Traité sur les apparitions des esprits/I/14

CHAPITRE XIV.

Effets de la Magie, ſelon les Poëtes.

SI l’on vouloit croire ce que diſent les Poëtes des effets de la Magie, & ce que les Magiciens ſe vantent de faire par leurs charmes, rien ne ſeroit plus merveilleux que leur art, & l’on ne pourroit n’y pas reconnoître une très-grande puiſſance du Démon. Pline[1] raconte, qu’Appion évoqua l’Ame d’Homere, pour ſçavoir de lui quelle étoit ſa patrie & ſes parens. Philoſtrate dit[2] qu’Apollonius de Thyane étant venu au tombeau d’Achile, évoqua ſes manes, & les pria de lui faire apparoître la figure de ce Héros ; qu’après le tremblement du tombeau, il vit paroître d’abord un jeune homme de cinq coudées, ou de ſept pieds & demi de haut ; qu’enſuite le fantôme parut grand de douze coudées, & d’une beauté ſinguliere. Apollonius lui fit quelques queſtions aſſez frivoles, & voyant que le jeune homme badinoit d’une maniere indécente, il comprit qu’il étoit poſſédé d’un Démon ; il le guérit, & chaſſa le Démon. Mais tout cela eſt fabuleux.

Lactance[3] réfutant les Philoſophes Démocrite, Epicure, & Dicéarque, qui nioient l’immortalité de l’Ame, dit qu’ils n’oſeroient ſoutenir leur ſentiment devant un Magicien, qui par la force de ſon art & de ſes charmes a le ſecret de faire ſortir les Ames de l’Enfer, de les faire paroître, parler & prédire l’avenir, & donner des marques certaines de leur préſence.

S. Auguſtin[4] toujours circonſpect dans ſes déciſions, n’oſe décider, ſi les Magiciens ont le pouvoir d’évoquer les Ames des Saints par la force de leurs enchantemens. Mais Tertulien[5] plus hardi, ſoutient que nul art magique n’a le pouvoir de faire ſortir les Ames des Saints du lieu de leur repos ; que tout ce que peuvent faire les Nécromanciens, eſt de faire paroître quelques fantômes avec un corps emprunté, qui faſcine les yeux, & ſait prendre aux aſſiſtans pour vrai ce qui n’eſt qu’apparence. Dans le même endroit il cite Héraclius, qui dis que les Naſamones, peuples d’Afrique, paſſent la nuit auprès des tombeaux de leurs proches pour en recevoir des Oracles ; & que les Celtes, ou Gaulois, en uſent de même auprès des Mauſolées des grands hommes, au rapport de Nicandre.

Lucain dit[6], que les charmes des Magiciens font gronder les tonnerres dans les Cieux à l’inſçû de Jupiter ; qu’ils arrachent la Lune de ſa ſphere, & la précipitent ſur la terre ; qu’ils troublent le cours de la nature, allongent les nuits, & accourciſſent les jours ; que l’univers obéit à leur voix, & que le monde demeure dans l’engourdiſſement, lorſqu’ils parlent & qu’ils commandent.

 Ceſſavêre vices rerum, dilataque longâ
Hœſit nocte dies : legi non paruit œther ;
Torpuit & præceps audito carmine mundus ;
Et tonat ignaro cœlum Jove.

On étoit ſi perſuadé que les Magiciens avoient le pouvoir de faire deſcendre la Lune du haut du Ciel, & on croyoit tellement qu’elle étoit évoquée par l’art magique, lorſqu’elle tombe en éclipſe, que l’on faiſoit alors grand bruit, en frappant ſur des vaſes de cuivre, pour empêcher que la voix des Enchanteurs ne paſſât juſqu’à elle[7].

 Cantat, & è curru tentat deducere Lunam,
Et faceret, ſi non œra repulſa ſonent.

Ces opinions populaires & les fictions poëtiques ne méritent aucune créance ; mais elles montrent qu’elle eſt la force du préjugé. On aſſure[8], qu’encore aujourd’hui les Perſes croyent donner du ſecours à la Lune dans ſon éclipſe, en frappant fortement ſur des vaſes d’airain, & faiſant grand bruit.

Ovide[9] attribue aux enchantemens de la Magie les évocations des puiſſances infernales, & leur renvoi dans l’Enfer, les orages, les tempêtes, le retour du beau tems.

 Obſcurum verborum ambage novorum
Ter novies carmen magico demurmurat ore ;

 Jam ciet infernas magico ſtridore catervas,
Jam jubet aſperſum lacte referre pedem.
Cùm libet, hœc triſti depellit nubila cœlo ;
Cùm libet, œſtivo provocat orbe nives.

Ils lui attribuoient le pouvoir de changer les hommes en animaux par le moyen de certaines herbes, dont la vertu leur étoit connue[10].

 Naïs nam ut cantu, nimiùmque potentibus herbis
Verterit in tacitos juvenilia corpora piſces.

Virgile[11] parle des ferpens endormis & enchantés par les Magiciens.

 Vipereo generi & graviter ſpirantibus hydris
Spargere qui ſom nos cantuque manuque ſolebat.

Et Tibulle[12] dit qu’il a vû la Magicienne faire deſcendre les aſtres du Ciel, & détourner les foudres prêts à tomber ſur la terre ; qu’elle a ouvert la terre, & fait ſortir les morts de leurs tombeaux.

Comme la matiere eſt ſuſceptible des ornemens de la Poëſie, les Poëtes à l’envi ſe ſont étudiés à en orner leurs ouvrages. Ce n’eſt pas qu’ils fuſſent perſuadés de la vérité de ce qu’ils diſoient : ils s’en mocquoient les premiers dans l’occaſion, de même que les plus ſenſés & les plus ſages du paganiſme. Mais ni les Princes, ni les Prêtres, ne ſe mettoient guere en peine de déſabuſer le peuple, ni de détruire ſes préjugés ſur tout cela. La Religion payenne les ſouffroit, les autoriſoit, & une partie de ſes pratiques étoit fondée ſur de pareilles ſuperſtitions.

  1. Plin. l. 3. c. 2.
  2. Philoſtrat. vit. Appollon.
  3. Lactant. l. 6. divin. inſtit. c. 13.
  4. Aug. ad Simplic.
  5. Tertull. de animâ. c. 57.
  6. Lucan. Pharſal. 1. 6. v. 450. & ſequent.
  7. Tibull. l. I. Eleg. 9. v. 21.
  8. Pietro della Valle, voyage.
  9. Ovid. Metamorph. 14.
  10. Ovide Metamorph. 4.
  11. Virgil. Æneid. l. 7.
  12. Tibull. l. I.