Traité sur les apparitions des esprits/I/15

CHAPITRE XV.

Des Oracles des Payens.

SIl étoit bien prouvé que les Oracles de l’Antiquité payenne fuſſent l’ouvrage du mauvais Eſprit, on ne pourroit donner de preuves plus réelles & plus ſenſibles de l’Apparition du Démon parmi les hommes, que ces Oracles ſi vantés, qui ſe rendoient preſque dans tous les pays du monde parmi les peuples qui paſſoient pour les plus ſages & les plus éclairés, comme les Egyptiens, les Chaldéens, les Perſes, les Syriens, les Hébreux même, les Grecs, les Romains. Il n’y a pas juſqu’aux peuples barbares qui n’euſſent leurs Oracles.

La Religion payenne n’avoit rien dont elle ſe fit plus d’honneur, & dont elle ſe vantât avec plus de complaiſance. Dans toutes les grandes entrepriſes on recouroit à l’Oracle ; par-là ſe décidoient les plus importantes affaires de Ville à Ville, de Province à Province. La maniere de rendre les Oracles n’étoit pas la même par-tout. On dit[1] que le Taureau Apis, dont le culte étoit ſi ancien dans l’Egypte, rendoit ſes Oracles en recevant ſa nourriture de la main de celui qui le conſultoit. S’il la reçoit, dit-on, on en tire un bon augure : s’il la refuſe, c’eſt un mauvais préſage. Lorſque cet animal paroît en public, il eſt accompagné par une troupe d’enfans, qui chantent des hymnes en ſon honneur ; enſuite ces enfans ſont remplis d’un enthouſiaſme ſacré, & commencent à prédire l’avenir. Si le Taureau entre tranquillement dans ſa loge, c’eſt un ſigne heureux[2] : s’il en ſort, c’eſt le contraire. Tel étoit l’aveuglement des Egyptiens.

Il y avoit encore d’autres Oracles en Egypte[3] ; comme ceux de Mercure, d’Apollon, d’Hercule, de Diane, de Minerve, de Jupiter Ammon, &c. qui fut conſulté par Alexandre le Grand. Mais Hérodote remarque que de ſon tems ils n’avoient point de Prêtres ni de Prêtreſſes qui rendiſſent des Oracles. C’étoient certains préſages, qu’ils tiroient ou des mouvemens des ſtatues des Dieux, ou de la premiere voix qu’ils entendoient après les avoir conſultés ; Pauſanias[4] dit que celui qui conſulte, dit à l’oreille de Mercure ce qu’il demande, puis il ſe bouche les oreilles, ſort du temple, & les premieres paroles qu’il entend du premier qu’il rencontre, ſont tenues pour la réponſe du Dieu.

Les Grecs reconnoiſſent qu’ils ont reçû des Egyptiens & les noms des Dieux & leurs plus anciens Oracles ; entr’autres celui de Dodone, qui étoit déja en vogue du tems d’Homere[5], & qui venoit de l’Oracle de Jupiter de Thebes : car les Prêtres Egyptiens racontoient que deux Prêtreſſes de ce Dieu avoient été enlevées par des marchands Phéniciens, qui les avoient vendues, l’une en Libye & l’autre en Grece[6] ; & qu’elles avoient établi des Oracles chacune dans le lieu où elles avoient fixé leur demeure. Ceux de Dodone racontoient que deux colombes noires s’étoient envolées de Thebes d’Egypte ; que celle qui s’étoit arrêtée à Dodone, s’étoit perchée ſur un hêtre, & avoit déclaré d’une voix intelligible que les Dieux vouloient qu’on établit en cet endroit un Oracle de Jupiter ; que l’autre s’étant envolée en Libye, y avoit formé l’Oracle de Jupiter Ammon. Voilà certainement des origines bien frivoles & bien fabuleuſes. L’Oracle de Delphes eſt plus récent & plus fameux. Phémonoé en fut la premiere Prêtreſſe, & commença du tems d’Acriſius, 27 ans avant Orphée, Muſée & Linus. On la dit inventrice du vers Héxametre[7].

