Traité sur les apparitions des esprits/I/08

CHAPITRE VIII.

Objections contre la réalité de la Magie.

ON ne manquera pas de me dire que tous ces témoignages de l’Ecriture ne prouvent pas la réalité de la Magie, de la Sorcellerie, des Divinations, & le reſte ; mais ſeulement que les Hébreux & les Egyptiens, je veux dire le commun du peuple parmi eux, croyoit qu’il y avoit des gens qui avoient commerce avec la Divinité, ou avec les bons & les mauvais Anges, pour prédire l’avenir, expliquer les ſonges, pour dévouer leurs ennemis aux derniers malheurs, cauſer des maladies, exciter des tempêtes, ſuſciter les ames des morts ; s’il y avoit de la réalité, elle n’étoit pas dans les choſes, mais dans leurs imaginations & leurs préventions.

Moïſe & Joſeph paſſoient pour de grands Magiciens parmi les Egyptiens. Rachel croyoit apparemment que les Téraphims de ſon pere Laban étoient capables de l’inſtruire des choſes cachées & futures. Les Iſraélites pouvoient conſulter l’idole de Michas, & Beelzebub Dieu d’Accaron ; mais les gens ſenſés & éclairés de ce tems-là, comme ceux d’aujourd’hui, regardoient tout cela comme des jeux & des fourberies des prétendus Magiciens, qui trouvoient leur compte à entretenir le peuple dans ces préjugés.

Moïſe n’a pas laiſſé d’ordonner très ſagement la peine de mort contre ces ſortes de gens, qui abuſoient de la ſimplicité des ignorans pour s’enrichir à leurs dépens, & qui détournoient les peuples du culte du vrai Dieu, pour les entretenir dans des pratiques ſuperſtitieuſes & contraires à la vraie Religion. Or il eſt du bon ordre, & de l’intérêt de la République & de la vraie piété, de réprimer les abus qui y ſont contraires, & de punir du dernier ſupplice ceux qui détournent les peuples du vrai & légitime culte de Dieu, pour les porter au culte du Démon ; à mettre leur confiance dans la créature, au préjudice des droits du Créateur ; à leur inſpirer de vaines frayeurs de ce qui n’eſt point à craindre, & à les entretenir dans des erreurs très-dangereuſes. Si parmi une infinité de fauſſes prédictions, ou de vaines interprétations des ſonges, il s’en trouve quelques-unes de vraies, ou c’eſt le hazard qui les a produites, ou c’eſt l’ouvrage du Démon, à qui Dieu permet aſſez ſouvent de tromper ceux qui ont la ſotiſe & l’impiété de s’adreſſer à lui, & de mettre en lui leur confiance ; ce que le ſage Légiſlateur animé de l’Eſprit ſaint a dû réprimer par les peines les plus rigoureuſes.

Les Hiſtoires & l’expérience font voir que ceux qui uſent de l’art magique, de ſortiléges, de maléfices, n’emploient leur art, leur ſecret & leur pouvoir que pour ſéduire, pour induire au crime & au déſordre ; ainſi on ne peut les rechercher avec trop de ſoin, ni les punir avec trop de ſévérité.

On peut ajouter, que ſouvent on prend pour Magie noire & diabolique ce qui n’eſt que Magie naturelle ou ſubtilité de la part de ceux qui font des choſes qui paroiſſent au-deſſus des forces de la nature. Combien d’effets merveilleux ne raconte-t’on pas de la baguette divinatoire, de la poudre de ſympathie, des Phoſphores, des ſecrets de Mathématiques ? Combien de fripponneries ne connoît-on pas de la part des Prêtres des Idoles & de ceux de Babylone, qui faiſoient accroire au peuple que le Dieu Bel buvoit & mangeoit ; qu’un grand Dragon vivant étoit une Divinité ; que le Dieu Anubis demandoit le commerce de certaines femmes, dont les Prêtres abuſoient ; que le bœuf Apis rendoit des Oracles ; que le ſerpent d’Alexandre d’Abonotiche connoiſſoit les maladies, & donnoit des remedes aux malades, ſans ouvrir le billet qui contenoit le détail de leurs maux ? Nous pourrons parler de tout cela plus au long ci-après.

Enfin les Parlemens les plus judicieux & les plus célebres ne veulent point reconnoître de Magiciens ni de Sorciers ; du moins ils ne les condamnent point à mort, à moins qu’ils ne ſoient convaincus d’autres crimes, comme de vol, de maléfices, de poiſon, de ſéduction en matiere grave & criminelle ; par exemple, dans l’affaire de Gofredi Prêtre de Marſeille, qui fut condamné par le Parlement d’Aix à être tenaillé & brûlé vif. Les chefs de cette Compagnie, dans le compte qu’ils rendent à M. le Chancellier de l’Arrêt par eux rendu, témoignent que ce Curé étoit à la vérité accuſé de Sortilège ; mais qu’il avoit été condamné au feu, comme atteint & convaincu d’inceſte ſpirituel avec Madeleine de la Palu ſa pénitente. De tout ceci on conclut qu’il n’y a rien de réel dans ce qu’on appelle Magie.