Traité sur la culture et les usages des pommes de terre/Avertissement

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AVERTISSEMENT


La Faculté de Médecine de Paris fut conſultée en 1771, par M. le Contrôleur-général, sur la ſalubrité des Pommes de terre, que l’on accuſoit d’occaſionner des maladies dans quelques-unes de nos Provinces. Le rapport le plus capable de diſſiper toutes les craintes que donna cette ſavante Compagnie, m'engagea dès-lors à examiner ces racines par toutes les voies que la chimie ſuggéroit, & mon travail eut l'avantage de ſeconder ſes vues d'utilité.

Quelques années après, les alarmes ſe renouvelèrent ſans plus de fondement ; les Pommes de terre devinrent l'objet d'un autre genre d'accuſation : on leur reprochoit, entre autres, de nuire à la récolte des grains, d'épuiſer le meilleur ſol, & de le mettre hors d'état de rapporter aucunes productions. Je crus devoir répondre encore à toutes ces inculpations. Il ne me restoit plus qu'à rédiger un traité ſur leur culture, pour remplir les engagemens que j'avois contractés en quelque ſorte, de faire connoître en France une plante dont les avantages ne ſont pas encore ſentis dans les cantons qui en ont adopté l'uſage depuis un ſiècle. J’avoue que cette tâche m'a beaucoup occupé; mais je ſuis aſſez heureux pour n'avoir pas à regretter le temps que j'y ai conſacré.

Ce Traité, qui n'eſt véritablement que le réſultat de mes propres expériences, & de celles de quelques Cultivateurs diſtingués, que la Société royale d’agriculture aime à compter parmi ſes Membres ou ſes Correſpondants, ne devoit point encore paroître, parce que les eſſais en grand que j’avois entrepris de ſuivre ſur les produits de pommes de terre comparées aux grains ſous tous les rapports, ne ſont point encore achevés ; mais la grêle & le froid mémorables, joints à la médiocre récolte de l’année dernière, ayant dû forcer d’ouvrir les yeux ſur les avantages inconteſtables de cette culture, j’ai préſumé que la leçon du malheur & du beſoin vaudroit mieux, dans ces circonstances, que le ſuccès de l’expérience la plus concluante ; d’ailleurs, en accélérant cette publicité, je cède au vœu général. Qu’il me ſoit permis de rappeler ici ce que j’ai dit tant de fois, pour prévenir l’état de détreſſe où nous venons de nous trouver. Il est naturel à un citoyen, lorsqu’il n’a jamais eu d’autre but que celui d’être utile, de jouir du bien qu’il a voulu faire.

Les années les moins riches en grains ſont ordinairement très-abondantes en pommes de terre. Les racines ou tubercules de cette plante ont l’avantage de braver les effets deſtructeurs de la grêle, de remplacer en ſubſtance le pain, d’entrer dans sa compoſition, quel que ſoit leur état, gelées ou germées, & d’épargner sur la conſommation de la farine, lorſqu’un évènement extraordinaire a rendu cette denrée rare et chère.

Les moulins à bras, à pédales ou à manège ne ſeront jamais, quelle que soit la perfection où la mécanique pourra un jour les amener, un objet d’économie pour le public. Il ne faut les conſidérer que comme un ſupplément très-utile, auquel on doit avoir recours lors du chommage des moulins à eau & à vent, toujours préférables : mais les deux premiers de ces moulins placés dans les maisons de force, dans les dépôts de mendicité, dans les hôpitaux de charité, & dans d’autres grands établiſſemens, procureroient dans tous les temps ce double avantage ; ils occuperoient des hommes que, s’il eſt néceſſaire de les ſouſtraire à la ſociété, il est bien dangereux de les abandonner à une inaction abſolue pendant le jour, parce qu’ils veillent la nuit. Le prix que coûte la mouture ordinaire d’un ſac de grains, réparti entre eux, deviendroit un adouciſſement à leur miſère, & le travail leur ſerait accordé comme la récompenſe de leur bonne conduite.

Pour prévenir à jamais cette diſette locale, ces renchériſſemens ſubits, ces émeutes populaires, ces ſpéculations avides que fait naître preſque chaque année, au ſein même de l’abondance des grains, la ſuſpenſion des moutures, pendant des mois entiers de temps calme, de de ſécheresse, de gelée & d’inondation, il faut ſubſtituer le commerce des farines à celui des grains. Il n’y a pas de moyen plus prompt, plus aſſuré de perfectionner dans le royaume la meunerie & la boulangerie ; les farines gardées ſuivant les bons principes, n’exigent presque aucune dépenses, & elles ſe bonifient en vieilliſſant : les fermiers, les meuniers, les boulangers, les conſommateurs, les adminiſtrations provinciales le gouvernement enfin, ſont donc tous intéreſſés au commerce des farines.

Telles ſont les vérités que je ne ceſſe de répéter, & que les malheureuſes circonſtances n’ont que trop juſtifiées. N’attendrons-nous donc à connoître le prix de ce qui nous manque, que quand il sera impoſſible de ſe le procurer ?




TRAITÉ