Traité sur les apparitions des esprits/I/09

CHAPITRE IX.

Réponſe aux Objections.

JE réponds qu’à la vérité il y a ſouvent beaucoup d’illuſion, de prévention & d’imagination dans tout ce qu’on appelle Magie & Sortilége ; que quelquefois le Démon s’en mêle par ſes preſtiges pour tromper les ſimples ; mais que le plus ſouvent, ſans que le mauvais Eſprit ſoit autrement de la partie, des hommes méchans, corrompus, intéreſſés, ſubtils & trompeurs, abuſent de la ſimplicité des hommes & des femmes, pour leur perſuader qu’ils ont des ſecrets ſurnaturels pour interpréter les ſonges & prédire les choſes futures, guérir des maladies, découvrir les ſecrets inconnus aux hommes ; je n’aurai nulle peine à convenir de tout cela. Toutes les Hiſtoires ſont remplies de faits qui démontrent ce qu’on vient d’avancer. On impute au Démon mille choſes auſquelles il n’a aucune part : on lui fait honneur de prédictions, de révélations, de ſecrets, de découvertes, qui ne ſont nullement l’effet de ſa puiſſance, ni de ſa pénétration, de même qu’on l’accuſe d’avoir cauſé des maux, des tempêtes, des maladies, qui ſont de purs effets de cauſes naturelles, mais inconnues.

Toujours eſt-il vrai que réellement il y a pluſieurs perſonnes qui ſont perſuadées de la puiſſance du Démon, de ſon influence ſur une infinité de choſes & d’effets qu’on lui attribue ; qu’on l’a conſulté pour connoître l’avenir, pour découvrir des choſes ſecretes ; qu’on s’eſt adreſſé à lui pour réuſſir dans ſes projets, pour avoir de l’argent, de la faveur, pour jouir de ſes plaiſirs criminels. Tout cela eſt très-réel. La Magie n’eſt donc pas une ſimple chimere, puiſqu’il y a tant de gens infatués de la force des charmes, & convaincus de commerce avec le Démon, pour produire une infinité d’effets qui paſſent pour ſurnaturels. Or c’eſt la folie, la vaine crédulité, la prévention de ces ſortes de gens que la Loi de Dieu interdit, que Moïſe condamne à la mort, que l’Egliſe Chrétienne punit par ſes cenſures, que les Juges ſéculiers répriment avec la derniere rigueur. S’il n’y avoit en tout cela que maladie d’imagination, foibleſſe de cerveau, préjugé populaire, les traiteroit-on avec tant de ſévérité ? Fait-on mourir les hypocondriaques, les maniaques, les malades imaginaires ? On en a compaſſion, & on travaille à les guérir. Auſſi dans ces circonſtances, c’eſt l’impiété, c’eſt la ſuperſtition, c’eſt le crime de ceux & celles qui conſultent ou qui croyent conſulter le Démon, qui mettent en lui leur confiance, contre qui les loix ſéviſſent & ordonnent des châtimens.

Quand on pourroit nier & conteſter la réalité des Augures, des Devins, des Magiciens, & regarder toutes ces ſortes de gens comme des ſéducteurs, qui abuſent de la ſimplicité de ceux qui s’adreſſent à eux, pourroit-on nier la réalité des Magiciens de Pharaon, celle de Simon le Magicien, de Bar-Jeſus, de la Pythoniſſe, des Actes des Apôtres ? Les premiers ne firent-ils pas devant Pharaon un grand nombre de miracles ? Simon le Magicien ne s’éleva-t’il pas en l’air par l’opération du Démon ? S. Paul n’impoſa-t’il pas ſilence au Démon, qui parloit dans la Pythoniſſe de la ville de Philippes en Macédoine[1] ? Dira-t-on qu’il y avoit colluſion entre S. Paul & la Pythoniſſe ? Rien de tout cela ne peut raiſonnablement ſe ſoutenir.