Mais je crois remarquer des veſtiges d’Oracles en Egypte dès le tems du Patriarche Joſeph, & du tems de Moïſe. Les Hébreux avoient demeuré pendant 215 ans en Egypte, & s’y étant extraordinairement multipliés, avoient commencé à former un peuple ſéparé, & une eſpece de République. Ils avoient pris goût aux cérémonies, aux ſuperſtitions, aux coutumes, à l’idolâtrie des Egyptiens. Joſeph paſſoit pour le plus habile Devin, & pour le plus grand interprete des ſonges qui ſût en Egypte. On croyoit qu’il tiroit des Oracles par l’inſpection de la liqueur qu’il avoit miſe dans ſa coupe. Moïſe pour guérir les Hébreux de leur penchant à l’Idolâtrie & aux ſuperſtitions Egyptiennes, leur preſcrivit des Loix & des Cérémonies propres à ſon deſſein, les unes diamétralement oppoſées à celles des Egyptiens, les autres y ayant quelque rapport de reſſemblance, mais différentes par leur objet & par les circonſtances.

Par exemple, les Egyptiens étoient accoutumés à conſulter les Devins, les Oracles, les Magiciens, les Interpretes des ſondes, les Augures. Moïſe[8] défend tout cela aux Hébreux ſous des peines rigoureuſes ; mais afin qu’ils n’euſſent pas lieu de ſe plaindre que leur religion ne leur fourniſſoit point les mêmes moyens de découvrir l’avenir & les choſes cachées, Dieu par une condeſcendance admirable leur accorda l’Urim & Thummim, ou la doctrine & la vérité, dont le Grand Prêtre étoit revêtu ſur ſon Rational dans les principales Cérémonies de Religion, & par le moyen deſquels il rendoit des Oracles, & découvroit la volonté du Très-Haut. Lorſque l’Arche d’Alliance & le Tabernacle furent conſtruits, le Seigneur conſulté par Moïſe[9] leur rendoit ſes réponſes du milieu des deux Chérubins, qui étoient placés ſur le propitiatoire au-deſſus de l’Arche d’Alliance. Tout cela inſinue que dès le tems du Patriarche Joſeph, il y avoit des Oracles & des Devins dans l’Egypte, & que les Hébreux les conſultoient.

Dieu promit à ſon peuple de ſuſciter du milieu d’eux un Prophete[10] qui leur découvriroit ſes volontés. En effet on vit preſque dans tous les tems parmi eux des Prophetes inſpirés de Dieu ; & les vrais Prophetes leur reprochoient vivement leur impiété, lorſqu’au lieu de venir aux Prophetes du Seigneur, ils alloient conſulter des Oracles étrangers[11], & des Divinités ſans pouvoir & ſans réalité.

Nous avons parlé ci-devant des Théraphims de Laban, des Idoles, ou des prétendus Oracles de Michas & de Gédéon. Le Roi Saül qui apparemment par le conſeil de Samuel avoit exterminé les Devins & les Magiciens du pays d’Iſrael, voulut dans ſa derniere guerre conſulter le Seigneur, qui ne voulut pas lui répondre : il s’adreſſa enſuite à une Magicienne qui lui promit de lui évoquer Samuel. Elle le fit, ou feignit de le faire : car la choſe ſouffre des difficultés, dans leſquelles nous n’entrons pas ici.

Le même Saül ayant conſulté le Seigneur dans une autre occaſion, ſçavoir s’il devoit pourſuivre les Philiſtins qu’il venoit de défaire, Dieu refuſa auſſi de lui répondre[12], parce que Jonathas ſon fils avoit goûté un peu de miel, ne ſçachant pas la défenſe que le Roi avoit faite à ſon armée de goûter quoique ce fût avant la défaite entiere des ennemis.

Le ſilence du Seigneur dans certaines occaſions, & le refus qu’il faiſoit quelquefois de répondre lorſqu’il étoit conſulté, ſont une preuve évidente que pour l’ordinaire il répondoit, & qu’on étoit aſſuré d’être inſtruit de ſa part, à moins qu’on n’y mit obſtacle par quelque action qui lui déplût.

  1. Plin. l. 8. c. 48.
  2. Herodot. l. 9.
  3. Vide Joan. Marſham, Sæc. 4. p. 62. 63.
  4. Pauſan. lib. 7. pag. 441.
  5. Homer. Iliad. 12. v. 235.
  6. Herodot. l. 2. c. 52. 55.
  7. Clemens Alexand. Stromat. lib, I. Pauſanias, Phoca. c. 217.
  8. Exod. xxviij. 30.
  9. Exod. xxv. 22. Num. vij. 13.
  10. Deut. xviij. 13.
  11. IV. Reg. I. 2. 3. 16. &c.
  12. I. Reg. xiv. 37.