens munis de pieux & d’autres inſtrumens propres à creuſer : ils creuſerent, & bientôt il ſortit de l’endroit où ils piochoient une ſi grande quantité d’eau, qu’ils furent obligés d’abandonner leur entrepriſe.

Le Chevalier ſe confeſſa à l’Inquiſiteur de ce qu’il avoit fait, & reçut l’abſolution ; mais il fut obligé d’écrire dans les Regiſtres de l’Inquiſition le fait que nous venons de raconter.

Environ ſoixante ans après, les Chanoines de la Cathédrale de Malthe voulant donner au devant de leur Egliſe une place plus vaſte, acheterent des maiſons qu’il fallut renverſer, & entr’autres celle qui avoit appartenu à cette vieille femme : en y creuſant, on y trouva le tréſor, qui conſiſtoit en pluſieurs pieces d’or de la valeur d’un ducat avec l’effigie de l’Empereur Juſtin I. Le Grand-Maître de Malthe prétendoit que le tréſor lui appartenoit, comme Souverain de l’Iſle ; les Chanoines le lui conteſtoient. L’affaire fut portée à Rome. Le Grand-Maître gagna ſon procès : l’or lui fut apporté de la valeur d’environ ſoixante mille ducats ; mais il les céda à l’Egliſe Cathédrale.

Quelque tems après le Chevalier dont nous avons parlé, qui étoit alors fort âgé, ſe ſouvint de ce qui lui étoit arrivé, & prétendit que ce tréſor lui devoit appartenir : il ſe fit mener ſur les lieux, reconnut la cave où il avoit d’abord été, & montra dans les Regiſtres de l’Inquiſition ce qu’il y avoit écrit ſoixante ans auparavant. Cela ne lui fit pas recouvrer le tréſor ; mais ce fut une preuve que le Démon connoiſſoit & gardoit cet argent. La perſonne de qui je tiens cette Hiſtoire a en main 3 ou 4 de ces pieces d’or, qu’il a achetées de ces Chanoines.


  1. Matth. iv. 8.
  2. Job. iij. 13.14. 22.
  3. Joſeph. Antiq. lib. 13. c. 19. & lib. 16. c. II.
  4. Martian. lib. 4.
  5. Le Loyer, liv. 2. pag. 495.
  6. Remy, Dæmonol. c. 4. Ann. 1605.
  7. M. le Chevalier Guiot de Marre.