Un Auteur nouveau qui s’eſt caché ſous ces deux lettres M. D. a fait imprimer à Paris en 1732. un petit volume, intitulé : Traité ſur la Magie, le Sortilége, les poſſeſſions, obſeſſions & maléfices, où l’on en démontre la vérité & la réalité. Il montre qu’il eſt de ſoi qu’il y a des Magiciens : il le prouve par l’Ecriture de l’Ancien & du Nouveau Teſtament, & par l’autorité des anciens Peres, dont les paſſages ſont rapportés dans l’ouvrage du P. Delrio, intitulé : Diſquiſitiones magicœ. Il le prouve par les Rituels de tous les Diocèſes, & par les examens qui ſe trouvent dans les Heures imprimées, où l’on ſuppoſe qu’il y a des Sorciers & des Magiciens.

Les loix civiles des Empereurs, tant Payens que Chrétiens, celles des Rois de France anciennes & modernes, les Juriſconſultes, les Médecins, les Hiſtoriens ſacrés & profanes concourent à ſoutenir la même vérité. On remarque dans toutes ſortes d’Ecrivains une infinité d’Hiſtoires de Magie, de Maléfices, de Sorcelleries. Les Parlemens de France, & les Tribunaux de Juſtice parmi les autres Nations ont reconnu les Magiciens, les pernicieux effets de leur art, & ont condamné leurs perſonnes aux peines les plus rigoureuſes.

Il rapporte au long[2] les remontrances faites au Roi Louis XIV. en 1670. par le Parlement de Rouen, pour prouver à ce Monarque que ce n’eſt pas ſeulement le Parlement de Rouen, mais auſſi tous les autres Parlemens du Royaume, qui ſuivent la même Juriſprudence ſur le fait de la Magie & du Sortilége ; qu’ils en connoiſſent, & qu’ils les condamnent. Cet Auteur cite pluſieurs faits & pluſieurs jugemens rendus ſur cette matiere dans les Parlemens de Paris, d’Aix, de Toulouſe, de Rennes, de Dijon, &c. & c’eſt ſur ces remontrances que le même Roi en 1682. donna ſa Déclaration touchant la punition de divers crimes, & en particulier des Sortiléges, Devins, Magiciens, & crimes ſemblables.

Il cite auſſi le Traité de la Police de M. de la Marre Commiſſaire au Châtelet de Paris, qui s’étend au long ſur la Magie, & en prouve la réalité, l’origine, le progrès, les effets. Seroit-il poſſible que les Auteurs ſacrés, les loix divines & humaines, les plus grands hommes de l’Antiquité, que les Juriſconfultes, les Hiſtoriens les plus éclairés, les Evêques dans les Conciles, l’Egliſe dans ſes déciſions, dans ſes pratiques & dans ſes prieres, auroient conſpiré à nous tromper, & à condamner la Magie, les Sortiléges, la Sorcellerie & les crimes de même nature à la mort, & aux plus rigoureux ſupplices, ſi tout cela n’étoit qu’illuſion, & l’effet d’une imagination gâtée & prévenue ?

Le P. le Brun[3] de l’Oratoire, qui a ſi bien écrit ſur les ſuperſtitions, prouve ſolidement que le Parlement de Paris reconnoît qu’il y a des Sorciers, & qu’il les punit ſévérement lorſqu’ils ſont convaincus. Il le prouve par un Arrêt rendu en 1601. contre quelques habitans de Champagne accuſés de Sortilége. L’Arrêt veut, qu’ils ſoient envoyés à la Conciergerie par les Juges ſubalternes, ſous peine de privation de leur Charge : il ſuppoſe qu’ils doivent être rigoureuſement châtiés ; mais il veut qu’on obſerve une procédure exacte & réguliere pour les découvrir & les punir.

M. Servin, Avocat Général & Conſeiller d’Etat, prouve au long par l’Ancien & le Nouveau Teſtament, par la Tradition, les Loix & les Hiſtoires, qu’il y a des Devins, des Enchanteurs & des Sorciers, & réfute ceux qui prétendent ſoutenir le contraire. Il montre que les Magiciens & ceux qui uſent de Sortiléges, doivent être punis & jugés exécrables ; mais il ajoute qu’il ne faut punir qu’après des preuves certaines & évidentes ; & c’eſt ce que le Parlement de Paris obſerve, de peur de punir des inſenſés pour des coupables, & de prendre des illuſions pour des réalités.

Le Parlement laiſſe à l’Eglife de frapper d’Excommunication ceux & celles qui ont recours aux Sortiléges, & qui croyent aller la nuit à des aſſemblées nocturnes, pour y rendre leurs hommages au Démon. Les Capitulaires des Rois[4] recommandent aux Paſteurs d’inſtruire & de déſabuſer les Fidéles ſur le ſujet de ce qu’on appelle Sabbat ; toutefois ils n’ordonnent point de peines corporelles contre ces ſortes de gens, mais ſeulement qu’on les déſabuſe, & qu’on empêche qu’ils n’en ſéduiſent d’autres.

Le Parlement en demeure là, tandis que la choſe ne va pas plus loin qu’à la ſimple ſéduction ; mais lorſqu’elle va à nuire aux autres, les Rois ont ſouvent ordonné aux Juges de punir ces ſortes de perſonnes de peines pécuniaires & de banniſſement. Les Ordonnances de Charles VIII. en 1490. & de Charles IX. dans les Etats d’Orléans en 1560. ſont formelles ſur ce point ; & elles ſe trouvent renouvellées par le Roi Louis XIV. en 1682. Au troiſiéme article ces Ordonnances portent, que s’il ſe trouvoit des perſonnes aſſez méchantes pour ajouter à la ſuperſtition l’impiété & le Sacrilége, ceux qui en ſeront convaincus ſeront punis de mort.

Lors donc qu’il eſt évident que quelque perſonne a porté préjudice au prochain par des maléfices, le Parlement les punit rigoureuſement juſqu’à la peine de mort, conformément aux anciens Capitulaires du Royaume[5], & aux nouvelles Ordonnances. Bodin qui écrivoit en 1680. a ramaſſé un grand nombre d’Arrêts, auſquels on peut ajouter ceux que le R. P. le Brun rapporte rendus depuis ce tems en 1585. 1591. 1593. 1602. 1604. 1609. 1611. 1617. 1684. 1687. 1691.

Il rapporte après cela un exemple remarquable d’un nommé Hocque, qui fut condamné aux Galeres le 2 Septembre 1687. par Sentence de la haute Juſtice de Paſſy, pour avoir uſé de maléfices envers les animaux, & en avoir fait mourir un grand nombre en Champagne. Hocque mourut ſubitement, miſérablement, & en homme déſeſperé, après avoir découvert dans le vin au nommé Béatrix le ſecret dont il ſe ſervoit pour faire mourir le bétail : il n’ignoroit pas que le Démon lui cauſeroit la mort, en haine de la découverte qu’il avoit faite de ce Sortilége.

Quelques complices de ce malheureux furent condamnés aux Galeres par divers Arrêts : d’autres ſurent condamnés à être pendus & brûlés par Sentence du Bailli de Paſſy le 26 Octobre 1691, laquelle Sentence fut confirmée par Arrêt du Parlement de Paris le 18 Décembre 1691. De tout cela il réſulte, que le Parlement de Paris reconnoît que les Sortiléges par leſquels on nuit au prochain doivent être rigoureuſement punis ; que le Démon a un pouvoir très-étendu, qu’il ne met que trop ſouvent en exercice envers les hommes & les animaux ; & qu’il l’exerceroit encore plus ſouvent, & avec plus d’étendue & de fureur, s’il n’étoit borné & arrêté par la puiſſance de Dieu & par celle des bons Anges, qui mettent des bornes à ſa malice. S. Paul nous avertit[6] de nous revêtir des armes de Dieu pour pouvoir réſiſter aux embûches du Diable : car, ajoute-t’il, nous n’avons pas à combattre contre la chair & le ſang, mais contre les Princes & les Puiſſances, contre les mauvais Eſprits qui gouvernent ce monde ténébreux, contre les Eſprits de malice qui regnent dans les airs.


  1. Act. xvj. 10.
  2. Pag. 31. & ſeq.
  3. Le Brun, Hiſt. critique des pratiques ſuperſtit. Tom. II. pag 299. & ſeq.
  4. Capitular. R. xiij. de Sortilegiis & Sorciariis 2, col. 361.
  5. Capitular. en 872. x. 2. col. 230.
  6. Epheſ. vj. 12.